Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Les plombs pour sceller au XVIIIe siècle – 4 – les plombs des traites et de la douane

Mis en ligne le 1 janvier 2020

Si la notion de douane évoque aujourd’hui les frontières internationales, il n’en allait pas de même sous l’Ancien Régime : les frontières intérieures étaient étroitement surveillées afin de ne laisser voyager aucune marchandise sans que sur celle-ci n’ait été payées les taxes de passage. Les termes employés étaient ceux de “traites” et de “douanes”, ainsi que le définit un mémoire de la Ferme à la fin du XVIII e siècle (AN G/1/79-1) : “On entend par droits de traitte ceux qui se paient sur les marchandises soit à l’entrée soit à la sortie du royaume, soit aux passages d’une province à une autre. Ils sont aussi appelés droits de douanes, du nom donné aux bureaux où s’appliquent ces droits”.

 

 

 

La douane

 

Le mot douane, issu de l’arabe diwan (1) apparaît en Sicile à la fin du XII e siècle sous la forme doana qui désigne le bâtiment où se paient les taxes pour les marchandises qui entrent ou sortent du pays. Il entre en France au XIII e siècle et devient doane au XV e . Réservé aux taxes perçues dans le Sud-Est (douanes de Lyon et de Valence), puis de Paris, le mot douane s’est étendu à tous les droits sur les marchandises à l’entrée et à la sortie du pays.

 

Bref historique.

 

Taxer les marchandises qui circulent dans un pays remonte à l’Antiquité et tous les Etats ont usé de ce procédé pour emplir leurs caisses. Le morcellement de la France féodale a multiplié les territoires plus ou moins indépendants les uns des autres, multipliant ainsi les frontières et les péages.

 

La lente constitution du royaume de France par la réunion de fiefs ou de provinces entières s’était faite en préservant les coutumes de ces territoires, d’où un très grand nombre d’usages qu’il était difficile d’harmoniser devant les résistances locales. Parmi ces usages, les droits de traites et de rêves taxaient les produits à l’entrée pour les premiers, à la sortie pour les seconds. Chacune de ces taxe portait un nom particulier, qu’elle conserva jusqu’à ce que le mot douane subsiste seul. On trouvait par exemple, la “douane” de Lyon et de Valence, le “convoi de Bordeaux” (2) , ou la “romaine” (3) de Rouen et du Havre (4) …

 

Le paiement de ces taxes a lieu dans des villes désignées pour le passage de certaines marchandises. Une seconde notion vient alors s’ajouter à celle de profit : la protection économique de la production locale contre les marchandises étrangères. Dès lors, la taxe vise à augmenter le prix d’un produit importé et à briser la concurrence. La protection peut aussi limiter ou interdire l’entrée afin d’éviter que soit étouffée une industrie nationale (la soierie par exemple, et plus tard les toiles peintes).

 

Si les taxes sur les marchandises qui entrent dans le royaume peuvent favoriser son industrie, celles qui pèsent sur les déplacements intérieurs sont un frein sérieux. Un premier pas est franchi lorsque le royaume est partagé en trois zones : les “Cinq grosses fermes”, les “provinces réputées étrangères” et les “provinces à l’instar de l’étranger effectif” (carte fig. 1 page suivante).

 

La Révolution abolira les droits intérieurs pour ne laisser subsister que ceux aux frontières internationales. L’administration des douanes, désormais détachée des fermes, se mettra en place jusqu’à devenir celle que nous connaissons aujourd’hui.

 

 

Provinces des Cinq grosses fermes.

 

 

Les impôts étaient affermés (cf. DP n os 59 et 60). Une ferme comprenait les droits “douaniers” intérieurs et extérieurs, la seconde les droits d’entrée sur les drogueries et épiceries, la troisième les droits de certains produits à l’exportation, la quatrième les droits d’entrée sur toutes les marchandises, enfin la cinquième était particulière à la ville de Calais.

