Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Une illustration des douanes médiévales : Le Grand Tonneu de Metz

Mis en ligne le 3 janvier 2019
R. Corbaux a déjà publié dans le Bulletin de l’Association (n° 3), un bref article consacré au Grand Tonneu de Metz. Le sujet méritait de plus grands développements. Comme l’indique le titre du présent article, il s’agit d’une illustration des manifestations du phénomène douanier durant le Moyen-Age et, plus particulièrement, de ses rapports avec les grandes foires. Notre Association souhaite depuis longtemps susciter parmi ses membres un intérêt particulier pour cette question et des recherches comparables à celles de R. Corbaux.

 

 

LE CONTEXTE DOUANIER FRANÇAIS

 

Les plus anciens droits de douane connus portent le nom générique de «foraine». Est forain dans l’ancien droit tout ce qui est d’ailleurs : le marchand qui va aux foires des autres villes de France ou de l’étranger est forain ; foraines également les taxes et les saisies qui frappent les marchandises étrangères, celles du pays voisin ou celles du village voisin, car l’étranger n’est jamais très loin du clocher.

 

Le mot viendrait du latin Forum (Place publique) ou de Feria (la fête) parce que les marchés se tenaient aux lieux ou l’on célébrait les fêtes. Le marché est toujours une fête et la douane comme la fête est foraine ; les mots gardent tout leur sens.

 

L’histoire des douanes, c’est l’histoire des foires, c’est-à-dire de toutes les fêtes qui ont rythme la vie des hommes. Parfois, bien sûr la douane n’est que l’ombre sur la fête, l’orage importun qui frippe les organdis et chasse les buveurs des terrasses, mais sans lequel peut-titre on n’aurait même pas gardé le souvenir de la fête. Les traites (1), très ancienne dénomination fiscale en France, sont des droits qui frappent les marchandises en circulation.

 

Les traites foraines se lèvent par conséquent sur les marchandises qui entrent dans le royaume ou la province ou qui en sortent, mais l’appellation de foraine s’applique essentiellement à des droits de sortie. L’origine de ces droits n’est pas établie de manière certaine. Les douaniers honorent habituellement en Philippe le Bel (1268-1314) le premier roi douanier de France et le véritable fondateur de leur Administration ; c’est simplifier beaucoup, car il faut sans doute remonter un peu plus loin pour trouver des rois fiscalistes et patienter un peu pour qu’une véritable Administration des Douanes soit effectivement créée.

 

Cependant les prédécesseurs de Philippe le Bel avaient levé peu d’impôts dignes de ce nom, se contentant la plupart du temps des produits du Domaine sauf en cas de nécessité, et pour des motifs ponctuels, (une rançon à payer ou une fille à marier) à solliciter l’aide de leurs vassaux ou sujets.

 

Mais les droits de douane, dont les Romains connaissaient parfaitement les mécanismes et les incidences économiques, ont existé bien avant eux. César entrant en Gaule, note dans ses «Commentaires» qu’il s’y percevait des droits indirects qu’il appelle «portoria» et «vegtigalia» (2), et qu’ils étaient affermés. Ces droits n’étaient perçus qu’ aux frontières extérieures.

 

L’organisation administrative que la conquête romaine impose va subsister bien après la chute de l’Empire romain d’Occident, au-delà du règne des Mérovingiens et pendant la plus grande partie de celui des Carolingiens. Il faudra les temps de désolation et d’anarchie qui couvrent une grande partie des 9eme et 10eme siècles pour la détruire ou la corrompre.

 

Au 7ème siècle, on trouve trace des tonlieux (3) qui désignent d’ailleurs les droits de circulation pelvis aux frontières extérieures aussi bien qu’ à l’intérieur du territoire ; ils ne frappent cependant que les marchandises transportées en vue du commerce et non pas celles qui sont destinées à la consommation personnelle. C’est la vieille règle romaine qui subsiste et qui permet de différencier les droits de douane proprement dits des autres taxes de consommation, péages ou octrois (4).

 

Mais, à l’époque féodale, l’Administration romaine a vécu. Pendant de longues années et jusqu’au commencement du 13eme siècle, on ne sait plus rien des douanes de France.

 

Les vectigalia ou la quadragesima galliarum (5) se sont altérés ; de nombreuses taxes levées pour les besoins de la cause s’y sont ajoutées, frappant, outre les marchandises, les moyens de transport et surtout ceux-ci ; on ne sait même pas dans quelle mesure elles étaient perçues. La législation douanière romaine est bien morte.

 

En effet, après la désagrégation de l’Empire de Charlemagne, les invasions, les brigandages et les pillages mettent fin a toute une civilisation et évidemment au système commercial et fiscal qu’elle comportait.

 

La vie se resserre autour des fiefs qui, peu à peu, se comportent comme autant d’États distincts vivant dans un système d’auto-consommation ou les échanges ont peu de place. On s’efforce désormais de conserver ce qu’ on a : l ‘or , l ‘argent , les denrées alimentaires.

 

Et comme les autres fiefs n’agissent pas différemment , les douanes ont peu à faire. Aussi, à l’origine de la féodalité, n’existe-t-il ni droits d’entrée ni droits de sortie. Les tonlieux ont cesse même d’être perçus aux frontières anciennes et il ne s’en est pas établi de nouveaux aux frontières des fiefs.

 

Et puis, peu à peu, la vie économique renait. Les seigneurs et les villes ont besoin d’argent ; on redécouvre tonlieux et octrois.

Mais ce n’est pas la réhabilitation du vieux droit fiscal romain. Les nouveaux péages sont en fait des conventions qui lient seigneurs et marchands ; c’est la contrepartie de la protection que les premiers accordent à la circulation des marchandises. Les barbares qui peuplent la France vont avoir à réinventer toute la douane.

