Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Mœurs judiciaires sous l’Ancien Régime –  Contrebandiers et commis des Fermes royales –  Un curieux conflit de juridiction 1664-1765

Mis en ligne le 1 septembre 2021

Cette étude est parue il y a une cinquantaine d’années dans la Revue du Nord qui a bien voulu – et nous l’en remercions – en autoriser la reproduction.

 

Nous serions mal venus de ne pas associer à ces remerciements le fidèle adhérent et grand dévoreur de livres devant l’Eternel qu’est Jean-Marie Rio, Receveur Principal Régional honoraire qui a « découvert », à l’intention des lecteurs des Cahiers, l’excellent article du docteur Lemaire.

 

Dans sa conclusion l’auteur met en relief le caractère en quelque sorte exemplaire d’un procès fort éclairant sur les mœurs judiciaires de l’Ancien Régime. On ne peut, le lisant, que faire référence aux thèses développées par A. de Tocqueville dans l’Ancien Régime et la Révolution relativement au rôle des juridictions d’exception et au droit d’évocation du pouvoir royal.

 

Mais, envisageant le problème sous l’angle étroit de l’histoire de la Douane, nous nous arrêterons aussi sur le fait que, 25 ans avant la Révolution, la Ferme Générale avait si mauvaise réputation que, même une juridiction d’exception comme l’Amirauté, s’empressait de lui donner tort. Ceci peut expliquer sinon justifier bien des choses, y compris la Commission de Valence…

 

(NDLR Cahiers 1986)

 


 

 

En ce temps là , Dunkerque était port franc. Cette franchise lui avait été concédée par Louis XIV dès qu’il avait pris possession de la ville. Elle était absolue et s’étendait non seulement au port mais à la vieille ville. Par contre, le nouveau quartier créé par Vauban, et qu’on appelle aujourd’hui la basse ville, en était exclu : aussi les employés des fermes royales n’ayant pas accès dans les magasins des négociants des barrières de traites avaient-elles été établies aux issues de la ville. Le bureau principal se trouvait à l’entrée de la basse ville.

 

Quand le port fut ruiné en application du traité d’Utrecht, et que Louis XIV eût créé, à l’ouest, le canal de Mardyck, qui constituait en réalité un nouveau chenal donnant accès à un large bassin, les Dunkerquois obtinrent pour lui la franchise (1). Tout l’espace compris entre ce canal et Dunkerque, où ne se trouvaient alors que les quelques maisonnettes du hameau de Tornegal et qui est occupé aujourd’hui par la ville de Saint-Pol-sur-Mer, en application dé l’article II de cet arrêt jouit de la franchise.

 

A la périphérie les employés des fermes exerçaient une surveillance étroite pour que rien ne sortit de cette ville réputée étrangère, ou n’y pénétrât sans passer par leurs bureaux. Un de ceux-ci avait été installé au milieu du XVIIIe siècle dans les bâtiments construits autour de l’écluse de Mardyck, qu’on avait entourée de quelques fortifications; aussi l’appelait-on le fort de Mardyck.

 

Ces quelques explications étaient indispensables pour comprendre ce qui va suivre. Le 22 septembre 1764, vers cinq heures et demie du soir, un curieux cortège se présentait devant la porte du grand bureau des fermes de la basse ville de Dunkerque.

 

Sur le devant d’un chariot, tiré par trois chevaux, étaient juchés deux commis des fermes. Un troisième était assis sur des ballots recouverts de toile grise et apparemment mouillés. Il tenait en mains deux grands bâtons. Plusieurs autres commis escortaient le véhicule.

 

Le portier garde-magasin ouvrit la grande porte et le chariot pénétra dans la cour de la douane. Les visiteurs, employés, commis de bureau, s’empressèrent de questionner les gardes qui accompagnaient le véhicule. S’agissait-il d’une prise importante ?

 

Mais le Contrôleur général des fermes Thuilliez était là. Il interpella les commis l’un deux, le sous-brigadier Ficheux, lui déclara que ces ballots contenaient des loques propres à faire du papier, que trois contrebandiers voulaient introduire en fraude à Dunkerque (2). Les employés des fermes les avaient suivis, une rixe s’était produite, au cours de laquelle l’un des porte-balles avait été tué. Il ramenait son corps.

 

En effet, au fond du chariot, entre les ballots, caché par une couche de roseaux, se trouvait le cadavre ensanglanté d’un homme « vêtu d’un habit bleu sans parement, à boutons d’os blanc, d’une culotte de tricot bleu à fleurs, de bas blancs tricotés à carreaux et ayant des boucles à nœuds d’amour de cuivre à ses souliers ».

 

Sur le corps était posée une bandoulière aux armes du Roi.

 

Il ne fallut pas longtemps au Contrôleur général Thuilliez pour se rendre compte qu’il s’agissait là d’une vilaine histoire, et aussitôt il posa la question : «Qui a fait le coup ? ».

 

Le premier garde des fermes Taulez déclara que c’était lui, et raconta l’histoire suivante : Vers midi, avec d’autres gardes, il se trouvait près du bureau de la sous-brigade de l’écluse de Mardyck, à laquelle il appartenait, lorsqu’une petite fille, enfant d’un de ses collègues, vint lui dire que trois hommes porteurs de ballots se glissaient le long de l’estran et se dirigeaient de Gravelines vers Dunkerque.

