Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Le cahier de guerre du capitaine Leverd

Mis en ligne le 1 janvier 2020

 

Cet article est paru dans le numéro 33 des « Cahiers d’histoire des douanes » du 1er semestre 2006


 

Biographie

 

Né le 25 mars 1896 à Colroy la Grande (Vosges)

Déporté résistant – Guerre 1914-1918

– Interné du 12 octobre 1914 au 15 décembre 1914

– Déporté du 16 décembre 1914 au 27 novembre 1918

Entre dans la douane en 1921

Combattant volontaire de la résistance pendant la guerre 1939-1945

A gravi tous les échelons par concours pour terminer commandant en 1956

Décédé en 1981

 

 

Le numéro 28 des cahiers s’est fait l’écho de l’hommage rendu au brigadier des douanes THOMERE mort pour la France le 07/05/1944 (1).

C’est grâce à la découverte du cahier de guerre du capitaine des douanes LEVERD – par M. GATIER ancien maire de Monthermé qui en est ici vivement remercié – que cet évènement en a été retracé.

L’AHAD a tenu à relater cet épisode héroïque de résistance du capitaine LEVERD et de nombreux autres douaniers en publiant ci-après le cahier de guerre en cause.

 

 

 

Les parachutages

 

Au cours de juin 1943, au cours d’une entrevue avec M. MELIN, chef cantonnier à Nouzonville et le commandant FOURNIER, chef départemental de la Résistance, celui-ci m’informe qu’il est question d’organiser des terrains et des équipes de parachutages. Il me demande si je ne voulais pas m’occuper de cette délicate opération. J’accepte, car je sais que je trouverai à Hauts-Buttés tous les concours nécessaires. Je me suis mis en contact avec Henri MOREAUX, chef départemental au B.O.A.. (Bureau des Opérations Aériennes).

 

Il s’agit d’une part, de trouver des terrains nus suffisamment spacieux 500 mètres de côté et dissimulés le plus possible aux regards indiscrets, où des avions viendront nuitamment d’Angleterre déverser les armes, explosifs et munitions destinés au mouvement de Résistance et d’autre part, de constituer des équipes d’une dizaine d’hommes pour recevoir ces lots. Les hommes ainsi choisis doivent être des Résistants de la première heure, donnant toutes garanties de discrétion et, s’il le faut, sachant mourir sans parler.

 

Je me rends aussitôt chez M. MACHAUX à Hauts-Buttés, un vieux des deux guerres sur qui je sais pouvoir compter. Effectivement quelques heures plus tard, il aura constitué une équipe dont il deviendra le chef et composée comme suit :

 

MACHAUX Alphonse – 51 ans
BOUCHE Charles – 51 ans, dont le beau père a été fusillé au cours de la guerre de 1914-18 pour un travail à peu près analogue.
FONTAINE Louis – 60 ans
MARCHAL Adolphe – 44 ans
MARCHAL Marcel – 44 ans – prisonnier rentré
MARCHAL Henri
BOUCHE Jean – 40 ans – prisonnier évadé
FRIGANT Louis – 31 ans – sous officier de carrière – prisonnier évadé
FONTAINE Gaston
FONTAINE Georges

 

Tous acceptent avec enthousiasme la mission qui leur est demandée. Ils vont pouvoir enfin faire du travail à leur mesure. Melle MACHAUX Odette est l’agent de liaison de l’équipe.

 

Je tiens à mentionner les noms de cette première équipe, car ce sont tous des pionniers de la Résistance auxquels je rends l’hommage qui leur est dû pour le dévouement sans borne et la discrétion totale dont ils ont toujours su faire preuve jusqu’à la libération. Non seulement ils participèrent à tous les parachutages de la région, niais ils seront encore chargés du transport et de la surveillance des dépôts d’armes. Plus tard, ils seront en outre largement utilisés pour le ravitaillement et les liaisons avec le Maquis et pour de nombreuses missions toujours périlleuses. Ils ne tarderont du reste pas à avoir la juste réputation d’être la meilleure équipe du département

 

Un premier terrain est choisi au nord des Hauts-Buttés derrière la maison de MACHAUX. J’ai fait un plan qui est transmis à Londres. Peu après, je suis informé que ce terrain a été homologué. Il a désormais une personnalité, il s’appellera « Bohémien ». Les messages pour ce terrain me sont transmis par Henri MOREAUX. Je les remets à M. MACHAUX qui à la mission de rester à l’écoute de la radio de Londres.

A plusieurs reprises, ces messages passent à la Radio. Tous nous nous rendons sur le terrain comme convenu, et, bien avant l’heure prévue, minuit, chacun est à son poste. Mais c’est en vain que durant trois heures, nous tendrons l’oreille au moindre bruit de moteur. Aucun avion ne s’approchera de nous. Les hommes sont mécontents car on leur fait courir des risques inutilement et puis à cette cadence, avec quoi va-t-on se battre au jour J ?.

 

Le 2 septembre 1943, le message passe à nouveau. Chacun se rend à son poste comme d’habitude par des chemins détournés en évitant d’attirer l’attention. Henri MOREAUX et Jacques POIRIER ont fait le déplacement de Charleville à Hauts-Buttés à bicyclette pour assister à l’opération. Il est une heure du matin. Il y a un beau clair de lune. Tout à coup, un bruit de moteur se fait entendre dans le lointain. Chacun tend l’oreille anxieusement. Le bruit se rapproche-t-il ? Est-ce un moteur d’avion allemand ou anglais ? cette fois serait-elle la bonne ? Oui, le bruit du moteur s’entend de mieux en mieux dans le calme dans la nuit et l’avion arrive juste au dessus du terrain à quelques centaines de mètres de hauteur. On l’aperçoit maintenant très distinctement, c’est un gros avion de transport. Le message convenu lui est passé par morse au moyen d’une pile électrique. Le pilote de l’avion répond. Cette fois, il n’est plus possible de douter, c’est bien l’avion si impatiemment attendu. Les feux rouges destinés à signaler l’emplacement exact du terrain s’allument. Les dispositions des lampes doivent également indiquer au pilote la direction du vent. Après avoir décrit quelques larges cercles au dessus du terrain, le pilote dirige son avion droit sur les feux rouges et à environ 200 mètres de hauteur ouvre la trappe qui laisse échapper le précieux chargement. Dans le ciel, on a l’impression de voir pousser de gros champignons, ce sont les parachutes qui s’ouvrent les uns après les autres. Il y en a de couleurs diverses. Chacun essaye de les compter afin de ne pas en oublier sur le terrain ce qui pourrait être catastrophique. Ils descendent lentement. Puis un bruit de ferraille, les containers viennent de toucher terre.