 

Les connaissances sur cette période sont très ténues, mais on peut raisonnablement penser que la seule politique économique qui pouvait avoir tours consistait en une prohibition générale d’exporter, ce qui permettait aux seigneurs, sénéchaux et baillis de vendre à leur profit quelques dispenses qu’ on appellerait aujourd’hui «licences d’exportation » ; elles étaient délivrées tantôt  par des fermiers et tantôt par des fonctionnaires publics, selon les provinces.

 

Les conditions de perception de ces redevances pouvaient varier à l’infini (6).

Au temps de Saint-Louis, les douanes royales -si l’on peut employer cette expression- comportent uniquement des droits d’exportation qui peu à peu ont remplacé toutes les prohibitions.

 

Aux frontières extérieures du royaume s’exerce une sorte de police économique sans incidence fiscale : interdire l’exportation du numéraire, des munitions de guerre et des denrées de première nécessite ; d’abord conserver son bien avant d’en faire profiter l’étranger. Les anciens avaient une conception des échanges commerciaux plus élaborée que celle de ces barbares francs !

 

A l’intérieur, aux frontières des fiefs, subsistent péages, octrois et prohibitions diverses. Saint-Louis, après avoir édicté la liberté du commerce des céréales, ne maintint, par une ordonnance de 1254 (qui est parfois considéré comme le plus ancien document concernant les douanes extérieures) les prohibitions de sortie que pour les rares marchandises énumérées plus haut.

 

Il ne supprima cependant ni péages ni octrois. Son fils Philippe commença par lever les dernières prohibitions existantes puis, pour ne pas démunir le royaume, il dut en établir de nouvelles en 1277 et 1278 (7).

 

Philippe le Bel, harcelé par les difficultés financières, inventa, comme on sait, les manipulations monétaires et accabla ses sujets d’impôts. Pressé également par la pénurie, il interdit, à la demande des drapiers, l’exportation des laines, puis, par une ordonnance du 1er février 1305, de tous les produits agricoles ou manufactures (8).

 

Financier habile, il se réserva le soin de vendre quelques passe-droit ; il confia cette fonction un nouvel officier créé spécialement à cet effet et désigné sous le titre de « Grand maitre des ports et passages ».

 

Cet officier fut donc chargé de percevoir ce que désormais on appellera le droit de haut-passage ; en lui donnant pouvoir d’établir des gardes sur les frontières et de poursuivre les contrevenants, on peut admettre que Philippe le Bel jeta les fondements de la première Administration et de la première juridiction douanière.

 

Ses fils qui tour à tour lui succédèrent ne furent pas moins extraordinaires. Louis X le Hutin qui voulait être un roi libéral fit pendre au gibet de Montfaucon l’Administrateur des Finances Enguerrand de Marigny qui avait été, nous dit-on, trop habile à édifier sa propre fortune, mais coupable surtout en réalité d’avoir voulu appliquer les ordonnances fiscales du précédent roi : il avait ainsi déchainé contre lui la haine du peuple.

 

Premier nom d’un long martyrologe fiscal. Le Hutin mourut bien vite et son frère Philippe le Long lui succéda. II rétablit la prohibition générale et confia la délivrance des permis d’exportation à trois commissaires nommes par la Cour des Comptes.

 

Il n’avait en vue que le bien-être de ses peuples. En douterait-on, on en trouverait la preuve dans une ordonnance du 25 février 1318 rendue après que ce bon roi eut appris que la gabelle du sel, récemment créée, ainsi que l’impôt de quatre deniers par livre étaient «moult déplaisantes… Savoir faisons… que notre intention n’estoit pas que les dictes gabelles et impositions durassent à toujours et qu’elles fussent mises en notre domaine. Aincois pour la déplaisance qu’elles sont à notre peuple, voudrions-nous que par bon conseil et advis, bonne voye et convenable fust trouvee par laquelle l’en mist bonne provision sur le fait de notre guerre et les dictes gabelles et impositions feussent abatues toujours…» (8).

 

Peut-on saluer dans ce texte la première et sans doute la plus lourde des promesses fiscales non tenues ? La mort saisi le roi alors qu’il était engagé à établir l’uniformité des poids et mesures, chose indispensable pour une exacte perception des droits de douane.

 

Un autre de ses frères, Charles IV, dit également le Bel, prit sa succession. Sa grande préoccupation était également le commerce ; il ne fut pas insensible aux propositions des marchands flamands qui lui offraient de payer l’impôt de quatre deniers par livre sur le prix de toutes les marchandises qu’ils achèteraient en France, s’il voulait bien rétablir la liberté d’exportation.

 

Charles IV fut le vrai fils de son père et comprit la douane détermina par une ordonnance essentielle du 13 décembre 1324 (9) les denrées et objets sur lesquels pèseraient désormais les impositions lors de leur exportation du royaume. II institua ainsi le premier véritable tarif des douanes de France ; on lui attribue également la création des droits de rêve (10).

 

La mort de Charles IV le Bel marque la fin de la première branche des Capétiens ; les douaniers de France pleurent la disparition de cette noble race à laquelle on doit tant en matière de douane. Et pourtant Metz qui n’était point alors en France aurait pu leur fournir de plus antiques traditions et de meilleurs modèles en fait de douanes. C’est une très vieille histoire qui remonte bien à Jules César.

 

LA DOUANE DE METZ, CITE ROMAINE

 

Maîtres de Divodorum, les Romains l’avaient organisée en Municipe et, en développant son importance militaire et commerciale, en avaient fait une des toutes premières cités de la Gaule.