 

Aussitôt, avec le sous-brigadier Ficheux et le garde La Porte, il était parti à la poursuite des inconnus, n’ayant d’autres armes que leurs sabres. Ils les avaient rejoints au moment où ils cherchaient à traverser l’ancien chenal, maintenant ensablé, du canal de Mardyck, près des balises qui en indiquaient l’emplacement aux navigateurs. Mais la marée étant haute ils n’avaient pu gagner l’autre rive; aussi, laissant tomber leurs ballots dans l’eau, étaient-ils revenus sur la berge.

 

Les trois commis des fermes les avaient alors sommés de retirer leurs marchandises de l’eau. Ils refusèrent d’obtempérer, et l’un des contrebandiers s’écria « avec d’affreux jurements » : Vous n’êtes que trois, nous sommes trois, nous périrons plutôt que de vous abandonner notre charge ».

 

Et tandis que les autres se regardaient, il fonça avec son bâton sur le garde Taulez et lui porta un coup à la joue gauche. Taulez se défendit avec son sabre, sur lequel, déclara-t-il, le contrebandier s’enferra. Blessé à la poitrine, il s ‘affaissa criant « Je suis blessé, mais c’est de ma faute » et il tomba dans l’eau…

 

Alors, affolés, tous se sauvèrent, les contrebandiers d’un côté, les employés des fermes de l’autre; un marin pêcheur, nommé Carru, un garde-côtes, nommé Blanckaert, avaient assisté de loin à la scène. Au bout de quelques instants, s’étant repris, les fuyards s’arrêtèrent. Voyant que les gardes s’étaient éloignés, les compagnons de la victime s’approchèrent d’elle, la retirèrent de l’eau et constatant qu’elle ne respirait plus, s’en allèrent du côté de Dunkerque, laissant là leurs ballots.

 

A leur tour, les commis des fermes revinrent sur leurs pas; le sous-brigadier Ficheux ayant constaté que le fraudeur était mort, laissant son corps à la garde de ses deux acolytes, partit vers le bureau pour chercher du secours. II revint avec plusieurs autres gardes. Ayant enlevé la bandoulière de l’un deux il la mit sur le cadavre. Désormais celui-ci appartenait à la justice du Roi. Le chariot d’un fermier voisin fut réquisitionné. Ficheux y fit placer le corps, les ballots et les bâtons qu’avaient laissés les fraudeurs, et tout le monde prit le chemin de Dunkerque.

 

Or, il était formellement interdit de toucher à un cadavre trouvé sur la voie publique, avant que les magistrats compétents en aient pratiqué l’écouage c’est-à-dire la reconnaissance judiciaire, avec l’assistance d’un médecin ou chirurgien, afin de déterminer la cause du décès.

 

Le Contrôleur Thuilliez ne cacha pas son étonnement de ce que les commis aient amené le corps de la victime au bureau au lieu de le laisser en place; cet enlèvement pouvait paraître suspect et risquait d’aggraver le cas des commis des fermes qu’on ne manquerait pas d’accuser d’avoir voulu le cacher pour le soustraire à la Justice. A ses objections, Ficheux répartit que, bien au contraire, en le ramenant en plein jour, au vu de tous, il prouvait qu’il n’avait aucune intention de le cacher. Néanmoins, le Contrôleur prit ses dispositions pour mettre la Justice de son côté.

 

Les trois commis intéressés rédigèrent un procès-verbal qu’ils remirent au bureau. Thuilliez fit examiner le soir même le garde Taulez par le maître en chirurgie Carpentier qui constata qu’il présentait à la base de la mâchoire, à gauche, une contusion « avec ecchymose », produite par un instrument contondant.

 

Après s’être concerté avec le receveur de Plancy, qui était revenu d’une tournée à Bergues, le Contrôleur résolut d’informer le soir même M. Taverne, subdélégué de l’Intendant, de ce qui s’était passé. Or, celui-ci était parti à sa maison de campagne de Rosendaël. Le soir était venu et les portes de la ville étaient fermées.

 

Le Contrôleur Thuilliez et le Receveur de Plancy obtinrent du sieur Deprada, Major de la place, l’autorisation de se faire ouvrir la porte de Nieuport et ils purent ainsi mettre le subdélégué au courant de l’incident.

 

Le lendemain matin, 23 septembre, le subdélégué s’en vint voir Mr l’Intendant Lefebvre de Caumartin, qui se trouvait précisément à Dunkerque, et lui soumit une requête afin qu’il fût procédé régulièrement à l’écouage du cadavre.

 

Caumartin envoya la pièce au grand bailli Faulconnier. Celui-ci adressa aussitôt une réquisition aux Bourgmestre et échevin. La Municipalité s’étant assemblée extraordinairement commit l’échevin Corneil-Constant Woestyn pour procéder dans les formes à la visite et à la reconnaissance du corps. P. Badetz, lieutenant du premier chirurgien du roi, Fernand Carpentier, maître en chirurgie, et Philippe de Blaigny, médecin, commis pour l’assister, après serment prêté se rendirent avec lui.au bureau des traites de la basse ville.

