Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Contre des blindés en Flandre maritime

Mis en ligne le 1 septembre 2022

Dans le cadre de notre « Une » intitulée « Douaniers, volants et pistons » , nous reproduisons ci-dessous un extrait d’une étude de Jean Maymard publiée en 1954 dans le Journal de Formation Professionnelle sous le titre « La fraude en Flandre maritime ».

 

L’auteur relate avec force détails l’épisode qui opposa la douane à une nouvelle forme de contrebande réalisée à l’aide de … véhicules blindés…

 

Nous publierons prochainement l’intégralité de cette passionnante étude (*).


L’équipe de rédaction

 


 

Les Allemands sont refoulés par les armées alliées victorieuses, la poche de Dunkerque est libérée, le Pays est nettoyé de l’occupant.

 

Les adversaires de la Douane, qui hier se servaient de l’ennemi, vont mettre à profit la présence des troupes alliées en stationnement en Belgique et de l’autre coté du Rhin, pour continuer, en sens inverse cette fois, leur commerce lucratif. Et c’est ainsi que sous le couvert d’ordres de missions, vrais ou faux, des militaires alliés authentiques ou déserteurs ont pu introduire dans leurs convois, en France, des marchandises très recherchées.

 

Nos douaniers réagissent; l’attitude offensive des conducteurs protégés par l’uniforme dont ils sont revêtus, nous obligent à faire appel à l’autorité de la Military Police. C’est alors l’arrestation par cette dernière, de ressortissante des Nations alliées, que pour la plupart elle recherchait, et la saisie par la Douane de quantités appréciables de cigarettes et de tabac – de pneumatiques – de cordonnets élastiques notamment.

 

La Brigade de Steenvoorde s’est montrée particulièrement active. Des agents, à l’attention éveillée, et ne se laissant pas impressionner par la carrure ou l’armement des conducteurs, ont exigé la visite des véhicules, afin de se rendre compte si leur contenu était conforme à l’état du chargement repris sur l’ordre de mission. Parfois même, le service était dans l’obligation de maintenir en respect avec un vieux fusil de guerre inoffensif des militaires agressifs.

 

Deux camions transportant 8 tonnes de cigarettes et pâtes à mâcher sont ainsi fouillés et saisis avec leurs marchandises. De 1945 à 1947, 8 autres camions conduits par des militaires ont été attaqués, dont 2 sans succès. Les 6 autres, saisis, contenaient au total 7.835 kg de tabac et 2.150 kg d’autres marchandises de fraude. 

 

Au cours du 2ème trimestre 1947, disparaissent les conducteurs militaires. 

 

Parallèlement à la contrebande par véhicules conduits par des hommes de troupes, la contrebande particulière par automobile blindée ou non, reprend peu après la Libération. Elle va se mettre rapidement en vedette et surprendre nos brigades en pleine réorganisation. La fraude par automobile n’était pas une innovation. Elle avait pris naissance un peu antérieurement 1914. Le chroniqueur des « Annales des Douanes » – n° 17 de septembre 3413 – avait observé avec un tantinet d’exagération pour l’époque, que « la vulgarisation si rapide des moyens de transport automobiles ne pouvait manquer d’être mise profit par les fraudeurs, notamment dans la région du Nord, sillonnée de routes plates, permettant à. des voitures puissantes de franchir à toute allure des lignes de douane et (je cite l’auteur) « de transporter en quelques minutes, dans l’intérieur du Pays, des quantités considérables de tabac ou autres produits du Monopole ». 

 

« Les incursions des premières automobiles de fraude, anciens modèles de course, actionnées par des moteurs de 8o à 100 CV, pourvues de pneumatiques jumelés, renforcés quelquefois par des bandes de cuir ou en acier et dont la carrosserie rudimentaire paraissait avoir été aménagée principalement pour mettre le chauffeur à l’abri des coups de feu, causèrent un vif émoi dans le service. Entre les mains d’hommes audacieux, prêts à ne reculer devant aucune extrémité, pour consommer leurs tentatives, ces engins qui passaient en trombe, à toute heure du jour et de la nuit, sur les chemins les mieux gardés, furent quelques temps les maîtres de la route ».

 

Après la guerre de 1914/18, la fraude par automobile s’était organisée et s’était développée puissamment. Les voitures automobiles étalent équipées spécialement. Un tank même avait forcé les barrages les plus solides, en rompant les engins utilisés pour la défense, en arrachant les câbles tendus en travers de la route, aveuglant les attaquants par une émission de filmée. C’était un engin dont la photographie conservée à la Direction de Dunkerque, nous parait aujourd’hui amusante. C’était cependant un précurseur.

 

La guerre de 1939/44 devait permettre aux entreprises de contrebande de bénéficier des derniers perfectionnements de la science.

 

Ces entreprises qui ont leur siège en Belgique, sont financées par des capitaux belges et possèdent en France, pour écouler les produits importés en contrebande, des intermédiaires qui leur fournissent les locaux nécessaires pour constituer leurs dépôts, en attendant la vente en demi-gros à des agents, débitants pour la plupart, chargés de leur écoulement dans le pays.

