Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Une carte postale peu ordinaire

Mis en ligne le 1 mars 2020

 

 

Le thème de la douane et de la frontière a largement inspiré la carte postale, notamment dans son âge d’or de la période d’avant 1914.

 

L’ancienne frontière, issue de la terrible défaite de 1870, occupe, dans la production cartoraphique française une place singulière. Certains bureaux ou certains sites vont particulièrement concentrer l’attention des photographes reporters comme ceux de Villerupt, Lascemborn, Mars la Tour, la Schlucht ou la borne frontière 4056 dite « borne des trois frontières »… 

 

La carte postale se veut militante et les échanges transfrontaliers de voyageurs et de marchandises y sont généralement occultés. La présence de la jeune alsacienne ou lorraine en tenue folklorique à proximité du poteau germanique est un rappel constant au souvenir des provinces perdues. Les douaniers des deux pays côtoient souvent des militaires et posent devant le photographe. D’ailleurs, la pose se doit d’être virile, patriotique et cocardière. La carte postale devient le révélateur des tensions entre les deux anciens belligérants. À l’image de douaniers allemands et français trinquant autour d’une table, succède celle de manœuvres militaires se terminant ostensiblement au pied du poteau frontière « ennemi ». 

 

On censure en « retouchant » les personnages des cartes postales pour en gommer les imperfections et soldats et douaniers des deux pays qualifiés de « bons amis » se retrouvent, quelques temps plus tard, à se regarder « en chien de faïence » même si le cliché reste le même. 

 

Aussi, la carte poste à l’origine de cet article se singularise-t-elle de la production ordinaire au regard des informations apportées.

 

On y aperçoit une scène de frontière, en Lorraine, plus précisément entre Chambrey et Moncel, avec quatre douaniers allemands se reposant, tandis qu’un de leur collègue contrôle les papiers d’un frontalier. Les personnages sont naturellement décontractés, un des douaniers fume même le cigare ! L’absence de leurs homologues français n’est certainement pas étrangère à ce « relâchement ».

 

Autre surprise, au recto de la carte on peut lire les phrases suivantes : « nous avons rapporté un très joli caillou venant du territoire allemand », « chemin que nous avons pris », « jeudi soir nous serons en Allemagne, ne pas en parler à Gisor », « Forêt de Parray ». Soldat du 9e Dragon, l’expéditeur de la carte s’adresse à ses parents pour leur raconter une incursion en Allemagne : 

 

Chers parents,

 

Ce fut une journée vraiment exquise, la plus belle que j’ai passé depuis que je suis au 9e Dragon. Au point de vue du voyage, parti ce matin à 5h1/2, je me dirigeais, avec un autre cavalier comme aide, faire une reconnaissance que m’avait ordonné mon sous-officier. Après avoir marché pendant 1h1/2, nous arrivons à Coincourt et, auprès del’église, nous pouvions apercevoir à 200 mètres le poteau frontière. Aussi nous y allons ; il est à gauche de la route. À droite se trouvent le poteau français et la borne. Il n’y avait personne et, du poteau, on plonge à des kilomètres en Allemagne. Nous descendons et nous faisons le tour du poteau et, mieux que cela, plus fort que le marseillais de France, on a pissé en Allemagne. Nous quittons le poteau et nous longeons dans la direction d’Haracourt, Moncel et Igney. C’est à Moncel que je trouve cette carte mais je ne l’ai pas mise en route, étant donné qu’il n’y a qu’un bureau de poste àAvricourt et que nous n’y passions pas. Nous avons vu des cavaliers du 15e Hulansde Sarrebourg, mais à environ 200 à 300 mètres. Nous avons mangé dans les environs, à 20 mètres du poteau, sous la tente des douaniers français (aubette provisoire?). Nous sommes rentrés à 4h1/2 à Lunéville ayant fait environ 60 à 65 kilomètres….

 

 

Dans l’immense production d’informations conventionnelles, pour ne pas dire banales, véhiculées par les cartes postales, se nichent parfois quelques surprises.

 

Serge Lemaître

 

 

 

Cahiers d’histoire des douanes et des droits indirects 

 

 

n° 53 – 2e semestre 2013 

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