 

Le corps déposé dans une remise attenante au magasin, leur fut présenté. Les hommes de l’art constatèrent qu’il portait à la poitrine une plaie qui avait entraîné la mort.

 

Les trois commis des fermes, interpellés, déclarèrent qu’ils n’avaient rien à ajouter à leur procès-verbal qui déjà avait été communiqué au subdélégué. L’échevin commissaire revint à l’Hôtel de Ville et rendit compte de sa mission. Aussitôt, le grand bailli requit que le corps soit enlevé du bureau des traites pour être transféré à la morgue municipale. Le Magistrat s’étant de nouveau assemblé extraordinairement ordonna ce transfert.

 

En application de cette ordonnance, l’échevin Woestyn retourna au bureau des traites avec le sieur de Lorne, adjoint du lieutenant Bailli. Ils se firent présenter le corps, apposèrent sur son front un cachet aux armes de la ville et le firent transporter à la morgue, attenante à la Conciergerie…

 

Pendant que l’Intendant, son subdélégué et le Magistrat faisaient toute diligence pour commencer l’instruction de cette affaire, deux autres juridictions ne restaient pas inactives, prétendant qu’il leur revenait de l’instruire et de la juger. C’étaient le Siège royal des Traites, et le Siège général de l’Amirauté.

 

Le Siège royal des Traites, créé à Dunkerque par édit royal de 1691, devait connaître au civil et au criminel de toutes les contestations entre les fermiers et les redevables des droits de traites.

 

Il parût au Procureur du Roi du siège qu’un meurtre commis par un commis des fermes relevait de sa compétence. Aussi ce procureur, Nicolas François de Meulebecque, adressa-t-il, dès le 23 septembre au matin, un réquisitoire à M. Jean Et. Dechosal, seigneur de Malenbourg. Lieutenant général civil et criminel du Siège des Traites, dans lequel il demandait qu’il lui soit permis d’informer sur ce fait «qu’un inconnu qui aurait attaqué les commis aurait été tué par l’un deux et que son corps aurait été transféré clandestinement au bureau de la douane, soit, disait-il, pour couvrir le crime, soit pour prévenir nos poursuites ».

 

Le lieutenant général donna l’autorisation et commit de Blaigny, licencié médecin, Cléry et Memster, chirurgiens, pour procéder à la visite du corps, après prestation de serment.

 

Le soir même, M. Dechosal, son greffier, Geneau de Sainte-Gertrude, les médecins et chirurgiens, se transportèrent au bureau de la douane en basse ville.

 

Là, le receveur des fermes de Plancy ne nia pas qu’un cadavre y ait été apporté, mais, fait qui peut nous surprendre, il refusa de le leur montrer, Le Contrôleur général Thuilliez vint leur déclarer que MM. du Magistrat avaient déjà pris connaissance de cette affaire et qu’il ne connaissait pas d’autres juges qu’eux…

 

Le Conseiller pensionnaire de la ville, Vanwormhoudt, se trouvait alors au bureau, car il venait assister au transfert du corps. Il demanda au Lieutenant général des Traites s’il ne s’opposait pas à cette opération. M. Dechosal répondit « qu’il ne le connaissait pas », et s’en retira, tandis que M. de Plancy refusait de signer le procès-verbal de carence que lui présentait le greffier.

 

Mais de son côté, le Procureur du Roi de l’Amirauté, Laurent Coppens, avait été averti par son garde-côtes Blanquart et le marin pêcheur Carru de ce qui s’était passé sut la plage.

 

Le meurtre sans aucun doute avait été commis en un endroit qui relevait de l’Amirauté puisqu’il avait été recouvert par la mer (3). Aussi adressa-t-il aussitôt une plainte au Lieutenant général de l’Amirauté lui demandant l’autorisation d’informer.

 

Le Lieutenant général, Bernard Pierre Coppens, fit assigner aussitôt devant lui ces témoins, ainsi que le fermier Bastoen dont le chariot avait été réquisitionné pour le transport du corps. Ils racontèrent ce que nous savons déjà et ainsi se termina cette journée du 23. Dès le lendemain du meurtre trois juridictions avaient pris l’affaire en mains !

 

Mais le Lieutenant général de l’Amirauté, plus habile que son collègue des Traites, s’était mis en rapport avec l’Intendant et lui avait fait part de ses premières recherches.

 

Le lendemain 24, l’Intendant Caumartin, qui doit quitter Dunkerque, lui écrit « qu’il consent à ce qu’il connaisse seul de cette affaire, tant au civil qu’au criminel, et ne l’attende pas ni pour procéder ni pour juger ».

 

Fort de cette autorisation, Coppens continue son instruction. Dès ce matin même, sur le réquisitoire de son Procureur du Roi, il prend un décret de prise de corps contre les commis des fermes Taulez, Ficheux et Lapone, qui doivent être appréhendés et conduits aux prisons de cette ville. Et il rend une ordonnance pour que le cadavre soit visité par les médecins Tully et Vanhove, et les chirurgiens Badetz et Carpentier qui prêtent serment entre ses mains.