 

Au cœur d’une région de très haute romanite la ville occupait une situation privilégiée au confluent de la Seille et de la Moselle ; elle constituait également le carrefour des grandes voies romaines vers Troyes, Strasbourg, Toul, Verdun et Reims et tenait ainsi une des toutes premières places dans les échanges commerciaux de la région.

 

Des inscriptions témoignent de relations commerciales intenses avec l’Italie et la Gaule méditerranéenne. Les négociants et artisans messins n’hésitaient pas à se lancer à l’aventure pour aller chercher fortune dans de lointains pays étrangers. Les membres de la Guilde des bateliers de la Moselle, les « nautae Mosallici » conduisaient les produits du pays en aval et en amont de la cité. L’objet de leur commerce est peu connu cependant : le sel déjà, les vins sans aucun doute, les céréales et bien d’autres produits.

 

L’antique Civitas Mediomatricorum était une cite florissante qui n’avait son égale que dans les villes de la péninsule italienne.

 

Mais surviennent les déferlements barbares qui, au Vème siècle, bousculent les frontières et s’abattent sur l’Empire. Seuls quelques ilots de civilisation ne sont pas entièrement submergés.

 

Fin 407 en effet, la Gaule entière s’embrase et les Francs malgré leur immense bravoure ne peuvent contenir sur la route de Reims les hordes de guerriers vandales, suèves et alains suivis de leurs chariots ou s’entassent femmes, enfants, vieillards, provisions et butin.

 

Les douaniers qui, les premiers bien sûr, les virent déferler au mépris des règlements qu’ils tentèrent en vain de faire respecter, crurent que l’Empire connaissait la fin du monde et que rien de pire ne pourrait désormais leur arriver.

 

Ce n’était pourtant qu’une avant-garde. 451, Attila franchit le Rhin : Metz, Reims et Troyes sont saccages et brilles. Le fléau de Dieu marche sur Paris à la rencontre de Sainte-Genevieve, et puis il reflue et, au retour, tente encore d’ anéantir ce qui avait pu lui échapper à l’aller. Un grand silence, une longue nuit couvre la Lorraine.

 

Un ou deux siècles obscurs se passent. Terriblement dévastateurs les Barbares n’étaient peut-être pas si nombreux qu’on l’imagine parfois. Metz se relève de ses ruines.

 

Au cœur des royaumes francs d’Austrasie et de Lotharingie, elle a conservé sa population et son identité gallo-romaine ; elle a simplement perdu son nom latin et passablement arrangé à sa façon la langue de Plaute et de Terence. Le partage des royaumes mérovingiens l’a mise en Germanie.

 

MARCUS SECUNDANUS, RECEVEUR DES DOUANES

 

 

A-t-elle au moins gardé le souvenir des douaniers que César et Constantin placèrent un jour sur les grandes voies commerciales de la région ? Elle aurait eu des excuses à les oublier car la vie avait été rude.

 

Et pourtant, en 1522 (11), alors qu’on creusait les fondations d’une nouvelle église Saint-Privat, on mit à jour une monumentale pierre tombale qui portait une épitaphe difficile à déchiffrer et à interpréter.

 

Ce ne fut qu’en 1733 que de savants moines benedictins établirent de manière certaine qu’elle était dédiée à «Marco Publicio Secundano Nautarum Mosallicorum Libeirto Tabulario Serviro Augustali» (12) c’est-à-dire à «Marcus Secundanus, affranchi, sévire augustale (13) et receveur des droits dus par les bateliers de la Moselle».

 

Ne soyons pas plus exigeants sur la traduction et admettons sans hésitations superflues qu’on se trouve bien en présence du plus ancien monument élevé à la mémoire d’un douanier lorrain. Tous les droits perçus à l’époque romaine sur la circulation des marchandises étaient en effet des droits de douane.

 

A Metz les institutions romaines survécurent très bien aux invasions barbares. Aux époques carolingienne et mérovingienne, la ville n’a rien perdu de son importance économique.

 

Le tracé des voies de communication et de négoce est demeuré inchangé. Les voies d’eau particulièrement utilisées de la Seille et de la Moselle sont alors propriété royale. Les négociants de la ville ou de l’étranger qui les utilisent pour conduire leurs marchandises aux marchés qui se tiennent près des berges de la Seille, devant les remparts, sont soumis à des droits de douane.

 

QUAND CHARLEMAGNE LÉGIFÈRE EN MATIÈRE DE DROIT DOUANIER

 

 

Des employés royaux perçoivent dans des «Stationes» c’est-à-dire des bureaux, des droits qui sont à la fois droits de circulation sur la marchandise et droits de place sur le marche.

 

Ces droits appartiennent au pouvoir royal jusqu’à la fin du 7eme siècle ou même jusqu’au début du Siècle, époque où le premier privilège d’immunité fut accordé à l’Évêque, ainsi qu’en atteste une charte connue de Charlemagne et datée de 775 (14).

 

Les évêques avaient acquis en effet, des la fin de l’Empire, une part non négligeable du pouvoir temporel. Leur rôle, face aux invasions barbares, leur avait conféré, dans l’effondrement des structures de l’État, une autorité qui leur fut reconnue dans de larges domaines dès le 6eme siècle.

 

Le texte de Charlemagne serait pour nous d’un intérêt secondaire s’il concernait uniquement la solution d’un litige de compétence douanière au profit des Évêques.

Il interdit en effet aux employés royaux de pénétrer sur le territoire de l’immunité pour y percevoir des droits de douane. La fraude est insupportable pour un douanier : or, les ressortissants de l’immunité ne s’en privaient guerre.

