Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Petite histoire du bureau des douanes françaises d’Anvers

Mis en ligne le 1 novembre 2019

…ou des importations en droiture à la reconquête du trafic et des prémices d’un suivi international et européen des régimes de transit,

 

 

Chacun sait que la consultation des archives est toujours riche en surprises et en enseignements. Je ne doutais pas, toutefois, devoir trouver dans celles de la direction de Strasbourg des informations concernant un bureau des douanes français à Anvers, placé sous l’autorité du directeur de Strasbourg et créé pour remédier à des difficultés qui se trouvent être d’une actualité brûlante.

 

Dans le rapport annuel de 1938 du directeur à Strasbourg, il est fait mention de la tournée d’inspection de ce dernier dans le bureau français d’Anvers. Ce rapport met en évidence la mission de ce bureau à savoir le suivi des opérations de transport direct de marchandises depuis le port d’ Anvers jusqu’à Strasbourg et Thionville par voie fluviale. Ce suivi est d’ailleurs évoqué plus loin dans ce rapport annuel à la faveur de la vérification du bien-fondé des liquidations concernées.

 

Ma curiosité en fut immédiatement piquée et me conduisit à mener des recherches dont le résultat ne manque pas d’interpeller par rapport aux efforts actuels pour reconquérir le trafic

 

Les textes fondateurs

 

La création du bureau des douanes françaises d’Anvers s’avère être fondée sur trois textes :

– le décret du 30 janvier 1919 qui rendit applicable le régime douanier national à l’Alsace-Lorraine,
– le décret du 23 décembre 1919 établissant un régime particulier pour les marchandises arrivant à Strasbourg par la voie du Rhin,
– l’arrangement franco-belge du 12 avril 1921 réglant la situation des marchandises arrivant par les ports belges et dirigées ensuite vers l’Alsace, la Lorraine et la Sarre par chemin de fer et par voie d’eau.
Les marchandises concernées se trouvaient dispensées de surtaxes d’entrepôt et d’origine si :
– elles étaient accompagnées d’un certificat du bureau français des douanes d’ Anvers garantissant leur arrivée en droiture à Anvers et pour certains produits (laines, cotons, cacaos, poivres…) si elles faisaient l’objet d’un connaissement direct jusqu’à Strasbourg,
– elles étaient acheminées sans rupture de charge ni changement de mode de transport d’Anvers à Strasbourg.

 

Développer l’activité économique

 

Ce régime douanier spécial visait à maintenir et développer l’activité économique du port de Strasbourg. Le gouvernement français entendait en effet donner un grand rôle à ce dernier. Le transfert par voie fluviale se trouvant le plus économique pour écouler les marchandises à destination de l’ Alsace, il fallait éviter au commerce local d’avoir à acquitter des surtaxes d’entrepôt et d’origine qui, en vertu du régime douanier national, devaient frapper toutes les marchandises extra-européennes importées en Alsace. Le projet, soutenu par les populations alsaciennes et leurs représentants, était approuvé par les autorités belges qui y voyaient naturellement un atout favorable à l’activité du port d’ Anvers. A contrario, les ports français, et celui de Dunkerque en particulier, y étaient hostiles. L’aboutissement des discussions fut la création, le 24 août 1920, du bureau des douanes français d’Anvers, rattaché à la direction de Strasbourg (cf. pages 278 et 279 des annales des Douanes de 1920) et sis 49 canal des Brasseurs. Je précise que l’ouvrage Les droits de douane d’Allix (1932, tome premier) évoque ce régime spécial (pages 466 à 471). Ce régime économique conduit à évoquer plus avant les surtaxes douanières de provenance en cause, à savoir :

 

– les surtaxes d’entrepôt imposées aux marchandises extra-européennes qui ne sont pas importées en droiture en France,

– les surtaxes d’origine.
Celles-ci avaient pour finalité d’assurer le développement des ports français et de faciliter l’approvisionnement de l’industrie nationale.
Le traité des Douanes de P. Boulet, Y. Eysele et M. Schmidlin (dépôt légal 4e trimestre 1944) en fait l’historique et rappelle que les importations en droiture :
– ne grèvent la marchandise d’aucun droit nouveau et l’exemptent de frais de transbordement, commission, manutention à l’étranger et du transport de l’étranger en France,
– favorisent les exportations depuis nos propres ports,
– fixent les activités et les capitaux de réception, de manutention, de magasinage, d’assurance des marchandises,
– protègent le pavillon national et notre flotte de commerce.

 

Protéger le trafic des ports français

 

En outre, il est insisté sur la nécessité de protéger le trafic des ports français du Nord et de Dunkerque en particulier. L’efficacité des surtaxes fut douteuse car, malgré leur quintuplement en 1934, la concurrence des ports belges restait intense.

Les raisons des difficultés rencontrées par le port de Dunkerque en particulier sont exposées et tiennent aux caractéristiques du port d’Anvers :
– existence d’un hinterland économique,
– port naturel,
– effet d’échelle du trafic sur le coût des opérations,
– coût de la main-d’œuvre inférieure en raison des réformes sociales de 1936 appliquées en France.

Il est pertinent de constater combien, sous les formes actuelles, les mêmes causes produisent encore les mêmes effets. Les surtaxes ne constituant pas finalement le moyen adapté de protection des intérêts français, un décret-loi du 31 août 1937 créa une prohibition d’importation qui frappait toutes les marchandises parvenues en France sans transport direct.

Ce texte ne s’appliquait pas aux marchandises destinées à l’Alsace ou à la Lorraine en vertu des textes de 1919 et 1921. Il était prévu, en outre, des dérogations par voie d’accords internationaux. Ce fut le cas par un accord franco-belge du 2 octobre 1937 applicable à compter du 1er janvier 1938 à des tonnages limites de certaines marchandises. La circulaire du 21 décembre 1937 a précisé les modalités d’application et a expressément prévu des exceptions générales pour les marchandises importées par la voie Anvers – le Rhin – Strasbourg ou Rotterdam – le Rhin – Strasbourg.

 

Des projets avortés

 

Ce dernier trajet a en effet fait lui-même l’objet d’un accord franco-belgo-néerlandais du 3 avril 1939 qui étendait le bénéfice du privilège d’Anvers en matière de surtaxe d’entrepôt. Cet accord prévoyait la création, le 1er janvier 1940, d’un bureau français des douanes de Rotterdam. Les événements que l’on sait en ont interdit la réalisation, sans quoi il aurait été également rattaché, selon toute vraisemblance, à la direction de Strasbourg. À ce jour, je n’ai pas trouvé trace de la fermeture du bureau des douanes français d’Anvers, dont seul le dernier titulaire est connu ; il s’agissait du vérificateur principal Beaudeur. Toutes les bonnes volontés sont requises pour tenter de reconstituer la succession hiérarchique à la tête de ce bureau qui aura existé durant environ 20 ans.

 

Pour conclure, et au moment où le projet de canal à grand gabarit Rhin-Rhône est abandonné, je citerai un article paru dans les notes économiques des Annales des Douanes du 3 janvier 1924. Celui-ci préconise de créer un grand canal maritime Anvers-Marseille pour des raisons politiques évidentes (peu de temps avant la grande guerre) mais aussi pour enrayer le déclin et remédier aux dégâts causés aux ports français du Havre et de Dunkerque. Ce dernier clin d’oeil de l’histoire méritait bien d’être signalé.

 

Roland Giroire

 

Cahiers d’histoire des douanes françaises
N° 23 – 2001
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