Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

La douane de Saint-Pétersbourg (Russie)

Mis en ligne le 1 mars 2021

Histoire des bâtiments de la douane de Saint-Pétersbourg

 

La ville de Saint-Pétersbourg a été fondée le 16 mai 1703, sur ordre du tsar Pierre Ier de Russie, dit Pierre le Grand. Désireux de donner à la Russie un accès commercial maritime à l’Europe, il entreprend une guerre contre le Royaume de Suède et conquiert des territoires à l’embouchure de la Neva sur le Golfe de Finlande, dans une région marécageuse. De sa « Grande Ambassade » (velikoïe posolstvo), un voyage dans quelques unes des plus grandes puissances d’Europe (Hollande, République de Venise, Saint-Empire romain germanique, Archiduché d’Autriche, Royaume-Uni…) de 1697 à 1698, Pierre Ier rapporte des observations du mode de vie européen et des idées de réforme de son pays. En effet, la Russie ne comptait alors ni marine de guerre, ni universités, et se trouvait sous la coupe de l’Église orthodoxe. Pierre le Grand souhaite faire de Saint-Pétersbourg la capitale moderne d’une véritable puissance européenne, à l’instar des villes qu’il a visitées au cours de son voyage, contrastant avec les habitations vétustes de Moscou. C’est ainsi que la première bâtisse de la ville, la forteresse Pierre-et-Paul, est construite sur l’Île aux lièvres en 1703. Pierre le Grand entend « ouvrir une fenêtre sur l’Europe », en donnant à la Russie un accès maritime direct à l’Europe par les mers froides.

 

La fondation de Saint-Pétersbourg, devenue capitale de l’Empire russe et véritable fenêtre maritime inspirée de Venise et d’Amsterdam, a été rapidement suivie de celle de la douane portuaire, le 12 novembre 1703. Ce jour marque l’arrivée du premier navire étranger, qui transportait du vin et du sel depuis la Hollande, et le début des activités de la douane impériale dans la nouvelle capitale. L’existence d’organes douaniers en Russie est attestée dès la fin du Xe siècle, avec des mentions explicites du prélèvement du « myt », une taxe sur le transit des marchands, sous le règne de Iaroslav le Sage (978-1054). Le terme « tamozhnya », qui désigne encore aujourd’hui la douane, apparaît au milieu du XIIIe siècle sous le règne de la Horde d’Or (1243-1502), un empire turco-mongol gouverné par des descendants de Genghis Khan. Il s’agit d’un dérivé du mot turcique « tamga », désignant à l’origine le sceau utilisé pour certifier l’accomplissement des procédures douanières, et devenu synonyme de la taxe sur les marchandises vendues ou en transit dans la Horde d’Or. Au XVIIIe siècle, Pierre le Grand a adapté la douane à ses idéaux européens : les douaniers sont renommés « bourgmestres douaniers » à partir de 1700, puis « Obertsolnery » (de l’allemand « Oberzöllner », inspecteur des douanes) à partir de 1720.

 

A l’époque, la douane de Saint-Pétersbourg était installée sur la place Troitskaya, la plus ancienne de la ville. La place Troitskaya a accueilli les premières constructions de Saint-Pétersbourg aux abords de la forteresse Pierre-et-Paul : la maisonnette de Pierre Ier, l’église de la Sainte-Trinité, puis le Sénat, le synode, le collège (bâtiment du gouvernement), la halle des marchands, ainsi que le bâtiment de la douane, situé près du port

 

Alexey ZUBOV, Place Troitskaya, 1716, gravure

(Source : Direction interrégionale du Nord-Ouest (SZTU), Service fédéral des douanes de Russie)

 

En 1730, le port de Saint-Pétersbourg fut déplacé vers la partie orientale de l’île Vassilievski, à l’Ouest de la forteresse Pierre-et-Paul, entraînant d’importants travaux d’aménagement. De nouveaux grands travaux eurent lieu sur l’île au début du XIXe siècle, avec la construction du bâtiment de la Bourse entre 1804 et 1810, suivie de celle des halles marchandes faisant office d’entrepôt douanier et de salle d’exposition en 1826, puis du bâtiment de la Douane entre 1829 et 1832. Celui-ci donne sur la Malaya Neva (« petite Neva »), un affluent du fleuve Neva, et a été construit dans le style néo-classique (ou « néo-palladien ») (1) alors en vogue en Russie sous la direction de l’architecte italien Ivan Frantsevitch Luchini (1784-1853). Trois statues de divinités romaines ornent le fronton de la Douane : Neptune, dieu des eaux vives, Mercure, dieu du commerce, et Cérès, déesse de la fertilité.