 

A terre, c’est l’émerveillement. Les hommes sautent de joie sans même penser au danger qu’ils courent. Cet avion qui tourne au dessus et si près de nous est un avion ami. Il nous apporte à la fois l’espérance et les moyens de lutter contre l’envahisseur. Sans perdre de temps, les parachutes sont décrochés, soigneusement roulés, et avec de gros bâtons, par équipe de quatre hommes, les containers qui pèsent de 150 à 250 kilogrammes sont transportés dans les bois avoisinants et soigneusement dissimulés dans les fourrés.

 

Lorsque le jour pointa, tout était rentré dans l’ordre. Ce fut le premier parachutage des Ardennes. Les containers consistaient en explosifs qui furent utilisés pour les sabotages et en armes légères, mitraillettes « Sten » et revolvers qui servirent à armer en partie les équipes de parachutages. Faute d’armes, la première opération s’est effectuée sans aucune sécurité.

 

Le surlendemain au milieu de l’après-midi, nous avons chargé les containers dans un camion conduit par Monsieur PICARD de Montcy et dans lequel avaient également pris place Henri MOREAUX, Jacques POIRIER et le regretté COISPINE, puis le chargement prit la direction de Charleville au nez et à la barbe des Allemands. Quant aux parachutes, ils furent enterrés, suivant les consignes pour ne laisser aucune trace.

 

Quelques jours plus tard, je suis convoqué à Charleville. A ma descente du train, je trouve Henri MOREAUX, M POIRIER et son fils Jacques ainsi que M. LEDOUX, chef de secteur B.O.A. à Charleville.

 

Nous remontons dans la voiture de M. POIRIER qui est garée là tout près et dans laquelle se trouvent les mitraillettes que nous allons distribuer aux équipes de parachutages qui ont été formées et qui sont comprises dans mon secteur et dans le secteur de M. LEDOUX. Nous allons ainsi à la ferme du « Grand DOUAIRE » près de Signy-Le-Petit où nous remettons des armes à M. BOISSET, chef d’équipe et ensuite dans la région de Blanchefosse où nous opérons de-même.

 

Voyage effectué sans incident.

 

Une nouvelle période se passe au cours de laquelle les équipes de parachutages sont parfois alertées par des messages émis de Londres, mais chaque fois en vain.

 

Décidément les armes ne sont envoyées que parcimonieusement, ce qui ne fait pas notre affaire et les quelques mitraillettes des équipes de parachutages doivent être momentanément prêtées aux groupes de Résistance pour l’instruction des hommes. Pendant ce temps, des émissions clandestines par radio étaient effectuées avec Londres chez M.MACHAUX à Hauts-Buttés dont l’antenne de T. S. F. avait été orientée en conséquence.

 

A la fin du mois de novembre, Henri MOREAUX me fait savoir par un agent de liaison que M. POIRIER, chez qui les Allemands ont trouvé un poste émetteur et des armes a été arrêté, tandis que Jacques POIRIER et lui-même n’ont trouvé leur salut que dans la fuite, il ajoute qu’il lui est impossible de continuer à travailler dans les Ardennes, les Allemands ayant découvert des papiers personnels chez M. POIRIER. Il doit aller continuer son œuvre dans la Marne. Il espère me voir avant de rejoindre son nouveau poste et il me confie le soin de prendre des dispositions pour pouvoir, au cas où les parachutages annoncés arriveraient, remiser les armes dans la région, en attendant qu’une nouvelle organisation départementale soit constituée.

 

Hélas ! je ne devais jamais revoir Henri MOREAUX. Arrêté peu après par la Gestapo et incarcéré, il a été fusillé par la suite quelques jours avant la libération.

 

De son côté , M. POIRIER, dont j’admirais le calme et le courage devait être torturé en prison. Les Allemands qui avaient reçu des menaces de Londres n’osèrent pas le fusiller, mais ils se vengèrent en le faisant mourir de privations et de mauvais traitements.

 

Quand à Jacques POIRIER, arrêté lui aussi à Paris, il avait la chance de pouvoir échapper à la Gestapo. Avec ces hommes le B.O.A. perdait dans les Ardennes trois de ses meilleurs pionniers. Leur absence s’est fait lourdement sentir.

 

M. POIRIER et Henri MOREAUX sont des héros de la Résistance. Ils ont tout supporté, ils ont donné leur vie plutôt que de donner un nom.

 

Avec des hommes de cette trempe aucune défaillance n’était du reste à redouter.

 

Le maquis des Ardennes : PRISME

 

 

Depuis quelques temps déjà, Londres nous avait demandé combien d’officiers nous pourrions recevoir et héberger sur chacun des terrains de parachutages. Mais, il était de cela comme des armes ; rien n’arrivait, ça devenait désespérant. Lorsqu’enfin par une belle journée ensoleillée du mois d’avril 1944, le Commandant FOURNIER arrive chez moi et me présente un Commandant de Forces Françaises Libres. Celui-ci en tenue civile bien entendu, m’explique qu’il vient d’Angleterre avec mission de constituer des Maquis dans les Ardennes et me demande de bien vouloir me mettre à sa disposition, ainsi que les équipes de parachutages pour la réception des officiers, armes, équipements et munitions, qu’il compte recevoir. C’est selon lui, ce qu’il y a de plus urgent car il ne veut pas faire venir des hommes au Maquis avant de pouvoir les armer. A la vue de cet officier supérieur des Forces Françaises Libres, ces mots résonnent harmonieusement à mes oreilles. Je peux difficilement contenir mon émotion. C’est en effet le premier que je vois venant de «là-bas» et de plus son arrivée laisse présager un débarquement assez prochain, événement que nous attendons tous si impatiemment et qui tarde beaucoup trop selon nous, de son côté le commandant est visiblement heureux de pouvoir enfin fouler sa chère terre de France qu’il a quittée au cours des jours tragiques de juin 40 et qu’il n’a pas revu depuis. J’apprendrai plus tard qu’il s’agit du commandant PARIS DE BOLLARDIERE. Pour le moment, il est le commandant Prisme.

 

Bien entendu, je suis fier et honoré de la tâche qui va m’incomber désormais et c’est de grand cœur que je donne mon acquiescement.

 

Le commandant m’informe qu’il est cantonné dans les bois en un point situé entre les Petites Communes et la route de Revin à Hauts-Buttés. Il a avec lui un lieutenant Radio et un lieutenant Américain.

 

Nous prenons rendez-vous pour le lendemain aux Petites Communes. J’amène avec moi le lieutenant des douanes PASCAL. Nous faisons connaissance avec l’officier Américain (le lieutenant VICTOR) qui parle notre langue sans aucun accent, tous convenons de correspondre entre nous au moyen d’une boîte aux lettres que nous situons dans la forêt et que nous devons visiter chaque jour. Plus tard ce sera le brigadier chef des douanes PROST A PETIT qui sera chargé de ce travail à ma place et qui assurera la liaison.

