Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
La recherche de la fraude et les enquêtes chez les redevables avant 1935
Dans les années qui ont suivi la fin de la première guerre mondiale, l’accroissement rapide des échanges internationaux, le développement des transports automobiles et aériens et les mesures diverses prises sur le plan douanier pour tenter de rétablir l’économie du pays, ont accru sensiblement les risques de fraude et ont amené l’Administration à renforcer progressivement les moyens d’investigation du Service.
1 – Enquêtes chez les redevables. (Recherches dans les écritures).
L’article 17 de la loi du 28 décembre 1895 avait conféré aux employés supérieurs et aux receveurs des Douanes le droit d’exiger, dans les gares de chemins de fer, la communication des papiers et documents (lettres de voiture, factures, feuilles de chargement, livres, registres, etc…) relatifs au transport et au dépôt des marchandises, et, d’une manière générale, aux opérations intéressant le Service des Douanes.
La loi du 25 juin 1920 (article 77), attribua le droit de recherche, non seulement aux agents supérieurs de contrôle, mais encore aux contrôleurs en chef et aux vérificateurs principaux et permit en outre d’exiger la communication des documents visés par la loi du 28 décembre 1895 auprès des firmes et personnes énumérées ci-après:
– Compagnies de navigation maritimes et fluviales,
– Armateurs, consignataires, courtiers maritimes,
– Concessionnaires d’entrepôts, docks et magasins généraux,
– Commissionnaires de transitaires.
Enfin, à ces assujettis, I’article 88 de la loi de Finances du 13 juillet 1925 ajouta, les compagnies de navigation aérienne, les entrepreneurs de transport par route, les agences, y compris celles dites de «transports rapides», se chargeant de la réception du groupage, de l’expédition par tous modes de locomotion et de la livraison de tous colis.
Jusqu’en 1930, le Service n’a, le plus souvent, exercé cette prérogative que dans les cas particuliers, lorsqu’il soupçonnait l’existence d’une fraude.
La loi du 25 juin 1920 ayant imposé aux commissionnaires ou transitaires la tenue de répertoires présentant distinctement les opérations d’importation et d’exportation, les contrôles de la Douane ont, la plupart du temps, été limités au rapprochement des déclarations avec les indications figurant sur les répertoires.
Les instructions données au service en cette matière étaient d’ailleurs assorties de conseils de prudence : « Les agents ne doivent pas hésiter à exercer leur droit de recherche, toutes les fois que l’intérêt du Trésor est engagé ou paraît compromis, mais il leur est recommandé d’y procéder avec tact et mesure, de façon à ne pas entraver inutilement la tâche des assujettis et à ne pas conférer au contrôle exercé un caractère inquisitorial qu’on n’a point entendu lui donner » (Extrait des Annales des Douanes – juillet 1926).
L’administration centrale comprit bientôt la nécessité de faire conduire ces contrôles par des agents spécialisés.
Le service des Contributions Indirectes de la Seine avait créé, pour le contrôle du chiffre d’affaires des commerçants de la région parısienne, une division spéciale : la Direction générale des Douanes détacha pendant quelques mois auprès de ce service un inspecteur principal chargé d’étudier les méthodes de travail des enquêteurs de la Régie et de déterminer dans quelles conditions la douane pourrait constituer un service analogue (DA n° 3762 du 2 octobre 1931).
A la suite du rapport de ce fonctionnaire, la Direction Générale créa en mai 1932 à la Direction des douanes de Paris une division spécialement chargée « à titre de mission principale des enquêtes diverses et recherches dans les écritures des redevables », et « à titre de mission corrélative du contrôle du chiffre d’affaires et des répertoires des transitaires » ).
Cette division comprenait à l’origine un inspecteur principal, un inspecteur et un contrôleur en chef. L’effectif en fut progressivement renforcé et comprenait en 1934, 4 contrôleurs en chef (1).
2- Recherche des opérations de contrebande.
La répression de la contrebande qui s’exerçait à travers les lignes de la douane préoccupait tout particulièrement la Direction Générale.
La douane n’avait plus en effet la possibilité de maintenir aux frontières un dispositif serré de surveillance.
