Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

La correspondance douanière : une longue histoire …

Mis en ligne le 1 septembre 2023

 

 

Sont repris c-dessous des extraits de l’ouvrage de Jean Clinquart  » L’administration des douanes en France sous la Restauration et la Monarchie de Juillet (1815-1848) paru aux Editions  AHAD en 1981, notamment du chapitre II intitulé « La correspondance  » du Titre IV consacré aux « Ecrits administratifs« .

 

L’équipe de rédaction

 


 

1. L’Ecrit, mode de communication essentiel.

 

En des temps où la difficulté des déplacements raréfiait les contacts directs entre responsables des divers niveaux hiérarchiques (même s’ils étaient astreints à tenir des « Conférences » périodiques), il était normal que le message écrit, seul mode de télécommunication connu revêtît une importance primordiale dans la vie de l’administration. 

 

Pour employer le langage de l’époque, « l’émission des ordres », comme « les comptes à rendre de leurs résultats », reposaient à peu près exclusivement sur l’écriture. Déjà très développé au XVIIe siècle, en particulier depuis Colbert, le système de « correspondance journalière » entre Paris et les « centres d’administration dans les départements », ainsi qu’entre les autorités régionales et locales des différents services, n’a fait que se renforcer à partir de la Révolution.

 

Il s’est aussi formalisé. Cette observation vaut en particulier pour deux catégories très importantes d’écrits : les « états » et les « rapports », mais elle s’applique aussi à la correspondance courante. Cette dernière présentait déjà sous la Révolution et I’Empire nombre des caractéristiques de la correspondance administrative actuelle: l’utilisation de papier à en-tête ; l’indication, en titre, de l’identité de l’expéditeur et de celle du destinataire ; la mention marginale de la « division » et du « bureau » concernés, ainsi que de l’objet traité; l’enregistrement, etc. 

 

Ces usages n’ont fait que se systématiser par la suite, et l’on peut considérer que les caractères essentiels du « courrier » administratif, son rituel, se sont alors trouvés fixés de manière quasi définitive.

 

L’« état » auquel on substitue, le cas échéant, le « certificat négatif » est un support d’informations de plus en plus utilisé. Le XIXe siècle ne l’a certes pas inventé mais il en a singulièrement multiplié les applications. L’« état » occupe dans la nomenclature des impressions une place qui va croissant de 1816 à 1848 : on en compte plus d’une centaine de modèles officiels à la fin de cette période.

 

Le « rapport » tient lui aussi une place élargie. Mais surtout, les rites dont on l’entoure, qu’il s’agisse de la périodicité de sa rédaction ou de la forme qu’il doit impérativement revêtir, et plus encore l’importance réelle, présumée ou prétendue, qu’y attachent l’autorité à laquelle il est destiné et le fonctionnaire dont il émane, concourent à sacraliser cet acte de la vie administrative. Nous avons évoqué, à propos du service des brigades, les fameux « rapports de piste » ou « rapports de contrebande », périlleux exercices sur lesquels pâlissait toute la hiérarchie du service actif, mais le cas des « rapports de service » est au moins aussi exemplaire.

 

2. Les « rapports de service ».

 