 

Les jours suivants, il s’agit d’organiser le ravitaillement. De plus, le commandant veut faire connaissance avec le terrain de parachutage de la région et de mon côté, je sui impatient de faire partager ma joie et mon secret par des amis de toujours. Nous nous donnons rendez-vous à Hauts-­Buttés. Je conduis le commandant chez M. MACHAUX et M. FONTAINE. Au moment des présentations les yeux se mouillent et le bonheur se lit sur tous les visages, de suite chacun s’offre pour fournir gracieusement bien entendu le ravitaillement nécessaire.

 

Après examen un deuxième terrain de parachutages est choisi aux Vieux Moulins de Thilay. Il servira plus spécialement pour la réception des officiers que le commandant attend sous peu. Il sera homologué à Londres sous le nom de « Astrologie ».

 

A partir de ce moment là, les visites des officiers du Maquis à Hauts-Buttés sont à peu près journalières tant pour le ravitaillement que pour le rechargement des accus du poste de radio qui s’effectue chez M. MACHAUX.

Au début du mois de mai, les premiers jeunes gens arrivent au Maquis. On les aperçoit se faufiler par petits groupes en direction des Hauts-Buttés en suivant des chemins sous bois.

 

Le commandant PRISME qui attend un parachutage important me demande de renforcer l’équipe de Résistance. Les douaniers des Hauts-Buttés feront désormais partie de l’équipe, le brigadier chef PROST A PETIT, les préposés TOURET, PLAËTEVOET et POGGI. Les douaniers de Montheimé comprenant le lieutenant PASCAL, le brigadier chef NININ, PERPERE, VEUILLEQUEZ, HERVE, LE ROUZIE préposés SANCEY, LEBRUN ainsi que quatre hommes du groupe CORDIER. Messieurs DEMARS Alfred, DELMONT René, RAVEAUX Camille et THEMANS Marcel participeront également au prochain parachutage qui aura lieu dans le nuit du 7 au 8 mai, sur le terrain « Bohémien ».

 

Cette nuit là, chacun de ces hommes après avoir reçu les consignes et le mot de passe, se rendirent discrètement au lieu convenu. En montant à Hauts-Buttés, nous avions pris la précaution de neutraliser la ligne téléphonique car des Allemands cantonnaient tout près de là, à la Croix Scaille, où ils effectuaient des travaux et il ne fallait pas qu’ils puissent donner l’alarme au cas où ils verraient quelque chose. La ligne téléphonique ne fut libérée qu’une fois l’opération terminée.

 

Vers une heure du matin, deux avions viennent déverser leur chargement qui fut aussitôt transporté et dissimulé sous des tas d’herbe sèche que Monsieur MACHAUX avait eu la bonne idée de préparer à cet effet. Au cours de cette opération ce fut le commandant PRISME lui-même avec ses deux officiers et quelques hommes de chez nous qui assurèrent la sécurité pendant que nous portions les lourds containers. Nous étions tranquilles, car nous savions qu’aucune patrouille allemande n’arriverait jusqu’à nous sans trouver à qui parler.

 

Le dépôt d’armes fut gardé toute la journée par les douaniers et les hommes de l’équipe des Hauts-Buttés. La nuit suivante, le commandant FOURNIER de Charleville avec quelques hommes et une camionnette au moyen de laquelle nous transportâmes le chargement dans une cache que j’avais préparée à cet effet à proximité de la route de Revin et où le Maquis pourrait facilement en prendre livraison. Pour éviter d’avoir à traverser les Hauts-Buttés, nous empruntâmes un chemin sous bois parsemé d’ornières et nous dûmes pousser à bras la camionnette qui fit de nombreux voyages au cours de la nuit.

 

Tout s’était bien passé ; chacun rentrait chez soi exténué mais content après s’être réconforté chez M, MACHAUX.

 

Hélas, un malencontreux incident devait endeuiller une famille, en effet à quatre heures en arrivant à Monthermé le brigadier des douanes THOMERE fatigué par deux nuits consécutives passées à transporter des charges très lourdes fit une chute brutale de bicyclette. Il ne devait pas se relever et quelques instants plus tard, il expirait sans avoir repris connaissance. Il laissait une veuve et deux orphelins,. C’était un Résistant de la première heure qui disparaissait victime de son dévouement. Sa disparition nous a été cruelle.

 

Pour que cet accident ne donne naissance à aucun doute sur la nature de l’opération que ce sous officier venait d’effectuer, nous avons dû établir un faux rapport et faire passer la mort sur le compte du service. Je savais heureusement qu’en agissant ainsi, j’avais l’approbation de mes chefs et de mon administration.

 

La cache à armes fut gardée par Jean BOUCHE, les fils FONTAINE et des douaniers des Hauts-Buttés. Puis ceux-ci furent remplacés par des gars du Maquis dont le nombre augmentait chaque Jour.

 

Le commandant PRISME nous pria alors de trouver un aumônier robuste qui voudrait bien les rejoindre au Maquis dans l’impossibilité de trouver dans la région un prêtre assez jeune. Mme FONTAINE en référa alors au Père MARIE-ANTOINE de Willerzie (B), lequel accepta de grand cœur. Les services qu’il rendit par la suite au Maquis lui valurent après la libération, d’être cité à l’ordre de la Division, par le général KOENIG (Croix de guerre avec étoile de bronze).

 

Les familles MACHAUX, MARCHAL et FONTAINE se dévouèrent sans compter pour assurer le ravitaillement du Maquis et leurs maisons servirent de dépôts pour les vivres amenés en camionnette par la Résistance de Charleville, Les maquisards furent bientôt très nombreux. Madame MACHAUX, ses deux filles et Madame FONTAINE et sa fille se chargèrent de la boulangerie qui était un travail monstre, car elles ne disposaient que de moyens matériels rudimentaires.

 

Les brigadiers forestiers AVENIERE de Monthermé, GROSLIN de Revin, HENON de Joigny et le garde AVENIERE de Revin – Hauts-Buttés rendirent également de grands services au Maquis.

 

Le drapeau du maquis

 

Ce fut à Madame FONTAINE que revint l’honneur d’offrir au Maquis son drapeau et une flamme triangulaire avec la croix de Lorraine brodée au blanc par Mesdemoiselles GRANJEAN et BRUCH.