 

 

En 1598, un seul adjudicataire réunit les baux de ces cinq fermes ; cela se poursuivit et, dès le début du XVI e siècle, il reçut le titre de “fermier général des Cinq grosses fermes de France, la douane de Lyon y comprise”. Un seul organisme perçoit donc l’ensemble des droits et, sous l’impulsion de Colbert en 1664, un certain nombre de provinces acceptent de supprimer les droits de circulation intérieure ; on les appellera “provinces des Cinq grosses fermes”. Désormais, les marchandises y circulent librement, les taxes étant seulement perçues à l’entrée et à la sortie de cette union territoriale. Colbert établit également en 1664 un tarif douanier sur les importations, à la fois protectionniste et rémunérateur, qu’il impose en 1667 à l’ensemble du royaume, y compris les provinces qui n’entrent pas dans les cinq grosses fermes. À partir de cette date, la protection douanière est donc étendue à l’ensemble des frontières du royaume, la perception des droits étant faite par la ferme générale au nom de son adjudicataire (5) .

 

 

Provinces réputées étrangères.

 

 

Les provinces ayant refusé le tarif de 1664 restaient libres de leurs tarifs, chez elles, entre elles, et avec les pays étrangers, à l’image des “zones franches” actuelles. À partir de 1667, elles perdent la franchise du trafic international,mais conservent les autres privilèges. Outre la moitié sud du royaume, ces provinces comprenaient la Bretagne, la Flandre et la Franche-comté. Les taxes s’appliquaient aux produits venant ou entrant dans les cinq grosses fermes.

Il était cependant possible pour ces provinces, pour commercer entre elles, de faire traverser à leurs marchandises dûment plombées le territoire des cinq grosses fermes sans taxes d’entrée ou de sortie. Le plomb de Port-Louis (fig. 16) à destination d’une autre province réputée étrangère en apporte la confirmation.

 

 

Provinces à l’instar de l’étranger effectif.

 

 

Les régions de l’Est, entrées depuis peu dans le royaume, principalement l’Alsace et la Lorraine, étaient considérées comme des pays étrangers et payaient donc des droits d’entrée au même titre que l’Italie ou les Pays-Bas, mais restaient libres de leur commerce avec l’étranger. Les textes signalent en 1785 des plombs propres à l’Alsace qui ne semblent pas avoir été retrouvés (AN G/1/80-7).

 

 

Les premiers plombs de douane : Lyon et Valence, puis Paris.

 

 

Des édits de François Ier (1542) et Henri II (1549) prouvent l’existence de sceaux à l’entrée des marchandises. Il s’agit de plombs à tunnel : “attachez en une ficelle qui traversera lesdites balles, ballots ou fardeaux, et coffres” et sur lesquels figureront “la marque d’un costé, de nos armes, et de l’autre costé, les armes de la ville capitale des pays ou provinces”. Ces plombs, abondants pour le Lyonnais, et un peu moins pour Paris, ne sont pas répertoriés pour d’autres villes.

 

• Lugdunum était, sous la Gaule romaine, le centre administratif des postes douaniers établis par l’Empire romain ; Lyon au XVI e siècle est la première ville dans laquelle fut établie une taxe sur les importations de soieries, primitivement appelée “gabelle”, avant que ce mot ne soit réservé au sel, puis “douane”. Cette taxe s’étend ensuite aux entrées des “drogueries-épiceries” qui ne pouvaient transiter que par Lyon, en provenance d’Italie, par Marseille pour la voie maritime méditerranéenne, et par Rouen pour le trafic atlantique (6) . Bien entendu, toutes ces marchandises étaient scellées d’un plomb à leur entrée. Le territoire de la douane de Lyon était très étendu et ses plombs étaient posés dans les bureaux du Lyonnais, mais aussi du Forez, du Dauphiné, de Provence, du Languedoc et du comté d’Avignon pour les marchandises qui n’étaient pas destinées à la ville de Lyon proprement dite, d’où leur abondance.