L’origine de ces « rapports » se confond avec celle de la Régie. « Pour informer plus exactement (que par la seule correspondance journalière) I’administration centrale, il a été établi, dès le commencement de son institution, quà des époques fixes, à la fin de chaque mois, chaque chef de service lui remettrait un journal du travail commandé et exécuté par lui pendant cette période»: ainsi s’exprime Saint Cricq, en 1817, dans un texte consacré à ce sujet et réformant en partie les pratiques antérieures. Jusqu’alors les directeurs devaient transmettre à la direction générale, après les avoir annotés, les journaux de travail des contrôleurs de brigades (capitaines), sous-inspecteur et inspecteurs. La forme de ces journaux, à plusieurs reprises définie et modifiée, avait été fixée pour la dernière fois en 1815. Ce mode de comptes rendus périodiquement » parut à Saint Cricq « contraire à l’ordre hiérarchique des devoirs et de la responsabilité: « le directeur, déclara-t-il, centre de l’autorité dans sa direction, et dépendant de l’Administration seule, est responsable aussi, auprès d’elle, de tous les incidents. de tous les résultats du service qu’il dirige. II suit de là que, non seulement les directeurs doivent me rendre compte, mais qu’à la rigueur les comptes qu’ils me rendent pourraient me suffire puisqu’il leur a été rendu compte à eux-mêmes de tout ce qui s’est passé de relatif au service; qu’ils ont dû s’assurer de la vérité des rapports de leurs subordonnés beaucoup mieux que je ne puis le faire ; et qu’enfin, leur rang, et par suite, leur existence dans l’administration, me garantissent l’exactitude des notions qui me parviennent par eux ». Moyennant quoi, il fut décidé que désormais les directeurs auraient à adresser mensuellement au directeur général un rapport général ur les résultats et l’état du service dans leur direction ». La logique aurait voulu qu’on cessât simultanément d’envoyer à Paris les journaux de travail des contrôleurs de brigades, sous-inspecteurs et inspecteurs. S’il en fut ainsi pour les premiers de ces fonctionnaires, on en usa différemment à l’égard des autres: leurs journaux de travail, débaptisés et devenus des « rapports du travail fait personnellement par l’inspecteur N… dans sa résidence ou dans ses tournées, et de l’état de sa division durant les mois de M… , devinrent des annexes des rapports des chefs de circonscription. Ceux-ci reçurent de Saint Cricq des directives très précises, dont voici quelques extraits, sur la manière dont ils devraient eux-mêmes rendre compte. 

 

« La forme de ce rapport est indiquée par celle des rapports des inspecteurs, dont (le directeur) doit me présenter un résumé complet et raisonné, et rectifier au besoin les inexactitudes : ainsi, il sera divisé en quatre sections, distinguées comme il suit:

 

1° Observations sur le travail personnel des inspecteurs, sous-inspecteurs et contrôleurs de brigades;

2° Service des bureaux ;

3° Service des brigades;

4° Résultats et situation générale du service.

 

La première section indiquera successivement, pour chaque inspection, non-seulement le nombre et la durée des tournées faites dans le mois par les inspecteurs, les sous-inspecteurs et les contrôleurs de brigades, mais l’attention et le fruit avec lesquels chaque chef de service aura paru, d’après sa correspondance et ses rapports particuliers, s’occuper du but de ses tournées, c’est-à- dire, de la surveillance et des vérifications dont il est chargé; il en résultera pour moi la connaissance de ce qu’ils auront tous montré d’activité et de lumières, ou d’instruction, par conséquent une idée première du bien que leur présence sur les lignes aura pu produire.

 

L’état général du service des bureaux sera indiqué dans la seconde section, où vous passerez en revue les différentes branches de ce service, non par bureau, mais cumulativement par principalité, en ne citant les bureaux que pour faire connaitre les irrégularités qui auraient été reconnues dans quelques-uns.

 

Dans la troisième section, vous présenterez par inspection, et même par contrôle, selon l’importance des localités ou des circonstances accidentelles, la direction habituelle qui aura été donnée au travail des brigades ; les motifs qui auront déterminé des services extraordinaires; le genre de fraude propre à chaque inspection, et le plus ou moins de succès général avec lequel il aura été combattu.

 

Enfin, la quatrième section, destinée à faire apprécier les résultats du service, et la situation de son ensemble, contiendra I’indication du nombre des saisies. Les directeurs me feront connaitre avec toute l’exactitude possible le taux de l’assurance et ses variations…, (ainsi que) leur opinion sur l’état actuel du service dans toutes ses parties, sur l’activité ou le relâchement qu’ils y auront remarqué, sur les causés de l’un ou de l’autre, les améliorations possibles, les moyens de les opérer, etc. 

 

Cette section m’annoncera toujours le tableau scrupuleusement exact et complet, qui sera joint à votre rapport des préposés de tous grades, absents par congé, et de la durée de chacune de ces absences. Vous verrez, par ce qui suit suit, les raisons de l’importance que j’attache à avoir désormais à cet égard les notions les plus positives.

 

Une pensée générale doit au reste vous guider dans la rédaction de ce rapport mensuel; il est destiné à me donner la connaissance qu’il m’importe le plus d’avoir, et à laquelle j’attache le plus de prix, celle de la marche du service dont la direction vous est confiée, et de son état réel à la fin de chaque mois, Cette connaissance, vous l’avez habituellement: il s’agit de me la transmettre fidèlement, complètement, et vous ne devez, à cet effet, rien omettre d’intéressant, ni surcharger votre rapport de détails inutiles.