 

Dans la soirée, il se rend avec eux et son greffier au bureau de la douane. Là, le receveur de Plancy leur apprend que le corps a été enlevé la veille, entre 6 et 7 heures du soir, par MM. du Magistrat… Le receveur profite toutefois de leur présence pour leur soumettre une requête au nom de Jean Jacques Prevost, adjudicataire général des cinq grosses fermes, demeurant à Paris, rue de Grenelle, requête tendant à faire déclarer bonne et valable la saisie des trois ballots de loques, du poids total de 930 livres. Le Lieutenant général de l’Amirauté la communique à son Procureur qui requiert simplement que cette pièce soit versée au dossier.

 

Mais il s’agit de prendre possession de la principale pièce à conviction. Le Procureur de l’Amirauté, qui en. l’occurrence fait plus de diligence que celui du Siège des Traites, adresse au Magistrat un réquisitoire dans lequel il signifie « qu’un quidam ayant été tué sur l’estran du côté du port de Mardyck, en l’étendue du flot de mars, sur le district de notre Juridiction… » en conséquence il requiert que le cadavre et le procès reviennent à l’Amirauté.

 

Le Magistrat le sait soutenu par l’Intendant. Aussi le grand Bailli écrit-il sur le réquisitoire : «Je n’empêche pour le Roy que le cadavre dont il s’agit… ne soit remis aux officiers de l’Amirauté avec les papiers de la procédure ».

 

De nouveau, le Magistrat s’assemble extraordinairement, le 25 septembre, et fait droit à la demande de l’Amirauté.

 

Le jour même – car on ne traîne pas en ce temps là – le lieutenant bailli dresse un procès-verbal dans lequel il certifie s’être transporté à la morgue, où il a sommé, au nom du roi, le concierge de lui remettre le corps du quidam, l’en a chargé, et l’a livré aux officiers de l’Amirauté.

 

Les deux bâtons, réclamés par l’Amirauté comme pièces à conviction, lui sont également remis. Le corps du « quidam » dont le nom n’est jamais prononcé est séquestré maintenant dans la geôle de l’Amirauté, rue des Arbres. Sur le front il porte le sceau de cette Juridiction. Il faut en second lieu s’assurer de la personne des coupables. En vertu du décret de prise de corps rendu la veille par le Lieu- se transporte le 25 au domicile de Taulez, Ficheux et se transporte le 25 au domicile de Taulez, Ficheux et Laporte.

 

Là, il apprend que dans la soirée précédente ils se sont enfuis, de peur d’être arrêtés, Baudry les recherche vainement à Loon. Sur un avis qu’ils se sont dirigés vers Spycker, il s’y rend avec ses témoins et recors. Arrivé à un cabaret portant l’enseigne «A Saint-Léonard », il somme le tenancier Vanbrugghe de lui ouvrir, et perquisitionne dans la maison. Il y trouve Taulez, l’appréhende au corps et lui fait remettre ses armes : fusil de chasse, poudre, gibecière… Après quelques recherches dans le village, il finit par trouver dans la maison du chef de la brigade des fermes du roi à Spycker, Ficheux et Laporte et les met en état d’arrestation.

 

Pendant qu’il prend ses dispositions pour le transfert des prisonniers à Dunkerque, il s’aperçoit qu’un individu cherche à faire évader ces deux derniers. Il se saisit de ce personnage, poursuit Ficheux et Laporte qui sont armés, et fait tirer un coup de fusil sur Laporte qui s’arrête et se rend. Quant à Ficheux, il réussit à gagner la campagne.

 

En fin de compte, il ramène aux prisons royales de Dunkerque Taulez, Laporte, et le nommé Philippe dit Saint-Paulin qui avait voulu favoriser leur évasion..

 

Dernière formalité nécessaire : il faut vérifier l’état du corps. Sur le réquisitoire du procureur, le lieutenant général et son greffier procèdent à sa reconnaissance. Nouveau réquisitoire du procureur réclamant qu’il soit examiné par des praticiens experts. Ceux-ci, nommés le 20 septembre, prêtent serment et procèdent aussitôt à leurs opérations. De leur rapport nous extrayons les lignes suivantes qui en constituent l’essentiel :

 

« Nous lui avons trouvé une plaie à la partie antérieure moyenne de la poitrine du côté droit, entre la 2e et la 3e des vraies cotes contant de bas en haut, pénétrante dans la poitrine, la partie antérieure du lobe droit du poumon coupé, le médiastin, le péricarde ouverts, ainsi que le ventricule droit du cœur ouvert de deux travers de doigt… ». (Signé) : Tully, Vanhove, Badetz et Carpentier.

 

Le lendemain 26, l’huissier audiencier de l’Amirauté, Robin se rend à la prison, et là, entre deux guichets, seul endroit où les prisonniers sont libres, il signifie à Taulez et à Laporte deux arrêts du Conseil d’Etat du roi des 25 mai et 14 septembre 1728 sur la compétence des juges en matière de procédure, concernant la contrebande dans les ports et sur les rivages. Ces arrêts attribuant la connaissance de ces causes aux Amirautés, les prisonniers recevaient ordre de s’y conformer, en d’autres termes celui de ne reconnaître que la Juridiction de l’Amirauté.