 

Dans son ouvrage, Antoine Sabatier, qui était lyonnais, en décrit plusieurs dizaines. Les plombs douaniers de la ville, de François I er à Henri III, ont des types qui évoquent ceux des monnaies, les dates permettent de les attribuer sans erreur. Les plombs contemporains d’Henri II reprennent les éléments du douzain aux croissants (fig. 3), ceux de Charles IX du “niquet” ou du double tournois au C (fig. 4), ceux d’Henri II du liard à l’H. On comprend que la similitude ne soit pas plus poussée : des coins trop proches de ceux des monnaies auraient tenté les faussaires.

 

À partir de Louis XIII, le type se stabilise avec l’écu royal couronné d’un côté, les armes de la ville de l’autre (fig. 5) avec en légende LVGDVNI, LION ou DOVANE DE LYON (orthographe variable). Certains plombs de la douane de Lyon, bien que circulaires, ont un sceau carré (fig. 2) semblable à celui des plombs de tabac de la ville (cf. DP n° 59) ; les dates portées par certains les situent vers la fin du XVI e siècle et le tout début du XVII e.

 

• La douane de Valence était d’un autre type et, faisant suite à un péage seigneurial sur le trafic fluvial, était devenue une taxe sur tout ce qui passait par le Dauphiné, par route ou par le Rhône. Il y avait là de quoi décourager les marchands qui évitaient cette province, jusqu’à ce qu’il fût déclaré que la taxe était exigible dès lors que la voie directe du point de départ à celui d’arrivée passait normalement par le Dauphiné, même si la province était évitée (7) ! Mais la douane de Valence contrôlait également en partie les frontières avec l’Italie, au moins au Pont-de-Beauvoisin ainsi qu’en témoigne la figure 6.

 

 

• La douane de Paris, créée par l’édit du 3 septembre 1548 à l’image de celle de Lyon, mais avec un territoire limité à la ville et ses faubourgs, taxait l’entrée de toutes les marchandises dans la ville avant de devenir le bureau central des Cinq grosses fermes. Les plombs de la douane de Paris ont été retrouvés en grand nombre lors des dragages de la Seine au XIX e siècle. Comme pour Lyon, les premiers types évoquent les monnaies.

 

 

Les plombs de la ferme générale.

 

 

À la différence des plombs de Lyon et Paris sur lesquels apparaît le mot “douane”, d’autres plombs douanier portent une mention à la ferme (“fermes du roy”, “cinq grosses fermes”…) où au nom de la taxe (“romaine du Havre”, “prévôté de Nantes”…). Tous ces plombs sont très semblables à ceux que nous avons vus au sujet du sel (cf. DP n° 59) par les dimensions et l’aspect général : très gros plombs à double tunnel, portant d’un côté les armes royales dans un écu couronné, rond ou ovale, diversement orné et entouré ou non des colliers royaux, et de l’autre celles de la ville (8) . Malgré les variations de légende, tous ces plombs scellaient des marchandises appelées à passer d’une province à l’autre, à traverser une province, ou en provenance de l’étranger.

 

Quelques-uns de ces gros plombs nous sont parvenus, malgré les efforts de la ferme pour les récupérer (voir DP n° 59). Sabatier en décrit pour Paris, Rouen, Bourgfeld (9) et Nantes ; on peut aujourd’hui y ajouter Amiens, le Havre, Port-Louis, et de nouveaux types pour Nantes et Rouen (10) .

 

La décision du conseil du roi en date du 22 octobre 1737 portant “instruction pour l’usage d’un nouveau plomb dans tous les bureaux des fermes du roy” apporte des précisions intéressantes et éclaire certains points (AN G/1/7911). On y apprend qu’il s’agit de “plombs de forme ronde, sur le contour de chacun sont deux trous qui les traversent pour servir à passer les deux bouts de la corde qui fait l’emballage de chacun ballot ; ces mêmes plombs ont deux petits trous sur la surface, dans lesquels on introduira deux chevilles de plomb pour traverser les deux bouts de la corde”. Voici donc l’explication de la présence de ces “chevilles” qui restaient mystérieuses dans l’article précédent (cf. DP n°60, les plombs de sel), et dont le rôle était d’interdire, sur un plomb peu écrasé, de faire glisser le lien sans abîmer le sceau (fig.8 et 9).

