Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

1988: de la DNED à la DNRED avec J.H. Hoguet

Mis en ligne le 1 mai 2022

 

Dans le cadre de notre rétrospective de l’histoire des services d’enquêtes, de recherche et de renseignement de l’institution douanière française, le passage de la « DNED » à la « DNRED » constitue un séquence déterminante. C’est en 1988 que voit le jour une véritable direction du renseignement au sein du service.

 

Pour relater cette séquence, Nous reproduisons ici l’éclairage apporté par Jean-Henri Hoguet, promoteur de cette mesure novatrice et chef du service à cette époque. Son témoignage est extrait – avec son aimable autorisation – de son ouvrage « Au service de L’Etat à travers la douane – 1954-1996 ».

 

L’équipe de rédaction 

 


 

La Direction du renseignement

 

L’année 1988 a d’abord été celle de l’adjonction d’un pôle Renseignement à la D.N.E.D., devenue de ce fait D.N.R.E.D., suite à la parution d’un arrêté ministériel du 1er mars 1988 et de 1’Instruction Cadre du 19 mai. Comme proposé par le G.P.A. (Groupe Prospective et Action), le Centre de Documentation et d’Evaluation (C.D.E.), créé quelques années auparavant et qui, faute d’une doctrine bien établie et appliquée avec des moyens correspondant aux objectifs à atteindre, devait disparaître. Les moyens de l’ex -C.D.E, étaient transférés, au moins en partie, à la Direction du Renseignement. La partie Evaluation du C.D.E. était reprise, au niveau des principes, par la Direction générale et l’application pratique des règles relatives à la Valeur en douane relevait des Directions régionales à travers les bureaux de douane et les C.E.R.D.O.C.

 

Le C.D.E. avait été dirigé jusqu’ici par un directeur, flanqué de deux adjoints cadres supérieurs qui régnaient sur un effectif d’environ 70 agents. Le personnel, livré à des tâches peu exaltantes et mal encadré, relevait plus de la réserve indienne que de la troupe d’élite. Je reçus carte blanche de la D.G. – ce qui est rare – pour ne conserver que les agents que j’estimerais convenir à l’accomplissement des nouvelles tâches de renseignement. Ce contrat prévoyait toutefois que je devais garder le directeur. Je n’ai conservé qu’environ la moitié de l’effectif du C.D.E..

 

Pour faire fonctionner la nouvelle Direction du Renseignement, il fallait certes des « petites mains » non expertes, mais surtout un encadrement de spécialistes de la lutte contre la fraude. Or, où les trouver sinon chez les enquêteurs de la D.N.E.D. ? Je fis le tour des cinq divisions parisiennes de la Direction des Enquêtes et Recherches en expliquant aux agents ce que je voulais faire avec cette nouvelle Direction du Renseignement et de la Documentation, et les moyens que j’entendais y consacrer, y compris à l’étranger. Je demandais que chaque Division – sur la base du volontariat – me « prête » pour un an ses deux meilleurs agents, libre à eux si l’aventure leur plaisait, de rester un temps plus long à la D.R.D. Si cette expérience ne les satisfaisait pas, ils étaient assurés de retourner, au bout d’un an, dans leurs unités d’origine. Le pari était risqué – un enquêteur de classe n’aime rien plus que de faire des enquêtes avec un résultat probant au bout. Un enquêteur c’est avant tout un chasseur. S’asseoir derrière un bureau ou un ordinateur, peloter des listings ou confronter des séries de données n’a rien de très passionnant, encore que tout enquêteur prépare souvent son enquête de la sorte. Devant la réticence des enquêteurs à venir à la D.R.D., je leur racontais que j’avais rencontré à Londres, au siège de 1’Investigation Division, un enquêteur réputé qui, antérieurement, avait battu moult fois la campagne dans le cadre de ses investigations et qui maintenant se contentait de recueillir des informations, de les analyser et de lancer ses jeunes collègues sur les routes. Cet agent me disait qu’assis derrière son ordinateur, il éprouvait « une véritable jouissance chaque fois qu’il avait réuni le faisceau d’informations qui ferait tomber son client ». L’homme derrière l’ordinateur ajoutait : « avant je me déplaçais, maintenant j’envoie les autres et ça marche ». C’est ainsi qu’avec un peu de persuasion j’ai pu débaucher une petite dizaine (9 au départ) d’enquêteurs qui ont fait démarrer la D.R.D. Quelques-uns y sont restés plus d’un an. Je n’ai pas été ensuite ingrat avec ces agents qui m’ont cru et ont eu le courage de tenter l’aventure.

 

(…)


La mise en place de la nouvelle D.N.R.E.D.

 

Concernant le fonctionnement du service, on peut dire que 1988 a vu la mise en marche de la D.R.D. et le début de rapports nouveaux entre cette Direction et celle des Enquêtes Douanières. Nous revenions de loin car, au début, les enquêteurs de la D.E.D., soucieux de conserver leurs enquêtes d’initiative, niaient la nécessité, l’utilité et même la viabilité d’une Direction du Renseignement. Pour les enquêteurs, la Direction du Renseignement ne pouvait avoir qu’une tendance monopolistique et confiscatoire au regard de l’information opérationnelle.