 

Il fallait encore se saisir de la personne du fugitif Ficheux. Ce fut en vain que, le 26, l’huissier Baudry se rendit à cheval en toute diligence pour le surprendre à son domicile et le sommer de se constituer prisonnier. Il n’y trouva que sa femme qui déclara ignorer où il se trouvait, et le milieu était trop pauvre pour qu’on put y effectuer une saisie…

 

Par la suite, Ficheux fut assigné « à cri public » sur la place royale de Mardyck, au son de la trompette, et l’assignation fut affichée en plusieurs endroits. Peine perdue, il resta introuvable.

 

Pendant ce temps le Siège des Traites procédait de son côté à l’instruction du procès.

 

Le lieutenant général Dechosal n’entendit pas moins de vingt cinq témoins dans les journées du 25 au 29 septembre.

 

Il vit ainsi défiler devant lui tout le personnel du bureau de la basse ville depuis le Contrôleur général Thuilliez et le Receveur de Plancy jusqu’aux visiteurs, commis expéditionnaires et garde-magasin, qui ne purent que lui raconter comment le corps avait été amené, et quels propos avaient tenus les commis qui l’escortaient; ce furent encore les commis et employés attachés au bureau du fort Mardyck et quelques marins qui de loin avaient assisté à la rixe : ces dépositions ne firent que confirmer ce que tout le monde connaissait déjà.

 

Mais d’autre part, le Lieutenant général de l’Amirauté qui s’y connaissait mieux en procédure que son collègue des Traites, faisait assigner devant lui des témoins plus importants. Il ne se contenta pas d’entendre les marins qui n’avaient assisté que de loin à la scène du meurtre, il se fit amener les deux contrebandiers qui avaient tenté avec la victime d’introduire les ballots dans Dunkerque : ils s’appelaient Nicolas Laffite, natif de Chaumont, et J.B. Boite de Charnouillé en Champagne. Ils lui apprirent l’identité de la victime qui comme eux était originaire d’une province lointaine et s’appelait Claude Tissau, natif de Besançon. Et comme il tenait en prison les commis des fermes Laporte et Taulez, ce dernier avouant avoir blessé Tissau à mort, il avait sur le Lieutenant général des Traites le gros avantage de pouvoir recueillir leurs dires. Il les fit comparaître à trois reprises différentes pour préciser certains points sur lesquels la lumière devait être faite.

 

Les deux instructions se poursuivaient donc parallèlement. En fin de compte à quelle juridiction resterait le droit de juger l’affaire ?

 

Le Procureur du roi au Siège des Traites représentait au Lieutenant général de l’Amirauté qu’en application des articles 35, 36 et 37 de l’Ordonnance de juillet 1681, la connaissance des contestations en matière de contrebande avec les commis des fermes, appartenait privativement au Siège des Traites.

 

Le Procureur de l’Amirauté répliquait que l’arrêt du Conseil du roi du 25 mai 1728 avait décidé que la connaissance des affaires de contrebande faites sur le territoire relevant de l’Amirauté, revenait à l’Amirauté, et que d’ailleurs Monseigneur l’Intendant avait décidé que le juge de l’Amirauté était compétent…

 

A quoi, le Procureur des Traites répondait que cet arrêt n’était pas applicable dans ce cas particulier. L’Intendant, à qui en réfère l’Amirauté le 3 octobre, trouve les prétentions du juge des Traites mal fondées, et autorise Coppens à continuer la procédure.

 

Mais le lieutenant général des Traites ne désarme pas. Il ne peut pas entendre les coupables, puisque c’est l’Amirauté qui les a fait emprisonner. Il veut les tenir de son côté. Et ici l’affaire prend un caractère de haut comique : le 16 octobre, le Procureur du roi de la Juridiction des Traites, considérant que Taulez, Ficheux et Laporte sont convaincus de meurtre et d’enlèvement de cadavre, adresse à son Lieutenant général un réquisitoire pour les appréhender au corps et les conduire ès prison royales. Et le 22 octobre, très sérieusement, le Lieutenant général Dechosal décrète la prise de corps contre ces inculpés. Mais le sergent du Siège, chargé de les rechercher, se voit obliger de rédiger le 30 octobre un procès-verbal constatant que Taulez et Laporte sont déjà en prison, et que Ficheux est en fuite…

 

Que faire ? Les contrebandiers Laffite et Boitel sont encore libres. On les fait comparaître le 31 octobre, devant le Lieutenant général des Traites, en son hôtel, siège de la juridiction, rue des Pénitentes, et une fois de plus, ils racontent leur histoire.

 

Et le 3 novembre, le sergent des Traites Laplace se rend à la prison; il fait venir Taulez et Laporte et leur déclare qu’il les saisit et appréhende au corps et les constitue prisonniers !

 

Alors l’affaire, si rondement menée au début, commence à traîner en longueur. L’Amirauté perd du temps à assigner Ficheux, qui persiste à ne pas donner signe de vie, et à faire comparaître Boitel qui a quitté la ville, afin qu’après les avoir entendus une dernière fois, le Procureur puisse, après recolement des témoins, faire son réquisitoire définitif.

 

Quant à la Juridiction des Traites, elle ne bouge pas et semble attendre les événements.

 

C’est de son côté cependant que partira une demande en haut lieu, de façon à empêcher cette situation de s’éterniser. L’Adjudicataire des fermes générales unies prend l’initiative d’adresser une requêtes au Conseil d’Etat du Roi.

