Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Une approche nouvelle du contrôle des voyageurs internationaux 

Mis en ligne le 1 novembre 2022

01Est repris ci-dessous un extrait de l’ouvrage de Jean Clinquart, « l’administration des douanes en France sous la troisième république – première partie (1871-1914) »  publié en 1986 (Ed. AHAD ) – pages 179 à 182.

 

L’équipe de rédaction

 


 

Une approche nouvelle du contrôle des voyageurs internationaux

 

« Il a toujours été rendu hommage à la politesse française. L’administration des Douanes que le voyageur rencontre la première à nos frontières doit tenir à honneur d’être aussi la première à justifier cet hommage mérité. » C’est en ces termes que Pallain (*) incite ses ouailles, en l’année 1887, à user dans les rapports avec le public de « la plus parfaite courtoisie » ; et il assortit son propos d’un argument pour le moins curieux : il importe, dit-il, « de montrer de prime abord, qu’un régime démocratique, loin d’être exclusif des formes les plus courtoises, sait au contraire en assurer, sans exception de personnes, l’exacte et rigoureuse observation » (1), Pauvres démocraties ! Ce n’est pas leur réputation qui était en cause, à la vérité, mais celle de l’administration douanière : celle-ci pouvait-elle ou non éviter que le renforcement de ses contrôles, lui-même lié à la poussée protectionniste, ne multiplie les frictions avec des voyageurs sensibles aux ennuis de formalités dont le public ne voit le plus souvent que les inconvénients sans chercher à en pénétrer l’absolue nécessité » ? (2)

 

Rééditées en 1893, les recommandations de la direction générale insistèrent sur la nécessité de prévenir tout froissement pouvant être imputé, soit à des procédés vexatoires, soit à un manque de convenance ou de tact »; « en toute circonstance, même lorsque les voyageurs se laisseraient aller à des mouvements d’humeur plus ou moins justifiés », le service devrait demeurer « maître de lui ». Et d’ajouter, pour conclure ce qui constitue peut-être le meilleur des multiples écrits administratifs consacrés à ce sujet délicat : « C’est en se conformant strictement à ces instructions que les fonctionnaires de tout grade et de tout rang garantiront le mieux les intérêts du Trésor tout en sauvegardant leur propre dignité. » (3)

 

Plus qu’à aucune autre période du XIX° siècle. la visite des bagages suscitait alors, dans la presse comme au Parlement des critiques parfois fort vives. L’occasion en était principalement fournie par les interventions douanières dans les gares de chemin de fer. Le transport ferroviaire était devenu le mode de déplacement de très loin le plus utilisé par les voyageurs internationaux. Se rendre à l’étranger était désormais sinon banal (la majorité des Français et des autres Européens continuant à connaitre une vie casanière), du moins fort répandu : les grandes Expositions, comme celles de 1879 et de 1889, avaient mobilisé des foules, mais les « villégiatures » déplaçaient aussi chaque année des «  touristes » de plus en plus nombreux. Il est symptomatique à cet égard que le Congrès de la réglementation douanière de 1900 ait inscrit au programme de ses travaux le problème du contrôle douanier des personnes. «  L’intérêt évident de toutes les nations, peut-on lire dans un rapport présenté à cette conférence, est d’attirer les voyageurs, et c’est bien servir son pays que d’en faciliter l’accès par des mesures Iibérales, parfaitement compatibles d’ailleurs avec les devoirs des agents (des Douanes). » (4)

 

On ne demande pas dans cet ordre d’idées (les temps n’y sont pas favorables) l’extension des «  franchises » ou des « tolérances » dont, à des degrés divers, les voyageurs bénéficient traditionnellement ; l’administration française ne prendra en tout cas aucune initiative en ce sens. Les mesures préconisées ont toutes trait à l’exécution même du contrôle : on souhaite que, dans les salles de visite « le personnel douanier (puisse) être augmenté ou la visite faite un peu plus sommairement.. de manière à réduire au minimum la perte de temps imposée aux patients, c’est-à-dire aux voyageurs » (5). On suggère aussi que, dans les trains équipés de voitures à couloir. compartiments-lits et intercommunication, « les administrations douanières (puissent) faire passer leurs agents dans les voitures pour la visite des colis à main » et que les agents douaniers aient sur eux les papiers nécessaires à la délivrance de reçus et les instruments nécessaires à l’application des taxes ». Il faut, estime-t-on, qu’ils soient habịlités à accepter la monnaie du pays d’où l’on sort, les voyageurs pouvant n’avoir pas sur eux celle du pays dans lequel on entre ». 