 

La pénurie en France de tabac, de pneumatiques, de café, offrait un gain d’autant plus rémunérateur que ces produits et denrées étaient livrés sur des points plus éloignés de la frontière et notamment dans les grands centres. En 1947 et en 1948, des camions rapides et chargés de plusieurs tonnes de marchandises franchissent la frontière de vive force et vont d’une seule traite jusqu’à Paris.

 

Les parcs des surplus alliés stockés dans les camps militaires de Belgique allaient procurer aux fraudeurs des engins qui devaient être utilisée à des fins pour lesquelles ils n’avaient pas été prévus.

 

Ces véhicules militaires, anciennes auto-mitrailleuses ou autos canons ou encore voitures de reconnaissance possédaient un fort blindage qui mettait les conducteurs et les guides â l’abri des balles de mitraillettes ou de mousquetons. Leur puissance bravait tous les obstacles que la douane pouvait leur opposer, les barrages étaient enfoncés ; les cibles d’acier étaient coupés, les sockeels et chausse-trappes brisés ou écrasés, sans dommage pour les pneus qui étaient munies d’une épaisseur de gomme telle qu’ils pouvaient rouler, alors qu’ils étaient percés.

 

 

Ce curieux véhicule de fraude, ancêtre des blindés, a été capturé par la douane de Dunkerque au lendemain de la guerre 1914-1918 – Les 2 tiges métalliques incurvées vers l’avant du camion étaient destinées à passer sous les câbles constituant les barrages, pour les soulever et les scier.

 

 

 

Le premier engin du genre, qui ait été saisi, était en outre renforcé par des moyens d’attaque et de défense spécialement étudiée et fort ingénieux : l’inclinaison de la partie avant du capot qui protégeait le radiateur, avait été flanquée de deux énormes couteaux d’acier à lames tranchantes munis à leur extrémité du bas d’un éperon et à celle du haut, d’un bec retourné.

 

Lorsque le blindé se présentait devant un câble, les éperons soulevaient ce dernier et la progression du véhicule aidant, le câble était scié par frottement sur les lames. Si le câble résistait, il était immanquablement coupé par les becs retournés

 

Auto-mitrailleuse utilisée pour la fraude, saisie en 1947

 

 

Un sabot ajouté sous l’aile des pare-boue avant, à une distance de quelques centimètres de la surface extérieure des pneus, était destiné à débarrasser ce dernier de la chausse-trappe dont les pointes auraient pu pénétrer dans l’épaisseur de la gomme.

 

Derrière les sièges avant, un épais blindage avait été prévu pour protéger le conducteur et le guide des balles tirées par les douaniers à la poursuite du blindé retournant à vide en Belgique.

 

Le logement destiné normalement à recevoir à l’arrière le pied de la mitrailleuse ou du canon, avait été modifié de façon à rendre le plancher mobile; l’ouverture était commandée per un levier placé prés du conducteur. Ce logement était rempli de clous qui devaient être libérés pas la manœuvre du levier et qui, tombant sur la route, devaient crever les pneus des voitures poursuivantes. Ces clous, en effet, présentant une forme tétraédrique, utilisaient les propriétés de cette figure géométrique et maintenaient, quelle que soit la façon dont ils tombaient sur le sol, une pointe aigüe dirigée vers le haut.

 

Autre voiture blindée comportant un dispositif pour chasser les engins anti-char qui pesaient 230 kg et qui récupérés après la libération sur les plages de Dunkerque, étaient utilisés comme moyens de défense douanière

 

 

Trois phares, deux à l’avant du véhicule et un autre à l’arrière, étaient destinés par leur puissance à éblouir les agents attaquant ou poursuivant.

 

Enfin, les pneus recouverts d’une forte épaisseur de gomme, supportaient, même crevés, la marche du véhicule.

 

Camion blindé de grosse capacité

 

 

Il pouvait impunément franchir tous les obstacles susceptibles de lui être opposés.

 

Les blindés qui sont tombés an cours de l’année 1948 dans les mains du service ne comportaient plus tous ces dispositifs. Seules subsistaient les plaques de blindage, protégeant les chauffeurs et guides, les phares et quelquefois un dispositif sommaire pour semer les clous. L’un d’eux était muni sur le devant d’un chasse obstacles très solide.

 

Le service avait réussi des prises spectaculaires et sensationnelles,

 

Mais à partir de 1948, à la suite d’échecs répétés, les entrepreneurs de contrebande abandonnaient définitivement les auto-mitrailleuses et autres engins de guerre démilitarisés. Les lourds blindés disparaissent. Leur utilisation avait causé à leurs propriétaires de graves déboires – c’étaient en général des engins déjà usés et qui, quoique révisés attentivement, ne pouvaient être d’un emploi durable.

 

Par ailleurs, ils étaient trop repérables le jour, d’où la nécessité de rouler uniquement de nuit. Enfin nos agents avaient trouvé la parade comme on le verra tout à l’heure (*).

 

Jean Maymard

 


 

 

Journal de Formation Professionnelle

 

N° 36

 

Avril 1954

 


 

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