Les difficultés budgétaires rencontrées par les gouvernements successifs d’après guerre avaient entrainé des compressions d’effectifs dans les Personnels de l’Etat et l’Administration des Douanes n’avait pas été épargnée.
Il y avait des points particulièrement menacés: c’était le cas, notamment, de la frontière franco-belge où la fraude de tabac sévissait avec intensité.
La Sarre alimentait également le trafic de tabac, cependant le problème qui se posait dans cette région était très particulier.
Le territoire de la Sarre avait été inclus dans le périmètre douanier, mais le privilège du Monopole ne s’y exerçait pas. Les postes et bureaux de Douane qui, au début de l’occupation française avait été installés à la frontière lorraine n’avaient pas été maintenus et des quantités importantes de tabacs fabriqués provenant des manufactures sarroises pouvaient ainsi être dirigés, sans trop de risques, vers le marché français
La répression de ce trafic (qui continua jusqu’au Plébiscite de janvier 1935) incombait normalement aux Services Français et Sarrois des Contributions Indirectes auxquels les brigades des douanes de la région de l’Est apportaient leur concours.
Pour lutter plus efficacement contre la contrebande, l’administration avait obtenu l’extension en profondeur du rayon douanier dont la limite pouvait dès lors être portée à 60 km de la frontière (décret du 28 décembre 1926 complétant la loi du 28 août 1816). La collaboration des autres Services Publics (Finances – Police- Travaux Publics – Eaux & Forêts) lui avait également été assurée.
Elle chercha enfin à renforcer l’action des Services de ligne en développant la recherche de renseignements sur la fraude.
On trouvera à l’annexe I du présent recueil le texte d’une chronique parue dans les « Les Annales des Douanes » du 17 juin 1926 et intitulée « Les Brigades Secrètes » (2). Le journal « Les Annales des Douanes« , publication privée, servait très souvent de tribune à l’administration, qui avait ainsi la possibilité de faire part, officieusement, de certaines suggestions.
Cet article présentait un projet d’organisation d’unités douanières «anti-contrebande». C’était en quelque sorte, l’ébauche d’un service de recherches.
La conclusion de cette étude était la suivante : «Si le principe de la réforme était admis un essai pourrait être tenté dans une ou deux circonscriptions du Nord de la France, région particulièrement exposée aux entreprises de fraude. Par la suite, et selon les résultats obtenus, la mesure serait étendue progressivement, à moins que ne fut jugée préférable la création à Paris d’une brigade centrale, relevant directement d’un Inspecteur Principal ou de I’administration et dont l’action s’étendrait à l’ensemble des frontières.
Ce projet fut repris quelques années plus tard. Le ler juillet 1930, un officier de la Direction de Valenciennes (Lieutenant Couedel) qui s’était particulièrement distingué dans la lutte contre les entreprises de fraude, était affecté à Paris pour y diriger une section spéciale de renseignements. Cette section, qui comprenait en dehors de l’officier quelques agents du service actif était gérée administrativement par la Direction de Paris mais son chef relevait directement du Bureau du Service Général de la Direction Générale qui décidait des missions à effectuer et des suites à donner aux informations éventuellement recueillies
3- Réforme fiscale de 1934.
Telles étaient donc vers la fin de l’année 1933 les mesures déjà prises dans ces deux sections (Enquêtes et Recherches) de la lutte contre la fraude.
Ces dispositions étaient, sans aucun doute, nettement insuffisantes compte tenu du développement du trafic et des moyens puissants dont disposaient les organisations de fraude. L’institution du contingentement des importations et de taxes de licences avait accru les profits tirés d’envois irréguliers. La fraude s’était déplacée vers les bureaux (gares-frontières, ports et bureaux intérieurs) où il était possible d’opérer par divers moyens (faux documents d’accompagnement, substitution de colis, etc…) et en recourant au besoin à la corruption.
C’est ainsi par exemple qu’en 1932 et 1933 des envois importants de tapis d’Orient en provenance de Grande-Bretagne, avaient été dirigés sur un petit entrepột douanier de la Région du Nord, où l’agent de visite – sinon complice, tout au moins fort incompétent – admettait ces marchandises, passibles pour la plupart du Tarif général à un taux voisin de 100%, aux droits des ouvrages en jute.