 

Je vous préviens que je lirai toujours vos rapports mensuels avec une attention toute particulière, et je n’ai pas besoin de vous dire que j’y répondrai avec soin. Mais, pour les utiliser complètement, il convient quils puissent servir de premier guide à MM. les inspecteurs généraux dans leurs tournées. Vous devrez ainsi en conserver des copies auxquelles vous réunirez, mois par mois, les doubles des rapports des inspecteurs et sous-inspecteurs et les journaux des contrôleurs de brigades et lieutenants d’ordre, avec mes réponses, afin de pouvoir communiquer ces documents à l’inspecteur général en tournée dans votre direction. Ils deviendront la base de ses vérifications par les rapprochements qu’ils le mettront à portée de faire sur les lieux, entre les rapports des chefs et les enregistrements de toute espèce, y compris ceux du service de chaque brigade, dont les registres de travail seront tenus et conservés désormais avec beaucoup de soin. »

 

Une circulaire du début de 1826 nous apprend que « I’extrait et l’analyse méthodiques de tous les rapports mensuels que directeur (étaient) inscrits, mois par mois, sur un registre spécial  qui, à la fin de l’année, (présentait) le tableau fidèle et complet du service des douanes ». « En examinant la collection de ces registres », Castelbajac aurait fait deux observations à son arrivée à la direction générale des douanes. La première avait trait à l’intérêt des rapports mensuels, documents de la plus haute utilité, soit pour le service dont ils amènent les directeurs à revoir tous les mois l’ensemble et les détails, soit pour I’Administration qui est ainsi constamment à portée de se rendre compte à elle-même, et de mettre au besoin sous les yeux du Gouvernement et des Chambres, le mérite et les résultats du travail de ses agents de tous grades sur tous les points du royaume ». 

 

La seconde observation portait sur la rédaction défectueuse des rapports de certains directeurs, « Parmi ceux auxquels s’adresse cette observation, les uns surchargent leurs rapports de détails minutieux et sans utilité comme sans intérêt pour l’Administration qui ne doit ni ne peut en connaitre: d’autres, procédant sans méthode à ce travail, tantôt s’écartent de l’ordre prescrit pour le classement des matières, tantôt présentent des faits sans explications, ou produisent des observations sans un exposé suffisant des faits ; tantôt s’abstiennent d’exposer leur opinion personnelle sur les faits isolés comme sur la direction ou l’exécution du service, et se bornent à transcrire sur tous ces points les indications données par les inspecteurs, comme si eux-mêmes devaient s’y tenir étrangers. Plusieurs enfin réservent, pour en faire articles dans leurs rapports mensuels, des faits et incidents de service que leur devoir était de porter sur le champ à (la) connaissance (du chef de l’administration) par lettres spéciales. »

 

Les constatations de cette nature appelaient, à l’évidence, des recommandations qu’on ne se fit pas faute d’exprimer : les rapports de service, fut-il rappelé, « doivent avoir toute la concisIon que comporte la clarté. L’ordre dans le classement des matières aide beaucoup à l’une et à l’autre: celles-ci sont nombreuses, mais chacune doit être traitée sommairement, en écartant tous les détails superflus ; chaque objet étant d’ailleurs présenté à sa place, on évitera les redites inutiles, et l’on obtiendra ainsi, avec un double profit, la brièveté » ; par ailleurs, ces rapports ne sont nullement destinés à tenir lieu de la correspondance habituelle et journalière que les directeurs doivent suivre avec l’Administration; « celle-ci embrasse habituellement les points importants, de quelque espèce qu’ils soient… tout ce qui (sort) des affaires courantes par sa nature ou sa gravité, ou toute affaire qui, formant question, veut être traitée avec quelque étendue ».

