Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Oublié après deux siècles d’existence: que reste-t-il du sentier des douaniers ?

Mis en ligne le 1 juillet 2020

 

Illustration: Cap Carteret: le sentier des douaniers est aujourd’hui largement utilisé par le public

 

En de nombreux points du littoral français, il n’est pas rare de trouver un étroit passage contigu à la côte, souvent simple chemin de terre aménagé, connu sous le nom de «sentier des douaniers», ou plus rarement dans certaines régions, de «chemin de ronde» (1) 

 

Le sentier des douaniers emprunte tour à tour le domaine public maritime, quand la configuration du relief et le régime des marées le permettent, les voies de passage en bordure du rivage, voies communales ou chemins ruraux, voire même des terrains privés.

 

Une abondante imagerie populaire datant du début du siècle représente le douanier poursuivant le contrebandier à travers champs et prairies pour se saisir des ballots de tabacs importés frauduleusement.

 

Berck-Plage – douaniers dans la baie d’Authie

 

Certes, aujourd’hui, les conditions d’intervention du service se sont transformées. L’utilisation des moyens aéronavals et d’unités motorisées dotées d’équipement radio a modifié les méthodes de surveillance ; quant aux sentiers côtiers, ils sont de plus en plus menacés de disparition à cause des nombreuses constructions.

 

Toutefois, de très importantes affaires de contrebande constatées récemment encore par les services de surveillance et portant notamment sur de grosses quantités de stupéfiants ont amené l’administration à rappeler :

«qu’en certaines circonstances «le service des douanes doit avoir recours à des méthodes de surveillance plus traditionnelles telles que les patrouilles à pied et les embuscades le long de la côte pour faire échec aux entreprises de contrebande qui mettent à profit les facilités qui leur sont offertes par la prolifération des aménagements de toute nature et l’édification de clôtures qui interdisent pratiquement tout accès du rivage ou des côtes aux agents de l’administration»…

 

En effet, la multiplication des constructions privées en bordure du rivage, au cours des dernières années, a bien souvent abouti à rendre les sentiers des douaniers inutilisables. Tout le long des côtes, ils sont peu à peu démantelés ou bien progressivement envahis par la végétation. D’une enquête effectuée par les services de la direction des douanes de Bretagne en 1972, sur le territoire de la commune d’Hillion, il apparaît:

«que le sentier des douaniers y est particulièrement étroit, mesurant une trentaine de centimètres, à peine marqué dans l’herbe et qui disparaît sur de larges tronçons sous les ajoncs, les ronces et la fougère. De plus, il est interrompu en plusieurs endroits par des terrains labourés, des clôtures de pâturages ou des résidences secondaires» .

 

Photo F. Roche – Etretat

Ainsi après deux siècles d’existence est-on amené à s’interroger sur les chances de survie des sentiers des douaniers. L’administration est-elle fondée à exiger l’ouverture d’un tel passage là où il fait défaut, son maintien là ou il a été effectivement tracé, et son rétablissement là où il viendrait à disparaître ? Comment pourrait-elle autrement s’assurer l’indispensable accès au rivage lorsque les propriétés des particuliers s’étendent jusqu’à la mer ?

 

 

Le problème ne se pose pas lorsque la surveillance peut être assurée en empruntant le domaine public maritime qui comprend traditionnellement toute la bande de sol côtier alternativement couvert et découvert par la mer, et depuis la loi du 28 novembre 1963, les «lais et relais», c’est-à-dire dépôts et alluvions accumulés en bordure du rivage, soit naturellement, soit par suite de travaux d’aménagement. Une fois viabilisés et aménagés, ils constituent une zone ouverte à la circulation publique.

 

La question est également résolue lorsque le sentier des douaniers a été classé voie communale. La surface qu’il occupe devient partie intégrante du domaine public et il incombe à la commune de le maintenir en état en levant, si besoin est, les taxes prévues à cet effet. Les dispositions de l’ordonnance du 7 janvier 1959, sur les voiries communales, prévoient également que si l’une des parties du sentier tend à s’effondrer, l’autorité municipale doit en redessiner le tracé en opérant les prélèvements immobiliers nécessaires.

 

Les difficultés surviennent lorsque les sentiers des douaniers traversent des propriétés, privées. On se trouve en présence d’un conflit de type classique entre le respect du droit de propriété et la nécessité de l’exécution des lois ; en l’occurence de la loi douanière. C’est la plupart du temps par la voie d’accords amiables que les agents des douanes se sont vus reconnaître un droit de passage. Cela n’est pas toujours sans risques. On raconte le cas d’un propriétaire particulièrement retors qui, ayant consenti verbalement à laisser passer les douaniers sur son domaine, y lâchait d’impressionnants molosses qui dissuadaient de façon absolue d’accéder à la propriété. Mais la rareté des affaires contentieuses montre clairement qu’à cet égard un consensus s’est largement établi pour concilier les impératifs de la surveillance avec la protection de la propriété privée. Le juge a parfois été amené à se prononcer.

