Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Les brigades secrètes

Mis en ligne le 1 mai 2022

 

Dans le cadre de notre évocation consacrée à l’historique des services d’enquêtes et de recherches au sein de la douane française, c’est Pierre Serreau qui nous offre un témoignage particulièrement révélateur sur une volonté de l’institution douanière, au cours de l’entre-deux guerres, de promouvoir des méthodes novatrices de recherche de renseignements sur la fraude.

 

Dans son étude menée avec André Pignot (*), il retranscrit « le texte d’une chronique parue dans « Les Annales des Douanes » du 17 juin 1926 et intitulée « Les Brigades Secrètes » (2). Le journal « Les Annales des Douanes » , publication privée, servait très souvent de tribune à l’administration, qui avait ainsi la possibilité de faire part, officieusement, de certaines suggestions ».



C’est cette sorte de « Tribune libre » – dont on retrouvera d’ailleurs la forme dans les futures colonnes du « Journal de formation professionnelle » d’après guerre, que nous proposons de parcourir.  Il s’agit d’un  texte novateur  – et pas seulement par son titre, déjà surprenant au premier abord – mais aussi d’une chronique truffée de « préconisations » résolument à l’avant-garde par rapport aux méthodes traditionnelles de l’époque…

 

L’équipe de rédaction

 


 


24e année – Numéro 12 – 17 Juin 1926

 

ANNALES DES DOUANES

 

Chronique

 

Les brigades secrètes 

 

Si on se reporte aux instructions des inspecteurs généraux annexées à la circulaire du 30 janvier 1817, qui ont posé les principes fondamentaux de l’organisation du service, on constate que, dès l’origine, les chefs de l’Administration avaient créé, à côté des brigades dites de ligne, ayant un service ininterrompu de surveillance, des brigades intermédiaires essentiellement mobiles, chargées de compléter leur action. Le rôle de ces brigades ambulantes est ainsi défini dans les instructions auxquelles nous venons de faire allusion: « elles servent à multiplier à l’infini les moyens de surveillance sur les brigades de ligne dont elles éclairent continuellement le service: elles ont de plus l’avantage d’être toujours prêtes à renforcer, au besoin, les points spécialement menacés par la fraude sans affaiblir la garde d’aucun, et enfin la variété de leur service et leur activité continuelle inquiètent et déconcertent plus que toute autre chose le contrebandier, qui ne peut jamais combiner biner sa marche de manière à être sûr d’échapper à ce service lorsqu’il est bien ordonné et fidèlement exécuté… ».

 

 

L’institution de brigades secrètes, envisagée dans le thème du rapport qu’ont eu à traiter les candidats au dernier concours pour le grade de lieutenant, répondrait, semble-t-il, à un but identique, puisque d’après le canevas, « elles auraient pour mission de rechercher les tenants et aboutissants de la contrebande et, grâce aux renseignements qu’elles recueilleraient, de faciliter l’action répressive des brigades ordinaires ».

 

Du moment où il existe des brigades ambulantes ou mobiles, pouvait-on se demander en premier lieu, serait-il bien utile de créer des brigades secrètes ? A  cela il était facile de répondre qu’à aucun moment peut-être, les circonstances économiques n’avaient mieux justifié qu’aujourd’hui la nécessité de renforcer l’action du service.

 

Le relèvement des droits de douane et des taxes intérieures a donne en effet à la fraude, par l’appât de gros bénéfices, un stimulant nouveau, et le contrebandier a maintenant à sa disposition des moyens modernes, tels que l’automobile ou l’avion contre lesquels le service ne peut que difficilement se prémunir. II faut considérer en outre que certains produits très recherchés aujourd’hui (diamants, pierres précieuses, bijoux, stupéfiants) sont aisément dissimulables au passage à la douane. D’autre part, l’organisme nouveau à créer se différencierait sensiblement de celui qui existe déjà. Les brigades ambulantes n’opèrent en effet qu’à l’intérieur du rayon douanier et dans un cercle étroit; par suite de la limitation de leur champ d’action, les agents sont vite connus et leur rôle fortement amoindri. Les brigades secrètes évolueraient aussi bien en avant qu’en arrière des lignes même en dehors du rayon, et comme elles seraient placées dans une ville, de préférence au siège de la direction, les hommes échapperaient facilement à l’espionnage.

