Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Mathieu-Lévi, un douanier au destin mystique…

Mis en ligne le 21 septembre 2021

 

Mathieu-Lévi, un douanier au destin mystique… (extraits)

 

La tradition veut que chaque année, dans plusieurs Directions des Douanes Françaises, on commémore la Saint-Mathieu. Cet apôtre, dont la vie pastorale fut remplie de sainteté et de miracles, avait exercé la profession de péager au début de notre ère au port de Capemaüm sur le lac de Tibériade en Palestine, au service de l’occupant Romain.

 

La voix populaire le désigna plus tard comme le Saint Patron des douaniers, suivant une tradition acceptée par l’église.

 

Récemment, en avril 1989, en choisissant de baptiser « Mattheus », un vaste programme d’échanges de fonctionnaires et de séminaires de formation professionnelle préfigurant l’harmonisation des pratiques douanières dans l’Europe de demain, la Commission des Communautés Européennes a, par son choix, honoré Saint-Mathieu en étendant son patronage à l’ensemble de la corporation des « Gabelous ».

 

L’histoire de ce petit fermier de péage du nom de Mathieu-Lévi, qu’un destin exceptionnel allait mettre sur la route de Jésus, est relatée par trois des auteurs des quatre évangiles : Luc, Marc et Mathieu lui-même.

 

Il semblerait que l’évangile de St-Mathieu soit le premier et le plus ancien. Il a été rédigé dans une langue sémitique, en Hébreu ou plutôt en Syriaque qui était la langue vulgaire des Hébreux ou selon d’autres en Araméen. On peut estimer aujourd’hui que la version de l’évangile de St-Mathieu que nous connaissons n’est que le produit final de trois rédactions successives. L’évangile de Luc aurait suivi, empruntant largement au premier et utilisant en même temps la tradition orale et sans doute d’autres documents aujourd’hui perdus.

 

Ainsi donc… Jésus, entreprit en l’An 29 de notre ère un second déplacement en Galilée pour y accomplir les grandes prédications et envoyer ses disciples en missions.

 

 

 

Arrivé aux abords de Capernaüm, il parvint au poste de péage. Sa rencontre avec le publicain Mathieu- Lévi est rapportée ainsi par les évangélisteg : « Par le sentier qui longeait la mer, Jésus arriva aux abords de Capematim, petite ville de la rive ouest du Lac de Tibériade. Un détachement de soldats romains, commandé par un centurion y tenait garnison et un poste de péage y était installé ».

 

Parvenu à la hauteur du péage, Jésus vit un homme assis devant une petite cellule de pierres.

 

Il s’agissait d’un péager ou publicain, sorte de fermier de péage, de douanier ou receveur des Impôts.

 

Postés à l’entrée des villes, des villages, aux passages des ponts et des gués, ces agents du fisc prélevaient pour le compte de l’occupant romain, une somme égale au dixième des biens introduits et un droit de passage de didrachme. Le double drachme ou didrachme était l’équivalent du demi-siècle (2 F or environ), montant de l’impôt annuel que tout juif adulte devait pour « rançon » de son âme. Les prêtres en étaient exempts (Exode chap. 30 V. 12).

 

Les occupants romains n’avaient guère, en effet, recours à la perception directe des impôts, ils affermaient l’imposition d’une province à des sociétés qui leur versaient la somme soumissionnée et qui récupéraient ensuite, avec de gros bénéfices, l’avance ainsi faite.

 

L’affermage des dépenses et des revenus pratiqué par les Romains n’était pas une originalité. Il était universellement répandu dans le monde grec des cités et dans les monarchies helléniques. C’était un procédé commode, qui évitait aux Etats de mettre en place des administrations fiscales nombreuses, et qui leur permettait de disposer à l’avance des rentrées futures. Mais il comportait des inconvénients certains : les particuliers qui prenaient l’impôt à Ferme le faisaient dans l’espoir d’en tirer des profits, qui ne pouvaient apparaître qu’au double détriment du Trésor et des contribuables. Même si ces profits ne pesaient en fm de compte guère plus que le prix d’une administration, leur « poids psychologique » était infiniment plus grand, puisqu’ils étaient réalisés par des particuliers. D’où, en général, l’impopularité des « fermiers ».

 

On retrouve dans le fonctionnement de la Ferme Générale à la veille de la Révolution de 1789 beaucoup de similitudes. En effet, presque tous les droits de Traite et autres droits indirects étaient affermés par bail de 6 ans à la Ferme Générale. L’adjudicataire s’engageait à verser au Trésor le montant du bail et conservait pour rémunération l’excédent que rapportait la perception des droits.