 

3. Les « bulletins de commerce ».

C’est pour ces motifs qu’en 1839 il fut décidé de distraire des rapports généraux de. service, « dans lesquels ils se trouvaient pour ainsi dire incidemment jetés », les éléments d’ordre économique. On souhaitait au surplus donner à ceux-ci une importance accrue, car « l’observation des phases commerciales, estimait Gréterin, est un devoir pour l’administration des douanes. Souvent elle peut devenir la source d’indications précieuses pour déterminer les mesures que réclamerait l’intérêt du service ; à un point de vue plus général, et eu égard au rang que les intérêts commerciaux occupent parmi les objets de la sollicitude du Gouvernement, elle peut fournir à l’Administration les moyens, de lui signaler l’opportunité de certaines mesures législative ». « Attentive depuis longtemps à s’éclairer à ce sujet », la direction générale des douanes voulut se donner les moyens d’apprécier avec plus d’exactitude les « causes qui, d’une période à l’autre, viennent affecter le mouvement commercial ». Elle demanda donc aux directeurs de produire, à côté de leurs rapports de service, des « rapports spéciaux, qui prendraient le titre de bulletins de commerce ». Il s’agirait de véritables rapports économiques, et on prescrivait à leurs rédacteurs de « puiser, en dehors de l’administration comme au dedans, à toutes les sources qu’ils jugeraient propres à faire jaillir quelque lumière sur les faits et sur leurs causes ». Leur objet étant « de signaler à l’Administration les diverses phases commerciales, d’attirer son attention sur les circonstances qui viennent étendre ou restreindre notre commerce avec l’étranger, et par suite ralentir ou accélérer le mouvement de nos industries », il convenait de « mettre en lumière les variations survenues d’une période à l’autre, tant dans la quotité des recouvrements effectués, que dans la quantité ou la valeur des produits importés ou exportés », mais aussi de formuler l’appréciation raisonnée des causes réelles ou probables » de ces variations. On appelait en outre l’attention des directions « qui ont dans leur ressort quelque centre important d’industrie, quelque branche particulière de commerce », sur la nécessité d’y consacrer des « articles spéciaux ». Sur un plan général, on comptait sur « la sagacité des chefs de service pour que les bulletins de commerce « embrassent l’ensemble des faits qu’il importe à l’Administration et au Gouvernement de connaître et d’apprécier ».

 

4. Les « registres de correspondance ».

 

Ces rapports de service et bulletins de commerce, l’Administration considérait que, « comme toute autre partie de la correspondance », ils étaient « la propriété des places et non celle des titulaires ». Aussi, convenait-il, lors des changements de titulaires, de les inclure dans les « archives » dont « l’état et la consistance» devaient alors faire l’objet d’un « procès-verbal de récolement, dressé contradictoirement par le « (fonctionnaire) sortant et son successeur ou l’intérimaire ».

 

Un usage fort ancien voulait que les lettres écrites par un chef de service fussent transcrites in extenso sur un registre. Cet « enregistrement » comportait l’attribution à chaque correspondance d’un numéro d’ordre pris dans une série ininterrompue et porté sur l’original : ainsi, les recherches éventuelles se trouvaient-elles facilitées. Bien sûr, on « gardait minute» de ces lettres dans des dossiers, dont « aucune règle fixe » ne déterminait toutefois le mode de classement ». Si le courrier au « départ » laissait de la sorte des traces certaines, il en allait différemment du courrier à l’arrivée : on n’en prenait pas note dans la majorité des services ; « de là beaucoup de difficultés dans les recherches, en cas de vérification, puisqu’il fallait se reporter successivement, et à des lettres classées isolément, et à des lettres disséminées dans un ou plusieurs registres ». 

 

L‘esprit méthodique de I’administration de Gréterin ne pouvait s’accommoder d’une telle approximation et, dans ce domaine, comme en tant d’autres, elle réglementa. A dater du 1er janvier 1841, il fut prescrit aux chefs de service, « jusques y compris les receveurs subordonnés, dans la partie sédentaire et les capitaines, dans la partie active », de tenir deux registres distincts pour l’enregistrement, l’un des lettres reçues, dit d’arrivée, l’autre des lettres expédiées, dit de départ ». Cet enregistrement se ferait par « extrait », c’est-à-dire qu’on supprimait, au départ, « la transcription intégrale des lettres », et qu’on se contenterait, dans tous les cas, d’« une inscription sommaire  » . La contexture de ces « registres de correspondance » était définie, et ils faisaient désormais partie des impressions dont on pourrait s’approvisionner chaque année auprès du service central. On formula simultanément des recommandations quant au classement des correspondances : « les dossiers enfermant les lettres et minutes (devraient être) classés et étiquetés avec l’ordre et la régularité convenables, afin quil puisse y être, au besoin, recouru facilement et promptement ». Si I’on s’interdisait d’imposer à cet égard « aucune règle précise », on n’en appelait pas moins l’attention sur l’intérêt « de classer les dossiers suivant la nature des affaires, et non de classer les lettres isolément, suivant le grade des correspondants, et encore, de distinguer ce qui contient des instructions générales ou locales de ce qui ne se rattache qu’à des faits spéciaux ».

