Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

La déclaration en douane, du papier à l’immatériel et au jeu de données (1ère partie)

Mis en ligne le 1 mars 2024

 

Tribune libre


Je viens ici vous présenter chronologiquement dans cet article l’évolution de 1957 à 2024, durant 66 années donc, du système déclaratif douanier à l’importation et à l’exportation de marchandises, en France, appliqué dans un contexte de politique intérieure, de politique et de géopolitique européenne et mondiale, marqué par des événements sortant pour certains d’entre eux de l’ordinaire.


Cet article devrait intéresser les services des douanes impliqués dans les opérations de dédouanement ainsi que les déclarants en douane, les importateurs et exportateurs, les transporteurs, les accompagnants de ces entreprises, les enseignants et étudiants.

Et de la même façon, celles et ceux qui manifestent quelque intérêt envers l’histoire économique et le commerce international.

 

Jean Sliwa

 


… de 1950 à 1992…

 

Le système déclaratif, dont l’histoire débute après la seconde guerre mondiale tel que présenté dans cet article, se compose principalement des dispositions et obligations portant sur les points suivants :

  • – la conduite et la présentation des moyens de transport et des marchandises en douane ;
  • – le dépôt de déclarations en détail qui sont bien plus qu’un simple document, en ce qu’elles impliquent et révèlent, directement et indirectement ;
  • – les modalités d’exercice des fonctions des agents des douanes des services de visite, de recevabilité, d’enregistrement et de contrôle et des métiers de déclarant ;
  • – les procédures et contrôles.

 

 

A ce moment de l’histoire, l’obligation déclarative qui constitue le fil conducteur de cet article consiste pour les opérateurs dans l’établissement des déclarations en détail d’après la facture, les manifestes, les CMR, les listes de colisage, etc., au moyen d’une machine à écrire sur des formulaires papier type en plusieurs exemplaires de couleurs différentes identifiés par des sigles dédiés (IM et EX, D1, D3, D53, D56, …) distinguant l’import de l’export, les destinataires, les régimes douaniers, de sorte qu’on ne pouvait les confondre.

 

Puis dans le dépôt dans les délais prescrits de ces déclarations – et la présentation des documents – par les déclarants en douane aux guichets des bureaux situés en frontière maritime et terrestre, où elles sont enregistrées après avoir fait l’objet d’un contrôle de recevabilité, de forme, de présence des documents exigés, du montant des crédits d’enlèvement. 

 

 

En fonction des enjeux, des risques divers et multiples, certaines des marchandises déclarées pouvaient ensuite être soumises à une vérification physique, à des prélèvements d’échantillons pour une analyse par le laboratoire des douanes (1) (2), lors d’une « visite » réalisée par l’inspecteur ou par le contrôleur de « visite», accompagné d’un agent visiteur. En cas de conformité, avec ou sans contrôle, le bon à enlever (BAE) était par la suite délivré et la déclaration sommaire déposée préalablement, apurée.

 

 

Ceci en suivant donc dès la présentation des marchandises au bureau du douane un cheminement logique et traçable caractérisé par un contact quasi permanent avec le papier, les déclarations et entre les agents du bureau et les déclarants, et, selon le cas avec les conducteurs des moyens de transport, les manutentionnaires, les gestionnaires d’entrepôt, de magasin en douane, etc.

 

 

La gestion et le suivi des paiements à terme des droits de douane, des opérations comptables, des cautionnements, des imputations des crédits, du suivi des entrées et sorties des marchandises placées sous un régime économique, etc., étaient assurés de même manuellement, au moyen de registres, de répertoires, de fiches cartonnées, etc., tenus dans les bureaux de douane et chez les déclarants, qui, sur l’essentiel, concordaient.

 

Tandis que les éléments statistiques étaient saisis quotidiennement à partir de l’exemplaire ad hoc par les services régionaux compétents, aujourd’hui le centre interrégional de saisie des données, géré par la Direction nationale des statistiques du commerce extérieur (DNSCE) créée dans sa forme actuelle en 1982, autrefois le Service National des Statistiques du Commerce Extérieur (3).

 

 

Ces déclarations mentionnaient déjà à cette fin ce qu’elles mentionnent aujourd’hui, à savoir les éléments relatifs aux opérateurs, aux marchandises, aux moyens de transport, aux moyens de paiement, aux liquidations des droits de douane et de la TVA, aux mesures applicables,… .