 

Ainsi, lorsque des marchés se tenaient sur des places soumises au pouvoir royal, des sujets de l’évêque, ou d’une église, ou d’une abbaye, qui venaient y vendre leurs produits et qui connaissaient bien la campagne environnante, empruntaient , pour s’y rendre, d’obscurs chemins détournés qui évitaient astucieusement les «stationes» des douaniers et leur permettaient de faire l’économie du droit de circulation.

 

Pour frauder le droit de place, rien de plus simple : on n’étale pas sa marchandise exactement sur la place du marche, mais juste à côté, tellement prés qu’on croirait qu’elle est sur la place, en réalité sur un terrain -un parvis d’église par exemple- qui n’est plus royal mais immunitaire.

 

Jusqu’alors les douaniers, sans ordonnance juridictionnelle, mais au nom d’un droit et d’un devoir qui leur paraissaient évidents, allaient, sans trop s’embarrasser, se saisir des contrebandiers et leur imposaient, au nom du roi, le paiement des droits fraudes. Le privilège d’immunité leur interdit désormais de pénétrer sur les terres épiscopales pour y poursuivre et appréhender les fraudeurs surpris en flagrant délit.

 

II ne leur reste plus qu’une procédure très aléatoire devant les Cours et Tribunaux de l’Évêque ou ils font plus figure d’accusés que de défenseurs du droit. Ce n’est certes pas la fin de la douane mais en réalité une simple transmission de pouvoir et… de recettes.

 

Ce que les douaniers ne peuvent plus percevoir au nom du roi, ils le perçoivent désormais au nom de l’Évêque.

Cette dévolution semble entièrement réalisée au 12eme siècle, mais elle est peut-être antérieure. Des documents de cette époque qui évoquent l’existence d’une foire annuelle à Metz attestent que le Telonium appartenait déjà à l’Évêque.

 

Or, cette foire n’est certainement pas alors une institution récente, car on en parle comme de quelque chose de bien connu. Ce qui est nouveau pour le douanier par rapport à l’époque impériale, c’est le lien entre le droit de douane et la foire. Les stationes aux frontières ou sur les grandes voies romaines sont révolues.

 

Pourquoi en effet chercher à appréhender sur de multiples routes qu’il est facile d’éviter, d’insaisissables marchandises, alors qu’elles aboutissaient toutes sur une place de marché ?

 

Ce qui parait certain en outre, c’est que, depuis la chute de l’Empire, les échanges commerciaux s’étaient considérablement restreints avant que ne se développe, à partir du 10eme siècle, le phénomène des foires periodiques qui traduit un renouveau de l’activité économique. En tout état de cause, depuis les invasions, la vie s’étant resserrée dans les villes fortifiées, les droits de douane ne s’y percevaient plus qu’ aux portes.

 

La douane s’était adaptée, et l’on percevait désormais un droit de transit ou de circulation : le Telonium, et un droit de place sur le marché, droit annuel quand la foire était annuelle (le Censum de annuale Mercato) puis droit ponctuel, lorsque les foires se multiplièrent.

 

UNE SOURCE DE REVENUS DISPUTÉE

 

 

Les premiers éléments d’une réglementation douanière nous sont connus par un litige qui opposa en 1214 les chanoines de la Cathédrale et le Bailli de la ville à des marchands (15) : Hominibus de Hyoio et alliis qui teloneum in civitate Metensi negotiantes eis solvere renuebant…».

 

Les marchands (de Hui en Belgique ?) prétendaient bénéficier d’une franchise de douane parce qu’ils possédaient des maisons dans la cité. On profita d’un séjour à Metz de l’Empereur Frédéric II pour lui demander de trancher le litige.

 

L’Empereur désigna Theodoric, archevêque de Treves, et Theobald, duc de Lorraine, comme arbitres. Le différend fut jugé au détriment des marchands parce qu’ils n’habitaient pas leurs maisons, n’y faisaient pas de feu, n’y entretenaient pas leurs épouses et ne participaient pas au tour de garde comme les citoyens.

 

Il demeuraient étrangers. L’évêque Conrard confirma et ratifia cette charte : «… Cum in eadem civitate nec ignem nec fumum facerent nec eorum uxores et familiae ibidem manerent…».

 

C’était en décembre 1214, le quatrième jour avant les calendes de janvier. Le chroniqueur Philippe de Vigneules (1471-1528), écrit dans une langue plus savoureuse (16) : «… que les dessusdits hommes, ja soit ce qu’il eussent maisons en la cité de Metz, niantmoins ilz debvoient tonneu, comme en ladicte cité ne feissent ne feu ne lumiers, ne leurs femmes et families n’y demouraissent, et que ilz n’y faisoient point les gaites en icelle cité comme les aultres citains…».

 

Ainsi le Teloneum porte désormais le nom de Tonneu ; on trouve aussi parfois, car les scribes écrivaient comme ils entendaient , Touneu ou Tourneu. Les contestations et procès semblent ultérieurement ne plus devoir s’arrêter. Portent-ils sur la quotité des droits ou sur la nomenclature des marchandises taxables, ou la régularité des perceptions ?

 

En aucun cas, mais seulement et toujours sur les modalités de répartition du produit ; ces contestations traduisent la part grandissante -et les exigences grandissantes- de certaines corporations ou de certains personnages dans l’Administration de la Cité.

 

D’après le tarif de 1227, le tonlieu était donné entièrement aux bouchers pendant les sept semaines qui commençaient avec la vigile de Saint- Victor, le 20 juillet, et s’étendaient jusqu’à l’Assomption, le 15 aout. Pendant ces 21 jours de marche, ils le percevaient à toutes les portes de la ville. On ne sait à quelle date il tomba entre leurs mains.

