Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Le premier cas de franchise douanière dans l’Espagne romaine (1)

Mis en ligne le 1 mai 2020

 

 

Cet article a été publié en deux parties dans la revue professionnelle « La Vie de la Douane » dans la rubrique « Chronique du temps passé » en langue espagnole  et en langue française. Ci dessous le premier volet publié en novembre 1961.

 

 

 


 

 

NDLR (1961): M. Manchotte, Directeur Régional de Perpignan nous a fait parvenir une très intéressante chronique historique rédigée par M. Antoine Manuel de Guadan, Administrateur Principal des Douanes espagnoles à Port-Bou. C’est avec un vif plaisir que nous publions cette étude, dans son texte original et dans sa traduction, en remerciant bien vivement son auteur et M. Manchotte.

 

 

L’un des moyens les plus faciles de flatter le peuple a toujours été l’exemption d’impôts, et, la citation précédente de Tite-Live nous le prouve. L’exemple n’est pas récent.

 

Mais en ce qui concerne des faits datant de 2 000 ans, les difficultés de leur étude sont innombrables, d’autant que les problèmes économiques de l’Espagne romaine constituent la branche la plus compliquée de l’Histoire Ancienne, se rapportant a notre péninsule. Ceci nous a incité à écrire la brève étude que voici, axée sur la suppression du « Quarantième des Gaules »,  à l’époque de Galba, dont seul le recours à la numismatique fournit une explication satisfaisante. Chronologiquement, c’est te premier cas concret d’une exemption du « portorium » pour l’Espagne.

 

Voyons donc, très brièvement, les antécédents historiques du problème, et sa portée en utilisant les sources littéraires de l’époque.

 

 

I – Le Portorium.

 

 

Après sa première apparition dans l’Histoire et pendant Plus de trois siècles, il n’existe dans l’Histoire Romaine, aucune information sur le Portorium, et c’est seulement en 199 a. J.C. que l’impôt se trouve de nouveau cité dans un passage de Tite-Live. Mais ceci doit être uniquement imputé au manque de sources littéraires, et non à la disparition de l’impôt qui, sous une forme ou une autre, subsiste effectivement tout au long de ces siècles. Il est à considérer que dans l’Antiquité, l’unique impôt indirect compatible avec l’indépendance des citoyens, était les droits de douane, qui constituaient depuis l’époque grecque la principale source de revenus du Trésor public.

 

Le « Portorium » est un mot générique qui comporte trois significations différentes :

a) les droits de douane ou impôts qui grèvent les marchandises aux frontières d’un état ;
b) les droits d’octroi perçus à l’entrée ou à la sortie d’une ville et toujours pour le compte de cette dernière ;
c) les divers droits de péage comme par exemple ceux qui existaient sur certains ponts ou Chemins.

 

Il va de soi que c’est seulement la première acception qui nous intéresse, et c’est elle qui constitue la majeure partie des revenus totaux du « Portorium » de l’époque romaine.

 

Les Romains distinguent déjà parfaitement entre Portorium terrestre et maritime, compte tenu de la situation géographique, ainsi qu’entre le régime de libre échange et celui de prohibition totale ou partielle. Rares étaient les Prohibitions absolues ; on peut citer l’exportation hors des frontières romaines du fer brut ou travaillé, des armes, du vin, de l’huile, des céréales, du sel et de l’or ; marchandises que l’ on pourrait qualifier en vertu de notre vocabulaire actuel, d’intérêt national, soit parce qu’on les considérait comme faisant partie du domaine de la défense nationale, ou de l’approvisionnement, soit de celui du mouvement militaire. Toutefois, on doit souligner que l’argent ne tombait sous le coup d’aucune prohibition.

 

L’expression « vectigal » employée par Tacite est réellement synonyme, vu le rapport du mot avec les termes grecs limenikon y télos et exception faite d’autres interprétations d’ordre local de moindre importance. Les « vectigalia » formant les revenus ordinaires de l’Etat et par conséquent étant par définition les revenus du trésor Public, étaient toujours en fermage. Quant à leur interprétation juridique la définition de « Mommsen » subsiste encore, en se basant sur le fait que les côtes faisaient Partie du domaine Public, et pour pouvoir exiger des droits sur tes frontières terrestres il fallut les considérer comme une bande de terre appartenant à l’Etat, lequel pouvait la fortifier, et qui pour en permettre le passage exigeait le portorium. Actuellement, on conteste la valeur de cette argumentation, tout en reconnaissant son ingéniosité.

 

Le recouvrement des « Portoria » par les publicains ou fermiers de l’impôt était fréquemment une source d’abus et de troubles. L’Etat exerçait, surtout à certaines époques, un sévère contrôle grâce a des détachements militaires ou à des agents du gouvernement.

