Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
Des années 30 aux années 80: la longue route vers un grand service d’enquête douanière
Dans le cadre de notre rétrospective sur l’histoire des services d’enquête, des opérations douanières et de renseignement et nous reproduisons ici de larges extraits d’une présentation réalisée en 2015 lors de la célébration des 80 années d’existence de la DNRED.
Nous remercions les auteurs de ces panneaux d’information réalisés pour la circonstance. Toute notre gratitude également à l’un des plus fidèles adhérents de l’AHAD qui avait eu la bonne idée de les prendre en photo.
Documentée à partir de l’ouvrage de Pierre Serreau et d’André Pignot (*), cette présentation très structurée s’attache à retracer les principales étapes ainsi que les réformes menées depuis les années trente jusqu’à ces dernières années vers la DNRED d’aujourd’hui.
Pour les besoins de la première partie de notre rétrospective, nous retiendrons la séquence qui s’étend depuis les années trente jusqu’à 1988, date de création de la DNRED. Les années qui suivront seront évoquées dans la seconde séquence de notre rétrospective.
L’équipe de rédaction
Dans les années qui ont suivi la fin de la première guerre mondiale, l’accroissement rapide des échanges internationaux, le développement des moyens de transport et les diverses mesures prises sur le plan douanier pour tenter de rétablir l’économie nationale ont accru sensiblement les risques de fraude.
Dans ce contexte, l’administration des douanes a été conduite à renforcer ses moyens juridiques et à créer des structures nouvelles pour lutter efficacement contre les trafics frauduleux.
Depuis 1935 avec la création de la division de Paris-Enquêtes, la DNRED a su constamment faire évoluer son organisation et ses méthodes de travail afin de mettre en œuvre une politique rationnelle du renseignement, des contrôles et de lutte contre la fraude.
La DNRED est aujourd’hui un membre reconnu de la communauté française du renseignement en travaillant de manière complémentaire et coordonnée avec les services qui la composent. La DNRED apporte à cette collaboration toute la richesse de son expérience et de sa propre culture.
1935
Création de la Division de Paris-Enquêtes
Par décision du 25 mars 1935, la division de Paris-Enquêtes est créée au sein de la direction de Paris. Elle rassemble:
– la brigade spéciale de renseignements créée en 1930;
– le service de contrôle dans les écritures constitué en 1932;
– une section de la direction de Paris chargée des enquêtes concernant les titulaires de titre de tourisme international et l’utilisation abusive de véhicules en détaxe.
Elle est constituée d’un inspecteur principal, chef de service, de deux inspecteurs, de six contrôleurs en chef, d’un contrôleur, d’une dame employée, d’un capitaine, de deux lieutenants, de trois brigadiers et de trois sous- brigadiers. Elle s’installe au 48, boulevard des Batignolles…
48, boulevard des Batignolles à Paris…
1935
Détachement auprès de la Douane de fonctionnaires de la Sûreté Générale
Dans le prolongement de la création de la Division de Paris-Enquêtes et pour la seconder au plan judiciaire, le décrêt du 10 septembre 1935 crée à ses côtés, un service de police dédié, le Service de Police Nationale Détaché (SPND).
Le code de procédure pénale l’institue comme service actif de la police nationale à compétence sur l’ensemble du territoire. Sa spécificité est d’être implanté auprès de l’administration des douanes et non auprès du ministère de l’Intérieur.
Sa structure dispose toujours aujourd’hui un siège dans les locaux de la DNRED à Ivry sur Seine (94) et 11 antennes auprès des échelons D.O.D. en régions.
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Le SPND incarne la forte volonté réciproque de coopération entre le ministère de l’Intérieur et la Douane. Il constitue une passerelle exemplaire inter-services, un relais exceptionnel de communication et de facilitation entre administrations, pour une plus grande efficacité de l’action de l’État.
1936
Création de la Direction de Paris-Enquêtes
La division de Paris-Enquêtes est érigée en direction afin que l’action du service puisse s’exercer sur tout le territoire et pour doter ce dernier «d’une autonomie complète mais encore d’une autorité suffisante ».
1937
Paris SRFD
Devenue autonome, la division de Paris-Enquêtes constitue à partir du 12 août 1937, la direction de Paris – Service de Répression des Fraudes Douanières. La nouvelle direction comprend:
– les bureaux particuliers du directeur installés au 81, rue Saint-Lazare;
– une division des recherches;
– une division des enquêtes avec une section spécialisée dans le tourisme; toutes deux installées au 48 boulevard des Batignolles.