 

Tous les habitants de L’Évêché, à l’exception de ceux de la cité elle-même, devaient ce tonlieu ; également les villes qui bénéficiaient habituellement de la franchise ; cependant, les membres du clergé et les chevaliers avaient le droit d’introduire en franchise le vin destiné à leur propre consommation.

 

La corporation des bouchers elle-même s’était vue dans la nécessité de gager certaines parties de ce tonlieu ; ainsi, pendant cette même période, les droits sur la toile, la laine et les vêtements étaient-ils déjà aux mains des «Seigneurs du Grand Tonneu».

 

Par ailleurs, deux autres sixièmes se partageaient entre des familles particulières de la ville. Les «Seigneurs du Grand Tonneu» appartenaient à des familles patriciennes qui avaient ferme les douanes de toute l’année à l’exception du tonlieu des bouchers et du tonlieu de marche.

 

On ne connait pas non plus la date à laquelle l’administration des douanes échappa à l’Évêché. C’était déjà fait en 1227.

 

Dans «Les droits de l’Empereur, de l’évêque, du Comte et de la Cité de Metz» (22), il n’en est pas fait mention ; il est donc possible, mais non point certain, que le Grand Tonneu n’était plus dans le temporel de l’Évêque dès cette époque.

 

Ce Grand Tonneu était en principe entièrement applicable à ceux qui habitaient hors la cité ; seuls bénéficiaient de la franchise tous les habitants de l’Évêché et les villes palatines impériales : Nuremberg, Arles, Cambrai, Francfort, Thionville, Saint-Trond, Aix-La-Chapelle dans lesquelles les commerçants et négociants messins bénéficiaient du même privilège.

 

La foire la plus importante de l’année se tenait en aout. Pendant toute la semaine de foire et de fête, la vieille place du marche qui s’étendait de la place du change et du champ à Seille jusqu’à la Seille, était couverte des étals des commerçants indigènes et étrangers.

 

La «Paix de la foire» (ou trêve), c’est-à-dire la grâce impériale, s’exerçait, outre cette semaine, huit jours après. Cette foire mariale était particulièrement ouverte aux vendeurs et acheteurs étrangers. Pendant sa durée, tous les habitants de Metz et du pays messin qui y habitaient en permanence payaient l’impôt de consommation sur leurs marchandises, en exception à leur privilège habituel d’exemption.

 

Néanmoins, en remplacement, ceux de Metz qui tenaient habituellement leur étal sur la place ne payaient qu’un droit annuel forfaitaire et pour ainsi dire symbolique de un denier.

 

La justification de cette disposition résidait dans le fait qu’ils vendaient directement depuis la fenêtre de leurs maisons.

 

 

LES FOIRES DE METZ ET LEUR RAYONNEMENT

 

L’origine des foires de Metz se perd dans la nuit des temps. La plus anciennement connue était la foire annuelle de Saint-Arnould qui se tenait le 16 aout.

On la voit confirmée en 948 par Otton ler : On connait l’existence au 12eme siècle de la foire Saint-Clement, la foire Saint- Etienne (du nom de la grande église cathédrale) et la foire «Notre-Dame-Sainte-Marie-Mey- Aoust». La multiplication de ces foires traduit certainement une extension du commerce messin et affirme le rayonnement de Metz dans l’Europe médiévale.

 

Les recettes augmentent en proportion. Qui les possède détient le pouvoir effectif. L’Évêque a évincé le pouvoir royal ; le Chapitre de la Cathédrale, les Abbés, puis la Cité de Metz évincent peu à peu l’Évêque. Au début du 12eme siècle celui-ci a perdu tout pouvoir de juridiction sur les foires Saint-Arnould et Saint-Clement au profit des Abbés, mais il conserve encore ses droits et privilèges sur les foires annuelles de Saint-Pierre, Saint-Etienne et Sainte-Marie, ainsi que sur les marchés hebdomadaires.

 

Il perçoit donc encore les taxes sur les transactions et les droits de douane sur les marchandises qui traversent le territoire de l’Évêché, mais il ne jouit plus du monopole.

 

Pendant la durée de cette même foire, les croisés qui étaient autrement affranchis de tous impôts, avaient à payer la douane sur les marchandises importées ; tous ceux par contre qui, en d’autres temps payaient la douane en étaient exempts quel que fut le métier qu’ils exerçaient.

 

Souci du détail dans le rendement, on avait fixé à 11 le nombre de débits de vin autorises pendant cette foire : le Princier de la cathédrale en avait deux ; le Doyen, l’Archidiacre, le Clergé les Baillis, le Maitre-Echevin et les trois Mayeurs chacun un.

 

Les receveurs du tonlieu étaient tenus de prélever, sur le produit de celui-ci, une redevance dont le taux n’est pas connu, destinée à l’Abbaye de Saint-Arnould, au Bailli de la ville, aux Maitres-Echevins et aux trois Mayeurs, ce qui tendrait à prouver qu’initialement les droits appartenaient à l’abbaye épiscopale de Saint-Arnould.

 

Aux Seigneurs du Grand Tonneu appartient aussi le tonneu du marché Saint-Pierre, le 1er aout, dont on ne sait rien d’autre. En ce qui concerne les foires Saint-Etienne, Saint-Clement et Saint-Arnould, on trouve trace, vers 1200, qu’elles avaient lieu sous trêve impériale. Celle-ci s’exerçait, pour la première, pendant trois jours, pour les deux autres, pendant toute la semaine du marché.

