Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Fermes du Roy et douanes sur les bords de la seine

Mis en ligne le 1 mars 2022

 

A l’aval de Rouen des années Colbert à l’Empire

 

« Pour prévenir la contrebande qui se fait par les bâtiments qui naviguent sur la rivière. » (Jumièges, 1782)

 

La Seine, parcourue dans notre région par les marées, est considérée à l’égal de la mer. Les rives de la Seine sont donc surveillées de la même façon : les gardes maritimes et, ce qui nous intéresse ici, les fermes du roi puis les douaniers au début de leur histoire.

 

Depuis Colbert, les principaux impôts indirects sont affermés : droits sur le sel – la trop fameuse gabelle, droits de douanes ou traites (entrée ou sortie des marchandises dans le royaume), les aides (droits sur les transports, essentiellement les boissons), autres droits sur le tabac, sont loués, affermés, d’où le nom de Ferme, à de grands personnages1 qui s’engagent à en percevoir le montant et à le restituer à l’Etat, se faisant au passage d’énormes bénéfices.

 

La Ferme générale se doit d’avoir sur les limites et frontières, terrestres ou côtières, un nombreux personnel chargé de percevoir ces droits ou de vérifier s’il n’y a pas fraude. En 1774, la Ferme emploie près de 24 000 personnes dans toute la France.

 

Gabelle et grenier à sel

 

Nous sommes ici dans les régions de grande gabelle, centrées sur Paris, où le sel est le plus taxé et donc le plus cher. En 1698, le prix de revient d’un minot de sel est de 10 livres et il est revendu 37 livres dans les greniers à sel. Notre zone est partagée entre les greniers de Caudebec2 et de Rouen, entre les deux se situe le grenier moins important de la Bouille.

 

A Caudebec, le grenier se trouve en plein centre ville, on pouvait encore le voir place d’Armes avant les bombardements de la Deuxième guerre mondiale.

 

A Rouen, le dépôt se fait dans les caves troglodytes du couvent Sainte-Barbe, à Croisset, qui les loue 400 livres par an et reçoit de plus 50 kg de franc salé. Le sel vient des côtes de l’Atlantique par bateau : ainsi le 27 mai 1690, « procès verbal de descente, mesurage et emplacement de trois cargaisons de sel pour le fournissement du grenier à sel de Caudebec par le heu le S.Jean, la barque S.Louis et le S.Pierre venant de Brouage ».

 

On le laisse sécher pendant 2 ans avant de pouvoir l’écouler. Le droit de gabelle oblige à se procurer par an un minot de sel pour 14 personnes de plus de 8 ans. Les greniers de Caudebec et de Rouen sont greniers de vente volontaire, ce qui signifie qu’on peut venir y chercher à tout moment le sel auquel on est taxé, un registre en faisant preuve.

 

La gabelle n’est donc pas normalement ici un impôt de répartition comme la taille. Cela n’empêche pas la tenue de registres par paroisses : le 26 mai 1769, le collecteur de Quevillon recense par feu le nombre de personnes de plus de 8 ans. Un grenier à sel ne débitant à la fois qu’une quantité supérieure à un quart de minot, il est possible de se procurer du sel au détail, au minimum une livre et demie, auprès d’un regrattier.

 

Le 21 juillet 1772, Pierre Guébert, accusé de détenir du faux sel dit l’avoir « levé en la revente de Jumièges » le dimanche précédent. La veuve Dupré, marchande regrattière à Bolbec, s’approvisionne à Caudebec.

 

Sur les deux années 1789 et 17903, l’abbaye de Jumièges, à laquelle le roi avait en 1645 refusé le droit de franc-salé, se procure du sel par 14 fois, généralement par demi-minot. Le lieu d’achat n’est mentionné que le 28 novembre 1790, encore un dimanche, et il s’agit de Duclair.

 

L’organisation : brigades et bureaux des fermes duroy

 

Chaque paroisse possède sa brigade des fermes du roi (la norme théorique est d’un poste pour une lieue [4 km], et on s’en approche). Elle est le plus souvent composée de 8 hommes : 6 subordonnés appelés gardes, employés ou commis, un sous-brigadier et un brigadier qui appartiennent au corps des sous-officiers.

 

Plusieurs brigades dépendent d’un lieutenant qui est lui un officier.

