Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Des douaniers résistants : le maquis des Manises dans les Ardennes

Mis en ligne le 1 janvier 2020

Offensive allemande en 1940 dans les Ardennes

L’action se passe dans la zone frontalière chère aux douaniers. La brigade des Hauts-Buttés, non loin de Hargnies et de Revin sillonne les forêts, les clairières et les abords de la Meuse au fil de ces paysages semi-montagneux qui ont déjà résonné des actes de bravoures des gardiens de la frontière lors du premier conflit mondial.

 

Ces douaniers, dont le fil de la vie est déjà marqué par ce qui s’est produit entre 1914 et 1918, restent meurtris par le scenario qui s’est reproduit, lorsqu’en 1940, la « Blitzkrieg » fait sauter les verrous de la neutralité belge et coupe court aux stratégies défensives françaises massées en Alsace et en Lorraine, derrière la ligne Maginot.

 

 

Dès 1943, les douaniers des Hauts-Buttés prennent part à des actions de résistance active.

 

Situé au nord des Hauts-Buttés, sur le plateau ardennais, le terrain « Bohémien », fut homologué pendant l’été 1943 sur l’initiative d’Henri Moreau, responsable départemental du Bureau des Opérations Aériennes, et du capitaine des douanes Lucien Leverd. Le terrain reçut son premier parachutage à destination de la Résistance ardennaise dans la nuit du 20 au 21 septembre 1943, réceptionné au sol par l’équipe Machaux des Hauts-Buttés.

 

Le second parachutage sur « Bohémien » eut lieu dans la nuit du 7 au 8 mai 1944, à destination du Maquis des Ardennes (24 containers cachés dans les bois de Revin). Lucien Leverd décrivit l’effet du parachutage du 21 septembre sur les hommes qui l’attendaient avec tant d’impatience

 

C’est en mars 1944 que le maquis se constitue, sous la direction de Gilbert Grandval, responsable des forces françaises de l’intérieur pour le grand quart Nord Est.

Il confirme le rôle décisif des douaniers pour encadrer militairement et structurer l’action clandestine : « les chefs de secteurs du département commencèrent à envoyer les premiers contingents pour constituer le maquis : celui-ci se monta progressivement à une cinquantaine d’hommes que compléta un précieux apport de douaniers ».

 

Le maquis « Prisme » se constitue en mars-avril 1944

Jacques Pâris de Bollardière, alias Prisme, commandant du maquis « des Manises »

 

Comme le raconte Gilbert Grandval dans ses mémoires de la libération de l’Est de la France, au début de mars 1944 : « l’état major de la région C fut prévenu par le BCRA (Bureau Central de Renseignement et d’Action, service de renseignement et d’actions clandestines de la France libre) qu’une mission, dite « Citronnelle » serait incessamment parachutée dans la Marne pour gagner les Ardennes et y former l’ossature d’un maquis. Le parachutage, plusieurs fois remis, de la première partie de la mission eut finalement lieu le 12 avril sur un terrain proche de Mourmelon. Elle était composée de trois officiers ayant subi un entraînement spécial : le commandant Pâris de la Bollardière (Prisme), officier d’une qualité exceptionnelle, qui, gravement blessé à Bir-Hakeim, s’était porté volontaire pour être parachuté en France et y prendre le commandement d’un maquis susceptible d’effectuer des missions particulières dans le massif ardennais, le lieutenant américain Layton, chargé de l’armement, et l’aspirant Brault, radio ».

 

Dès le 14 avril, Prisme entre en contact avec Grandval (alias Planète) à Châlons sur Marne.

 

Après avoir été convoyé dans les Ardennes, dans un premier temps près de Renwez, le maquis s’implante dans les bois aux Hauts-Buttés.

 

Une première assistance douanière lors des parachutages d’armemements.

 

Les douaniers de la brigade des Hauts-Buttés s’illustrent, une première fois en mai 1944, en assurant la réception d’armes parachutées sur des terrains repérés au préalable dans le secteur de Monthermé. A cette occasion, les douaniers perdent l’un des leurs, en la personne du brigadier Thoméré, à bout de souffle après avoir convoyé de nuit et dans la plus grande discrétion des caisses de munitions. (Notre association a évoqué cet épisode dans son cahier n°28 en 2003).

 

24 conteneurs d’armement sont parachutés près de Revin du 7 au 8 mai, et le 28 mai ce sont 10 tonnes d’armes, réparties dans 88 conteneurs, qui atterrissent au lieu-dit les  » Vieux Moulins ». Une véritable résistante ardennaise, Marguerite Fontaine, y consigne tout ce qu’elle constate, ce qui sera d’une aide précieuse ultérieurement pour corroborer les récits des contemporains de ces événements.

Elle corrobore ce qu’indique le capitaine des douanes, Lucien Leverd, qui dirige la brigade des Hauts-Buttés.

 

L’annonce du débarquement de Normandie et l’excès d’enthousiasme de la jeunesse Revinoise conduit à de tragiques débuts pour le maquis « Prisme »

L’un des événements marquants de ce maquis a lieu en juin 1944. Le 5 juin, des messages radio et le parachutage de 5 autres membres de l’équipe « Prisme » annonce le débarquement allié tout proche. Le maquis accueille de plus en plus de jeunes, jusqu’à compter en quelques jours 200 éléments encore « naïfs » et peu discrets.