 

A la D.E.D., on avait également innové. On avait monté des opérations faisant intervenir soit plusieurs échelons, soit une division parisienne et plusieurs échelons. Ces opérations concernaient des livraisons surveillées de stupéfiants naissant à la frontière espagnole et se terminant àMarseille, Lyon ou dans le nord, mais aussi d’autres opérations plus classiquement douanières relatives à un produit importé mais ayant des points de chute disséminés sur tout le territoire. L’importance de ces opérations amenait naturellement à évaluer leur coût en hommes, en matériel et en frais de déplacement et à tirer de cette évaluation des conséquences au regard de la rentabilité

 

(…)

 

La D.N.R.E.D. en 1989

 

Les 14 et 15 mars, je me rendis, en passant par Lille où je pris Bardu avec moi, à Anvers. Le but du voyage était d’examiner avec nos collègues douaniers belges les possibilités d’échanges de renseignements en matière de conteneurs arrivant dans ce grand port et dont une bonne partie était ensuite acheminée sur la France. Je m’aperçus qu’en Belgique la Douane a d’abord pour directive du gouvernement de ne pas freiner le commerce afin que le bon renom du port d’Anvers ne soit pas altéré. La vitesse du dédouanement primait donc la recherche de la fraude.

 

Les échanges internationaux de renseignements sur la fraude ne s’en développèrent pas moins en 1989. Le nombre des dossiers traités augmenta de 14% par rapport à 1988 et de 67% par rapport à 1985. Compte tenu des facilités que i’avais obtenues pour envoyer des agents en mission à l’étranger, le nombre des missionnaires passa de 26 en 1987 à 51 en 1989. Certaines de ces missions donnèrent d’excellents résultats sur le plan contentieux. Pour la première fois, une permanence H 24 fut instituée dans le secteur de l’assistance mutuelle avec l’étranger, en raison du développement de celle-ci et de la nécessité, dans certains cas, de réagir très vite. En 1989 également un système international de surveillance des navires suspects a été mis sur pied – Mar-Info – et une partie de la gestion du système fut confiée à la D.R.D. par nos collègues étrangers, Pour la première fois, un pays gérait en temps réel un fichier douanier et le mettait à la disposition des autres.

 

La D.R.D. commençait à être victime de son succès, car si les besoins en informatique pouvaient à peu près être satisfaits, il n’en allait pas de même pour ce qui concerne le renfort en personnel. Cette mēme pénurie nous empêchait de nous lancer dans l’élaboration d’une structure apte à traiter l’information en matière de blanchiment.

 

A partir de septembre, la D.R.D. eut un nouveau patron. En remplacement de Pla, j’avais pu, en insistant beaucoup, faire nommer sur ce poste de directeur le chef d’échelon de Lille, Jacques Bardu. Tout son passé, y compris lorsqu’il était chef de subdivision dans l’Est, montrait qu’il savait recueillir l’information, développer des réseaux d’informateurs et faire des affaires sur renseignements. Son efficacité était même dérangeante pour certains, d’autant qu’il agissait et rendait compte après, chaque fois qu’il pressentait que la diffusion préalable de I’information était susceptible de retarder ou d’arrêter l’action. De plus, sa notoriété auprès de ses collėgues chefs d’échelon était de nature à donner une crédibilité accrue à la jeune D.R.D.. Dès son arrivée, il mit sur pied un nouveau système de diffusion mensuel de l’information sur la fraude qui incitait les services destinataires à faire du retour d’information et créait 1’émulation entre ces services en publiant leurs résultats. Ce bulletin était en outre présenté sous une forme attractive, relevant plus de la bande dessinée que de la note administrative. Yvon Pelafigue, directeur interrégional à Lille, nous donna un très sérieux coup de main en mettant pendant plusieurs mois à notre disposition le dessinateur-douanier qui illustrait si bien notre document mensuel.

 

La D.E.D. quant à elle, si elle avait achevé sa reconversion du Change vers la Douane, n’en avait pas moins deux problèmes à résoudre pour s’adapter aux évolutions en cours. Alors qu’elle fonctionnait auparavant en circuit fermé concernant le renseignement qu’elle recueillait et exploitait directement, il lui fallait maintenant, non seulement admettre l’existence de la D.R.D., mais aussi participer à son fonctionnement en la pourvoyant en informations. Des progrès restaient à faire, spécialement pour les recherches, car le changement des habitudes mentales ne se réalise pas immédiatement à la suite d’une injonction, même forte. Le dexièeme problème pour la D.E.D. était que ses unités apprennent à travailler entre elles compte tenu des dimensions nationales et internationales prises par la fraude, qu’il s’agisse de stupéfiants ou de fraudes commerciales communautaires. Devant la complexité ou la difficulté des dossiers à traiter, les agents se rendaient compte que la matière était en train de changer de nature et de dimension et que, pour mener à bien les enquêtes, il fallait mettre en jeu des moyens juridiques, techniques et matériels dont certains faisaient encore défaut (écoutes légales, coopération judiciaire internationalemesures conservatoires sur les biens situés à l’étranger, etc.).

 

Jean Henri Hoguet

 


 

 

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