 

 

Cette même décision précise qu’il devra exister trois plombs de différentes grosseurs (gros, moyen et petit). Certains plombs à trois fleurs de lis sous une lettre (B ou H à ce jour, voir DP n°58, fig.3), pour lesquels les tailles petite et moyenne sont connues, sont probablement en relation avec cet arrêt et pourraient être attribués à la Ferme, sans plus de précision. Cependant, à l’exception de ces plombs, je n’ai rencontré que des gros plombs de la Ferme. Les tailles moyennes et petites étaient probablement d’une utilisation moins courante.

 

La nouveauté consistait en ce que les plombs scellaient les liens du ballot, en interdisant l’ouverture, au lieu d’être appendus à une ficelle indépendante comme par le passé. L’existence de plombs avec les trous de chevilles commence vraisemblablement en 1737, et cela peut laisser supposer que ceux qui n’en sont pas pourvus leur sont antérieurs.

 

 

Plombs des provinces des cinq grosses fermes.

 

 

• Paris – Le bureau des douanes de Paris recevait toutes les marchandises à l’entrée pour vérification. Pour les marchandises qui sortaient, les plombs des douanes étaient apposés ; ils n’étaient retirés (et conservés) qu’à l’arrivée à destination. Les plombs de Paris, et ceux des douanes en particulier, présentent les armes de la ville : le vaisseau flottant sous des fleurs de lis en nombre variable.

 

 

Les plombs à plateaux de la douane de Paris étaient destinés aux étoffes ; celui de la figure 10, clairement identifié pour la circulation à l’intérieur des provinces des cinq grosses fermes, est du début du XVIII e siècle.

 

 

Le Havre – Un plomb de la ferme du Havre porte la curieuse inscription (fig.12) “romaine du Havre”, qui nous rappelle que les taxes payées lors des déplacements de marchandises avaient des appellations locales assez pittoresques dont on a ici un exemple. Les armes de la ville sont présentées dans un écu ovale couronné et ornementé : la salamandre sur un brasier. La partie supérieure n’est pas lisible ; on devrait y trouver un lion à droite et trois fleurs de lis à gauche.

 

 

• Rouen – Les plombs de Rouen (11) pour les entrées et les sorties rappellent que sur la frontière des provinces des cinq grosses fermes étaient établis des bureaux qui contrôlaient les passages de marchandises nationales ou étrangères, et que le plomb posé était conforme au sens du déplacement (“entrée” ou “sortie”). Les armes de la ville de Rouen, dans un écu ovale couronné et ornementé, présentent l’agneau pascal portant une bannière, trois fleurs de lis en chef. Les marchandises arrivant par mer étaient scellées à l’entrée pour justifier du paiement de la “romaine”.

 

 

• Amiens – Amiens était un de ces bureaux de terre pour les marchandises étrangères, principalement des étoffes, qui entraient sur le territoire des cinq grosses fermes Les plombs utilisés sont au nom des “fermes du roy”, mais comportent le mot “douane”, ce qui est exceptionnel. Les armes de la ville – un alisier sous un champ de lis – sont présentées dans un écu ovale couronné tenu par deux licornes.

 

 

 

Plombs des provinces réputées étrangères.

 

 

• Nantes – Les droits de Prévôté étaient perçus à Nantes sur toutes les marchandises entrant dans le port, principalement en provenance des colonies. Celles-ci, pour gagner leur destination finale, étaient plombées en conséquence pour le transit comme le montrent les plombs sur lesquels figure l’intitulé de la province destinataire (fig. 15 à 17).

 

 

• Port-Louis – Un plomb de Port-Louis rappelle l’importance de ce port proche de Lorient. Située à l’embouchure du Scorff et du Blavet, la citadelle, nommée Port-Louis en l’honneur du roi, avait l’avantage d’être accessible par tous les temps, et était le port d’attache des navires de la Compagnie des Indes. Le plomb de la figure 17 peut donc avoir scellé des marchandises en provenance d’Asie. Au revers, pas d’armoiries locales, l’importance du texte ne le permettant pas.