 

Pratiquement. on pouvait concevoir leur organisation de la façon suivante : Constituées sous le commandement d’un brigadier les brigades secrètes relèveraient du Directeur chargé de leur tracer périodiquement ou après chaque service de longue durée les grandes lignes de leur plan d’action. Elles seraient composées d’une dizaine d’agents judicieusement choisis, c’est-à-dire vigoureux, intelligents, actifs dévoués, offrant toutes les garanties de moralité, de conduite et d’expérience, et qui, autant que possible, connaitraient les patois, les dialectes locaux et la langue du pays voisin. Ces agents auraient pour mission de recueillir des renseignements sur la préparation et la marche de la fraude : recherche discrète des organismes de contrebande,  des moyens employés, du personnel utilisé. Leurs investigations pourraient, dans certains cas spéciaux, s’étendre à titre officieux, au delà de la frontière; elles s’exerceraient également à l’intérieur, dans les lieux ou régions de destination présumés. Dans les trains, les agents se mêleraient aux voyageurs, organiseraient la filature des personnes suspectes, etc. Au besoin, ils seraient autorisés à s’embaucher pour un temps déterminé, dans des établissements commerciaux ou industriels suspectés de se livrer à un trafic frauduleux. lls auraient, bien entendu, la facilité de recourir à tous les moyens de locomotion (bicyclettes, véhicules automobiles, trains, etc.) et effectueraient leur service constamment en tenue civile et, dans la plupart des cas, isolément, afin de ne pas être démasqués.

 

Agissant en toute indépendance, ils ne seraient soumis sur le terrain à aucun contrôle; on apprécierait l’efficacité de leur action d’après les résultats obtenus. On pourrait cependant leur imposer l’obligation de faire constater leur passage dans telle ou telle localité par l’apposition sur un carnet spécial de poche d’un visa avec date, heure et cachet que donnerait soit un officier, soit le chef de poste de la brigade où ils se rendraient à l’intérieur; ce visa serait demandé autant que possible à un fonctionnaire (receveur des C.I., brigadier de gendarmerie, juge de paix, etc.). Les renseignements concrets recueillis seraient transmis sans retard aux chefs des postes intéressés. La brigade secrète aurait à rendre compte périodiquement ou à l’occasion d’une mission déterminée et formulerait toutes suggestions utiles sur les meilleures tactiques à employer en vue d’enrayer la fraude découverte.

 

Indépendamment du traitement afférent au grade administratif, des indemnités réglementaires de résidence et de chaussures et, s’il y a lieu, des allocations pour charges de famille, ce personnel recevrait les diverses indemnités correspondant aux frais nécessités par les missions qu’il remplirait. L’Administration s’efforcerait de compenser l dépense assez élevée qui en résulterait par une réduction de l’effectif des brigades ambulantes actuelles.

 

Si le principe de la réforme était admis, un essai pourrait être tenté dans une ou deux circonscriptions du Nord de la France, région particulièrement exposées aux entreprises de fraude. Par la suite et selon les résultats obtenus, la mesure serait étendue progressivement, à moins que ne fût jugée préférable la création à Paris d’une brigade centrale. relevant directement d’un Inspecteur principal ou de l’Administration et dont l’action s’étendrait à l’ensemble des frontières.

 

Pierre Serreau

 


Note:
(*) »Les services douaniers d’enquête et de recherche en France (de 1930 à 1980) – Historique de la création et de l’évolution de ces services de l’avant-guerre à 1980″  par Pierre Sarreau et André Pignot – Editions AHAD – 1989
 

 

 

 

Annales des douanes

 

24e année – Numéro 12 – 17 Juin 1926

 

Chronique

 

 

 


 

 

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