 

Pour la foire Saint-Arnould, le tarif du tonneu de 1227 donne quelques indications plus précises ; la moitie du revenu total n’était déjà plus en possession de l’abbaye , mais avait été accaparée par les seigneurs du Grand Tonneu.

 

Saint-Arnould se trouvait, au tournant du 12eme siècle, en grandes difficultés financières et il avait du vraisemblablement exhiber un très antique droit de propriété sur ces droits pour sauvegarder ses précieux biens-fonds. Tous les habitants de l’Évêché, comme tous les visiteurs étrangers, devaient payer la douane pendant cette foire.

On voit ainsi qu’à la fin du 12eme siècle et au début du 13eme, les rapports entre la propriété de la foire et la perception du tonneu présentent un aspect de grande complexité et aussi de parfaite décomposition.

 

La position d’abord dominante de l’Évêché par rapport aux abbayes et à la cité, devient peu à peu une simple association. N’étant plus habilités à exercer les attributions administratives et juridictionnelles dans le domaine des foires et des douanes, les employés et receveurs échappent peu à peu à l’organisation féodale épiscopale pour s’intégrer à l’organe communal.

 

Ainsi se délite le lien essentiel qui reliait la ville et les abbayes à la suzeraineté de l’Évêque. Un pas de plus est franchi lorsque les revenus des douanes passent en grande partie entre les mains de familles patriciennes. A leurs débuts les foires étaient organisées pour le commerce local.

 

Producteurs et consommateurs de la cité et des alentours entraient directement en relation commerciale les uns avec les autres. Cependant, très tôt, les foires messines annuelles semblent avoir eu un rayonnement plus large.

 

La «Civitas mediomatricorum» était, comme on l’a déjà mentionné, un nœud de voies romaines importantes et le centre d’une vaste aire culturelle gallo-romaine. Des relations commerciales reliaient la ville avec les pays méditerranéens, l’Europe centrale et l’Angleterre. Au Moyen age, du milieu du 12eme au 14eme siècle, les foires de Champagne formaient le centre des échanges européens de marchandises et de monnaies.

 

Metz était bien dans ce cercle d’activités ; au commerce purement local s’ajoutait le commerce lointain qui était le fait de negociants, les «mercatores». Arles, Cambrai, Francfort et Thionville, aussi bien que Saint-Trond, en Flandres, avaient établi avec Metz des accords de franchise réciproque ; à ces cités vint s’ajouter, dans le tarif de 1227, Nuremberg qui, déja, en 1219, avait noué des liens semblables avec d’autres cités, et Aix-La-Chapelle.

 

Dans le document de 1304, toutes ces villes (sauf Aix qui n’est pas nommée) qui jouissent de franchises douanières réciproques, sont appelées « chambres l’Empereur ». La signification de cette expression n’est pas claire. Ce qui est certain, c’est qu’elle n’est pas la marque de relations commerciales nouvelles, mais traduit un état de fait antérieur consolidé et élargi.

 

Ainsi les commerçants de Hui dans les Flandres, qui, en 1214, refusaient de payer la douane à Metz, sont devenus d’actifs intermédiaires de l’industrie et du commerce des toiles.

 

En Provence, Marseille vient s’ajouter à Arles ; dans les «documents inédits sur le commerce de Marseille», Metz est mentionnée comme étant la seule ville germanique avec laquelle Marseille entretenait des relations commerciales ; ce sont essentiellement des toiles qui alimentent leurs échanges.

 

On importe des objets en fer des Ardennes ; le tarif de 1227 mentionne des cilly (faucilles) et des faulx. Avec les villes côtières de la mer s’est développé un actif marche de poissons.

Vers l’Est, les relations s’étendent au-delà de Francfort et de Nuremberg, vers Vienne où la douane taxe des toiles en provenance de Metz. Les toiles et les cuirs avaient donné au marché messin une importance primordiale dans le commerce mondial de l’époque. Thionville, toute proche, constitue une étape sur une voie de circulation importante.

 

Il est certain qu’il y eut au 12eme et au 13eme siècle, sur la Moselle, un actif mouvement de bateaux vers Coblence et au-delà. Le vin constitua, pour la région, l’objet qui, le premier, alimenta le plus important des négoces lointains ; on trouve en 1104, dans le tarif des douanes de Coblence, trace de sa taxation ; les bateaux de vin qui venaient de Metz payaient en effet «8 denarios et duas denarietas vini».

 

Les nombreuses abbayes que possédaient sur les rives du fleuve les évêchés de Metz et de Treves favorisaient la circulation fluviale. L’exportation du sel, en provenance de Lorraine, avait également lieu par bateau.

 

LES TARIFS DU GRAND TONNEU DE METZ

 

La série de procès que nous évoquions tout à l’heure et qui avait débuté sous le règne de Charlemagne ne devait plus, s’arrêter au cours des ans. Ils ont permis la conservation de documents précieux pour l’histoire des douanes, comme pièces à conviction ou comme éléments de preuve.

 

Un certain nombre de tarifs douaniers nous sont ainsi parvenus. Ces documents se trouvent, partie aux Archives Départementales de la Moselle (G.509), et partie aux Archives Municipales (C.C.582).

 

Ils sont constitues par plusieurs parchemins, certains très altérés, d’autres en bon état de conservation. Ils étaient à l’origine cousus les uns aux autres pour constituer un document complet conservé en rouleau ou rotula. La plupart ne sont que des fragments ou de simples extraits ; le plus complet figure aux Archives Municipales. Diverses transcriptions et publications plus ou moins complètes en ont été réalisées au cours des ans.