L’affaire des «Fraudes du Havre» qui devait éclater un peu plus tard (1935), permet également de mesurer la gravité des manœuvres auxquelles la Douane devait s’opposer.
L’administration était consciente du danger mais un renforcement du Service d’Enquêtes ne pouvait donner de résultats que si le droit de contrôle de la Douane était étendu aux expéditeurs et destinataires de marchandises. Il fallait, d’autre part que les investigations concernant la recherche de la contrebande ne soient plus limitées à la seule portion de territoire comprise dans la zone du rayon.
Les propositions qui avaient été présentées pour obtenir ces prérogatives s’étaient heurtées à la méfiance des commissions parlementaires et n’avaient pas été acceptées.
La seule facilité qui avait été donnée à la Douane pour le contrôle des importations résultait de la procédure établie dans le cadre de la réglementation de l’impôt sur le chiffre d’affaires et qui prévoyait le recours à l’administration des Contributions Indirectes par le moyen d’un «Bulletin de contrôle» (3).
Ce contrôle ne pouvait être efficace : les fonctionnaires de la régie avaient déjà de lourdes tâches et ne possédait pas au surplus la spécialisation nécessaire pour déceler a posteriori les anomalies d’une opération en douane. Leur intervention se bornait donc le plus souvent au simple rapprochement des valeurs figurant sur les bulletins avec celles portées sur le livre du commerçant.
Les évènements politiques de février 1934 devaient paradoxalement donner à l’administration la possibilité de faire aboutir son projet sur l’extension des pouvoirs de la Douane.
Dans le cas des dispositions de la loi du 6 juillet 1934 destinée à réaliser la réforme fiscale et autorisant le gouvernement à prendre « toutes mesures pour prévenir et supprimer la fraude », le décret du 12 juillet 1934 (4ème décret), compléta l’article 489 des lois de Douane codifiées en étendant le droit de recherche dans les écritures, aux destinataires et expéditeurs réels des marchandises déclarées en douane et édicta une présomption légale d’importation en contrebande à l’égard de certaines marchandises alimentant la fraude (article 492 bis des lois codifiées) (4).
Ces textes ont été le point de départ de toutes les mesures prises pour organiser le Service des Enquêtes Douanières et qui sont exposées aux chapitres suivants (5).
Pierre Sarreau
Notes:
(1) Bien que l’exposé qui suit ne traite pas spécialement de questions d’effectifs, il parait utile, pour une meilleure compréhension des textes cités, de rappeler brièvement l’organisation hiérarchique des services extérieurs de l’administration des Douanes à l’époque de la création des premiers services d’enquêtes :
Cadre supérieur:
Inspecteurs- Inspecteurs Principaux- Sous-Directeurs- Directeurs- Receveurs Principaux.
Service des bureaux:
– Cadre principal: Contrôleurs – Vérificateurs – Vérificateurs principaux – Contrôleurs en chef – Contrôleurs rédacteurs – Contrôleurs rédacteurs principaux
– Cadre secondaire : Commis – Commis Principaux – Receveurs de 3ème catégorie – Dames employées
Service des Brigades
– Officiers: Lieutenants – Capitaines.
– Agents des brigades: Préposés – Sous-Brigadiers – Brigadiers (Sous-Patrons et Patrons) – Garde magasin.
(2) La chronique intitulée « Les Brigades Secrètes » parue dans « Les Annales des Douanes » du 17 juin 1926 est disponible sur ce site : cliquez ici ;
(3) Pour les modalités relatives au bulletin de contrôle (Lettre commune n° 1432 du 28 juin 1933), il est possible de se rapporter à l’annexe II de l’ouvrage de Pierre Sarreau et André Pignot: « Les services douaniers d’enquête et de recherche en France » Ed. AHAD – 1989.
(4) Pour le décret susvisé et la circulaire n° 663 du 25 juillet 1934 analysant les dispositions mises en vigueur et précisant leurs modalités d’application consulter l’annexe III de l’ouvrage précité.
(5) pages 5 à 158 de l’ouvrage précité.
Les services douaniers d’enquête et de recherche en France (de 1930 à 1980)
(Historique de la création et de l’évolution de ces services de l’avant-guerre à 1980)
par Pierre Sarreau et André Pignot
Editions AHAD – 1989