 

Ciceron se plaint à son frère, en 60-59 a. J.O. de ces abus qui donnèrent naissance à la foi Caecilia qui eut pour résultat l’abolition du « Portorium » en Italie, soulevant la protestation de la classe des chevaliers, qui voyaient ainsi supprimer une bonne source de revenus, car ils administraient à eux seuls la presque totalité de ces ressources.

 

L’Organisation du « Portorium » subit Peu de changements juqu’à l’époque de l’ibère, que l’on doit considérer comme l’organisateur des circonscriptions douanières et Le promoteur d’autres réformes fiscales. Les circonscriptions correspondaient aux diverses Provinces dont le nombre augmentait au rythme des conquêtes et qui, hors de l’Italie, à l’époque impériale, s’élève à 10 : la Sicile, l’Espagne, la Gaule, la Bretagne, Ilirium, l’Asie, la Bithynie-pont-Paflagonie, la Syrie, l’Egypte et l’Afrique.

 

En ce qui concerne la Quinquagesima Hispaniarum, plus tard appelée le Quarantième, elle s’appliquait à la totalité de la péninsule ibérique, exceptée la frontière des Pyrénées où les seuls bureaux correspondaient au Quarantième des Gaules. On a pu localiser huit bureaux de douane maritime en Espagne présentant la particularité de faire tous partie sauf un de la Bétique. Ce fait n’a rien d’étonnant car la Bétique était de loin la province ibérique la plus romanisée, mais nous ne croyons pas que le manque d’inscription ou de citations littéraires suffise à nier l’existence d’autres postes sur la côte, tels que Tarrace, Valence, Carthagène et Olisipe.

 

Les bureaux du « portorium » espagnol dont il reste trace historique sont :

a) Illibéris, grâce à une inscription du IIème siècle gravée Par les socci eux-mêmes, ce qui prouve l’importance de ce bureau, bien qu’on ne puisse réellement affirmer, comme le font certains auteurs, que cette ville fut le centre administratif de tout le « Portorium » de l’Espagne ;
b) Ilipa, qui correspond à l’actuelle Alcala del Rio, où apparait un esclave impérial comme fonctionnaire du « Portorium » ;
c) Astigi, aujourd’hui Ecija, mentionnée comme les suivantes, sur les amphores du Mont Testaccio ;

d) Cordoue dont les installations fluviales devaient avoir une grande importance à cette époque ;
e) Hispalis
f) Malaga
g) Portus, appelée aussi Gades, et que l’on retrouve le plus fréquemment sur les inscriptions d’amphores, et enfin,
h) Ostie en Italie qui avait un poste de douane spécial servant uniquement à la réception des marchandises espagnoles, comme le prouvent des inscriptions sur céramiques également très nombreuses, et qui possédait en même temps un autre bureau indépendant pour le contrôle douanier de la province de la Gaule.

 

Comme on le voit par ces derniers exemples, les Romains en vertu d’une Conception très pratique et très moderne du trafic douanier, ne se bornaient pas à placer des bureaux aux frontières géographiques, mais exerçaient très fréquemment le Contrôle à destination, ou confiaient, par ailleurs à un même bureau le soin d’administrer les deux directions du trafic, faisant une stricte discrimination des entrées fiscales, grâce à des comptabilités distinctes de chaque courant commercial.

 

Quant aux taxes perçues par ces bureaux de l’Espagne, ce problème n’est pas encore tout à fait réolu, comme nous l’avons vu précédemment. Alors que l’inscription d’Illibéris nous parle d’un 2% ad-valorem, celle d’Ostie va jusqu’à 2,5 % et, à la suite des calculs effectués dans le détail par T.Frank on trouve cette même somme de 2,5% pour la majorité des cas d’inscriptions complètes. Il est déjà plus délicat d’arriver avec certitude, à fixer la date où du 2 % on passe au 2,5 ad-valorem, mais on doit prendre comme date limite la moitié du 2ème siècle après J;C. attendu que, à la période qui nous intéresse, les portoria des Pyrénées devaient percevoir 2 % Pour les marchandise destinées à l’Espagne, et 2,5 % pour celles qui, de la péninsule passaient aux Gaules. Le fait que dans un même poste de douane on percevait des droits différents, suivant la direction du trafic commercial, indique une parfaite organisation administrative et comptable, bien que nous ne sachions absolument pas en quoi elle consistait, faute de sources de tous genres.

 

D’autre part, en ce qui concerne la comptabilité des « portoria » romaines, rien de plus instructif que de lire quelques discours de Ciceron contre Verres, pour nous rendre compte du système et de ses fréquents abus. Les Romains utilisèrent sur une très grande échelle le régime de l’estampillage et du scellement, en fixant des plombs portant des inscriptions sur les colis expédiés, soit comme preuve du paiement des droits correspondants, soit comme justification de la franchise. Cette dernière était très rare, exception faite pour l’armée et ses besoins matériels et pour la personne de l’Empereur. Les « motu proprio » accordant la franchise du portorium sont exceptionnels, et Philostrate cite la « atelica » concédée par Trajan au sophiste Palémon comme un cas extraordinaire et mémorable.