Compétence territoriale:
– Division des recherches: la région parisienne (mais sa compétence peut s’étendre à l’ensemble du territoire);
– Division des enquêtes: « limitée à la région parisienne et aux régions du territoire éloignées d’un bureau de douane »
Pendant l’occupation, et compte tenu du partage du territoire deux inspections principales SRFD seront créées en zone non occupée, l’une à Lyon, l’autre à Toulouse.
Circulaire n° 760 du 8 avril 1937
Service général – Organisation de l’Administration Centrale – Organisation du bureau de la répression des fraudes douanières
Pour des motifs divers – élévation des droits de douane, écart des changes, mesures de contingentement, chômage…, la fraude sous toutes ses formes manifeste, depuis 1920, une activité accrue. Les entreprises de contrebande ne limitent plus, comme autrefois, leurs agissements délictueux à une portion déterminée de la région frontière; pourvues de moyens puissants, elles varient leurs points de pénétration, leurs pratiques et cherchent à atteindre des points du territoire qui échappaient autrefois à leur intrusion.
Les succès en matière de répression exigeant que soient réunies trois conditions essentielles – unité de doctrine, centralisation des renseignements touchant la fraude, rapidité dans la mise en œuvre des mesures prescrites – il avait été depuis longtemps reconnu nécessaire de confier à des organes spéciaux, constitués à l’Administration centrale et dans les services extérieurs, le soin de prévenir, de rechercher et de poursuivre la contrebande.
C’est pour atteindre ce but que la division spéciale de «Paris-Enquêtes» a été convertie récemment, en Direction autonome de la Répression des fraudes douanières. (…)
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Article 492 Bis
Sont réputés avoir été importés en contrebande les produits destinés au commerce et spécialement désignés par décret, pour lesquels les détenteurs ne pourront produire soit une quittance attestant qu’ils ont été régulièrement importés de l’étranger, soit une facture d’achat, bordereau de fabrication ou toute autre justification d’origine émanant d’un établissement régulièrement établi en France.
À défaut de justification valable, les marchandises de l’espèce seront saisies en quelque lieu qu’elles se trouvent et leurs détenteurs poursuivis et punis conformément aux dispositions des articles 603 et suivants, ci-après. (…)
Pour l’application des dispositions qui précèdent, les agents des douanes sont habilités à faire, en tous lieux, des visites domiciliaires, dans les conditions prévues à l’article 484. (…)
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Quelques résultats marquants…
Tabacs et cigarettes
En mars 1938, une équipe des recherches avait saisi à la circulation trois malles renfermant des cigarettes américaines. Les malles arrivées à la gare de Paris-Nord, en provenance de Rotterdam et sous le régime de bagages accompagnés, avaient échappé au contrôle de la douane.
Il fut possible de remonter la filière de fraude et les investigations effectuées en Belgique et en Hollande permirent d’identifier sept envois antérieurs de même importance.
En 1938, en quelques semaines, trois envois de tabacs de 3000 kg chacun furent saisis sur des automoteurs belges qui venaient livrer du charbon à des usines françaises. Les cachettes aménagées sur ces bateaux étaient identiques et avaient été réalisées de façon très technique par un chantier naval belge. Les bateaux et leur chargement furent confisqués et les mariniers condamnés pour délit douanier.
Marchandises soumises aux dispositions de l’article 492 Bis du code des douanes
Tapis d’orient
Compte tenu des fraudes antérieurement constatées, la division de Paris-Enquêtes renforçait ses contrôles auprès des importateurs, négociants et courtiers. Une douzaine d’affaires fut réalisée dont la plus importante portait sur 110 tapis d’Orient saisis en novembre 1938 au préjudice d’un commerçant Lyonnais.
Bas et articles de bonneterie
Le premier arrêté de 1934 portant application de l’article 492 bis aux marchandises de l’espèce avait pour objet de contrecarrer le trafic de bas de soie artificielle d’origine allemande. Deux saisies importantes furent effectuées de 1937 à 1939 (dont une de 6 000 paires de bas réalisés à Dijon).
Après la Libération, les dispositions de cet article ont permis de s’opposer au rush des bas nylon de fabrication américaine.