 

Celui-ci, sur le rapport du Contrôleur général, L’Averdy, rend un arrêt le 1er janvier 1765 : « Le Roi étant en son conseil, évoque à soi et à son conseil la saisie dont il s’agit et la renvoie devant le sieur Intendant Commissaire Départy en Flandres pour être par lui conjointement avec des officiers de l’Amirauté, et en appelant des officiers et gradués pour composer le nombre requis par l’ordonnance, le procès instruit et jugé souverainement et en dernier ressort » (4).

 

Cet arrêt fut signifié au Lieutenant général des sièges des Traites le 28 janvier 1765. Sa juridiction se trouvait donc dessaisie de la procédure. L’Amirauté triomphait. Pas complètement toutefois.

 

En vertu d’une disposition curieuse de notre ancien droit, le Roi pouvait enlever à une Juridiction la connaissance d’une affaire et se l’approprier. C’était l’évocation. Beaucoup de mauvais plaideurs tâchaient d’en profiter pour se faire juger par un tribunal moins sévère que celui où leur affaire était instruite. Car en un deuxième temps le Roi commettait une autre Juridiction pour juger la cause.

 

Dans certains cas il conférait à cette Juridiction des pouvoirs souverains. Ce mode de procédure paraissait plus rapide parce que le jugement était rendu en dernier ressort, l’appel étant impossible. Nous avons eu l’occasion de constater que bien souvent ce moyen fut employé dans les affaires soumises à l’Amirauté (5).

 

Comme elles dépassaient la compétence de ce tribunal, le Roi lui enlevait la connaissance, l’évoquait à soi, et ensuite l’en chargeait de nouveau, en lui adjoignant des juristes qui, avec le juge de l’Amirauté, ou l’Intendant comme dans le cas présent, constituaient une cour souveraine jugeant en dernier ressort.

 

Il n’y avait plus qu’à attendre la décision de Mgr l’Intendant qui allait sans doute profiter de son séjour annuel à Dunkerque pour présider les débats. Mais pendant ce temps, le corps de la victime, séquestré dans la geôle de l’Amirauté, en pleine décomposition, infectait tout le quartier.

 

Lorsque le Procureur de l’Amirauté eut appris la décision du Conseil d’Etat, il reconnut qu’il n’y avait plus aucune utilité à le conserver, puisque la question de compétence de Juridiction était réglée. Aussi le 6 février 1765, adressa-t-il au Lieutenant général un réquisitoire dans lequel il disait : « Nonobstant toutes les mesures que l’on a prises pour la conservation du cadavre, la corruption s’y est mise au point qu’il infecte la place; qu’il n’est plus d’aucune utilité de conserver ce cadavre d’autant plus que, par la confrontation faite aux accusés, ils l’ont reconnu…

 

Je requierre pour le Roy que le dit cadavre soit transporté au cimetière de la paroisse pour y être enterré ». Il fut fait droit à sa requête. L’huissier Baudry se transporta chez le doyen de la paroisse et alla trouver le doyen de la Confrérie de Saint-Roch pour lui demander d’inhumer le corps, ce qui fut fait le 6 février.

 

Et afin qu’il en restât au dossier une pièce constatant cette inhumation, le curé Gramon délivra, le 13 février, une copie certifiée exacte de l’acte de sépulture ainsi rédigé :. « L’an de grâce mil sept cent soixante cinq, le 7 septième jour de février, je soussigné prêtre, ai enterré hier six de ce mois le corps de Claude Tissau, natif de Besançon, en Franche-Comté, tué le 27 (sic) de septembre 1764, homme marié, âgé d’environ 34 ans. Ont été témoins Nicolas Baert et fr. Deduytsche qui ont, signé avec moy jour et an dessus ».

(Signé) Baert, Deduytsche, J.B. Henry, prêtre.

 

L’Intendant Lefebvre de Caumartin ne vint à Dunkerque qu’en juillet suivant.

 

Sous sa présidence le tribunal fut composé de Bernard Pierre Coppens, Lieutenant général de l’Amirauté, et de cinq gradués en droit : Alexandre Henri du Buisson, Louis Sébastien Olivier, Guill. Constant Michiels, Marc Antoine Pierre Morel, et Alp. Nicolas de Brier.

 

Il commença par rendre le 19 juillet un jugement interlocutoire ordonnant que toutes les pièces détenues par la Juridiction des Traites seraient déposées au greffe de l’Amirauté.

 

Le 25 juillet, le Procureur du Roi de l’Amirauté déposa ses conclusions définitives, requérant que la contumace soit déclarée bien instruite contre Ficheux et Boitel, et que la saisie des ballots de loques soit déclarée valable.

 

Quand allaient s’ouvrir les débats, l’Intendant reçut une lettre du chancelier Maupeou qui lui écrivait de Compiègne, le 24 juillet : « Comme Sa Majesté désire être instruite par elle-même des circonstances de cette affaire, elle m’a chargé de vous demander qu’aussitôt après le jugement, vous m’en envoyiez une expédition avec un extrait de la procédure; son intention est au surplus qu’il soit sursis à la prononciation aux accusés et à l’exécution du jugement, jusqu’à ce que je vous aye fait connaître ses dernières volontés à cet égard ».