Le brigadier et le sous-brigadier, qui sont censés savoir écrire, font office de buraliste, de secrétaire. Ils transmettent leur écrits selon la hiérarchie à un bureau subordonné : Duclair, Caudebec, qui dépend d’un bureau principal : le Havre ou Rouen.

 

Les employés ne portent pas d’uniforme – cela officiellement pour passer plus facilement inaperçu – mais seulement une bandoulière bleue aux armes du roi, les fleurs de lys. Ils sont armés d’un sabre et d’un mousqueton. Cela leur donne parfois autorité pour suppléer la maréchaussée : le mardi 9 février, c’est Jacques Buot, huissier au grenier à sel de Rouen résidant à Boscherville qui vient à Jumièges arrêter les enfants Porguéroult accusés d’homicide

 

On a pour cette époque peu de renseignements sur la situation exacte des postes de douanes. Il est très souvent question à Heurteauville du poste de la chapelle du Bout du vent, mais on on trouve aussi mention du bureau du port de Jumièges (23 mai 1749, 2 avril 1772) et même du passage de Jumièges (12 août 1764). Comme la paroisse est disposée sur les 2 rives du fleuve, on ne sait plus là si on se situe à Heurteauville ou Jumièges même. Il y a mention en 1757 et 1760 de la brigade du port Saint-Georges (Boscherville), en 1783 de la brigade de Saint-Paul à Duclair. Le poste de Bardouville se trouve au hameau de Beaulieu (1778). Un poste se situe au Mesnil-sous-Lillebonne, un autre à la Vacquerie sur Vatteville-la-Rue, un autre à la Ronce sur Caumont…

 

Peu de détails aussi sur le logement de ces « fonctionnaires ». Dans la plupart des cas, il n’y a pas de casernement, ce qui viendra peut-être plus tard. Les employés ont donc leur propre habitation et, même s’ils ne doivent pas être trop éloignés de leur brigade, n’habitent pas forcément la paroisse de leur fonction. Jean Baptiste Duval habite Duclair et appartient à la brigade de la Fontaine (1768). Mais les cadres semblent avoir eu leur logement de fonction. En 1782, le nommé Béné est « condamné à vuider sous huitaine » la maison de Pierre Quesne, dont il est gardien, pour le logement d’un employé sur la rive droite de Jumièges.

 

Le travail des brigades

 

 

« Il était si discret et si charmant ce chemin de douane. »

Armand Salacrou, Yville-sur-Seine le plus beau pays du Monde, 1925

 « …la facilité de leurs fonctions qui ne consistent qu’à se promener …»

 

Encyclopédie Méthodique, fin XVIIIème siècle

 

 

La journée d’un douanier se divise en deux moitiés : 12 heures de repos et 12 heures de service, en alternance. Le service nocturne consiste en patrouilles organisant au besoin des embuscades. Au petit jour, la nouvelle équipe parcourt son territoire pour opérer sa jonction avec la brigade voisine en observant s’il n’y aurait pas de traces laissant présumer des activités suspectes, cette opération est appelée rabat.

 

Gardons à l’esprit que la Seine n’est alors pas endiguée et que même là où il doit normalement en exister, les chemins de halages sont dans un état déplorable : la progression d’une escouade au long de la Seine est forcément pénible. Le service de jour peut aussi consister en une observation à poste fixe, généralement près d’une guérite ou d’une cabane permettant au factionnaire d’éventuellement s’abriter du mauvais temps. Cet abri peut aussi se trouver auprès d’un riverain compatissant.

 

Les brigades dites ambulantes, moins nombreuses, ont un plus large rayon d’action. Celle de Bolbec intervient le 3 mars 1767 à Heurteauville, celle de Duclair à Quevillon le 7 juin 1769. Même si aucun document ne le prouve, il semble logique que les employés de ces brigades aient disposé de chevaux.

 

La grande préoccupation des fermes du roy semble être la recherche de faux sel, non passé par un grenier à sel et donc non soumis à la taxe. Les employé ont pour cela droit de procéder à des visites domiciliaires, en forçant la porte s’il le faut. Le 16 décembre 1768, des employés se rendent chez Pierre Simon, batelier de Notre-Dame de Varengeville, et cherchent là ils savaient trouver : « un petit cabinet tenant à la cheminée de la cuisine », le sel devant être tenu au sec, pas besoin d’être très malin, dans lequel se trouvent « un petit pot de terre » contenant 3 carterons de faux sel.

