Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Une littérature douanière exclusivement à charge ?

Mis en ligne le 1 janvier 2022

 

 

« J’ai cherché sans succès dans notre littérature des témoins de nos souffrances et de nos luttes dans l’accomplissement d’une grande et difficile mission. Je n’ai trouvé que des accusateurs » déplore ce douanier en 1955  (JFP N° 44 Février 1955 ). Sa complainte est alors reprise par la rédaction du Journal de formation professionnelle et sert de tremplin à une démarche innovante que nous vous laissons découvrir ci-dessous.

 

Tout est déjà là en 1955 : seront publiés les meilleurs extraits des oeuvres littéraires concernant la douane, les lecteurs sont invités à participer à la vie de cette nouvelle rubrique, une bibliothèque dédiée et le recueil des oeuvres, manuscrits et objets perdus ou dispersés » seront mis en oeuvre. Un seul but: « reconstituer et enrichir notre patrimoine commun ».

 

Nous reprenons aujourd’hui mot pour mot ce manifeste à notre compte!

 

L’équipe de rédaction

 


 

N.D.L.R. 1955 – En se référant d’une rubrique du « Journal de la Formation Professionnelle », L’Actualité douanière a publié, dans son numéro du 15 août 1955, quelques notes intéressantes sur « la littérature et la douane », notes qui viennent animer, de façon heureuse, une rubrique que nous voudrions voir devenir très vivante…

 

Nous reproduirons volontiers dans le « Journal » les meilleurs extraits des oeuvres littéraires qui contiennent des aperçus ou des références concernant notre Administration. Aussi, invitons-nous à participer à la vie de cette rubrique les fonctionnaires qui, en dehors de leurs activités purement professionnelles, s’intéressent aux manifestations extérieures, littéraires, artistiques ou historiques ayant une relation avec notre métier, soit qu’il s’agisse d’oeuvres traitant de la Douane, soit qu’il s’agisse d’oeuvres réalisées par nos Agents. 

 

Parallèlement à ce souci d’information et de diversion (sic) du Personnel par la voie du « Journal », nous nous efforçons de réunir, à l ‘École, les ouvrages de bibliothèque traitant des douanes ainsi que les oeuvres artistiques, notamment les peintures, réalisées par des fonctionnaires de notre Administration.

 

Plusieurs douanes étrangères ont tenu, de leur côté, à apporter leur participation à la constitution de ce patrimoine que nous laisserons aux générations futures. En renouvelant l’assurance que tout ce qui parvient à Neuilly est minutieusement catalogué et conservé, avec l’indication du nom des donateurs, nous demandons à tous ceux que cette activité intéresse de nous faire parvenir les ouvrages, documents ou informations susceptibles d’enrichir la Bibliothèque et le Musée des Douanes.

 

Beaucoup d’oeuvres, de manuscrits, d’objets ont été perdus ou dispersés; il nous revient, maintenant que nous avons, à côté de la Direction Générale, une maison dont l’accès est constamment ouvert à l’ensemble du Personnel, de reconstituer et d’enrichir notre patrimoine commun.

 


 

Dans l’École-Presse, rubrique du journal de la Formation professionnelle, numéro de février 1955, sous le titre  « Les écrivains et la Douane », figure l’extrait de la lettre d’un agent des Brigades qui déplore avoir cherché sans succès dans notre littérature (exception faite pour Alphonse Daudet : « Lettres de mon Moulin » – « Les Douaniers« ) des témoins de nos souffrances et de nos luttes dans l’accomplissement!d’une grande et difficile mission. 

 

Il n’a trouvé que des accusateurs : Van der Meersch. Loti, Rimbaud. Il ne faut pas tellement s’en étonner.  Comme le préposé de l’octroi, avec qui on le confondait souvent, le douanier n’a jamais eu bien bonne presse! Il fut l’homme de l’odieuse gabelle. Misérable, accablé de tous les préjugés, il ne devait guère compter sur le romancier pour faire valoir la noblesse de son ingrate mission : il faut que le contrebandier ait le beau rôle.