 

En formulant la demande d’un drapeau le commandant PRISME écrivait ces mots «Nous monterons les couleurs tous les soirs pour nous rappeler avant de dormir ce que nous devons faire», et un peu plus loin il ajoutait cette phrase en l’honneur des bons Ardennais «Nous sommes bien aidés et soutenus par vous tous et c’est une grande joie de travailler dans un pays de vrais français comme les Ardennes».

 

Par ces mots de «vous tous», le commandant PRISME s’adressait à tous ceux qui servirent le Maquis. Et, s’il est possible que des noms soient oubliés dans ce récit, je m’en excuse.

 

Le maquis s’installe aux Manises

 

Le commandant PRISME envisage de transférer momentanément son Maquis dans la région de Beaulieu et d’utiliser le terrain du «Grand Douaire» pour parachuter des armes aux groupes des environs. Le commandant FOURNIER et moi, nous y allons dans une voiture pilotée par «Titi» LECLERC de Charleville., En arrivant à Rimogne, nous nous heurtons à une patrouille de police allemande qui nous fait des sommations d’arrêt. Au lieu d’obtempérer et sans perdre son sang froid, le chauffeur qui nous a demandé ce qu’il devait faire, accélère et brûle la politesse aux Allemands qui, médusés, ne réagissent pas. Qu’importe, nous avons eu chaud. Le projet envisagé sera ensuite modifié et le Maquis ira s’installer dans le bois des «Manses ». Jusque là, le commandant PRISME n’a reçu de Londres aucun équipement qu’il réclame pourtant avec insistance car ses hommes sont dépourvus de tout. De plus, la saison est particulièrement pluvieuse et nos maquisards sont mal chaussés, mal habillés et sans abri. Il leur faut une âme bien trempée pour mener la vie qui est la leur.

 

Enfin le 28 mai 1944, quatre avions arrivent et pendant une heure trente, laissent tomber sur le terrain «Astrologie», plus de dix tonnes d’armes, munitions, équipements et vivres de réserve. La sécurité était assurée par un détachement du Maquis. Ces soldats obligèrent à aller se coucher toutes les personnes des Vieux Moulins de Thilay qui intriguées par le ronronnement des moteurs, étaient sorties pour voir ce qui se passait.

 

Quatre vingt huit containers furent parachutés. L’un s’ouvrit, dans la descente et tout son contenu s’éparpilla un peu partout, un autre dont le parachute ne s’ouvrit pas s’enfonça profondément dans le sol d’où il fallut, le retirer. Ce fut le parachutage le plus important des Ardennes. Le spectacle était splendide . Le lieutenant Américain utilisait à cette occasion un «Esphore» pour diriger les pilotes depuis la terre. Il s’agit d’un appareil merveilleux d’invention américaine qui avait- été parachuté la fois précédente et qui permet de communiquer à longue distance avec les avions et au sol, sans que les pilotes ennemis soient en mesure de capter les messages. Toutefois par nuit calme, la voix s’entend d’assez loin, ce qui n’est pas sans danger lorsqu’on travaille clandestinement. Les containers furent provisoirement dissimulés dans une haie le long d’une pâture appartenant à M. FONTAINE.

 

Tous les hommes de l’équipe de M. MACHAUX, les douaniers des Hauts-Buttés et les maquisards qui nous aidèrent fournir cette nuit là, un travail surhumain. Il me souvient avoir eu les épaules endolories pendant plusieurs jours. Comme toujours, le commandant PRISME n’était pas le dernier à payer largement de sa personne. Au jour, le travail était à peine terminé.

 

Dans la nuit du premier au deux juin, le commandant FOURNIER et sept de ses hommes arrivèrent de Charleville avec un camion et une camionnette dans lesquels, aidés par des hommes du Maquis, nous chargeâmes les containers pour les transporter à la cache de la route de Revin. Mais au premier voyage le camion resta en panne dans Hauts-Buttés où il fallut le décharger sur la camionnette qui fit quatre voyages au cours de la nuit.

 

La nuit suivante, le camion ayant été réparé, tous les hommes de la nuit précédente, sauf moi qui avait dû me rendre sur un autre terrain où un parachutage était annoncé, se retrouvèrent sur les lieux pour terminer le transport des armes, ce qui fut fait sans incident.

 

Le débarquement – 6 juin 1944

 

Dans la journée du 5 juin 1944, la radio de Londres fit passer le message suivant «Le roi Jean est sage» cinq amis iront visiter le roi Jean ce soir. Pour nous, cela signifiait que cinq officiers seraient parachutés au cours de la nuit sur le terrain «Astrologie»

 

Ce jour-là, c’est le cœur bondissant que Melle Odette MACHAUX s’en fut transmettre le message aux hommes de l’équipe. L’attente fut fébrile. Il s’agissait de prendre des précautions plus grandes que pour les armes.

 

Mme FONTAINE, sa fille Georgette et Mme FRIGANT s’affairaient dans la cuisine car elles voulaient réserver la réception qu’ils méritaient à ces braves officiers qui nous arrivaient.

 

L’opération s’effectua dans de très bonnes conditions. Qu’il était beau à voir le spectacle de ces officiers venant de si loin et se jetant dans le vide au cours de la nuit. A terre chacun les suivait des yeux et rapidement s’élançait vers le point de chute. Le contact fut des plus chaleureux.

 

M. MACHAUX et moi-même furent félicités pour la belle organisation du comité de réception.

 

Indépendamment de quelques containers et colis parachutés en même temps, il y avait trois officiers français, le capitaine «Jacques» adjoint au commandant PRISME et officier de renseignements, les jeunes lieutenants «Lucien et Marc», ainsi que deux officiers Anglais, les capitaines «Alain» et «Georges». C’était plaisir de voir ces officiers gonflés à bloc et heureux d’être en France où ils venaient se battre, d’autant plus heureux qu’ils retrouvaient leur idole, le commandant PRISME, duquel ils nous narraient avec volubilité les exploits militaires antérieurs.

 

Chez M. FONTAINE, ce fut une réception grandiose. Après les embrassades traditionnelles et la première émotion passée, un dîner fut offert par Mme FONTAINE dans une salle décorée aux couleurs interalliées. Onze officiers assistaient à ce repas dont certains en tenue et tous en armes. Il y avait les cinq officiers qui venaient d’être parachutés, le commandant PRISME, le lieutenant Américain VICTOR, le lieutenant PIERRE, tous trois du Maquis, deux lieutenants aviateurs américains qui avaient été récupérés et moi-même.

 

Chacun fit honneur au repas plantureux qui fut servi, «Au Champagne». Le capitaine anglais «Alain» dans un toast en anglais remercia chaleureusement ses hôtes, de l’accueil qui lui était réservé ainsi qu’à ses compagnons d’armes. Ce fut le lieutenant VICTOR qui fit la traduction en français et en même temps, il fit connaître la grande nouvelle apportée d’Angleterre. Le débarquement allié avait lieu ce jour-là.