Stupéfiants
La saisie la plus importante a été effectuée à Cherbourg en octobre 1938 et portait sur 70 kg d’héroïne que deux trafiquants internationaux tentaient d’embarquer sur un navire à destination de New-York. Un concours précieux avait été apporté pour la réalisation de cette affaire au SRFD par les agents du Trésor Américain, service qui, à cette époque, était spécialement chargé de la répression des trafics de drogue.
1939 — 1945
Des temps troublés …
JEAN DORVAL (1906-1944), vérificateur au Service de Répression des Fraudes Douanières (SRFD) est né à Châteauneuf-du-Faou, dans le Finistère, le 21 octobre 1906.
Jean Dorval
En 1929, il entre dans l’administration des Douanes et est affecté pour son premier poste dans la Sarre.
En 1935, il est muté à Nantes, pour quelque mois seulement, car une nouvelle promotion le ramène à Grosbliederstroff près de Forbach.
En août 1937, une nouvelle affectation le fait revenir à Paris. Puis, du 25 octobre 1937 au 7 mars 1939, il sera détaché à Latour-de-Carol (Pyrénées-Orientales). L’Espagne est alors en guerre civile. Il a pour mission secrète de faire passer des pièces détachées d’avions et du matériel de guerre aux républicains espagnols.
Dès la déclaration de guerre en 1939, il est rappelé sous les drapeaux et affecté avec le grade de Sergent-Chef au 19e Régiment d’Infanterie de Landerneau (Finistère).
En août 1940, il rejoint son service administratif à Paris. Avec son camarade Raymond Bizot, il fait partie du mouvement de Résistance «LIBERATION». Il est alors vérificateur hors classe des Douanes.
Il est affecté à Lyon SRFD, le 1er juillet 1942, pour être soustrait aux recherches de la police allemande. Il est en effet recherché par la Gestapo pour ses activités pendant la guerre d’Espagne. Dès son arrivée à Lyon, il se met en contact avec les groupes de résistance locaux et, au sein du service «ACTION», prend une part importante à leur action clandestine. Il assure ainsi la liaison entre le chef de réseau «Action» et Thonon-les-Bains d’où partaient les courriers pour Londres. En parallèle, il prend part à des opérations de parachutage et de sabotage.
Début août 1943, un camarade de Jean Dorval est arrêté en possession d’une valise ne contenant que des vêtements, mais qui, à l’ouverture, révèle une odeur caractéristique de plastic.
La perquisition effectuée au domicile de Jean Dorval confirmera, par la présence de cette même odeur, les soupçons.
Il est arrêté le 8 août 1943 à son domicile par Klaus Barbie et ses hommes. Il sera interrogé et torturé pendant 5 mois, mais ne révélera jamais ni comment il s’était procuré les explosifs, ni l’identité des membres du réseau. Traduit devant le tribunal militaire de Lyon, il est condamné à mort et fusillé par les Allemands le 11 janvier 1944. Son corps, parmi 91 autres, fut retrouvé dans le charnier de la Doua.
Le 11 janvier 1948, une cérémonie commémorative est organisée à Châteauneuf-du-Faou par la direction générale des Douanes, en présence de Georges Degois, directeur général.
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Georges Degeois
Directeur à Paris SRFD, Georges Degois est arrêté par la police allemande dans les derniers jours de 1943, pour participation à une organisation de résistance, et déporté en Allemagne.
Il reprendra ses fonctions en mai 1945. Promu, peu après son retour, administrateur des douanes chef de division et maintenu en cette qualité à la tête de Paris SRFD, il sera chargé par l’administration centrale d’établir un projet d’organisation du nouveau service.
Il sera nommé directeur général des douanes par décret du 14 janvier 1947.
Les années d’après-guerre
Après la guerre, l’Administration décide de constituer un service plus important et un Administrateur est placé à la tête du Service National de la Répression des Fraudes Douanières.
L’Inspection des Finances procède en juin 1955 à la vérification du SRFD. Il est proposé qu’un plan périodique de vérification soit établi et il est conclu par ailleurs que l’appellation de «Service de Répression des Fraudes Douanières» exerce «une impression fâcheuse sur les redevables et ne facilite pas les enquêtes de caractère général».