 

Les contrôles de ces déclarations sélectionnées via la réalisation spontanée ou programmée d’analyses de risques qui avaient déjà cours, prévues de nos jours au Code des douanes de l’Union (CDU), étaient effectuées manuellement, comme indiqué ci-dessus au bureau et après dédouanement. Ce qui nécessitait pour les déclarants que leur rédaction soit conforme, dans tous leurs éléments, sachant que nul n’était à l’abri d’une erreur, d’une anomalie, application inexacte de la réglementation.

 

Lesquels déclarants – comme les services de visite – ne disposaient pour ce faire que des réglementations, des bulletins officiels des douanes papier, d’un tarif papier puis microfiché et de leur savoir-faire qui s’acquerrait principalement sur le tas, à l’ancienne, en bénéficiant au sein des agences en douane (4) de l’ascenseur social.

 

 

En 1957, point de départ de l’histoire de la CEE qui régit l’organisation et le fonctionnement du système déclaratif en France et dans les états membres : la signature le 25 mars (5) à Rome du Traité (dit souvent de Rome) instituant cette Communauté Economique Européenne (CEE) par les six membres fondateurs, l’Allemagne, la Belgique, la France, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas, qui fut un événement d’une grande ampleur sur les plans économiques (le Marché commun), du commerce international et pour les formalités d’import-export.

 

Une histoire qui débuta en fait bien avant, à savoir en 1947, par un autre événement d’un grand intérêt : la signature de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, le GATT (6) , le 30 octobre par 23 pays dont la Chine, l’Inde, les Etats-Unis et les autres pays fondateurs de la CEE, qui comprenait déjà nombre de dispositions que l’on retrouve dans le Traité précité et dans les textes qui suivirent, jusqu’à ce jour.

 

 

Tandis que le 4 novembre 1952 entraient en vigueur des dispositions prévues par une organisation qui est chère aux agents des douanes à savoir la Convention instituant un Conseil de coopération douanière (CCD), aujourd’hui connue sous la dénomination d’Organisation mondiale des douanes (OMD). Cette convention institue notamment un Comité de la nomenclature, conformément aux dispositions de la Convention sur la Nomenclature pour la Classification des marchandises dans les Tarifs douaniers (signée à Bruxelles le 15 décembre 1950), ainsi qu’un Comité de la valeur (https://www.wcoomd.org/).

 

 

Deux ans plus tard, en 1954 (7) , la taxe à la valeur ajoutée (TVA) vint se substituer en France aux nombreuses taxes fiscales d’alors et simplifier le système des taxes indirectes, pour être ensuite adoptée en 1967 par la Commission européenne, avant de l’être dans de nombreux pays en raison de sa commodité et facilité de mise en œuvre, ce qui n’est point toujours présenté comme étant notre point fort. Une TVA qui occupa longtemps une place non négligeable dans ce système déclaratif douanier.

 

 

S’ensuivit la mise en œuvre progressive des mesures que prévoyait le Traité de Rome, sans modifier, immédiatement en tout cas, dans ses principes, le déroulement des formalités douanières précitées.

 

 

L’une de de ces premières mesures, d’une grande portée, qui constitue souvent l’une des mesures phares des accords de libre-échange, fut de réduire dès 1958 progressivement les droits en douane, et de supprimer les restrictions quantitatives, les mesures d’effet équivalentes, dans les échanges intracommunautaires. L’élimination de ces droits dans leur totalité intervint après une période de transition, en 1968.

 

 

Symbole fort de la construction du marché commun, elle s’est traduite par des pertes de ressources pour le budget de la CEE et pour les déclarants à leur avantage par une suppression d’enjeux, donc de risques, dans l’établissement des déclarations. Sachant que les mesures sécuritaires, sanitaires, etc., intra étaient encore appliquées, comme elles le sont toujours, pour certaines.

 

 

Une autre de ces mesures majeures consista pour la CEE à apporter dès 1962 son soutien aux agriculteurs, aux producteurs de produits agricoles, à ses consommateurs, via la mise en place de la politique agricole commune (PAC), d’une réglementation prévoyant à l’exportation l’octroi de subventions (8) (restitutions) calculées sur des critères spécifiques (par exemple au quintal, à la tonne, pour les céréales) tenant compte des différences de prix européens et mondiaux (moins élevés). Les restitutions étaient réglées aux exportateurs au regard des éléments mentionnés dans les déclarations. Tandis qu’à l’importation étaient appliqués et perçus des prélèvements agricoles et des éléments mobiles.

