Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Le corps militaire des douanes pendant le conflit franco-prussien de 1870-1871 (3ème partie)

Mis en ligne le 1 septembre 2020

 

Dans le cadre de notre évocation des douaniers de 1870 entamée dans nos deux éditions précédentes, nous  présentons le troisième volet de l’essai de Rémy Scherer sur le corps militaire des douanes durant ce conflit.

 

L’équipe de rédaction

 


III. Le siège de Paris

 

Le siège de Paris et la Légion des guides de la douane de Paris

 

Un décret impérial du 9 août met à la disposition du Ministre de la Guerre les corps armés des douanes de 37 départements. Cette liste comprend tous les départements frontières ou côtiers à l’exception de ceux de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, dont les agents sont déjà mobilisés. Les douaniers doivent rejoindre Paris sans armes, l’autorité militaire se chargeant de les armer ensuite au fort de Vincennes.

 

Immédiatement, des ordres sont donnés pour faire venir à Paris suffisamment de préposés pour former six bataillons de 600 hommes, sous le commandement du lieutenant-colonel Bigot, inspecteur principal des douanes. Chaque bataillon doit être commandé par un inspecteur ayant le grade de chef de bataillon, auquel un adjudant-major de la ligne et un instructeur de Saint-Cyr doivent être adjoints pour l’instruction.

 

Les détachements des divers départements arrivent à Paris à partir du 12 août et sont répartis dans les postes-casernes de l’enceinte, et dans l’immeuble des Magasins-Réunis, transformé en caserne. Dans l’urgence, près de 10 000 hommes sont envoyés à Paris, soit environ la moitié des effectifs globaux de la Douane, ce qui crée des problèmes d’intendance importants.

 

Mais comme les prestations de campagne ne sont pas été accordées aux préposés, la situation des préposés mariés devient difficile. Ainsi, le Ministre des Finances intervient en leur faveur et obtient qu’ils soient renvoyés dans leurs directions pour assurer le service des frontières dès la fin aout. En même temps, il propose de ne conserver que 4 bataillons de 700 agents célibataires, ce qui aurait donné un effectif de 2800 douaniers au lieu de celui de 3600 primitivement fixé, bien que plus de 4000 sont disponibles. Le Ministre de la Guerre, tout en approuvant le renvoi des douaniers mariés, demande néanmoins qu’ils soient remplacés par des célibataires, tout en acceptant de ne conserve qu’environ 4000 douaniers.

 

Le 20 août, 142 officiers et 4.128 préposés sont donc assemblés en compagnies et bataillons dans la capitale et sont progressivement armés avec le fusil modèle 1866. Ils sont logés à la caserne des Magasins Réunis, et dans les lycées Louis le Grand et Saint Louis, et dans les 12 postes-casernes de l’enceinte

 

Finalement, la douane est représentée au siège de Paris par la Légion des guides de la Douane de Paris sous les ordres du  lieutenant-colonel Bigot, inspecteur divisionnaire de Paris. Cette unité est aussi dénommée « régiment des douaniers de Paris ». L’unité, comprenant 5 bataillons, est placée sous le commandement de la 2° brigade (colonel Bouthier) de la 1° division (général Soumain) de la 3° armée de Paris. La division Soumain, dont le chef commande en même temps la place de Paris, a pour mission la surveillance de certains ouvrages et bâtiments administratifs, les tâches de maintien de l’ordre, ainsi que la garde de certains secteurs de l’enceinte de Paris. 

 

Les bataillons douaniers, comme les autres unités de cette division (Garde républicaine, gendarmerie, gardes forestiers et dépôt des 29° et 59° régiment d’infanterie de ligne) sont en fait disséminés dans la place. Ci-contre est illustré un douanier pendant le siège de Paris par Auguste Raffet.

 

A l’armistice, la garnison de Paris comprend 99 officiers des douanes et 3809 douaniers.

 

Le lieutenant-colonel Bigot est secondé par Veillon de Boismartin (major du régiment, sous-chef à la direction générale), Leboullenger (capitaine trésorier), et les lieutenants Pétrémant et Oblet. Chaque bataillon est commandé par un inspecteur ayant le grade de chef de bataillon, auquel un adjudant-major de la ligne et un instructeur de Saint Cyr sont adjoints pour l’instruction.