 

C’est ainsi que nous apprîmes le débarquement quelques heures avant qu’il ne s’effectuât. Ce fut une nuit inoubliable qui nous payait largement de nos peines. Ce coin déshérité des Ardennes venait lui aussi d’avoir son débarquement de marque.

 

Le caractère le plus frappant de cette cérémonie fut qu’elle se déroulait en pleine occupation sans souci du danger que la réunion de ces héros faisait courir.

 

Un peu avant le jour, tous ces officiers allèrent rejoindre le Maquis et pour se reposer s’allongèrent sur le sol humide.

 

Le capitaine «ALAIN» avait apporté d’Angleterre un message urgent qui devait être remis le matin même au commandant «PLANETTE» de Paris qui se trouvait à Charleville. Ce jour là, ce fut le brigadier chef des douanes PROST A PETIT qui fut chargé de cette mission.

 

Le 9 JUIN, un important parachutage fut annoncé sur «Astrologie». A la demande du commandant PRISME, je me rendis au «Grand Douaire», où un autre parachutage était également annoncé. Mais tout ce passa en vaine attente le temps devenu mauvais avait empêché les opérations.

 

L’attaque du maquis

 

Jusque là, tout avait bien marché. Le Maquis s’organisait, bientôt il serait suffisamment armé et nous allions pouvoir songer à parachuter des armes pour les groupes de Résistance.

 

Les jours qui suivirent le débarquement de nombreux jeunes gens de Revin notamment, arrivèrent au Maquis. Le commandant PRISME ne désirait pas d’arrivages aussi massifs et si peu discrets, mais force lui fût de les garder ne pouvant pas les renvoyer dans leurs foyers.

 

Au Maquis, quelques hommes étaient malades et le commandant m’avait chargé de trouver un médecin. Sachant que le Docteur L’HOSTE de Monthermé militait depuis longtemps dans la Résistance, ce fut à lui que je m’adressai, et de suite une visite des malades fut fixée pour le 12 juin après-midi chez M. FONTAINE.

 

A la date fixée, je me rends au lieu convenu. En route, je suis dépassé par une colonne motorisée Allemande. Je me hâte afin de prévenir le Maquis de la présence insolite de cette troupe dans la région. En arrivant à la bifurcation des routes de Hargnes et des Vieux Moulins de Thilay, j’aperçus les voitures qui venaient de me dépasser, qui sont garées dans le bois de chaque côté de la route. Le danger se précise et je pousse activement vers les Vieux Moulins. Peu après, j’entends une voiture qui se lance à ma poursuite.. Elle me dépasse et me barre la route. J’exhibe mes papiers et comme je suis en tenue, je suis autorisé à poursuivre ma route. J’arrive chez Mme FONTAINE et après lui avoir fait part des mes remarques, je lui dis qu’il fallait de toute urgence alerter le Maquis. Mme FONTAINE me répond que depuis quelques instants le Maquis est déjà attaqué par des Allemands venus de Revin.

 

Melle Georgette FONTAINE et Mme FRIGANT envoyées en reconnaissance pour savoir comment est faite l’attaque et s’il y a possibilité d’avertir le Maquis ou d’effectuer une attaque de diversion, reviennent et font le rapport suivant : «Le camp est attaqué directement à son emplacement et les Allemands préparent un encerclement d’envergure. Une auto-mitrailleuse est en position en tête de la route de Haybes et des voitures font la navette vraisemblablement en attendant du renfort».

 

La situation est par suite mauvaise. Melle G. fontaine part immédiatement prévenir l’agent de liaison Jean BOUCHER qui avertit aussitôt le chef de centre de Hautes-Rivières.

 

Quant à moi, je reviens rapidement sur mes pas, je passe le barrage des Allemands sans aucune difficulté et je vais à la rencontre du commandant d’AUBUSSON (chef régional de la Résistance) et de «Jacqueline» de Charleville qui doivent ce jour là monter en mission au Maquis avec une camionnette de ravitaillement. Il faut éviter que tout cela ne tombe aux mains des Allemands.

 

Je rencontrai le commandant d’AUBUSSON et «Jacqueline» sur la route de Monthermé. Une partie de la camionnette fut déchargée chez le brigadier-forestier AVENIERE, le reste retourna à Charleville. Ils restèrent chez moi en attendant de pouvoir reprendre contact avec le commandant PRISME.

 

Pendant ce temps, l’attaque du Maquis se déroula. Que l’on juge de l’anxiété avec laquelle tous ceux qui étaient mêlés à l’existence du Maquis et notamment des Hauts-Buttés – Vieux Moulins, attendirent les événements. Chez MARCHAL, chez MACHAUX, chez FONTAINE, il y avait d’importants dépôts de ravitaillements et d’objets compromettants divers, qu’ils durent dissimuler de leur mieux. Des voisins Mme BOZIER, M. FRIGANT. M. MARCHAL des Vieux Moulins et Mme Veuve TUTIAUX acceptèrent de partager les risques et prirent chez eux une partie du ravitaillement qui pu ainsi être sauvé et livré par la suite au Maquis au fur et à mesure des besoins.

 

Heureusement tout se passera sans trop de mal pour les habitants de la région. Quelques hommes des Hauts-Buttés furent arrêtés comme otages. PROST A PETIT, BOTTE, OTERBERCK, AVENIERE, mais peu après, ils étaient relâchés sauf le garde forestier AVENIERE qui après avoir été martyrisé, fut emprisonné pendant plusieurs mois à Charleville.

 

Miraculeusement, les Allemands occupèrent tous les hameaux des environs, sauf les Vieux Moulins de Thilay et le dépôt d’armes situé à quelques centaines de mètres du barrage des Allemands, le long d’une pâture de M. FONTAINE resta intact.

 

En ce qui concerne le Maquis, les dégâts furent malheureusement beaucoup plus graves. Voyant qu’il était attaqué en force et encerclé de toutes parts vers 23 H, le commandant PRISME, qui avait été très légèrement blessé à la cuisse, forma des groupes à la tête de chacun desquels il plaça un officier. Chaque groupe devait s’efforcer de traverser, en des points différents le barrage établi par les Allemands, avec lieu de ralliement les «Six Chênons». Le commandant PRISME, pour sa part réussi à sortir du cercle avec un groupe d’une cinquantaine d’hommes. Mais dans les autres groupes, au moment du choc avec les Allemands, beaucoup de gars du Maquis, s’éparpillèrent dans la nuit et finalement furent fait prisonniers. Chacun connaît la fin tragique de ces malheureux. Cent six d’entre eux furent assassinés après avoir été lâchement martyrisés. Malgré les sévices exécutés sur eux, aucun n’a cependant parlé ni des personnes qui les ravitaillaient, ni des parachutages. C’est un hommage à leur rendre.