 

Il existe une expression populaire pour dire qu’on entre en Douane faute de moyens pour entreprendre autre chose! C’est ce qu’écrit Maurice Druon, sous une forme nuancée, dans son livre « Les Grandes Familles » (Prix Goncourt 1948). Il nous fait assister à la dernière remise de décorations par un général mis à la retraite:

 

« En face du général, une bonne tête de maréchal des logis chef. Dix-neuf ans de service sans avoir jamais pu dépasser son grade. Un qui allait s’en aller, devenir douanier sans doute. »

 

Si le Journal officiel de la République française pouvait être considéré comme une oeuvre littéraire, nous prendrions une singulière revanche. On constituerait facilement un volume en reproduisant les témoignages apportés à la tribune du Parlement :

 

«  Modestes et dévoués fonctionnaires-soldats de l’impôt. »

« Il faut les avoir vus tous les soirs partir dans la forêt, se traîner sur le sol avec leurs chiens par la gelée, par la neige, se trouver aux prises avec les contrebandiers et payer de leur existence l’effort pour sauvegarder les intérêts du fisc… »

 

Mais si nos défenseurs avaient réussi à convaincre, il n’eût pas été nécessaire de renouveler de pareils éloges à peu près régulièrement lors de chaque discussion budgétaire!

 

De leur côté, les autorités administratives auraient sans doute pu faire preuve de fermeté pour redresser une opinion mal informée. Elles auraient dû, pour le moins, éviter des mesures malheureuses que les romanciers ne manquèrent pas d’exploiter.

 

Marcel Prévost (de l’Académie française) a publié sous le titre « Le Pas Relevé », un recueil de nouvelles dont l’une s’intitule « Tom, contrebandier ». Quiconque aime les animaux, s’indigne à la lecture de ces lignes, nettement défavorables à notre corporation.

 

L’auteur s’est égaré un soir dans les dunes qui bordent la mer du Nord. Attiré par une frêle lumière, il frappe à la porte d’une maison isolée, habitée par un contrebandier. Celui-ci consent à guider le promeneur jusqu’au village le plus proche, mais il faut attendre le retour de sa fille, précisément « en route pour le tabac ».

 

A ce moment, un gémissement prolongé, déchirant, jaillit de la chambre voisine. Michel Dewachter (c’est le nom du contrebandier) y courut. Par la porte ouverte je le vis penché sur un lit et je l’entendis qui murmurait en flamand des mots que je ne compris pas.

Quand il revint, ses yeux étaient humides.

— « Vous avez un malade? » demandai-je.

Il hocha la tête.

– « C’est Tom qui va mourir, fit-il.

Et comme sans doute je n’avais pas l’air de bien comprendre, il ajouta :

– « C’est Tom, mon chien, que les douaniers m’ont tué, monsieur. Veux-tu le voir? »

Je fis signe que oui. Il me précéda dans la chambre, et là je vis ce spectacle singulier : un grand chien jeune, une sorte de lévrier bâtard, étendu comme un homme sur les couvertures, Du sang se figeait autour de l’oreille droite (1) ; une des pattes de devant semblait rognée, et le moignon était enveloppé de linges sanglants. Son flanc battait avec une rapidité extraordinaire. La langue demi-sortie des dents, les yeux entreclos, la bête râlait.

Michel Devachter s’approcha, baisa le chien moribond sur son pauvre museau frémissant…»

 

Le contrebandier explique ensuite comment les chiens sont dressés à faire la fraude. Questionné sur les raisons de cette « cruauté des douaniers de couper la patte de l’animal « », il répond :

 

  • – « Ah! C’est pour la prime, sais-tu ! Quand ils ont saisi comme ça le chargement d’un chien, ils l’envoient au chef des douaniers, là-bas, en France ; et en joignant au procès-verbal la patte du chien, ils reçoivent une prime, beaucoup d’argent, vingt-cinq ou trente francs. Ils étaient pressés, cette fois, ou bien ils ont cru que le chien était mort. En tout cas, Tom est rentré ici ce matin, sur trois pattes ».

 

Le retour de la fille, on le pense bien, donne lieu encore à une scène déchirante.