 

  • 1° bataillon (commandant De Batsalle, inspecteur à Cherbourg, adjudant sous-officier Adigard), 1° compagnie (capitaine Lepine, Direction de Caen), 2° compagnie (capitaine Nicod, fournie en partie par la Direction de Chambéry), 3° compagnie (capitaine Fresson, fournie en partie par la Direction de Charleville), 4° compagnie (capitaine Ginguené, fournie en partie par la Direction de Chambéry), 5° compagnie (capitaine Dresch, fournie en partie par la Direction de Bourg), 6° compagnie (capitaine Prima, issue de plusieurs directions).

 

Le 1° bataillon, sous les ordres du commandant De Batsalle, ancien élève de l’Ecole Militaire, a pour rôle la garde des bâtiments officiels de Paris (les Finances, la Bourse, les magasins aux vivres, la Banque, le parc à bestiaux, etc.). Du 26 février au 18 mars, il campe sur le boulevard de la Chapelle, foyer de l’insurrection menaçante, pour y maintenir l’ordre. Du 16 février jusqu’au 26, la l° compagnie, sous le commandement du lieutenant Derlot, le capitaine et le lieutenant en 1° étant malades, fait le service dans Vaugirard sous le bombardement allemand. 

 

Le capitaine Ginguené, faisant fonction de capitaine adjudant major, reçut l’ordre de rallier sur le Champ-de-Mars les compagnies encore campées la Chapelle. Mais il fut envahi par l’insurrection, sans pouvoir fuir. Devant le danger, le capitaine, avec un sang-froid remarquable, parlementa avec les insurgés qui le nommèrent commandant de l’un de leurs bataillons. Ainsi investi de l’autorité que ce titre lui donnait et qu’il avait feint d’accepter, il parvint, dans la nuit suivante, à faire échapper les nombreux douaniers restés sans armes dans ces quartiers en feu et à se sauver avec eux. 

 

 

 

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Fortifs par Théophile-Alexandre Steinlen (1886).

 

  • 2° bataillon (commandant de Rancourt, inspecteur à Bordeaux, adjudant sous-officier Fourasté), 1° compagnie (capitaine Vautravers, Direction de Bordeaux), 2° compagnie (capitaine David de Pénaurun, fournie en partie par la Direction de Boulogne), 3° compagnie (capitaine Coquelet, fournie en partie par la Direction de Lille), 4° compagnie (capitaine Ferras, Direction de La Rochelle), 5° compagnie (capitaine Turbert, fournie en partie par la Direction de Rouen), 6° compagnie (capitaine Lerdon, issue de plusieurs directions).

 

Exceptée la 5° compagnie, placée durant tout le siège au service des remparts, et logée dans un poste-caserne; le 2° bataillon, pendant la plus grande partie de l’investissement, a les mêmes missions que le 1° bataillon. Pendant le bombardement, il campe dans les remparts de Vaugirard (bastions 66 à 74 du 7° secteur de l’enceinte) pour défendre la porte de Sèvres en cas d’assaut. 

 

Le commandant de Rancourt, est décoré, ainsi que M. Turbert, capitaine de la 5° compagnie. Le sergent Lemarchand, de la 5° compagnie, et le caporal Bacqua, de la 6°, sont décorés de la médaille militaire. Le sous-lieutenant Soulier, de la 2° compagnie, est cité à l’ordre du jour pour sa conduite à la prison de Sainte-Pélagie le 4 septembre, étant, lui et ses hommes menacés d’être débordés par des malfaiteurs révoltés. Son sang-froid et son énergie ont dominé l’agitation de ces criminels confiés à sa garde, et contre lesquels il fit croiser la baïonnette. 

 

Le guide Victor Auguste Arondel (2° bataillon, 3° compagnie) est décédé le10 février 1871 à Gentilly (hospice de Bicêtre).

 

  • 3° bataillon (commandant de Cuers, inspecteur à Brest, adjudant sous-officier Lebreton), enceinte de Paris avec 1° compagnie (capitaine Vouselaud, Direction de Brest), 2° compagnie (capitaine Grandidier, Direction de Saint Brieuc), 3° compagnie (capitaine Helleu, Direction de Vannes), 4° compagnie (capitaine De Méric, Direction du Havre), 5° compagnie (capitaine Masse, Direction de Nantes), 6° compagnie (capitaine Carricart, issue de plusieurs directions).

 

Le 3° bataillon, pendant la durée du siège, protège les boulevards extérieurs, en montant la garde dans les différents secteurs. Le commandant Cuers a été décoré pour cette action. La 1° compagnie est campée hors de Paris, en arrière du fort de Romainville, montant la garde en sentinelle hors de l’enceinte. Le capitaine Vouselaud, de la 1° compagnie, sera décoré. La 2° compagnie garde les bastions 49 et 50, au poste-caserne n° 6. Le capitaine Grandidier est décoré; les sergents Heisler, Saliou, Leclerc et Croirier, ainsi que le caporal Lehéricé, ont obtenu la médaille militaire pour services rendus. La 3° compagnie  contribue à la garde des bastions 33 et 24, au poste-caserne n° 4. Le capitaine Helleu a été décoré à la fin du siège. 