 

5. Le style administratif.

 

Plusieurs des textes relatifs aux « rapports » que nous avons cités par extraits fournissent de précieuses indications sur la conception du style administratif sous la Restauration et la Monarchie de Juillet : la clarté et la concision en doivent être les qualités maîtresses.

 

Cet objectif, fut-il atteint ? Trouve-t-on dans les nombreux écrits qui sont parvenus jusqu’à nous la preuve que l’on sut effectivement éviter alors la confusion et la prolixité? La réponse n’est pas douteuse. Si l’on fait porter l’étude sur les seules circulaires émanant de la direction générale des douanes, on ne peut que se montrer admiratif : les rédacteurs de la première moitié du XIX° siècle se sont exprimés avec bonheur d’une manière à peu près constante: la structure de la phrase n’est peut-être pas toujours simple, ni sa tournure élégante, les directives données sont claires, les commentaires limpides et les situations présentées de manière non équivoque. Fréquemment, la lecture de certains passages de ces documents laisse l’impression d’une sorte de perfection, et les comparaisons auxquelles inévitablement on se livre ne tournent pas à l’avantage des écrits administratifs contemporains.

 

Y a- t-il eu, de 1815 à 1848, évolution du langage administratif ? Sans doute, mais le changement est assez peu perceptible. Le style administratif en reste, si l’on peut dire, à l’époque classique. Les « rédacteurs » de la première moitié du siècle ne sont apparemment pas plus influencés par le romantisme que leurs prédécesseurs de la seconde moitié du xvıur siècle ne l’avaient été par J.J. Rousseau. Il existe, à coup sûr, des modes qui prennent leur origine dans le contexte politique ; on note, par exemple, une tendance à l’emphase au moment des changements de régime : 1815 et 1830 sont des années emphatiques. La matière douanière n’est certes pas de celles qui se prêtent d’évidence à l’enflure verbale, mais les problèmes de gestion peuvent ệtre traités dans certaines circonstances sur un ton inhabituel. Les rédacteurs de la direction générale des douanes n’ont pas échappé à ces influences extérieures et il leur est arrivé d’adopter un style « de circonstance ». Cependant, cette sItuation est trop marginale pour qu’on s’y appesantisse.

 

En dehors de sa concision et de sa clarté, le style administratif de la première moitié du siècle brille encore par son extrême courtoisie: les reproches, même formellement articulés, sont presque toujours dénués d’agressivité ; les mises en garde s’expriment en des termes choisis pour ne pas heurter la sensibilité de ceux auxquels on s’adresse. II est vrai que la correspondance à laquelle s’applique cette analyse s’échange entre l’administration centrale et les directeurs régionaux : le principe hiérarchique s’affirme sans aucun doute à ce niveau comme aux plus modestes, mais on se trouve quand même entre gens de bonne compagnie, et il ne peut dès lors être question, sauf absolue nécessité, de ne pas montrer dans les relations professionnelles les mêmes égards que dans les relations privées.

 

Il existe quand même quelques signes avant-coureurs d’une nouvelle conception des choses. Ainsi, la circulaire administrative cesse-t-elle, dans les années 20, d’être une lettre que le directeur général adresse à chacun des directeurs de province et qui se clôt, très naturellement, par une formule de politesse.

 

Le chef de l’administration ne s’adresse plus en style direct à ses collaborateurs: «  Je vous prie, Monsieur, de vouloir bien donner des ordres, etc. » se substitue: « Les directeurs voudront bien donner des ordres, etc. ». Le ton n’est donc plus tout à tait le même, et ce simple détail nous a paru symboliser une forme de dépersonnalisation du style administratif qui pourrait être la marque d’une gestion plus technocratique des affaires.

 

Jean Clinquart

 


Notes:

 


 

 

L’administration des douanes en France

sous la Restauration et la Monarchie de Juillet (1815-1848)

 

Ed. AHAD

 

1981

 


 

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