 

Chez Robert Davergne, capitaine d’une barguette au même lieu, ils découvrent enfoui dans le jardin un pot de grès couvert d’une nappe « dans lequel pot il y avoit viron 2 livres de pareil faux sel » : il y avait bien ici dissimulation et conscience d’être dans l’illégalité. Le 1er juillet 1787, Jacques Lainé, pêcheur de Quevillon âgé de 60 ans, meurt « subitement en présence des messieurs de la brigade des gabelle pour la paroisse de Saint-Pierre-de-Manneville » : de frayeur ? Il leur est également permis de monter à bord des bateaux naviguant sur la Seine.

 

Le 11 juillet 1767, la brigade de Duclair trouve 15 livres de sel dans la chambre du navire de Michel Benouly, capitaine de Honfleur. Tout contrevenant est a priori condamné à 200 livres5 d’amende et convoqué à comparaître devant le tribunal du grenier à sel. L’intendant de Rouen signale en avril 1707 « une bande de faux-sauniers montés et armés qui vient faire le commerce du sel et du tabac jusqu’aux portes de Rouen » mais nous ne sommes pas ici à la limite de régions de petite et de grande gabelle et les employés n’ont à priori pas à craindre un faux-saunage de grande ampleur et violent comme dans l’ouest de la France.

 

Pour ce qui est des véritables droits de douanes, sur les marchandises entrant ou sortant du royaume, dans un navire ou une allège6, nos employés peuvent bien sûr se présenter à bord pour vérifier si tout est en règle. Un capitaine entrant en Seine remplit les formalités (plombage des écoutilles après vérification des marchandises et des acquits) au Havre, à Quillebeuf – le service de ce port est ainsi souvent appelé la Romaine, du nom de la balance pouvant perser les marchandises -ou en dernier ressort à Vieux-Port.

 

Et un navire avalant se dédouane à Rouen. Quant aux petits bâtiments faisant le cabotage d’un port français à un autre port français, ils n’ont pas de droits à acquitter. L’intendant de Rouen Richebourg se plaint en 1710 de « la contrebande qui se fait en Seine » : impossible d’un déterminer l’ampleur7.

 

Vieux Port, la Fontaine et Villequier disposent d’une patache, la bisquine de la Mailleraye est le 7 août 1787 est mouillée à Jumièges, ses employés sont venus la rechercher en canot. Une embarcation est bien sûr nécessaire pour la visite des navires mais sert aussi simplement aux douaniers comme moyen de transport pour joindre les autres brigades des bords du fleuve. Ces embarcation sont gouvernées par des matelots ou des garde-matelots.

 

En 1746, Pierre Pécot succède à Pierre Egret comme garde-matelot à Jumièges, on trouve Nicolas Vincent à Duclair (1764), Pierre Dorieux à Notre-Dame de Varengeville (1768), Jacques Lecoq à Villequier (1774), Toussaint Longuemare au Trait (1786), Pierre Bidault à Vieux-Port (1788). Ces marins ne font jamais de « manœuvres hautes », n’ont jamais à monter dans les mâts, et ne sont donc pas astreints à l’inscription maritime. Dans les paroisses qui y sont soumises, les employés fournissent des hommes à la milice garde-côtes : 7 dont le brigadier et le sous-brigadier à Vieux-Port en 1759.

 

Saint-Martin de Boscherville appartient à la banlieue de Rouen, dans laquelle les impôts sont plus nombreux : les aides s’appliquent à toutes les transactions. Pour vendre des harengs ou de la viande, pour mener des pommes ou poires au pressoir, transporter des boissons comme cidre, poiré ou eau-de-vie, il faut se rendre au bureau de Canteleu pour prendre un congé et payer en fonction des quantités. En plus de l’amende, qui peut aller jusqu’à 500 livres – somme énorme -, le risque de ne pas être en règle est de « [voir] saisis ses chevaux et sa voiture » (cahier de Notre-Dame de Varengeville).

 

Le tabac est monopole d’Etat. En 1704, les commis de Caudebec inspectant le couvent des capucins aperçoivent 300 plants de tabac dans un jardin clos de haies et fermé. Il requièrent un juge pour en obtenir la clé et sont alors accueillis par « des injures et menaces de coups de bâton » Les moine sonnent le tocsin pour ameuter la « populace qui aurait avalé les commis s’ils ne s’étaient prudemment retirés » et le juge préfère abandonner : « le tabac y est encore planté »8.