 

On recommande enfin – et déjà – la visite « en cours de route » : « Ainsi, entre la frontière de Petit-Croix et Belfort, le train à intercirculation peut prendre avec lui un certain nombre d’agents douaniers qui font leur visite entre deux points, sauf à être ramenés à Petit-Croix par le premier train croiseur ou par un train spécial. De même, entre Avricourt et Lunéville pour le train d’Orient. »  Et de conclure en énonçant ce principe général : « Le programme du minimum de perte de temps à la frontière doit être évidemment l’objectif à une époque où les efforts techniques les plus sérieux sont faits de toutes parts pour imprimer aux trains des vitesses de plus en plus grandes; les stationnements qui ne sont pas rigoureusement nécessaires aux frontières font perdre aux voyageurs une bonne partie des avantages de cette accélération. » (6)

 

Ce langage, la Douane allait l’entendre, inlassablement tenu par les responsables des chemins de fer, bien au-delà de la période qui nous occupe. Et cependant, dès I’origine du transport ferroviaire, des dispositions spécifiques avaient été prises pour accélérer le contrôle, notamment en reportant à la gare de destination la vérification des « bagages enregistrés », placés sous plomb de douane. Paris était ainsi devenu le point d’aboutIssement d’un nombre croissant d’opérations de dédouanement de cette nature. 

 

Mais, à la fin du siècle, on songeait à franchir un pas supplémentaire dans la voie de la simplification : pourquoi les diverses nations n’en viendraient-elles pas à autoriser « l’établissement de douanes étrangères sur leur territoire »? Ainsi permettrait-on au voyageur d’en terminer plus rapidement avec le contrôle douanier de ses bagages (7).

 

Ce type de discours négligeait le fait que, pour l’administration des douanes le contrôle des bagages ne constituait pas l’unique problème suscité par le chemin de fer. Celui-ci était rapidement apparu à des fraudeurs imaginatifs comme un excellent vecteur de produits de contrebande, et la douane mit quelque temps à s’apercevoir que les wagons comportaient des cachettes naturelles dont il suffisait de tirer parti.

 

Par ailleurs, comment ne pas réagir lorsque le commerce français protestait comme ce fut le cas en 1899, contre la concurrence de marchands de vêtements belges qui, en contrepartie d’un achat d’au moins 20 francs, remboursaient à la clientèle française le prix du billet de chemin de fer ? Il fallut bien alors  recommander au service de s’intéresser , « nonobstant les difficultés pratiques », aux voyageurs porteurs d’habits neufs !

 

Jean Clinquart

 


Notes:
(1) Circulaire n° 1872 du 10 septembre 1887.
(2) Même source.
(3) Circulaire n° 2 349 du 9 octobre 1893.
On réédite alors un « avis aux voyageurs » libellé dans les langues usuelles et présenté sous forme d’affiches existant en deux formats. Une mesure analogue avait été prise en 1817, puis en 1843. La refonte effectuée en 1893 se proposait d’éclairer les voyageurs « d’une manière nette et précise, et en même temps très succincte, sur les obligations auxquelles ils sont tenus à leurs passages à la douane ».
Circulaires n°s 2 462 et 2 842 des 27 octobre 1894 et 25 octobre 1897.
(4) Rapport présenté par le directeur de la Compagnie des chemins fer de l’Est. Annales des Douanes, 1907, pages 169 et suivantes.
(5) Même source.
(6) Même source.
(7) Même source.
 

 

L’administration des douanes en France sous la troisième république

– première partie (1871-1914)

 

1986

 

Ed. AHAD

 


 

 

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