 

La plus ancienne est celle de Philippe de Vigneules une autre, très semblable, fut réalisée par des religieux benedictins en 1754 pour la publication d’un ouvrage intitulé «Histoire Générale de Metz». Ce tarif aurait été tire d’un manuscrit de l’abbaye de Senones (Vosges). La plus récente publication a été effectuée en 1903 par le Docteur Müsebeck, archiviste allemand de Metz.

 

En réalité aucun des parchemins conservés dans les archives ne semble avoir fait l’objet d’une publication individuelle et totale. Chacun des historiens parait avoir eu le souci de réaliser une synthèse pour présenter le tarif le plus complet possible. Il est vrai que l’écriture est parfois effacée, parfois difficilement déchiffrable, et que la signification des mots écrits en très ancienne langue austrasienne n’est pas toujours évidente.

 

Dans l’impossibilité d’en réaliser une nouvelle transcription, il a paru préférable de retenir la plus ancienne, celle de Philippe de Vigneules et des religieux benedictins à laquelle on peut concéder le plus grand crédit d’authenticité.

 

Aucun de ces tarifs ne porte sceau ni signatures ; il ne s’agit donc en aucun cas d’une institution nouvelle mais simplement de la constatation d’un état de choses existant et qui n’est pas discuté. Certaines pièces ne sont que des copies d’extraits partiels qui donnent l’impression que chaque partie ne produisait que ce qui intéressait les besoins de sa cause.

 

Ces documents posent plusieurs problèmes et d’abord celui de leur date. Vers 1500, Philippe de Vigneules écrit, après avoir évoqué le litige de 1214: «Et affin que chescun saiche et entande que c’est d’icelluy touneu, icy apres est escript et desclairiees combien que chacune marchandise doit et qu’il fault que l’aicheteur ou le vandeur en paye».

 

Mais le tarif qu’il publie et qui figure ci-après, porte, intercalé dans le texte cette mention que l’on retrouve sur presque tous les exemplaires : «Cest parchemin fut trait du vielz role que fut fait en l’an que le milliaire courroit par Mil II C et XXX VII ans». (C’est-a-dire en 1237).

 

Un autre porte l’indication de 1227, un troisième 1451. Les historiens semblent d’accord pour reconnaitre, dans les plus anciens de ces parchemins, l’écriture messine du 13eme siècle. Est-ce à dire que le tarif du tonlieu de Metz date de 1227 ou de 1237 ? Rien n’est moins certain.

 

La lecture de ces textes présente de nombreuses bizarreries pour un douanier habitué à manier quotidiennement le tarif dans l’exercice de sa profession. Ceux que nous retrouvons ne sont certainement pas des documents usuels, c’est-à-dire des instruments de travail. Et, s’il s’agit d’un texte de réglementation destiné aux plus hautes autorités administratives, il paraît assez curieusement composé.

 

En effet la nomenclature des marchandises et les différentes quotités de droits sont parfois interrompues, sans raison apparente, par l’énonciation de quelques règles concernant la répartition du Tonneu, les personnes qui y sont soumises ou qui bénéficient d’exemptions ou de franchises.

 

Ainsi, entre le «lay de harrans et de biqueholtz» (saurets) et le «cent de lances», on trouve cette mention : «cy en sont 2 deniers aux enfants Seigneur Huon le baigue». Puis l’énumération reprend et l’on trouve, peu après cette nouvelle indication : «Et touctes manières de gens doient cestuy tonneu s’ils ne sont de l’eveschie ou des chambres l’Empereur».

Nouvelle énumération, et puis encore, entre deux paragraphes de réglementation, cette indication déjà citée : «Cest parchemin fut traict du vielz role que fut fait en l’an que le milliaire courroit par Mil II C et XXX VII ans».

 

On a ainsi l’impression que le scribe a recopié en un document de synthèse divers renseignements épars afin de produire un état actuel de la réglementation comme si, à un moment donné, on ne savait plus exactement ce qu’elle était ; comme si on avait recueilli de la bouche de quelques personnes (des douaniers, des notables) une espèce de tradition orale.

 

Par ailleurs, l’assiette de la taxation n’est ni claire ni logique. Ainsi en est-il, par exemple, de l’unité de base de taxation. Le tarif comporte quelques mesures de capacité : le Muid et le Waulgue ; l’indication de moyens de transport : le char qui mane yin, la charrette, le char à quatre roues qui mane sel, le tonneau de vin amené par bateau, sans égard aux quantités transportées ; des taxations à l’unité : le cent d’écuelles, le cent de carpes etc.

Ce qui se comprend moins, c’est le cent de plomb ou le cent d’étain, sans unité complémentaire ; ce qui se comprend encore moins, c’est le «cent de pot asse» (cendre clavenesse), taxe à quatre deniers la livre. Un cent de potasse s’imagine difficilement mais s’il existe, on le taxe comme tel et non en poids ou à la valeur.

 

Plus loin, on trouve encore : «Le cent de cordouans blancs» doit 2 sols et le cent de cordouans rouges doit 4 deniers par livre ; la livre doit vraisemblablement s’interpréter ici comme étant une unité de valeur. Par ailleurs, entre les parchemins qui peuvent être datés de 1227 et ceux de 1451, on constate que le tonneu a considérablement évolué : sa nomenclature s’est élargie ; le taux des droits a été modifié.

 

Ceci tendrait à prouver que les différents droits ont pu être établis à des époques très différentes (en matière fiscale on ajoute toujours) et que les archives antérieures ont été perdues ou détruites ; un procès tente toujours de reconstituer le droit parce que justement on n’a plus les preuves certaines de sa consistance.

 

N’aurait-on pas de la sorte plus ou moins reconstitué au 13eme siècle, enrichi des apports de chaque génération, un document fiscal très ancien, peut-être même le Telonium que percevait déjà Marcus Secundanus sur le port de la Moselle.