 

 

Un système contraignant d’examen des contrôles de régularité imposés et des suites données par les services des bureaux de douane importateurs et exportateurs et les services payeurs, l’administration et l’Etat concerné, veillait à ce que ces contrôles et les suites précitées soient correctement exercés, sous peine de sanctions aux états fautifs. La France étant le premier producteur agricole et bénéficiaire de la PAC et des restitutions, les exportateurs, les déclarants, les services des douanes français et l’Etat français étaient donc en retour des plus impliqués.

 

 

1968 vit aussi, sans relation directe de cause à effet, la création du système de transit communautaire (9) , ouvrant ainsi la voie :

  • – aux dédouanements dans les bureaux intérieurs, (10), érigés ensuite en centre régional de dédouanement (CRD) avec une compétence d’intervention territoriale ;
  • – à une présence douanière OPCO de proximité sur tout le territoire douanier, près des grands centres économiques;
  • – à la création et à l’extension de procédures domiciliées et simplifiées, moyennant la souscription de conventions entre la douane et l’entreprise bénéficiaire, précisant les modalités d’application ;
  • – à l’établissement et au dépôt dans ces CRD de déclarations simplifiées (DSI et DSE) et récapitulatives ou complémentaires, présentées sous forme de tableaux, autres qu’en « détail ».

 

 

Un système adapté permettant la décongestion des bureaux frontières, prévoyant la conduite des marchandises en suspension des droits et des mesures jusqu’à destination, puis l’accomplissement de formalités d’apurement au lieu d’arrivée des opérations de transit, manuellement et plus tard via une application informatisée. Ce système de transit communautaire fit un moment craindre – à tort, car il n’en fut rien – aux déclarants et aux services des douanes des fermetures de bureaux frontières auxquels ils étaient pour des raisons professionnelles et extra-professionnelles attachés.

 

 

D’autres de ces mesures mises en place par la CEE qui résultèrent d’événements imprévus eurent par contre pour conséquences de complexifier le système déclaratif et la rédaction des déclarations. Ce qui est toujours à craindre dans ces situations. Comme le relate un article paru sur le site https://www.cvce.eu/, ce fut le cas des «crises monétaires successives des années 1968-1969 qui mirent en péril l’unicité du marché agricole commun, ce qui se traduisit par la décision prise par les ministres de l’Agriculture des Six, le 10 août 1969, d’introduire le principe des montants compensatoires monétaires (MCM) dont le but est d’éviter qu’une modification subite de la parité d’une monnaie nationale n’altère aussitôt les prix agricoles ». Les MCM dits négatifs étaient perçus sur les exportations des pays à monnaie faible, dont la France (11).

 

 
« La douane fut aussi grandement impliquée durant ces années 1960 mais aussi 1970 et 1980 dans l’application des mesures restrictives prévues par des contrôles des changes mis en place (1969, 1982) suite à plusieurs dévaluations (1969, 1981, 1982, 1983, 1986, 1987), les déclarations en douane constituant l’un des supports des transferts financiers autorisés de et vers l’étranger. Comme elle l’est encore de nos jours en ce qui concerne les mouvements d’argent liquide. »

 

 

Ces dispositions, entre autres critères et motifs, témoignent de deux faits.

 

  • – Le premier, l’existence d’une instabilité due à différents facteurs, sans relation avec le système déclaratif douanier proprement dit, qui affecte momentanément ou durablement ce système;
  • – Le second que les déclarations, les échanges, les marchandises n’ont pas tous le même poids, ne comportent pas tous des difficultés, des enjeux et des risques, ou des enjeux et risques de même niveau.

 

Ce qui nécessite en toute hypothèse quelque expertise à la fois dans l’établissement des déclarations, ce qui fut le cas pour les déclarations PAC, et dans la capacité à savoir identifier ces difficultés, ces enjeux et les risques qui se présentent et à les traiter.

 

 

C’est à la même époque, plus précisément en 1967, qu’à l’initiative de la Douane, il a été envisagé à l’issue de premières études prospectives de recourir à l’informatique pour le traitement des déclarations en douane, tel qu’il est relaté entres autres dans un document d’un grand intérêt dont on ne peut que recommander la lecture, publié sur le site https://temis.documentation.developpement-durable.gouv.fr/. (12) Ce recours à l’informatique par la Douane ne doit rien au hasard sachant que, comme le rappelle un article publié sur le site https://histoire-de-la-douane.org/ (13), elle était déjà équipée et utilisatrice de machines mécanographiques, électroniques et d’ordinateurs, notamment pour l’établissement et la gestion des statistiques du commerce extérieur.