 

 

(Source : Privet Piter  – hellopiter.ru)

 

Représentation du contrôle douanier à l’intérieur du bâtiment de la Douane sur l’île Vassilievski

(Source : Staraya Biblioteka – oldtime.net.ua)

Ci-dessous, deux cartes postales de la maison de champagne rémoise Doyen & Co, 1904-1914. Les tonneaux de champagne étaient transportées du bâtiment de la Douane à la Bourse voisine, sur l’île Vassilievski (Source : pastvu.com).

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Ce bâtiment fut progressivement désaffecté à partir du déménagement des services administratifs de la douane portuaire à partir de 1903. En 1927, l’ancien bâtiment de la Douane sur l’île Vassilievski fut transféré à l’Institut de littérature russe de l’Académie des sciences d’URSS, connu sous le nom de Maison Pouchkine. Bien que le poète Alexandre Pouchkine (1799-1837) n’y ait jamais vécu, la Maison Pouchkine accueille aujourd’hui quelques uns de ses manuscrits ainsi que des livres de sa bibliothèque personnelle.

 

Vue de la Maison Pouchkine (ancien bâtiment de la Douane),

au premier plan, avec le fleuve Neva et la forteresse Pierre-et-Paul à l’arrière-plan (Source : Pinterest)

 

Au cours du XIXe siècle, la douane de Saint-Pétersbourg est devenue l’une des plus importantes de Russie, accueillant jusqu’à 40 % du commerce extérieur de l’Empire. En 1873, le ministère des Finances de l’Empire russe créa la flottille douanière, chargée de lutter contre la contrebande en mer Baltique sous le commandement de l’amiral Pavel SHKOT. En 1893, la flottille douanière fut rattachée au Corps séparé des gardes-frontières, jusqu’à sa dissolution en 1897.

 

Carl LINDSTRÖM, Les navires douaniers Strazh et Chasovoy, 1883

(Source : magasin d’antiquaire Tertsiya – Saint-Pétersbourg)

 

En 1903, alors que commençaient les travaux de construction d’un nouveau port au Sud de la ville qui était alors en pleine expansion, les services administratifs de la douane impériale furent transféré dans le bâtiment n° 5 du canal Mezhevoy, sur l’île Gutuyevski. Le bâtiment de briques fut construit par les ingénieurs civils Kurdyumov et Luchinski en rupture avec l’architecture du quartier, où se trouvaient jusqu’alors des constructions en bois.

 

 

Bâtiment de la douane portuaire sur le canal Mezhevoy (Photo : Ekaterina Borisova)

 

 

Des navires mouillent au port commercial de Saint-Pétersbourg, années 1890 (Source : PortNews  – portnews.ru)

 

La douane portuaire de Saint-Pétersbourg demeura dans le bâtiment du canal Mezhevoy jusqu’en 1996, changeant plusieurs fois de nom au gré de l’histoire de la Russie et de l’Union soviétique. Ainsi, elle fut nommée « douane portuaire de Petrograd » de 1914 à 1933, puis « douane de Leningrad » jusqu’en 1991, avant de retrouver son nom de « douane de Saint-Pétersbourg » par un décret du Comité des douanes d’URSS du 11 octobre 1991. En 1992, la douane de Saint-Pétersbourg se scinda en deux et vit naître une nouvelle branche, la douane de la Baltique, spécialisée dans le contrôle des flux maritimes dans les ports de la région de Leningrad, qui garda son nom soviétique. Suite à cette réorganisation, les services administratifs de la douane de Saint-Pétersbourg furent rapatriés sur l’île Vassilievski, dans l’ancienne maison de maître de la famille des princes Vadbolski, lointains descendants de la dynastie des Riourikides, qui dirigea la Rus de Kiev puis la Moscovie de 862 à 1598. Ces nouveaux locaux accueillent également la Direction interrégionale des douanes du Nord-Ouest (SZTU), qui supervise les activités de la direction opérationnelle du Nord-Ouest, d’un nouveau centre régional de déclarations électroniques ainsi que de huit directions régionales, dont celles de Saint-Pétersbourg et de la Baltique.

 

 

Bâtiment de la douane de Saint-Pétersbourg sur l’île Vassilievski.

(Source : Direction interrégionale de Nord Ouest (SZTU), Service fédéral des douanes de Russie)

 

 

Rémi Constant

 

 


(1) Les historiens de l’art russe emploient le terme d’architecture « classique », le mouvement néo-classique renvoyant en Russie au tournant du XXe siècle.

 

 

 

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