27 avril 1956
Création du Service National des Enquêtes Douanières (SNED)
Par décision de la direction générale du 27 avril 1956, le service prend le nom de Service National des Enquêtes Douanières (SNED):
- Service National des Enquêtes Douanières (SNED), pour l’organisme central,
- Service des Enquêtes Douanières (SED), pour les quatre Directions et Centres de contrôle.
La décision administrative N° 84 du 25 février 1965 fixait la composition du SNED à Paris:
– les bureaux particuliers du chef de service interrégional (CSI);
– une Agence de Poursuites;
– un service de contrôle bancaire;
– un service de police judiciaire;
– cinq divisions d’Enquêtes;
– une division des Recherches;
– une division des Groupes de Recherches et d’Intervention;
– une recette principale régionale.
En dehors des divisions de Paris, des échelons sont implantés à Belfort, Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux puis Lille (1965) et Nantes (1966).
1969
Création de la DNED
Une direction nationale, la Direction Nationale des Enquêtes et de la Documentation est créée par arrêté du 15 juillet 1969. Elle est constituée :
– d’un Service de Recherches et de Répression des Fraudes (SRRF);
– d’un service de l’évaluation;
– d’un service de contrôle des mouvements financiers;
– d’une agence de poursuites et de recouvrement.
1973
La DNED change d’appellation
Par arrêté du 12 décembre 1973, le SRRF et l’agence de poursuites et de recouvrement sont regroupés au sein de la DNED dont l’appellation change à nouveau: Direction Nationale des Enquêtes Douanières.
Le service de l’évaluation (devenu service central de la valeur) et le service de contrôle des mouvements financiers (devenu SAFICO) sont érigés en services indépendants.
La DNED reçoit pour mission essentielle la recherche et la répression de la fraude qui constituent sa vocation naturelle.
Pour faciliter l’archivage des données, la DNED se dote en 1973 de fichiers rotatifs en attendant le développement des applications informatiques.
Composition de la Direction nationale des enquêtes Douanières (DNED)
La DNED est désormais constituée:
– de services d’enquêtes, de recherches et de répression de la fraude comportant des unités opérationnelles implantées à Paris et en province;
– d’une recette principale régionale;
– d’une agence de poursuites et de recouvrement.
La division des Recherches qui en raison de la création des Directions Régionales parisiennes se trouvaient déchargée de la surveillance directe de l’Ile-de-France pouvait se consacrer exclusivement à sa mission essentielle : constater les infractions aux dispositions de l’article 215 du code des douanes et, d’une manière générale, rechercher les actes de contrebande de toute nature.
1976
Au début de l’année 1976 était également mis en place le 7e bureau qui regroupait les agents affectés à la tenue des fichiers, à la cotation des enquêtes et à l’assistance administrative.
Il était chargé:
- d’assurer un meilleur traitement de l’information par la prise en charge de tous les renseignements recueillis ;
- d’enrichir les dossiers d’enquêtes;
- de procéder à la cotation des enquêtes tant à la DNED qu’aux services régionaux;
- d’assurer une coordination entre les services concernés.
Les services d’enquêtes étaient rassemblés en 4 divisions d’enquêtes:
- la 1ère division : biens d’équipement
- la 2ème division : produits agricoles
- la 3ème division : industies chimiques, produits pétroliers et textiles
- la 4ème division : relations financières et fiscalité.
Au « 35, rue du Louvre »…
Les services de la DNED qui avaient dû pendant une longue période être dispersés dans Paris sont regroupés au 35, rue du Louvre (mai 1976)…
1977
3 mars 1977: inauguration du 35 rue du Louvre par Messieurs Vidal, directeur général, et Pignot, chef de service interrégional
Inauguration du 35 rue du Louvre par Messieurs VIDAL, directeur général, et PIGNOT, chef de service interrégional.
1988
La DNED devient la Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières (DNRED)
Par arrêté ministériel du 1er mars 1988, la DNED devient par absorption partielle des activités du CDE (Centre de Documentation et d’Evaluation), la Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières qui comporte deux directions fonctionnelles:
- l’une du Renseignement et de la Documentation (DRD);
- l’autre des Enquêtes Douanières (DED).
1992
Le 1er octobre 1992, l’ensemble des services s’installe au 18-22 rue de Charonne.
18-22, rue de Charonne
Notes:
(1) Pierre Sarreau – André Pignot
Les services douaniers d’enquête et de recherche en France
(Historique de la création et de l’évolution de ces services de l’avant-guerre à 1980) – Editions AHAD – 1989