 

 

En 1974, «le centre de calcul de Cergy-Pontoise devenait opérationnel et en 1976, le dédouanement des aéroports d’Orly et de Roissy s’effectuait simultanément en procédures manuelles classiques et en procédures informatiques ».

 

 

Puis un autre cap important fut franchi avec l’extension du dédouanement informatisé aux autres modes de transport et lieux de dédouanement et amélioré, la déclaration préparée d’après un état de codage prenant une autre forme, celle d’un formulaire rempli à l’écran intégré dans un système comportant un circuit sélectif gestionnaire des obligations documentaires, des cautionnements, du suivi des crédits et des contrôles. Le tout en un, en quelque sorte.

 

Selon donc les principes existants du temps des déclarations papiers en apportant quelques modifications sur les conditions de travail (ex : à l’écran) et en laissant présager quelques changements plus profonds (ex : le télétravail). Cet état de codage outre son utilité première, qui reste d’actualité, avait aussi cet avantage de servir de support provisoire déclaratif, de plan B, en cas de panne (très rare) du système.

 

 

De SOFIA (Système d’Ordinateur pour le traitement du fret International Aérien), on en vint donc selon l’article précité alors au SOFI, un système géré par la Douane « associant cette administration et la FFCAT, Fédération Française des Commissionnaires et Auxiliaires de Transport, à laquelle se sont joints d’autres opérateurs du commerce international (SNCF, Entreprises) ». Un système qui connut différentes formulations et améliorations (Sofi 1, Sofi 2, Sofi 2 bis, Sofi 3) au fil des années.

 

 

Tandis qu’à l’initiative des Ports autonomes, des professionnels portuaires du Havre, de Rouen et de Marseille, étaient créés des systèmes d’exploitation des flux, comme le système ADEMAR (Accélération du DEdouanement de la MARchandise) un prolongement à quai du système douanier SOFl, et PROT1S (Procédures Informatisées Complémentaires au SOFI). Des systèmes opérationnels fonctionnant en relation avec le SOFI.

 

 

En 1987, le document administratif unique (DAU) remplace dans les douze pays membres d’alors de la CEE, les formulaires douaniers nationaux dans les pays membres de l’UE, ouvrant « la voie à l’adoption de procédures normalisées dans la zone européenne et au-delà ».

 

Et il est « instauré une nomenclature des marchandises, ci-après dénommée « nomenclature combinée » ou, en abrégé, « NC », qui remplit à la fois les exigences du tarif douanier commun et des statistiques du commerce extérieur de la Communauté », et établit le tarif intégré dénommé « Taric », par le règlement 2658/87 du Conseil du 23 juillet 1987 relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun.

 

 

Jean Sliwa

 

 


 

Notes :

 

1 https://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/documents/62544-laboratoires-des-douanes-fonction-documentaire-et-besoins-des-utilisateurs.pdf


2 https://histoire-de-la-douane.org/les-laboratoires-des-douanes-partie-1/


3 https://histoire-de-la-douane.org/inauguration-du-nouvel-ensemble-electronique-du-service-national-des-statistiques-du-commerce-exterieur/


4 les termes agences, commissionnaires, transitaires en douane désignaient alors ces professionnels agréés autorisés à déclarer pour autrui les marchandises importées et exportées, et de même les employeurs des déclarants, personnes physiques, chargés des dédouanements.


5 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:11957E/TXT


6 https://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/gatt47.pdf


7 https://francearchives.gouv.fr/fr/pages_histoire/39849


8 Article 40 du Traité


9 https://www.europarl.europa.eu/meetdocs/committees/cont/20031007_audition/488412fr.pdf


10 Le premier de ces bureaux fut celui de Grenoble en 1960, à titre expérimental (https://www.economie.gouv.fr/files/chemin_faisant.pdf)


11 https://www.cvce.eu/obj/les_montants_compensatoires_monetaires-fr-fa19b091-9ee4-45bf-b01d-a08d396e5265.html

 

12 https://temis.documentation.developpement-durable.gouv.fr/pj/5134/5134_1_2.pdf

 

13 https://histoire-de-la-douane.org/electronique-la-nouvelle-recrue-de-1961-1/

 


 

 Pour découvrir la seconde partie de cette étude, cliquez => ICI

 


 

 

MENU