 

La longeant ou y naviguant tous les jours, les employés sont familiers de la Seine. Ils ont ainsi la palme parmi les découvreurs de cadavres de noyés échoués sur le rivage. Ils sont aussi fréquemment la victime de la noyade. Jean Baptiste Brigault se noie en service puisqu’il porte sa « bandoulière de tissu bleu aux armes du roy » quand on découvre son corps à Jumièges le 24 février 1782. Le 27 octobre 1783, Louis Quibel tombe à l’eau au port Saint-Georges en attachant le gouvernail de la patache appartenant au poste de la Fontaine, son corps est retrouvé le 13 novembre. Ils entrainent aussi leur famille au long du fleuve. La femme de Guillaume Féron, employé dans les fermes du roy demeurant à Jumièges hameau de Heurteauville, se noie au niveau de Guerbaville9 en conduisant un bateau fruitier (1770). Les 2 enfants de Jacques de Conihout se noient sans doute le même jour : sa fille cécile est retrouvée et inhumée à Guerbaville le 4 juillet 1774, son fils Jean Baptiste retrouvé et inhumé à Caudebec le 6 du même mois ; les circonstances en sont hélas inconnues.

 

Les hommes

 

Pour pouvoir postuler comme employé dans les brigades, il faut être âgé de 20 ans, être de religion catholique – on se demande à Caudebec en 1708 si l’on doit accepter comme vérificateur au grenier à sel quelqu’un se disant « de la religion catholique et apostolique mais non romaine » et le problème n’est résolu qu’au niveau du Contrôle général des finances – et normalement savoir lire et écrire.

 

Quelles sont les raisons qui peuvent amener un homme à s’engager comme employé dans les fermes du roi. La paie ? Jean-Claude Bloy donne le chiffre de 300 livres par an en 1786. Il estime que c’est peu par rapport au prix général des denrées mais assez élevé pour inciter un ouvrier ou un journalier à s’engager.

Devenir employé peut donc être une promotion, tout comme pour une femme épouser un douanier. Le salaire est assuré. Un employé peut toujours espérer monter en grade, devenir sous-brigadier puis pourquoi pas brigadier ; les cas semblant cependant rares sans qu’il y ait mutation. Les employés de la ferme sont exonérés des principaux impôts (taille et bien sûr gabelle). Enfin, la ferme est la première administration, dès 1768, à avoir mis en place un système de retraite : celle-ci peut-être prise à mi-traitement après vingt ans de service.

 

Les relations de nos employés, que l’on peut entrevoir avec les mariages, les parrainages et les témoins aux inhumations, vont du petit peuple (journalier, batelier, chamoisier) aux artisans et métiers des classes moyennes (cordonnier, tapissier, marchand…). Elles les apparentent plutôt aux classes populaires.

On peut se faire employé dans sa paroisse de naissance. Pierre Pécot, né à Jumièges en 1718, y devient garde-matelot en 1746 et y reste toute sa vie. On peut se rendre dans un paroisse voisine : Jacques de Conihout, né à Jumièges en 1737, se fait matelot à Villequier où il reste jusqu’à sa mort.

 

Ces deux exemples prouvent qu’un employé peut passer toute sa carrière dans la même brigade. Mais il peut y avoir mutation. Gilbert Fromager a méticuleusement étudié les registres paroissiaux d’Anneville et d’Ambourville : les généalogies qu’il a pu reconstituer pour les familles de douaniers sont toujours beaucoup plus courtes que celles des gens de la terre : c’est qu’il y a eu arrivée récente et départ rapide. Une durée de 3 ans a-t-elle un sens ? Un employé est resté 3 ans à Petiville avant d’arriver à Duclair en 1750. En 1797, Jean Louis Benoist est à Jumièges depuis 3 ans et il avait avant cela passé 3 ans à Ambourville.

 

C’est ainsi que d’assez nombreux employés ne travaillent pas dans la paroisse où ils sont nés, et c’est le métier dont c’est le plus souvent le cas. Le plus fréquemment, ils viennent d’une paroisse de la région, et riveraine de la Seine : Adrien Levasseur, de Boscherville, travaille à Jumièges (1780), Jacques Pigache, d’Hénouville, à Anneville (1784)… Mais parfois de plus loin : François Bluet (Jumièges, 1764) est de Ferrières-en-Bray, Pierre Benoît (Yainville, 1774) de Montreuil, généralité d’Alençon, Louis Benoist (Jumièges, 1787) de la Neuville Dubosc, diocèse d’Evreux.