 

Sur les hauteurs de Revin, un monument rend hommage aux morts du maquis des Manises

 

Rapidement, Revin est encerclé par les troupes allemandes appuyées par des éléments blindés. 3000 hommes encerclent rapidement le maquis le 12 juin, sous la houlette du Feldkommandant Bortho Grabowski et du commandant Karl Théodor Molinari.

 

De nuit, le maquis enterre ses matériels et une colonne de près de 300 hommes de forme pour aller reformer ailleurs le mouvement insurrectionnel, après s’être extrait de ce guêpier. Si 150 hommes conduits par les douaniers arrivent à Willerzie près de la frontière belge, plus d’une centaine se retrouve à la traîne et rapidement débusquée par les nazis. Suppliciés, tués sommairement ils sont enterrés à la hâte dans une fosse commune aux Hauts-Buttés. Les corps sont ensuite transférés le 21 juin vers des charniers près de Linchamps au lieu dit le Fond de l’Ours.

 

En août 1944, le maquis parvient à se reformer aux Vieux-Moulins et à Hargnies. Il reprend les actions de sabotage et de harcèlement de l’ennemi.

Sabotages et entraînements aux armes se succèdent dans le camp retranché. Malgré son attaque par des allemands, il parvient à s’extraire à la suite de combats qui causent 30 morts dans les rangs de la Wehrmacht.

 

Durant toute cette période, les douaniers s’illustrent à nouveau. Dès le 8 août, le capitaine des douanes Lucien Leverd est cité à l’ordre de l’armée avec Louis Fontaine et Alphonse Machaux, habitants des Vieux Moulins et résistants très actifs. Ces citations sont homologuées par le Général de Gaulle.

Jusqu’au 7 Septembre et la libération des Ardennes, ce mouvement du maquis poursuit sans relâche ses soutiens aux forces libératrices ainsi qu’au maquis belge. Il subit une attaque allemande le 24 août, qui cause 10 morts dans ses rangs.

 

Le rôle des douaniers souligne l’action active prise par de nombreuses unités en soutien de la résistance.

 

Tout au long de la constitution des maquis dans cette région ardennaise, les douaniers des Hauts-Buttés, emmenés par leur capitaine Lucien Leverd ont servi la résistance qui s’organisait, malgré des conditions initialement tragiques.

 

Lucien Leverd, déporté résistant de la guerre de 1914-1918 est entré dans la douane en 1921. Il y finit avec le grade de commandant en 1951. Il a résidé à Reims avant de s’y éteindre en 1981.

Il a consigné dans un « cahier de guerre » tout ce qu’il a vu, fait et ressenti dans ces périodes mouvementées. (voir l’article consacré au cahier de guerre du capitaine Lucien Leverd dans les Cahiers d’histoire de l’AHAD n°33 – 2006).

 

La conclusion de son cahier peut aujourd’hui encore être méditée aujourd’hui… :

 

« Dans la nuit du 30 au 31 août, le Maquis se déplaça pour la dernière fois, officiers et maquisards se rendirent à Linchamps […] avant d’entrer en action aux environs du « Loup » de Gespunsart et de Nouzonville. Je ne métendrai pas sur les événements qui ont précédé la Libération. Chacun connaît l’action des patriotes qui firent vaillamment la guérilla aux environs de Monthermé, et à Monthermé même, aux troupes Allemandes en retraite, ainsi que la brillante défense du pont de chemin de fer de Monthermé / Château-Régnault où le sergent Collet est tombé glorieusement. A signaler aussi l’action de l’adjudant chef Chartier qui, le 3 septembre 1944, trouva une mort héroïque en accompagnant les tanks américains à Château-Régnault dont les habitants réclamaient le secours.

 

Voilà ce qu’a été la Résistance dans la région, et à mon sens, c’est cela la vraie Résistance. Être de la Résistance, c’est être désintéressé à l’instar des combattants Gaullistes, c’était non seulement faire l’offrande de sa personne, mais aussi celle de sa famille, celle de tout ce qu’on rêve, de tout ce qu’on possède; c’était le suprême abandon; c’était l’offrande au martyre.

 

Après la Libération, sans se soucier de savoir s’ils avaient droit à des galons ou à des honneurs, chacun est rentré modestement chez soi non qu’il se désintéressait de l’avenir de la France, mais au contraire, parce qu’il estimait que le meilleur de continuer à la servir, c’était de se remettre immédiatement au travail. »

 

(Monthermé, le 9 mai 1945, Lucien Leverd)

 

Pour en savoir plus, l’historien Philippe Lecler, membre de la société d’histoire des Ardennes a publié deux ouvrages consacrés au maquis des Manises, et anime un blog « Ardenne, tiens ferme » :

http://ardennetiensferme.over-blog.com/

 

Arnaud Picard

 


NDLR: A consulter également la conférence tenue le 27 novembre dernier à Charleville pour rendre hommage aux douaniers résistants – vous pouvez consulter le compte rendu dans la rubrique « Actualités de l’association »  en cliquant ici 

 

 

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