 

La Palestine d’alors comprenait trois districts douaniers qui relevaient de trois juridictions : Celle du Préfet romain Pontius Pilatus tétrarque de Judée, celle d’Hérode Antipas et d’Hérode Philippe II, le premier éthnarque de Galilée et de Pérée, le second de Samarie.

 

Les publicains étaient détestés et particulièrement méprisés par la population juive qui les plaçait sur le même rang que les prostitués. Les juifs rigoristes traitaient « ces rapaces » de « pêcheurs publics (Marc C 2 V 16) à mettre au banc de la nation juive ». Le Talmud dit de même que « les brigands, les assassins, les péagers sont à mettre au même rang ». Cette réaction rappelle encore l’arbitraire de la Ferme et la haine populaire que suscitaient les fermiers qui amassaient des fortunes immenses et subites.

 

Il existait tout une hiérarchie de percepteurs. Mathieu était-il un agent subalterne (C 9 V 9) ou plutôt un « Zachée » sorte de Contrôleur Général (Luc C 19 V 1-10) de fermier de l’octroi de Capernatim qui centralisait les sommes versées par les autres péagers ? Jésus en eut pitié et le regardant d’un oeil de miséricorde, lui dit « Suis-moi ». Il se nommait Mathieu-Lévi, natif de Gaulée. Quittant tout, il se leva et le suivit… ».

 

Les évangélistes rapportent ainsi ce moment : « De là, étant allé plus loin, Jésus vit un homme assis au lieu des péages et qui se nommait Mathieu. Il lui dit « Suis-moi. Et cet homme se leva et le suivit ». (Mathieu : IX 9).

 

En passant, il vit LEVI, fils d’Alphée, assis au bureau des péages. Il lui dit « Suis-moi » et lui, se levant, le suivit… (Marc : H 14).

 

Après celà, Jésus sortit. Et il vit un péager nommé Levi assis au bureau des péages. Il lui dit « Suis moi » et Lévi quittant tout, se leva et le suivit… (Luc: V 27).

 

Touché par la Grâce, il abandonna son emploi pour se donner sans réserve à Jésus.

 

A l’occasion de sa conversion, il organisa un grand festin dans sa maison, auquel il convia Jésus et plusieurs publicains avec lui. On comprend le scandale que causa Jésus en descendant dans la maison d’un Zachée… Les pharisiens et leurs scribes murmuraient et disaient aux disciples « Pourquoi mangezvous et buvez-vous avec les publicains et les pêcheurs »? Jésus prenant la parole leur dit : « Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin de médecin mais les malades ». Je vous le dis, en vérité, les péagers et les prostitués vous devanceront dans le royaume de Dieu, car Jean (le Baptiste) est venu à vous par la voie de la justice, et vous n’avez pas eu foi en lui, mais les péagers et les prostitués ont cru en lui »… (Matthieu XXI, 31-32).

 

Ces faits sont rapportés ainsi dans les Evangiles. « Lévi lui donna alors un grand festin, en sa demeure, et un grand nombre de péagers et d’autres personnes, étaient à table avec eux »… (Luc : V 29).

 

« Comme Jésus était à table, en sa maison (celle de Lévi-Matthieu, évidemment), voici que beaucoup de gens de mauvaise vie, et des publicains (péagers) vinrent se mettre à table avec lui et ses disciples »… (Mathieu : IX, 10).

 

« Jésus était à table, dans la maison de Lévi : beaucoup de péagers et de pêcheurs, prirent place à table, avec lui et ses disciples »… (Marc : II 15).

 

De nombreux artistes ont immortalisé par leurs oeuvres, les principaux évènements de la vie pastorale de St-Mathieu. Le plus souvent on le représente, sur les anciens monuments, debout sans attribut, ce qui le distingue des autres apôtres.

 

Un magnifique buste sculpté par Ingres est exposé au Musée du Louvre. Au Cabinet des estampes à la Bibliothèque Nationale à Paris, on le voit représenté tenant un sac pour rappeler ses fonctions de péager, puis quittant son bureau des recettes, à la voix de Jésus qui lui ordonne de le suivre.

 

Sur un remarquable vitrail de la cathédrale de Chartres, on peut le voir « monté sur le dos d’un prophète ».

 

Cette représentation a une haute portée symbolique, c’est, dit-on, une figure de l’accomplissement des prophèties de l’Ancien Testament par les figures du Nouveau.

 

Après l’Ascension et la descente du Saint-Esprit sur les Apôtres, Mathieu commença à prêcher avec les autres les Mystères d’un Dieu crucifié. Lorsqu’ils se dispersèrent et quittèrent la Judée qu’ils avaient tâchée de convertir la première, l’Ethiopie lui « tomba en partage ». On croît qu’à cette époque il avait déjà écrit son Evangile. 11 passa par l’Egypte où il dût surmonter une infinité de difficultés pour se rendre en Ethiopie. Sa mission évangélique fut marquée par l’éclat de ses miracles, la force de sa doctrine et la sainteté de sa vie.