L’intégration semble parfois bien s’opérer. Un employé venu de Saint-Pierre d’Azif, élection de Pont-l’Evêque, et à Heurteauville depuis 3 ans, épouse une fille du Trait. On peut penser que les employés limitent l’endogamie sur les rives de la Seine.

 

Les employés et leurs supérieurs travaillent ensemble, se fréquentent chaque jour, partagent les mêmes dangers, un célibataire récemment muté peut se sentir isolé : il est normal qu’il existe un certain esprit de corps visible dans certains actes.

Le 14 avril, 1771, Jean Baptiste Bougon est assassiné dans une auberge du Mesnil-sous-Lillebonne : ses confrères Jacques Adrien Leroy, Pierre Benjamin Tesnières et François Lericques sont présents à son inhumation10. Baptême au Mesnil-sous-Jumièges le 21 avril 1771, le père est Jean Baptiste le François, employé dans les fermes du roi, le parrain Jean Baptiste Duval, capitaine dans les fermes du roi, la marraine la femme de Charles Lepage, lieutenant dans les fermes du roi.

 

La fin de l’Ancien Régime

 

Les cahiers de doléances de nos paroisses, tout comme ceux du reste de la France, sont unanimes à condamner la gabelle, « impôts désastreux, fardeau insupportable » (Notre-Dame de Varengeville), même celui d’Ambourville qui ne comporte pourtant qu’un article. Les aides sont également dénoncées. La haine des employés et des commis, des « visites et tracasseries qu’[ils] font chaque jour » (Saint-Martin de Boscherville), peut enfin éclater : ce sont « autant de sangsues qui se nourrisssent des sueurs et du sang des peuples » (Notre-Dame de Varengeville).

 

Trois dates mettent fin à cette époque : interdiction des visites domiciliaires le 23 septembre 1789, abolition de la gabelle le 1er décembre 1790, abolition de la ferme générale le 20 mars 1791. Les brigades des douanes nationales remplacent alors celles des fermes du roi.

 

Les douanes pendant la Révolution

 

La Révolution apparaît comme une période intermédiaire entre l’Ancien Régime et le Premier Empire pendant lequel le blocus continental augmentera de beaucoup l’importance de la douane.

 

Les postulants à la douane doivent présenter un certificat de civisme et prêter serment « d’obéissance aux lois ». Un arrêté de 1800 impose le port d’un uniforme « habit de drap vert, gilet rouge et culotte verte », que le douanier doit se fournir à ses frais. D’une façon générale, les préposés des douanes sont ceux qui appartenaient aux fermes du roi avant les réformes, c’est ce qui est constaté à Tancarville.

 

Ce qui fait qu’on soupçonnera certains de royalisme, ainsi à la mailleraye où ils peuvent pourtant faire partie du comité de surveillance : « ce sont tous garde faurest et prépozée aux doinne nationalle et je demandz ci se sont la des républiquins qui tous estois royalliste » accuse le serrurier Guillaume Bellenger.

 

Le problème du logement continue à se poser. Le canton de Duclair se trouve en 1796 incapable de loger les employés : « les choses sont restées dans le même état qu’en 1790 ». En 1798, l’administration réquisitionne la maison du sieur Lucas, demeurant à Rouen, pour le logement et bureau du chef de la brigade de la chapelle du Bout du vent, à Heurteauville. Les logements ou casernements semblent se fixer dans certains cas avec l’achat par l’administration de bien nationaux : prieuré Saint-Jacques du Val Hulin à Sainte-Vigor-d’Ymonville, presbytère à Saint-Georges-de- Gravenchon.

 

Les douaniers restent des travailleurs du fleuve, rien de changé par rapport à la période précédente. Ils héritent de plus de l’ancien droit seigneurial de varech, récupérer tout ce qui flotte sur le fleuve ou est échoué sur la rive. Les douaniers de la Cerlangue repêchent ainsi en avril 1791 deux pipes11 de cidre et une d’eau de vie que leur propriétaire Lebourgeois, de Quillebeuf, vient réclamer : il règle 24 livres pour sauvetage et 22 livres pour frais de garde pendant onze jours et onze nuits.

 

La loi du 15 mars 1791 promulgue le premier tarif douanier « unique et uniforme ». La perception et l’inspection des navires continuent à se faire surtout au Havre et à Rouen mais Quillebeuf a de plus rang d’inspection commerciale de la réforme de décembre 1793 à celle d’avril 1795. La taxe de navigation établie en 1802 en fonction du tonnage des navires semble n’avoir été perçue qu’à la douane de Rouen.