 

Or, une mutilation de ce genre, même opérée sur un cadavre comme le prescrivent les règlements, est  un acte inutile.

 

Nous voudrions que des camarades plus heureux que nous découvrent, au hasard de leurs lectures, une juste et réconfortante appréciation de la vie quotidienne du douanier. Nous craignons que celui-ci serve plutôt et longtemps encore de tête de Turc pour amuser la galerie I 

 

Voici par exemple ce que nous avons relevé dans les « Carnets du major Thompson », cet ouvrage de Pierre Daninos qui connaît actuellement un très grand succès. Il y est question de l’aspect  « bonne franquette » de notre doux pays, où, la stricte application du règlement est considérée comme une sanction :

 

« …Je l’ai compris à la minute même de mon arrivée en France, à Calais, en entendant un douanier désabusé dire avec un savoureux accent auvergnat à un voyageur qui avait commis deux infractions :

— Chi cha continue, vous jallez m’obliger à appliquer le Règlement… »

 

Consolation nous est donnée en lisant ce qui fut écrit sur les douaniers en guerre. Grâce à leur connaissance des régions occupées par l’ennemi durant la guerre 1919- 1918, ils furent les héros des missions spéciales.

 

Jules Védrines, l’aviateur acrobate qui se spécialisa dans le dépôt de ces volontaires en territoire occupé, a conté ceci :

 

« Un général m’appelle un jour.

— Voulez-vous voir des hommes? fait-il, venez avec moi.

Ils étaient trente, alignés, des simples soldats.

Ils avaient l’air d’hommes comme les autres.

— Voilà mes gabelous, dit le général.

Et il s’adressa à eux d’une voix brève.

— j’ai besoin d’un volontaire. Mission terrible. On n’en reviendra pas. Quelque chose à démolir. Celui qui le fera y restera. Y en a-t-il un parmi vous qui soit décidé à donner sa peau?

Ils étaient trente, simples douaniers. Trente bras se levèrent. Le général, nerveusement, me donna un imperceptible coup de coude. Quelques jours plus tard, j’enlevai mon homme. La chose fut faite. On ne le revit plus. J’ai du respect, depuis ce temps-là, pour l’uniforme de douanier. »

 

Van der Meersch n’ignorait pas ces faits. Dans son livre « Invasion 14 » on relève cette allusion sans commentaires :

« On trouvait énormément de douaniers parmi ces gens-là. ».

 

Cet écrivain ne s’est pas donné pour tâche de glorifier la Douane I

 

Mais l’histoire des « Douaniers en mission » a été écrite par Jacques Mortane (Éditions Baudinière), qui a longuement souligné l’héroïsme de ces « anonymes de la gloire ».

 

Au lieu d’être déposés par avion pour être repris si possible, ils furent parfois acheminés par la Hollande vers les régions occupées qu’ils ne pouvaient atteindre sans franchir le réseau électrifié de la frontière belgo-hollandaise, à propos duquel Sacques Mortane écrivait ceci :

 

« L’évadé qui sentait la liberté prochaine et apercevait la terre où il n’aurait plus à craindre le joug de l’ennemi, était déjà merveilleux d’audace lorsqu’il osait affronter ces fameux fils mortels… Mais que dire de l’homme libre qui, se trouvant en pays neutre, n’hésitait pas à se frayer un chemin parmi des pièges aussi redoutables, pour aller se mêler aux ennemis avec des colis compromettants, uniquement par patriotisme ! Quels trésors de vaillance et de stoïcisme recélaient ces coeurs de grands Français ! »

 

Cet héroïsme a-t-il toujours été justement apprécié? Non sans doute.

 

«  …et ce sont ceux-ci qui furent délaissés, traités avec une rare ingratitude… Les douaniers n’ont jamais reculé devant le danger ; ils ont toujours réclamé l’honneur de partir, même sachant qu’ils n’avaient aucune chance d’échapper à la mort. 

 

Si on l’oublie, qu’est-ce donc que la justice? ».

 

 


Notes:
  1. Le chien avait été atteint par une balle.

 


 

 

Journal de la Formation frofessionnelle

 

N°49

 

Juillet-août 1955

 


 

 

 

 

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