 

Deux officiers du Maquis manquaient à l’appel, le capitaine anglais «Alain» qui rentrait de mission juste au moment de l’attaque et le lieutenant de réserve PULTIERE (Instituteur à Saint-Nicolas) qui fut retrouvé assassiné au Champ-Bernard près de Nohan.

 

Dès le 14 juin après-midi, alors que les Allemands étaient encore sur les lieux, le commandant PRISME fit connaître à MME FONTAINE, par un agent de liaison, le lieu de sa retraite. Par la même occasion, il demandait du ravitaillement pour ses hommes et le rétablissement des contacts d’urgence. Du ravitaillement fut aussitôt conduit à une cache spéciale où les gars du Maquis vinrent en prendre livraison Mme FONTAINE continua à faire la boulangerie et s’occupa de rétablir les liaisons.

 

De part et d’autre, des officiers et des maquisards ralliaient le commandant. Le capitaine Jacques et sept hommes furent ravitaillés et reprirent le contact par l’intermédiaire de M. DESCHAMPS. Les lieutenants PIERRE et MARC avec un autre groupe échouèrent à Haybes où ils couchèrent chez le Docteur CARLIER et rétablirent la liaison avec moi.. Le commandant DERRIEN, grand blessé de guerre, qui se trouvait en mission au Maquis, où je l’avais conduit la veille de l’attaque, réussit à s’échapper vers les Hauts-Buttés où le jeune Gilbert OTERBECK, après lui avoir donné sa tartine le dirigea à travers les Allemands jusque chez FONTAINE, d’où le douanier CAZALS le conduisit à Haybes, le lendemain un sergent chef, blessé au talon au cours du combat pût lui aussi, en faisant preuve d’un grand courage, se réfugier seul chez M. MACHAUX qui l’orienta sur l’hospice des Hauts-Buttés. Là, les religieuses le cachèrent et jouèrent le rôle d’infirmières en suivant les prescriptions du Docteur L’HOSTE qui avait, été appelé auprès du blessé, et dès le premier jour lui prodigua des soins.

 

Signalons aussi au passage le dévouement dont firent preuve en cette triste circonstance le brigadier chef des douanes GUILAIN et le préposé DELAVAUX d’Hargnes qui se dépensèrent sans compter, pour regrouper les hommes du Maquis et récupérer les armes. Ces deux braves devaient hélas un peu plus tard trouver une mort tragique au cours du massacre d’Hargnes. Les Allemands pouvaient être fiers de leur œuvre. Ils avaient attaqué non pas un Maquis, mais un bureau de recrutement. En effet, bon nombre de Jeunes gens venaient à peine d’arriver, ils n’avaient pour la plupart, jamais eu une arme dans les mains. Sans aucune préparation, ils subissaient là, le baptême du feu. Cependant, ils infligèrent des pertes aux Allemands. Les Allemands, barbares étaient tellement peu fiers de leur forfait qu’un peu plus tard, ils tentèrent de faire disparaître les traces du crime sans nom, qu’ils venaient de commettre, en allant soigneusement dissimuler lès corps des cadavres dans deux fosses qu’ils creusèrent dans les bois au fond de l’Ours près de Linchamps. Ils espéraient que personne ne les retrouverait. Mais les douaniers de Linchamps et notamment le brigadier chef JOISSAIRES avaient suivi ce transfert funèbre. J’ai moi-même été sur les lieux où j’ai recueilli diverses pièces à conviction. Vers la fin juillet des hommes de Revin faisant preuve d’un grand dévouement entreprirent la grande et macabre tâche d’exhumer tous les corps des fusillés pour les identifier. Grâce à eux, les familles purent revoir les dépouilles de leurs chers disparus qui furent inhumés au Malgré Tout, avant de pouvoir l’être à Revin.

 

Le Maquis fut reformé dans les bois de Willerzie (B) où de nombreuses personnes lui réservèrent un accueil des plus chaleureux. La famille BRUCK se distingua tout particulièrement, le fils sera d’ailleurs cité plus tard à l’ordre de la Division par le général KOENIG. Mme ROBIN hébergea deux officiers malades, M. PIRLOT et Mme DELAITRE se chargèrent de fournir le pain.

 

L’attaque du 2 août

 

Vers le 14 juillet, le Maquis alla s’installer dans les «Frambois», près de la frontière entre les Vieux Moulins de Thilay et Hargnies. C’est là, que le 2 août, il eut à subir sa seconde attaque. Mais cette fois ce fut une victoire. Nos braves maquisards qui pourtant, avaient traversé une période très pénible, étaient aguerris et ils surent venger en partie du moins leurs camarades. Trente Allemands furent mis hors de combat. Quant au Maquis, il n’eut à déplorer que deux morts dont un homme qui effectuait une corvée de pain à Hargnies et un blessé qui fut soigné à l’Hospice des Hauts-Buttés. Après quoi, le commandant PRISME effectua un décrochage qui fut un chef d’œuvre. Rien n’était tombé aux mains des Allemands. Ceux-ci opérèrent des perquisitions aux Vieux Moulins de Thilay, mais leur manque de finesse fit qu’ils ne découvrirent rien. Ils emmenèrent cependant tous les hommes jusqu’au P.C. Allemand vers Hargnies. En apprenant que M. FONTAINE et ses deux fils ainsi que M. FRIGAND (quatre hommes de l’ équipe de parachutage avaient été arrêtés, nous eûmes un moment d’anxiété. Les Allemands avaient-ils eu connaissance de quelques chose ? Qu’allaient-ils faire avec les otages ? Mais dans la soirée nous fûmes rassurés. Après avoir laissé tous les hommes en liberté surveillée à Hargnes, les Allemands les renvoyèrent dans leurs foyers. M. DESCHAMPS, M. RIGAUD et son fils qui étaient les boulangers du Maquis depuis quelques temps furent cependant maintenus prisonniers.

 

Ce jour là, le capitaine MAX de Nouzonville qui conduisait une camionnette de ravitaillement au Maquis n’a échappé que de justesse aux Allemands grâce aux indications de Mme FONTAINE. Mme CHAUSSARD, qui était en éclaireur, a pu prévenir MAX juste à temps pour lui permettre de faire demi tour au nez et à la barbe des Allemands qui se mirent à sa poursuite, mais sans succès ; le précieux chargement fut sauvé. Après cette attaque, le Maquis va s’installer à proximité de la «Croix Scaille» où a lieu un petit parachutage. Le 24 juillet, en effectuant une corvée de ravitaillement avec son cheval et sa voiture, M. MACHAUX des Hauts-Buttés a été victime d’un grave accident. Il a eu le pied écrasé sous la roue de sa voiture, ce qui a nécessité l’amputation de la jambe jusqu’à mi-mollet. Le brave qui a tant travaillé et d’une façon si désintéressée pour la Résistance sera désormais réduit à l’inaction. Et pourtant, il ne regrette rien. C’est magnifique.