 

En matière de douane, Metz n’aurait ainsi rien réinventés comme d’autres peuples sans culture fiscale, mais plutôt précieusement gardé la tradition romaine. Le Tonneu continue d’ailleurs à évoluer après le XVeme siècle. On en trouve des traces dans les archives de Metz, notamment une copie moderne (18eme siècle ?) d’un texte date de 1539 qui fut produit à l’occasion d’un nouveau différent sur la répartition du produit.

 

A coté de dénominations très anciennes sont venues s’ajouter quantité d’autres objets taxables (17). On constate également que le nombre des parties prenantes s’est considérablement accru ; aux corporations anciennes, notamment celle des bouchers, sont venus s’ajouter les tanneurs, les merciers, les passementiers, etc. tous ceux qui participent à la vie économique de la Cité.

 

C’est aussi la fin de la douane de Metz.

 

En 1581 le Tonneu est définitivement cédé par la cathédrale à la ville de Metz (18) en échange d’une rente annuelle de 36 livres pour droit de sauvegarde que d’ailleurs la ville ne payait plus depuis longtemps.

 

Metz n’est plus un État libre et fier mais une ville importante que se disputent et l’Empire et le Royaume. Un autre mot, épithète d’infamie, a fait son apparition en Europe ; c’est la maltôte. Qui donc inventa la chose et qui le vocable ? La maltôte porte sur tout ce qui se vend, soit pour la consommation, soit pour le commerce extérieur.

 

Seules, quelques cités soucieuses de financer l’entretien des voies publiques, des enceintes fortifiées ou l’aménagement d’un port (Saint-Louis avec Aigues-Mortes) avaient eu l’idée de taxer de la sorte toutes les transactions.

 

On en trouve trace à Cologne en 1154, à Worms en 1182, à Bâle au début du 13eme siècle (19). A Metz, il semblerait que ce fut à la suite de la guerre ruineuse contre le roi Jean de Bohême qu’en 1236 la maltôte fut instituée en tant que droit régulier (20).

 

La maltôte, c’est la-mal perception, l’ex- actio inj usta, le Ungelt traduits en langue populaire, objet d’horreur de la part du peuple. Le mot de maltotier par lequel on désignait parfois les gabelous sonnait comme une injure grave.

 

Des qu’elle est admise la porte est ouverte aux droits indirects qui frappent tout ce qui se consomme, soit forain, soit indigène. Une gabelle de plus ! Puis suivent les droits d’usage, les octrois, la bulette (droit de sceau).

 

Philippe le Bel qui fut en France un précurseur dans le domaine fiscal, découvre la maltôte en tant qu’impôt royal, en 1292, en instituant la taxe de 1 denier par livre sur les transactions et les contrats (21).

Dès le 14eme siècle le Tonneu est considéré à Metz comme une maltôte sur les transactions ; à la veille de la Révolution il subsiste encore comme simple droit de place sur les foires et marchés.

 

Metz qui est place en 1552 sous la «protection» du roi de France, avant d’être purement et simplement incorporée au royaume en 1648 n’a donc plus de droits de douane ; la province qui portera ultérieurement le nom de province des Trois Évêchés ne sera pas incluse dans l’«Étendue» des cinq grosses fermes mais demeurera en dehors du système douanier français.

 

Ses communications avec l’étranger demeurent libres, dans une mesure très relative, mais pour cette, raison elle sera appelée «province a l’instar de l’étranger effectif».

 

Notes et références :
1 – Le mot «traite» viendrait du latin Trahere : Tirer, extraire.
2 – Vectigal -alis. Le mot a également le sens de tribut impose au peuple vaincu (Caes. G.5.22. d’après Gaffiot).
3 – Tonlieu. Du latin Teloneum et du grec Teloneion : Le bureau de douane ; par extension : le tarif ou le droit.
4 – D’après Fustel de Coulange cite par Algoud.
5 – Droit de douane ad valorem du 1/40erne soit 2.5 %.
6 et 7 – Algoud. Histoire des droits de douane (de leurs origines romaines a 1939). Histoire et Économie. SEDEP 1978.
8 – Ordonnances des rois de France par M. Secousse, Paris. Imprimerie royale, MDCCXLV.
9 – Ibid.
10 – Viendrait du vieux français Reuver, du latin Rogare : Solliciter.
11 – Chronique de Philippe de Vigneules, par Charles Bruneau. Metz, Ste d ‘histoire et d’archéologie. 1927.
12 – Histoire de Metz par des religieux benedictins.
13 – Le sevirat était un collège sacerdotal compose de six prêtres. Il s’en trouvait a Rome et dans les villes les plus importantes de l’Empire.
14 – Zoll and Markt in der hersten Halfte des Mittelalters. Par le Dr. MUsebeck ; ex Jahrbilcher fur Lothringische (10 volumes ab 1888). Sté d’histoire et d’archéologie de Metz. Plusieurs développements de cette étude ont trouvé leur source dans cet ouvrage. Plusieurs historiens locaux s’en sont manifestement inspirés sans contester ses interprétations.
15 – Histoire des Eveques de Metz, Meurisse.
16 – Philippe de Vigneules. Op cite en 11.
17 – A.C. Metz 582-18/20.
18 – Histoire Générale de Metz par des religieux dictins.
19 – Algoud.
20 – Klippfel Un épisode de l’histoire du régime munipal dans les villes romans de l’Empire. 1866.
21 – Jean Favier. Philippe le Bel.
22 – Les droits de l’Empereur, de l’Évêque, du Comte et de la Cité de Metz.
23 – Cité par Milsebeck.
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