 

 

II –  le quarantième des Gaules et les voies romaines au nord de l’Espagne.

 

 

A l’époque historique à laquelle nous nous référons, (68-69 après J.C.), le Quarantième des Gaules ne comprenait pas les postes et bureaux de l’Océan Atlantique et du Détroit de la Manche, ni ceux établis sur les rives du Rhin, car il était pratiquement réduit à la Narbonnaise au Lyonnais, à l’Aquitaine et aux Alpes. A la frontière espagnole, c’est-à-dire dans le secteur des Pyrénées, on connait seulement deux bureaux Principaux : Illibéris (aujourd’hui :Elne) et Lugudunum Convenarum (aujourd’hui St Bertrand de Comminges). Mais comme nous l’avons déjà fait remarquer, ceci n’implique pas qu’il s’agisse des deux seuls bureaux qui aient existé à cette époque, car il est logique de penser que sur les autres voies romaines qui traversaient les Pyrénées, durent exister des bureaux et postes combinés pour la perception de l’impôt.

 

Le Portorium d’Illibéris comme en témoigne une inscription connue, était situé à la croisée d’au moins deux voies romaines : celle du Perthus-Boulou, qui longeait le cours du Tech, et une autre dont il ne reste plus que de rares vestiges, qui aurait traversé les Pyrénées par le col de Banyuls ou celui de Balitres pour arriver à Elne, via Ultrera ou en suivant la côte.

 

Grâce à une étude détaillée des postes à l’aide de céramiques sud-galliques, nous rencontrons des ruines à une dizaine d’endroits, à proximité d’Illibéris, qui s’échelonnent sur le bassin du Tech, c’est-à-dire le, long de la voie romaine le plus importante vers l’Ecluse et Le Perthus. Mais l’existence d’un Poste à Ultrera, l’ancienne Castrum Vulturarium de la chronique de Wamba, semble désigner la seconde voie, par la côte, très probablement par le col de Banyuls.

 

D’autre poste du « portorium » qui surveillait le trafic des marchandises dans les pyrénées-Centrales, était celui de Lugudunum Convenarum centre d’où partaient de nombreuses voies romaines vers l’Espagne, et des voies latérales vers Bordeaux et Toulouse. Le Passage des pyrénées devait se faire par le Val d’Aran et la Vallée de la Garonne : La limite entre le Quarantième des Gaules et le « Portorium » de l’Atlantique auquel appartenait déjà Burdigale (aujourd’hui Bordeaux) reste imprécise et nous offre un exemple d’une même Province romaine divisée en deux districts douaniers différents, répondant plus aux nécessités commerciales qu’au simple facteur géographique ou politique et cela apparait logique compte tenu de la mentalité pratique romaine.

 

Outre ces deux Postes dont il existe des restes épigraphiques il est très probable qu’il y eut au moins dans le secteur des Pyrénées trois autres bureaux du portorium du Quarantième des Gaules à savoir :

a) l’un dans l’actuelle Cerdagne contrôlant la route Riscinocol de la Perche ;
b) celle qui devait contrôler la Voie romaine Aquae Tarbellicae à Cesaraugusta.

c) et celle du Pas de Ronceveaux vers pompaleo.

 

L’existence de deux pPostes aux deux extrémités de la frontière des pyrénées ne semble pas certaine, bien qu’il y ait des restes de voies et de postes militaires. Ces voies auraient relié d’une part la Junquera à Illibéris par le col de Balistres, soit approximativement le tracé actuel de la voie ferrée, et d’autre part auraient suivi le trajet Oeaso-Lapurdum, jusqu’à sa jonction à la voie principale à Aquae Tarbellicae.

 

Quant à la date de création du Quarantième des Gaules il est très probable qu’elle remonte à l’époque d’Auguste, mais sa réorganisation effectuée date déjà de l’époque de Tibère.

 

La taxe que l’on percevait sur tous les genres de marchandises était de 2,5 % ad-valorem et toute la statistique et le recouvrement étaient centralisés à Lyon. Son histoire ne semble guère avoir été interrompue sauf durant la courte Période du règne de Galba, puisqu’il y a des traces littéraires qui prouvent que Vespasien se hâta de supprimer la franchise douanière, continuant la Perception avec le même système et les mêmes charges qu’antérieurement.

 

A l’époque de Trajan on arrivé déjà d une complète fusion de toutes les circonscriptions douanières de la Gaule avec un système de contrôle simplifié mais son étude sort déjà des limites que nous avons voulu assigner au présent ouvrage.

 

Antoine Manuel de Guadan

 

(à suivre)

 

La Vie de la Douane

 

N° 102

 

Novembre-décembre 1961

 

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