 

Les 4°, 5° et 6° compagnies assurent la garde des remparts de la rive gauche de Paris : la 4° au poste-caserne n° 9; la 5° au poste-caserne n° 8, et la 6° au poste-caserne n° 7. Les bastions auxquels elles sont affectées, ont été le plus éprouvés pendant le bombardement. Les capitaines de Méric et André Masse ont été décorés, ainsi que le sous-lieutenant Prévost. Précédemment, le capitaine Méric avait été cité à l’ordre du jour pour avoir dominé une panique qui s’était produite parmi les militaires. Le lieutenant Oblin est blessé à l’incendie du château de La Muette, en se dévouant à tâcher d’en circonscrire le feu. Le guide Loiseau, de la 5° compagnie, a reçu la médaille militaire. 

 

  • 4° bataillon (commandant Trescaze, inspecteur à Sète, adjudant-sous-officier Birobent), enceinte de Paris (2° secteur, Belleville) avec 1° compagnie (capitaine Martel, Direction de Montpellier), 2° compagnie (capitaine Ballot, fournie en partie par la Direction de Nantes), 3° compagnie (capitaine Bonet, Direction de Nice), 4° compagnie (capitaine Domange, fournie en partie par la Direction de Marseille), 5° compagnie (capitaine Ode, fournie en partie par la Direction de Marseille), 6° compagnie (capitaine Wallois, issue de plusieurs directions).

 

Les compagnies du 4° bataillon sont réparties dans le 2° secteur de l’enceinte (Belleville). Le bataillon a participé à la répression de l’insurrection du 31 octobre 1870 menée par Gustave Flourens. Le commandant Trescaze, avec des troupes fidèles au gouvernement, a eu comme mission de s’emparer de la mairie du quartier de Belleville pour empêcher les clubs d’y installer Gustave Flourens qui venait d’être chassé de l’Hôtel-de-Ville. 

 

Avec deux cents douaniers, dont les capitaines Wallois, Martel et Ode et leurs lieutenants, le commandant Trescaze accomplit cette difficile mission. Par son attitude ferme, il réussit, en parlementant avec les principaux révoltés, à conjurer une insurrection près d’éclater. Gustave Flourens est alors emprisonné. Il sera libéré par des hommes de la Garde Nationale dans la nuit du 21 au 22 janvier 1871. Il participera au soulèvement des Parisiens le 18 mars 1871 et sera élu à la Commune. Le commandant Trescaze sera condamné à mort par la Commune qui ne put le saisir et il sera ensuite fait chevalier de la Légion d’honneur. Les sergents Février de la 3° compagnie; Vergé de la 4°, et le caporal Don, de la 1°, ont obtenu la médaille militaire.

 

  • 5° bataillon (commandant Magué, inspecteur à Nice, adjudant sous-officier Prévot), enceinte de Paris avec 1° compagnie (capitaine Martin, fournie en partie par la Direction de Saint Brieuc), 2° compagnie (capitaine Degency, Direction de Lille), 3° compagnie (capitaine Morin, direction de Dunkerque), 4° compagnie (capitaine Comte, fournie en partie par la Direction de Chambéry), 5° compagnie (capitaine Courtois, Direction de Valenciennes), 6° compagnie (capitaine Gat de Beilac, issue de plusieurs directions).

 

Le 5° bataillon est chargé de participer à la garde des bastions et des portes des remparts avec : 1° compagnie au poste-caserne n° 1 (1° secteur); 2° au poste-caserne n° 12 (8° secteur); 3° au poste-caserne n° 15 (Gobelins, 9° secteur). Les autres compagnies sont campées dans les remparts, excepté la 6°, qui est toujours restée attachée au 1° bataillon. 

 

Le commandant Magué a été fait chevalier de la Légion d’Honneur, le sergent fourrier Caillot de la 2° compagnie; le sergent Raut de la 6°; le caporal Pineau de la 1°, et le guide Rollin de la 2° ont obtenu la médaille militaire, ainsi que le fourrier Caillot de la 2°, et le sergent-major Despouy de la 5°. 