 

O Justice ! O Justice ! Les juges étaient libres de juger selon leur conscience mais leur jugement souverain devait convenir au Souverain. Combien ils se trouvaient indépendants. ! Il leur fallait donc trouver une formule qu’en toute occurrence le pouvoir suprême pourrait accepter, sans avoir l’air de s’opposer à leur jugement.

 

Cet accusé qu’ils avaient devant eux il fallait qu’on le condamne sans le condamner, qu’on l’absolve sans l’absoudre… Combien difficile était leur tâche !

 

Le 29 juillet, les inculpés extraits de la prison furent amenés dans la chambre du Conseil du Parquet royal de l’Amirauté.

 

Ils furent interrogés séparément après qu’on les eut avertis qu’ils seraient jugés en dernier ressort. Taulez persista dans son système de défense : le contrebandier s’était tué en s’enferrant sur son sabre au cours de la rixe.

 

Puis ce fut au tour des témoins à déposer devant l’aréopage. Les juges n’admirent pas les explications du garde Taulez. Il fut condamné.

 

Le jugement fut rendu le 29 juillet. Après une longue énumération des pièces de la procédure, il se terminait ainsi :

 

« Et le tout considéré, nous par jugement en der- nier ressort, avons déclaré le dit François Taulez dument atteint et convaincu de l’homicide commis en la personne de Claude Tissau, porte-balle, le 22 septembre dernier, sur le rivage de la mer près les balises du port du Mardyck, pour réparation de quoi nous le condamnons à être pendu et étranglé, jusqu’à ce que mort s’en suive, à une potence qui pour cet effet sera dressée en la place royale de cette ville…

 

Déclarons tous et un chacun de ses biens acquis et confisquez au profit du Roy, si confiscation a lieu, et le condamnons au dépens du procès, et néanmoins, attendu les circonstances résultants du procès, ordonnons que le dit Taulez se retirera vers Sa Majesté pour obtenir lettres de grâces.

 

Déchargeons… Laporte, Ficheux, Lafille et Boitel…

 

Et faisons droit sur la demande du fermier des droits des traites à fins civiles, déclarons la saisie des trois ballots de loques bonnes et valables. Ordonnons que le présent jugement sera exécuté selon sa forme et teneur, imprimé, lu, publié et affiché aux lieux ordinaires ».

 

Si les juges firent preuve d’une excessive sévérité à l’égard de Taulez à qui ils réservaient cependant une porte de sortie, ce qui laissait au Roi toute latitude pour l’application de la peine, par contre ils relaxèrent tout simplement les deux contrebandiers qui reconnaissaient avoir transporté les ballots en fraude, ce qui nous paraît aujourd’hui paradoxal !…

 

Comme il lui était ordonné par ce jugement, Taulez s’adressa au Roi pour obtenir des lettres de pardon. Et pendant ce temps-là, sans raison valable, quoiqu’absous, le garde Laporte était maintenu en prison !

 

En novembre le Roi signa à Fontainebleau, les lettres de grâce que contresigna Choiseul. Quand il en eut connaissance, Taillez adressa une requête à l’Intendant, demandant qu’elles soient entérinées.

 

Quand M. de Caumartin s’en fut à Dunkerque, il commença par faire libérer Lapone : le 23 décembre 1765, le greffier de l’Amirauté vint lui signifier le jugement et fit biffer son nom des registres d’écrou de la geôle. Ce fonctionnaire royal qui, après tout, n’avait fait que son devoir, et ne pouvait pas être considéré comme complice du meurtre de Tissau, était resté plus d’un an sur la paille humide des cachots.

 

Le même jour, Mgr l’Intendant fit extraire de prison François Taulez qui fut amené à l’Amirauté. Là, nu-tête et à genoux, il entend le greffier lui lire les lettres de grâce qu’il doit à la clémence du Roi. Il peut croire que c’en est fini de son long calvaire et qu’on va le rendre à la liberté… Pas encore.

 

L’Intendant lui fait prêter serment de dire toute la vérité, puis il lui fait affirmer que les lettres de grâce ne sont que l’expression de la vérité.

 

Ce n’est pas encore suffisant. Taulez est reconduit en prison. Il faut encore s’assurer qu’il mérite la grâce que lui octroie le Roi. L’avocat Mord est désigné comme commissaire rapporteur, pour entendre ses déclarations. Son rapport sera communiqué au Procureur du Roi qui déposera ses conclusions définitives.

 

Mord retrouve Taulez en prison. Il lui fait décliner une fois de plus son identité, lui fait déclarer qu’il n’a pas agi par animosité ni vengeance, qu’il est bien exact que sa victime s’est enferrée elle-même, que c’est la première fois qu’il se retrouve dans le cas d’avoir recours à des lettres de rémission, qu’il se repent de l’homicide qu’il a commis et qu’il n’a pas pu éviter.

 

Ces déclarations sont rapportées au Procureur du Roi qui conclut :« Je n’empêche pour le Roy que les lettres de grâce, pardon et rémission, obtenues par le dit Taulez au mois de novembre 1765 soient entérinées (sic), pour jouir par le dit Taulé de l’effet et contenu d’icelles ».

