Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Louis XI (1462-1483) : les instruments douaniers au service de l’interventionnisme économique

Mis en ligne le 1 septembre 2021

Au cours de l’Histoire, les droits de douane sont longtemps assimilés à de simples droits de péage. Ainsi, depuis l’Antiquité, ils ont vocation à constituer une recette budgétaire de premier plan pour la constitution des royaumes et des États.

 

Progressivement, l’Empire romain utilise la barrière douanière pour prohiber l’importation ou l’exportation de marchandises. Tel est le cas s’agissant des métaux précieux, que Rome souhaite conserver et thésauriser.

 

Accompagnant le développement d’un État centralisateur et l’édification du royaume, l’outillage douanier prend un virage souvent peu examiné mais pour autant essentiel, au XVe siècle.

 

C’est Louis XI, dit « le Prudent » qui se sert de l’ensemble de l’outillage douanier au service d’une politique économique interventionniste. Il le mobilise même dans une volonté de conquête économique au service de ses fins politiques.

 

Louis XI, dit « le Prudent »

Tel est l’analyse de l’historien Gaston ZELLER : « En matière de commerce extérieur et de douanes, il a inauguré un véritable nationalisme économique, qui a été à la base du « mercantilisme » des siècles suivants ». (Procès à réviser ? Louis XI, la noblesse et la marchandise in Annales, Économies, Sociétés, Civilisations, n°4, 1946)

 

Protéger et investir : une politique de « protectionnisme éducateur » avant-gardiste ?

 

Dans l’histoire des idées économiques modernes, Friedrich List évoque au XIXe siècle le protectionnisme éducateur comme un moment historique dans l’édification des économies, au cours duquel le pouvoir normatif combine une protection économique aux frontières à un investissement dans les industries manufacturières internes afin de les hisser au niveau des pays concurrents.

 

 

Maîtrise monétaire, investissement dans l’économie nationale, économie source de puissance : telle pourrait être la devise de la politique économique menée par Louis XI.

 

La monnaie doit être conservée, non par souci d’amasser un trésor comme autrefois, mais pour investir dans la vie économique nationale, agir et animer la circulation de monnaie et de richesses entre agents économiques. Louis XI investit ainsi dans les mines nationales, la soie, qu’il introduit en France en particulier à Lyon, et les foires, privilège royal depuis Philippe Le Bel.

 

Mesures tarifaires et non tarifaires, prohibitions d’importations, interdiction de transferts de fonds … La politique douanière au service d’une économie de guerre

 

Louis XI utilise un large panel de mesures douanières en utilisant le commerce international comme moyen de pression sur ses voisins, en particulier contre le duc de Bourgogne.

 

Cette pression s’exerce particulièrement dans trois conflits économiques, contre Genève (a), contre Venise (b) et contre Anvers (c).

 

a. Lyon contre Genève, ou la guerre des foires

 

La foire de Lyon au Moyen-Âge

Dès qu’il accède au trône en 1461, Louis XI s’entoure d’un Conseil des finances officieux, composé de spécialistes des questions budgétaires, économiques et financières.

 

Le premier conflit économique auquel Louis XI est confronté se situe dans la rivalité avec la maison de Savoie, contre Philippe de Bresse, duc de Savoie. Celui-ci utilise la puissance de la place commerciale de Genève pour brider l’expansion de Lyon.

 

Louis XI boycotte totalement les foires de Genève, non seulement aux commerçants français, mais aussi aux étrangers, en interdisant le transit par la France des marchandises qui lui sont destinées.

Parallèlement, il crée et renforce les foires de Lyon. Selon Jean Favier, il s’agit là d’une véritable « guerre économique » (Louis XI, Fayard, 2001).

 

Ces mesures produisent rapidement leur effet, de sorte que des banquiers italiens implantés à Genève relocalisent leur succursale à Lyon. L’expansion de la place commerciale lyonnaise doit ainsi beaucoup à cette politique de Louis XI.

 

b. Le royaume de France contre Venise et le duc de Bourgogne

 

 

Face à l’Italie, morcelée en cités-Etats, Louis XI prône l’équilibre et la neutralité, hormis à Naples dont la maison attisait les convoitises. S’il jalouse les capacités entrepreneuriales des cités maritimes italiennes, et une noblesse tout autant à l’aise dans le maniement de l’épée que dans le souci du commerce, Louis XI apprécie peu la politique du pape Sixte IV qui complote contre les intérêts de la France en Italie, et contre la maison des Médicis, notamment au travers du clan des Pazzi.

 

La puissance financière de la papauté est aussi la cible de Louis XI : en 1464, le souverain interdit à l’Église de France d’y envoyer des fonds, notamment en rétablissant la « pragmatique sanction » contre l’impôt papal, l’ « annate ». Il s’agit de conserver un moyen de pression sur Rome et le Saint-Siège.

 

Venise constitue une menace commerciale sur les mers comme sur le continent. Pour amenuiser son rayonnement, Louis XI combine trois mesures :

– prohibitions d’importations de marchandises d’Orient en provenance de Venise : en 1463 puis à partir de 1466, tout en autorisant leurs importations en provenance des autres cités comme Gênes, Florence ou Milan ;

– mesures non tarifaires : les autorités portuaires du Languedoc déchargent les navires vénitiens après s’être occupés des bateaux français ;

– guerre maritime par l’action de corsaires, véritables « chiens de mer » dressés contre les navires de commerce vénitiens (Guillaume de Casenove, dit « Coulon » s’illustre en 1469 en Manche).

 

Ces mesures portent leurs fruits, jusqu’au traité de paix de 1478 qui scelle la victoire économique du royaume de France et qui oblige l’ennemi bouguignon à cesser son alliance avec Venise.

 

c. Contre les marchands et la foire d’Anvers

 

Louis XI et les marchands (ici à Angers)

 

La place flamande et le souverain Maximilien constituent un ennemi commercial allié des Bouguignons. Louis XI agit encore par l’armement douanier, afin d’isoler la foire d’Anvers et de rendre les routes marchandes moins aisées.

 

En 1470, il interdit ce marché aux commerçants français et met en œuvre un blocus de l’exportation des produits de luxe et des céréales.

 

Les marchands d’Anvers sont dès lors très réticents à lever de nouveaux fonds pour faire la guerre à la France. Les banquiers italiens, alliés des Médicis et du royaume de France contribuent à assécher financièrement Anvers.

 

Cette politique contribue à une nouvelle victoire économique dont la paix de Senlis en 1493 constitue l’aboutissement.

 

*

*     *

Louis XI investit le terrain économique en utilisant un large panel de mesures douanières, avec des succès retentissants contre Genève, Venise et Anvers.

Cette politique sert ses ambitions territoriales et accompagnent l’édification de l’autorité centralisatrice du royaume de France.

 

Arnaud PICARD
MENU