 

Il faut mentionner des douaniers enrôlés dans l’artillerie. Manquant d’artilleurs, les services de l’artillerie de la place de Paris ont fait appel à tous les anciens artilleurs. Les douaniers, qui avaient servi dans l’artillerie, ont été réquisitionnés. Lors du siège, un certain nombre d’emplois de sous-officiers d’artillerie sont pourvus par les anciens maréchaux des logis devenus gendarmes, douaniers, forestiers, gardiens de la paix et sapeurs-pompiers. Pour le 6° secteur de l’enceinte (Passy), le détachement de la 18° batterie de Marine (lieutenant Robin) est renforcé avec des douaniers (bastion 62, batterie du Point du Jour).

 

A l’armistice, le 28 janvier 1871, les troupes allemandes occupent tous les forts de Paris, sauf Vincennes. Mais elles ne peuvent pas pénétrer dans les villages de la zone suburbaine, comprise entre les forts et l’enceinte. L’armée de la capitale verse ses armes, à l’exception des officiers de la garde nationale, et d’une division de 12 000 hommes pour maintenir l’ordre comprenant 3 500 hommes de garde républicaine, les gendarmes, les pompiers et les douaniers. L’artillerie de campagne tout entière; l’artillerie de siège, qui doit être démontée de ses affûts et laissée au pied du talus des remparts, sont livrées aux allemands. L’entrée des allemands dans la capitale est repoussée au début mars.

 

 

 

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Vue du bastion 62 (6° secteur) par Maxime Lalanne (Musée Carnavalet, Paris).

 

Le Régiment des douaniers est dissout au 15 mars 1871. Le 18 mars, le lieutenant-colonel Bigot, commandant supérieur, reste dans Paris pour faire rapatrier les détachements des douaniers.  Les préposés sont renvoyés dans leurs postes d’origine, ce qui leur évite de se trouver impliqués dans les événements tragiques de la Commune.

 

D’autre part, il faut noter que les agents de la direction de Paris ne sont pas mobilisés comme les agents des frontières dans des compagnies de guides mais sont enrôlés dans le 171° bataillon de la garde nationale sédentaire. Ce bataillon  est créé le 19 septembre et comporte 900 hommes. Avec les agents de la direction du Mouvement des Fonds et de la direction des Contributions Indirectes, les agents de la Douane forment la 3° compagnie de ce bataillon. Deux fois par semaine, le bataillon prend la garde pendant 24 heures à la porte Maillot.

 

Epilogue

 

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L’engagement du corps militaire des douanes est apprécié lors de ce conflit. Ainsi, la période de 1870 à 1914 va être marquée par un renforcement de l’utilisation des douaniers à des fins militaires. Ils participent régulièrement aux manœuvres militaires et on leur attribue certains avantages consentis aux militaires, tabac de cantine, soins dans les hôpitaux militaires, admission dans les écoles d’enfants de troupes pour leurs fils. Toutefois, les autorités refuseront toujours d’accorder aux douaniers le statut militaire stricto sensu, prétextant que ceux-ci sont fonctionnaires civils. Le 14 juillet 1880, lors de la revue de Longchamps, le président Jules Grévy remet au corps des douanes son premier drapeau, un seul drapeau pour l’ensemble du corps comme pour les chasseurs, ainsi qu’un fort contingent de médailles de la légion d’honneur.

 

 

Rémy Scherer

 

 

 


 

Remerciements

 

Je tiens à remercier particulièrement Monsieur Patrick Deunet, rédacteur en chef du site internet de l’AHAD, qui m’a guidé pour la réalisation de cet essai.

 

Sources principales`

 

    • L’administration des douanes en France de la Révolution de 1845 à la Commune (1848-1871) par Jean Clinquart.
    • Histoire générale de la guerre franco-allemande par le commandant Rousset (1910-1912) ;
    • Recueil des noms des douaniers mobilisés pendant la guerre 1870-1871 par E. Lépine (Paris, imprimerie Balitout, 1872).
    • L’investissement de Paris; préparatifs militaires par le Service Historique de la Défense (Librairie Chapelot, Paris, 1908).
    • Le siège et le bombardement de Strasbourg par Gustave Fischbach (Paris, Librairie de Joël Cherbuliez, 1871).
    • L’armée de l’Est, relation anecdotique de la campagne de 1870-1871 par Grenest (Garnier Frères, Paris, 1895).
    • Les cahiers d’histoire des  douanes et des droits indirects (n°2-1985, n°9-1990, n°11-1991, n°22-2000, n°41-2009 et n°46-2011) : publication de l’association pour l’histoire des  douanes et des droits indirects. 

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