 

Vers la fin juillet, les premières citations de la région arrivent d’Alger via Londres par radio. L’une pour M. FONTAINE, l’autre M. MACHAUX et la troisième pour moi. A présent le Maquis est à la «Bourre de Gédinne». Les liaisons s’effectuent pour une grande partie par l’intermédiaire du brigadier chef des douanes JOISSAIRES de Linchamps, qui a joué un rôle très important dans toutes les branches de la Résistance. Le 15 août, par un temps épouvantable, un vent violent et une nuit sans lune, quatorze officiers furent parachutés sur le terrain «Astrologie». Neuf officiers seulement descendirent dans des conditions à peu près convenables, les autres ainsi que quelques containers allèrent atterrir dans les bois des «Manises» d’où, au jour, ils s’orientèrent sur Malgré Tout, où ils furent recueillis par M. … Un agent de liaison avisa le commandant PRISME et le lendemain M. Jacques FONTAN et le douanier PARCLY du Maquis allèrent les chercher. Au passage, ils furent les hôtes de Mme MACHAUX qui leur avait préparé un dîner magnifique qui les réconforta, et leur fit paraître moins pénible les quatre heures de marche qu’ils durent effectuer. A l’instigation du capitaine JACQUES, j’avais avec JOISSAIRES été reconnaître un emplacement de camp à la «Renarde» où le Maquis alla s’installer. A ma demande M. MONIN garde forestier accepta qu’un dépôt de vivres soit constitué chez lui. Il en fut de même à la Forestière de «La Platelle». M. TITEUX, boulanger a Linchamps, alimenta le Maquis en pain, tandis que les hommes de la Résistance de Hautes-Rivières assurèrent le ravitaillement.

 

L’attaque des 23 et 24 août

 

Le 23 août au cours d’une escarmouche avec une colonne de soldats Allemands, des maquisards belges qui cantonnaient dans les parages se trouvèrent en infériorité et des agents de liaison accoururent au Maquis français pour demander de l’aide. Le lieutenant colonel PRISME (il avait son cinquième galon depuis le 4 août) et le lieutenant GRENIER (Bouillon) avec chacun une section se rendirent immédiatement sur les lieux. Le combat engagé se termina nettement à leur avantage. Ils tuèrent dix-neuf Allemands mirent les autres en fuite et firent deux prisonniers qui furent toujours considérés comme tels par les terroristes.

 

Malheureusement, le lieutenant GRENIER avait été mortellement blessé et un homme de sa section sérieusement blessé. Ce dernier fut conduit à l’Hospice des Hauts-Buttés par le docteur L’HOSTE, où il fut soigné. Quand au lieutenant GRENIER, ramené au camp, il décédait au cours de la nuit. Dans la matinée du 24 eu lieu l’inhumation simple, mais émouvante de ce héros tombé au champ d’honneur. Tous les hommes et particulièrement ceux de sa section pleurèrent et regrettèrent cet officier plein d’avenir.

 

Vers midi, à peine remis de leurs émotions, nos gars du Maquis étaient l’objet d’une attaque brutale par des troupes aguerries et bien commandées par la Whermacht, qui aussitôt tentèrent de ceinturer le Maquis. Par une manoeuvre habile le lieutenant colonel PRISME évita l’encerclement et par une contre-attaque fit reculer les assaillants. Au début de l’attaque, le lieutenant colonel BORDEREAUX qui avait rejoint le Maquis depuis quelques temps trouva une mort héroïque, sa conduite fut sublime. Nos gars du Maquis furent magnifiques. Les combats furent âpres. Les Allemands qui avaient de lourdes pertes ne pouvaient plus ni avancer, ni reculer. Mais ils possédaient des armes qui faisaient défauts aux nôtres. Pour pouvoir décrocher, ils firent intervenir des mortiers qui firent des ravages, puis ils disparurent sans avoir pénétré dans le camp. En tout, il y eu dix tués au Maquis et une douzaine de blessés plus ou, moins grièvement, détail touchant, le jeune lieutenant français ROBERT, parachuté le 15 août fut parmi les victimes. Il était mort au champ d’honneur quelques jours après être rentré en France. Un peu plus tard, je rencontrais à Linchamps deux maquisards envoyés par le lieutenant colonel PRISME pour demander des médecins de toute urgence,. Le docteur L’HOSTE de Monthermé, et le chirurgien BOCQUENTIN de Charleville mandés, répondirent aussitôt à mon appel. Malheureusement, la voiture de M. BOCQUENTIN essuya une vive fusillade au pont de Monthermé, ce qui retarda ce praticien dans sa mission.

 

Pendant ce temps, les douaniers de Linchamps et le brigadier chef des douanes en retraire RENAUX de Signy-Le-Petit aidèrent les blessés à se rendre chez M. LAURENT, industriel à Linchamps dont la maison fut transformée en infirmerie et chez qui était déjà soigné le lieutenant MARC depuis une dizaine de jours. C’est là, que les premiers soins furent donnés à la plupart des blessés pendant toute la nuit par le docteur MERVEILLE et ensuite par le chirurgien BOCQUENTIN et le docteur L’HOSTE qui se dépensèrent sans compter. En cette occasion, M. LAURENT a rendu d’énormes services. Des blessés furent ensuite hébergés chez quelques bons patriotes, notamment à «la ferme JACOB», chez M. TITEUX Georges, le garde forestier GUILLAUMENA, d’autres furent reçus à Hautes-Rivières, à Nohan, etc.

 

Un petit brave de dix-neuf ans, très grièvement blessé fut amené chez M. FONTAINE par le docteur L’HOSTE, mais un parachutage étant annoncé sur le terrain des Vieux Moulins, il fut ensuite conduit à l’Hospice des Hauts-Buttés où les soins qui lui furent prodigués l’arrachèrent à la mort. Cet établissement religieux a toujours été d’un grand secours pour le Maquis. Aussi après la Libération, il sera l’objet d’une citation élogieuse. Une autre citation sera également décernée à Soeur Mathilde qui s’était tellement dévouée. Le Lieutenant colonel PRISME avait lui aussi été blessé au cours de l’attaque. Il avait eu le mollet traversé et portait un éclat à la poitrine. Il continua cependant à diriger le combat comme si de rien n’était. Sa seule présence galvanisait tous les hommes. Il refusa d’être évacué et installa son bivouac près de la «Croix Scaille». Ceux qui vécurent là, ceux qui par leur mission approchèrent le camp conservent le souvenir du spectacle touchant, poignant même de cet officier supérieur étendu sur un brancard au milieu des buissons, à la merci des intempéries, risquant une nouvelle attaque, souffrant sans ,jamais se plaindre, donnait des ordres recevant des renseignements, ayant toujours pour chacun une bonne parole. Cette attitude héroïque du chef après la bataille fut le réconfort des hommes, le stimulant de leur courage.