 

L’abbé Maistre a rapporté ainsi les scènes des estampes de la Bibliothèque Nationale, représentant les faits marquants de la vie de St-Mathieu :

 

– Eteignant un incendie et tuant deux dragons : ‘Deux magiciens nommés Zaroès et Arfaxat trompaient le peuple par de faux miracles. Voyant que St-Mathieu découvrait leurs sortilèges et qu’il désabusait les gens, ils firent venir par leur art diabolique deux dragons épouvantables pour jeter la terreur dans toute la ville de Xaddaver en Ethiopie.

St-Mathieu ayant fait le signe de croix rendit ces animaux doux comme des agneaux et les obligea à retourner dans leurs cavernes ».

 

– Voyant dans le ciel le rameau de Jessé (1). L’arbre de Jessé représentait la descendance de David dont fait partie le Christ:

– Tenant une épée comme instrument de son martyre

et

– Tué à l’autel pendant qu’il disait la messe.

 

« La mort ayant enlevé le fils du roi d’Ethiopie nommé Euphranor, St-Mathieu invoqua le nom de Jésus-Christ sur le corps du défunt et lui rendit la vie. Ce miracle fut cause de la conversion du roi, de la reine, de la maison royale et de toute la province, qui reçurent tous le Saint Baptême. La fille Iphigénie choisit de garder sa virginité et de se consacrer à Dieu. Plusieurs jeunes filles firent de même. Ainsi St-Mathieu est l’auteur du voile et de la consécration des Vierges ».

 

« A la mort du roi Eglippe, Hirtace son frère s’empara du royaume et voulut épouser Iphigénie.

 

St-Mathieu bien loin de la pousser au mariage comme Hirtace l’en avait prié, ne lui parla dans son discours que de l’excellence de la virginité. Hirtace, que la passion aveuglait, résolut sur le champ de s’en venger. Il envoya des bourreaux pour mettre à mort le Saint Apôtre. A la fin du sacrifice de la messe qu’il célébrait et sans respecter la sainteté du lieu, ils lui donnèrent plusieurs coups dont il tomba raide mort au pied de l’autel, qui fut teint de son sang ».

 

Ainsi périt le Saint Apôtre Mathieu qui était resté 23 ans en Ethiopie, durant lesquels il avait gagné des Milliers d’âmes à Dieu, renversé les temples des idoles, érigé des églises en leur place, ordonné des prêtres et sacré des évêques.

 

Son corps demeura 120 ans caché dans un caveau secret à Salerne. De là, son chef sacré a été transporté en France et déposé à la cathédrale de Beauvais d’où il a disparu en 1793. Mais une partie se conserve encore religieusement dans le monastère de la Visitation de Sainte-Marie, à Chartres.

 

Il nous a laissé en héritage l’eau bénite dont il fut l’inventeur et c’est lui qui ordonna que les fidèles offriraient à Dieu la dîme de leur revenu pour l’entretien de l’Eglise et l’assistance des Pauvres.

 

Les douaniers ont réservé une place de choix au Musée des Douanes, pour honorer leur Saint Patron. On y peut admirer une très belle reproduction de l’oeuvre de Michelangelo Mérisi, dit le Caravage (1573-1610), intitulée « La vocation de Saint-Mathieu », dont l’original se trouve en l’église Saint-Louis des Français à Rome. Elle représente le publicain Mathieu-Lévi, faisant ses adieux aux autres collecteurs pour se mettre à la suite du Maître, lors d’un festin qu’il a organisé dans sa maison après sa conversion.

 

La Saint-Mathieu

 

C’est à un prêtre flamand, le chanoine Cnapelink, exerçant son ministère à Bailleul que nous devons le renouveau de la Saint-Mathieu. C’est lui en effet qui en 1953 eut l’idée d’associer dans cette célébration douaniers et agents des finances des deux côtés de la frontière. Fêtée dans le Nord et en Belgique, la Saint-Mathieu est également célébrée à la Martinique.

 

Alain Higounet

 

 


Annexe:

La Saint-Mathieu

 

C’est à un prêtre flamand, le chanoine Cnapelink, exerçant son ministère à Bailleul que nous devons le renouveau de la Saint-Mathieu. C’est lui en effet qui en 1953 eut l’idée d’associer dans cette célébration douaniers et agents des finances des deux côtés de la frontière. Fêtée dans le Nord et en Belgique, la Saint-Mathieu est également célébrée à la Martinique.

A la Martinique: recueillement et convivialité

 

 


 

Note:

(1) Branche de palmier.

 


 

Cahiers d’histoire des douanes françaises

 

N° 13

 

Décembre 1992

 


 

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