 

C’est ainsi que par deux arrêts, l’un de la Cour de Cassation du 20 juin 1860, l’autre de la Cour d’Appel de Douai du 23 novembre 1927, les tribunaux judiciaires ont reconnu que dans les espèces concernant uniquement des terrains non enclos :

«se rend coupable d’oppositions aux fonctions, l’individu qui interdit aux agents des douanes de traverser sa propriété».

 

Belle-Ile – le sentier : un précieux capital touristique – Photo Machatschek

Toutefois, aucune base jurisprudentielle n’autorise le service à pénétrer sur des propriétés closes. Quant au code des douanes, en application de l’article 64, il n’autorise les agents, excepté le cas de poursuite à vue, à pénétrer dans les habitations particulières, les cours et jardins attenants aux habitations sont assimilés à ces dernières, que s’ils sont assistés d’un officier municipal ou d’un officier de police judiciaire. 

 

Tel est l’état d’un droit que la coutume, il convient de le souligner, a élargi de façon considérable. En effet, alors même que les tribunaux se sont bornés à n’autoriser le passage du sentier des douaniers que sur les terrains non enclos, les particuliers ont accepté généralement l’aménagement de portes dans les clôtures et la détention d’un jeu de clés par le service des douanes.

 

Mais, il est bien évident que la multiplication des concessions privées du domaine public, la construction de propriétés privées en bordure du rivage et spécialement des propriétés bâties et clôturées sont un obstacle sérieux à la bonne exécution du service. Toutefois, les préoccupations de l’administration rejoignent celles des pouvoirs publics et des associations dont le nombre va croissant, pour la protection du littoral et pour la sauvegarde d’un droit général d’accès aux rivages et de circulation en bordure de mer. 

 

Les communes côtières, où il existe un chemin longeant le bord de la mer, prennent conscience aujourd’hui de ce qu’elles possèdent là un précieux capital touristique et qu’il convient non seulement de le conserver, mais encore de le développer.

 

– Ces préoccupations se sont déjà traduites par la mise en place d’un vaste dispositif législatif. Ainsi, la loi du 28 novembre 1963, prévoit dans son article 4 que :

«des terrains privés pourront être réservés en vue de la satisfaction des besoins d’intérêt public d’ordre maritime, balnéaire et touristique».

 

En arrière plan, le sentier des douaniers près d’Etretat – Photo Machatschek

 

– Dans le cas des concessions du domaine public accordées à un particulier en vue de l’aménagement et de l’exploitation de plages ou de ports privés, le décret du 17 juin 1966 portant application de la loi du 28 novembre 1963 précise tout d’abord (article 3) que l’instruction des demandes : «comporte la consultation du service des douanes» ; ensuite que dans chaque département intéressé est instituée une : « commission départementale des rivages de la mer » dont est membre de droit le directeur des douanes.

 

Enfin, la nouvelle loi d’orientation foncière du 30 décembre 1967, complétée par les dispositions de la loi du 31 décembre 1976 stipule (article 52) que désormais :

«les propriétés privées riveraines du domaine public maritime sont grévées sur une bande de trois mètres de largeur d’une servitude destinée à assurer exclusivement le passage des piétons».

Ainsi, déjà plusieurs sentiers des douaniers sont en train de renaître. En Ille et Vilaine, ils sont reconnus et inscrits dans les documents d’urbanisme.

 

Pour chaque  commune de la côte d’Emeraude, un texte précise que : «sur tout le territoire de la commune est projetée, le long de la mer, une promenade pour piétons utilisant chaque fois que possible, l’ancien tracé du sentier des douaniers».

 

Certes, tracer de nouveaux sentiers des douaniers ne sera pas chose facile. Il faut d’abord délimiter le domaine public maritime, ce qui est loin d’être fait partout, puis à partir de cette «frontière» tracer la bande de trois mètres. Ce sont les municipalités qui prendront l’initiative de demander à l’administration l’accord sur les tracés, il y aura enquête publique, indemnisation par l’Etat des propriétaires lésés, inscription des sentiers des douaniers sur les plans d’occupation des sols, etc… Mais d’une reconnaissance de fait, le sentier des douaniers passe à une existence de droit. 

 

Aujourd’hui, l’Ille et Vilaine, le département breton qui possède le moins de rivages, offre déjà plus de 80 kilomètres de «chemins dits de ronde». Par décret du 8 novembre 1976 du ministre de la qualité de la vie, l’ensemble du sentier des douaniers et les abords de la grève Saint-Pierre près de Perros-Guirec ont même été classés parmi les sites pittoresques du département des Côtes du Nord. Un peu partout dans le Finistère, le Morbihan, plusieurs dizaines de kilomètres de sentiers des douaniers existaient à l’état sauvage et ne demandaient qu’à être aménagés. Aujourd’hui, cette mise en valeur en fera non seulement des lieux permettant aux services douaniers d’exercer leur surveillance, mais aussi une voie de passage donnant au public libre accès à la côte.

 


(1) Cette appellation n’a rien que de très logique puisque les agents des douanes dans l’exercice de leur mission de surveillance en ont évidemment été les premiers utilisateurs.


 

 

 

La Vie de la Douane 

 

 

N° 173 – octobre 1977

 

 

 

 

Mots clés :
MENU