 

D’accord avec le lieutenant colonel PRISME, nous devions constituer près du Maquis, un autre petit Maquis formé de deux sections, l’une composée de douaniers de la région et commandée par le lieutenant PASCAL de Monthermé, l’autre constituée par l’équipe de parachutage renforcée de douaniers et de civils de la localité. Cette dernière section étant plus spécialement chargée des parachutages à venir. Un parachutage de quatre avions attendu sur le terrain «Tourbillon» devait servir en partie à assurer ces deux sections. Un autre parachutage d’officiers était également annoncé sur le terrain «Astrologie». Ce dernier eu lieu le 26 août avec la participation de tous les hommes valides des Vieux Moulins de Thilay qui avaient été incorporés dans l’équipe habituelle. Mais, les armes destinées aux sections en formation n’arrivèrent jamais. Voilà pourquoi la Libération nous trouva avec quelques armes seulement. L’arrivée d’un bataillon entier de parachutistes avait été annoncé sur «Astrologie», mais la rapidité des événements arrêta tout. A noter également que depuis son arrivée en France le 6 juin 1944, le capitaine JACQUES avait organisé un vaste service de renseignements qui avait des ramifications un peu partout. Il arrivait des renseignements de toute la vallée de la Meuse et du plateau de Rocroi. Ce service nécessitait de nombreux agents de liaisons. Pour ses missions, les douaniers qui connaissaient parfaitement les bois et qui pouvaient circuler librement de jour comme de nuit, furent largement utilisés. Il n’est pas possible de donner ici tous les noms de ceux qui participèrent à ce service. Je me bornerai à signaler le rôle prépondérant joué par M. Jacques FONTAN et Melle FONTAN de Revin, ainsi que M. WIMART. Dans la région se distinguèrent également M. EBERL de Monthermé, chez qui se trouvait la boîte aux lettres, le docteur L’HOSTE qui, pour tous les services rendus, sera l’objet d’une citation élogieuse du général KOËNIG, l’abbé TITEUX, l’abbé GODART, M. VAN DE VEN, employé de M. LABBE ingénieur , tous de Monthermé, etc.

 

Dans la nuit du 30 au 31 août, le Maquis se déplaça pour la dernière fois, officiers et maquisards se rendirent à Linchamps, chez M. LAURENT où ils purent s’habiller et changer de linge, (Certains d’entre eux étaient en loque), avant d’entrer en action aux environs du «Loup» de Gespunsart et de Nouzonville. Je ne m’étendrai pas sur les événements des journées qui ont précédé la Libération. Chacun connaît l’action des patriotes qui firent vaillamment la guérilla aux environs de Monthermé, et à Monthermé même, aux troupes Allemandes en retraite, ainsi que la brillante défense du pont de chemin de fer de Monthermé – Château-Regnault où le sergent COLLET est tombé glorieusement. À signaler aussi l’action de l’adjudant chef CHARTIER qui, le 3 septembre 1944, trouva une mort héroïque en accompagnant les tanks américains à Château-Regnault dont les habitants réclamaient du secours. Voilà ce qu’a été la Résistance dans le région, et à mon sens, c’est cela la vraie Résistance. Etre de la Résistance, c’était être désintéressé à l’instar des combattants Gaullistes, c’était non seulement faire l’offrande de sa personne, mais aussi celle de sa famille, celle de tout ce qu’on rêve de tout ce qu’on possède c’était le suprême abandon c’était l’offrande au martyre.

 

Après la Libération, sans se soucier de savoir s’ils avaient droit à des galons où à des honneurs, chacun est rentré modestement chez soi non qu’il se désintéressait de l’avenir de la France, mais au contraire parce qu’il estimait que le meilleur moyen de continuer à la servir, c’était de se remettre immédiatement au travail. Le temps passe, le souvenir reste. Le calme est à présent revenu dans ces coins mystérieux de la forêt des Ardennes, témoins muets de sombres tragédies. Mais pour tous, flotte encore que fut le commandant «PRISME», lieutenant colonel PARIS DE BOLLARDIERE, combattant Gaulliste de la première heure, condamné à mort par «Vichy».

 

 

Monthermé, le 9 mai 1945

Le Capitaine LEVERD

 


(1) Dans un court article paru dans le numéro 28  des  Cahiers d’histoire des douanes et droits indirects (2e semestre 2003), l’AHAD rendait hommage au brigadier THOMERE en ces termes:

 

 » Lors d’une cérémonie organisée le 15 septembre 2002 à MONTHERME (08) un hommage a été rendu au brigadier des douanes Francis THOMERE mort pour la France le 7 mai 1944.

C’est à la faveur de la « redécouverte » du cahier de guerre du capitaine des douanes LEVERD par M. GATIER ancien maire de Monthermé que cet événement a été retracé. Cet officier des douanes résistant relate dans son cahier l’activité du maquis des Ardennes et en particulier la récupération des nombreux parachutages alliés dans la région.

C’est ainsi, qu’au retour de deux nuits consécutives passées avec ses collègues douaniers à transporter les charges parachutées que le brigadier THOMERE fit une chute brutale à bicyclette, à laquelle il succomba. Les circonstances de l’époque ne permettaient pas d’évoquer les causes exactes de la mort du brigadier qui fut donc considérée comme un accident de service.

Le décès a été enregistré à la mairie de Monthermé et la mention « Mort pour la France » ajoutée avec effet rétroactif le 1/3/47 sur le registre d’état civil.

L’ancien maire de Monthermé a proposé d’inscrire le nom du brigadier sur le monument aux morts (secteur résistance) afin de lui faire l’honneur qu’il mérite. La municipalité a accepté et la famille approuvé cette initiative qui s’est conclue par la cérémonie évoquée ci-dessus.

Cet événement permet d’aborder une partie de l’histoire des douanes qui reste à retracer, celle de la résistance durant la guerre 1939-1945. Sur ce point, toutes les informations adressées à l’association seront les bienvenues ».

 


 

Cahiers d’hitoire des douanes

N°33

1er semestre 2006

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