 

Les grains constituent une marchandise sensible et pour cela interdite à l’exportation. Les douaniers de Tancarville surveillent les déclarations et les cargaisons des bateliers qui font traverser du grain jusqu’à Quillebeuf, 111 transports de 1798 à 1800.

 

Les nouvelles municipalités tentent parfois d’abuser de leur autorité. En juillet 1791, celle de Caudebec fait décharger le navire L’Africain pour vérifier sa cargaison alors qu’il a été déclaré selon la loi à la douane de Rouen. En 1799, dans un contexte de brigandage, on tente de donner à la douane la surveillance des passages d’eau, qui revient normalement aux gardes nationales.

 

Jean-Pierre Derouard

 


 

Mesure du sel avant la Révolution :

 

muid : 12 setiers ou 48 minots, 2,4 tonnes

setier : 4 minots

minot de Paris : 52 litres, 96 à 100 livres de poids, 48 à 49 kg

livre : un peu moins de 500 grammes

quarteron : environ 250 grammes

 


 

 

Sources et bibliographie :

Registres paroissiaux

Archives départementales de la Seine-Maritime :

abbaye de jumièges, 9H76, 9H231

grenier à sel de Caudebec, 218BP1

grenier à sel de Rouen, 223 BP 6, 223 BP7

période révolutionnaire, L 230, 239, 240, 3240

 

 

« Aux sources du marais », expositon du Comité Intercommunal de Défenses des Marais et des Sources, octobre 1993.

Bloy, Jean-Claude, L’administration des douanes en France sous l’Ancien Régime, 1976.

Boilisle, Arthur Michel de, Coprrespondancd des contrôleurs généraux des finances avec les intendants des Provinces.

Bouloiseau, Marc, Cahiers de doléances du Tiers Etat du bailliage de Rouen, 1960.

Chaline, Olivier, Hurpin, Gérard, Vivre en Normandie sous la Révolution, 1989.

Clinquart, Jean, L’administration des douanes en France sous la Révolution, 1989.

Clinquart, Jean, La douane et les douaniers, 1990.

Esmonin, Edmond, présentateur du Mémoire sur la généralité de Rouen de 1665, 1913.

Fromager, Gilbert, Les familles annevillaises et ambourvillaises aux XVIII et XIXèmes siècles, 1995.

La Bourdonnaye, mémoire sur la généralité de Rouen, 1698 ( édité par GérardHurpin, 1984).

Loth, abbé Julien, éditeur de l’Histoire de l’abbaye de Jumièges, manuscrit de 1750 (1889).

Marion, Marcel, Dictionnaire des institutions françaises, 1923.

Nicolas, Jean, La rébellion française, 2008.

Pigout, Jean, La Révolution à Bolbec, 1989 – Tancarville, un château, un canal, un pont, toute une histoire, 2008.

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Notes;

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1 Le plus célèbres d’entre eux est sans doute le chimiste Lavoisier, cela lui valut la guillotine.

2 En 1665, le grenier à sel de Caudebec génère les offices de 2 présidents, 3 grenetiers, 3 contrôleurs , 1 procureur, 3 greffiers, 3 mesureurs de sel, 3 huisssiers et 1 avocat.

3 « journal des recettes et dépenses du dépositaire » de l’abbaye, hélas non conservé pour les années précédant 1789.

4 Sur le site jumieges.free.fr : « Terreur au Conihout », sous-partie « Arrestation des Porguéroult ».

5 Un journalier agricole est alors payé une demie-livre par jour.

6 Une allège est une embarcation dans laquelle les grands navires tirant trop d’eau pour remonter la Seine jusqu’à Rouen transbordaient leurs marchandises dans le port du Havre ; il en existait différentes sortes, la plus commune était le heux.

7 Notons que la douane de Rouen a été bombardée pendant la Seconde guerre mondiale et ses archives détruites, cela nous prive d’une source irremplaçable.

8 Sur le site jumieges.fr.fr : « nos moines aimaient fumer ».

9 Maintenant La Mailleraye.

10 //Paillette.free.fr. Aucun autre détail hélas sur cet assassinat.

11 La pipe était un tonneau d’environ 520 litres.

 


 

 

 

 

Cahiers d’histoire des douanes

 

N° 44

 

2e semestre 2010

 


 

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