 

Alors Taulez est conduit dans la salle d’audience de l’Amirauté, et là, assis sur la sellette, ayant prêté entre les mains de l’Intendant le serment de dire la vérité, il réitère les déclarations qu’il a faites au commissaire rapporteur, et ajoute sur l’invitation de l’Intendant, qu’il promet à la Justice de remplir les conditions portées dans les lettres de grâce.

 

Celles-ci sont alors entérinées en sa présence. Dans ces lettres, signées du Roi et contresignées par Choiseul, on lisait :

« Mettons à néant toute procédure, décret, défaut, contumace, sentences, jugements et arrêts qui pourront avoir été rendus… Mettons et restituons François Taulez en sa bonne renommée et ses biens non d’ailleurs confisqués, satisfaction préalablement faite à la partie civile s’il y a lieu, imposons sur ce silence perpétuelle à nos procureurs généraux à condition néanmoins que le dit François Taulez ne pourra remplir aucun poste ni emploi au service de nos fermes, ni pour la conservation de nos droits dans aucun lieu de notre royaume… Si mandons à notre amé et féal Conseiller en nos Conseils le Sr Lefebvre de Caumartin d’entériner ces présentes lettres de grâce dans le délai de trois mois à peine de nullité d’icelles ».

 

Alors seulement, le garde François Taulez fut remis en liberté, après quatorze mois de détention préventive.

 

L’exposé des diverses phases de ce curieux procès nous fait pénétrer intimement dans la vie judiciaire sous l’ancien régime. Nous y saisissons sur le vif la procédure en cas de mort suspecte, l’écouage, les mesures d’information et surtout la lutte entre différentes juridictions pour s’approprier la connaissance d’un procès et ne rien céder de leurs prérogatives; nous relevons « les évocations » qui ont disparu de notre législation pénale et la constitution du tribunal d’exception; à ces titres multiples cette histoire ne manque pas d’être instructive et méritait d’être extraite des cartons poussiéreux de nos archives.

 

 

Dr L. Lemaire


 

Sources :
Archives Communales de Dunkerque;
Fonds :
Amirauté189, Carton 3, deux liasses de 6 à 109 pièces; Fonds Juridiction des Traites 176, liasse 7, 28 Pièces.
Cet ensemble constitue un dossier très important. II est rare de trouver d’un jet une documentation aussi complète. Les Interrogatoires remplissent de volumineux cahiers, où l’on pourrait puiser un nombre de détails que nous n’avons pas cru utile de reproduire. Au lieu d’un résumé de quelques pages il nous aurait fallu écrire un petit volume. En tout cas, tout ce qu’on trouvera dans ce travail est extrait de ces documents authentiques; aucune part n’a été laissée à l’imagination.
(1) Arrêt du Conseil d’Etat du Roy du 10 octobre 1716 qui accorde aux habitants de Dunkerque la même Franchise et liberté d’entrée et sortie par le nouveau canal de Mardyck, comme ils avaient par l’ancien Port. Voir sur la Franchise : A. de Saint-Léger,. Histoire de la Franchise du Port de Dunkerque (Bull. Union Faulconnier, I, 1898, P. 93 à 131).
(2) C’était la marchandise de contrebande. Un arrêt du Conseil d’Etat du  Roi du 6 mai 1738 rendu en interprétation de celui du 8 mai 1733 ordonnait que toutes les matières servant à la fabrication du papier transportées dans les ports de Dunkerque et de Marseille devaient payer 30 livres du cent pesant comme si elles passaient à l’étranger. Nous avons retrouvé un autre arrêt de 1777 faisant défense de sortir à l’étranger, par Dunkerque, sous prétexte de la franchise de ce port, aucuns vieux linges, chiffons, vieux draps et autres matières propres à la fabrication du papier.
(3) Le domaine de l’Amirauté s’arrêtait à la limite atteinte par le grand flot de mars. Cette démarcation était déjà fixée dans des ordonnances anciennes de 1534, 1576 et 1654. Elle fut précisée pour le port de Dunkerque dans l’Arrêt du Conseil du 31 décembre 1686 où il est spécifié « que les officiers de l’Amirauté connaîtront de toute affaire tant civile que criminelle… et de tous cas arrivés sur la mer, ports grèves et rivages tant que le flot de mars peut s’étendre ».
(4) Ce n’était en sommé que l’application stricte du paragraphe 3, article 1°’ de l’Arrêt du Conseil du 25 mai 1728 : « Les officiers des Amirautés connaîtront tant en matière civile que criminelle… des marchandises de contrebande qui seront découvertes… sur les côtes et rivages de la mer… à l’exception des contraventions portées par le titre V de l’ordonnance d’octobre 1727 dont la connaissance appartiendra aux Intendants et aux officiers d’Amirauté; en appelant en outre s’il est besoin le nombre des gradés ou officiers requis par l’Ordonnance dans le cas où il échèra de prononcer une peine afflictive ».
(5) Un Arrêt du Conseil d’Etat du Roi du 30 mars 1664 empêchait les évocations et committimus à Dunkerque. Les habitants ne pouvaient pas se soustraire à leur Juge naturel qui était le Magistrat. Cet arrêt applicable à une justice féodale ne l’était plus pour la justice royale de l’Amirauté.

 


 

 

Cahiers d’histoire des douanes françaises

 

N°3

 

1986

 

 

 

 

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