 

 

• Septèmes – Le bureau de Septèmes était un bureau forain de Lyon qui voyait passer les marchandises en provenance de Marseille. L’église dédiée à Notre-Dame de la Douane rappelle l’importance de la ville dans ce domaine.

 

 

 

Plombs des provinces à l’instar de l’étranger effectif.

 

 

• Bourgfeld – Il faut signaler un plomb de Bourgfelden (cf. note 9) présenté par Sabatier et semblable à celui de Septèmes, à la légende DOMAINE D’ALSACE / BOURGFELD. L’Alsace, conquête récente, avait un statut particulier (cf. DP n° 59, les plombs de tabac). La position de la ville, immédiatement au nord de la ville suisse de Bâle, en faisait un lieu de passage obligé.

 

 

Les plombs d’entrée des textiles.

 

 

À l’occasion de nouvelles réglementations qu’entraînait le protectionnisme, certains produits pouvaient faire l’objet d’une taxe particulière à l’entrée du royaume. Cela concernait plus particulièrement les étoffes. En effet, afin de protéger l’industrie française, certains produits textiles n’étaient pas autorisés à l’importation ; c’était en particulier le cas des toiles de coton, blanches, teintes ou imprimées (voir encadré). Lorsque leur entrée était autorisée, elle ne pouvait se faire que par un certain nombre de bureaux déterminés.

 

Louvois et les tissus anglais (12) .
En 1687, Louvois persuada le roi que l’un des moyens de protéger les draps français était de les porter ostensiblement et d’être ainsi imité par les courtisans. On fit procéder à une fabrication spéciale de draps rayés immédiatement reconnaissables, mais qui avaient la particularité d’être chers, mal faits et malodorants, au point que le roi, incommodé, dut un jour quitter son habit en public. Des courtisans à l’odorat sensible achetèrent alors des draps anglais qu’ils firent peindre des fameuses rayures, et Louvois découvrit un jour que le Dauphin portait ce type de justaucorps qu’il fit brûler publiquement. Fort heureusement, il apprit, avant que le scandale n’éclatât, que le roi lui-même se faisait tailler un tel habit…

 

Bien que ne comportant ni le mot ferme, ni le mot douane, ces plombs taxant une marchandise à l’entrée du royaume relèvent des attributions douanières.

 

Les toiles de coton, blanches, peintes ou imprimées furent interdites jusqu’en septembre 1759 (13) , et l’on trouve en août 1743 un “ordre aux commis des barrières de dresser des procès-verbaux contre les personnes qui entreront dans Paris avec des habits de toiles et étoffes peintes” (AN G/1/77). À la levée de la prohibition, dix-huit ports (plus deux pour la Compagnie des Indes) et quatorze bureaux de terre furent désignés pour les entrées. Les toiles étaient marquées d’un plomb au nom du bureau avec mention du type de toile. On dispose d’une fourchette de datation assez précise ; l’arrêt du 10 juillet 1785 interdit de nouveau ces importations, sauf pour la Compagnie des Indes, et ordonne la destruction des coins utilisés pour la frappe.

 

 

Ces plombs, de type uniforme pour l’ensemble du royaume, avaient leurs coins gravés à la monnaie de Paris (14 ). Sur les quatorze villes dotées d’un bureau, les quatre signalées par Sabatier, Jougues, Pont de Beauvoisin, Saint-Dizier et Valencienne, se rencontrent avec plus ou moins de fréquence ; aucun n’est connu pour les dix autre villes et les dix-huit ports.

 

La bonneterie avait aussi un statut spécial, n’étant autorisée, à partir de 1700, à entrer que par les ports de Calais et Saint-Valléry (S 125-126).

 

Fig. 21 – Plomb de bonneterie étrangère non localisé (Ø 18 mm).

 

Aux deux types décrits par Sabatier (fleur de lis / nom de la ville), il faut ajouter celui de la figure 21 dont l’autre face (trois fleurs de lis dans une légende circulaire) ne permet malheureusement pas la localisation.

 

La Révolution de 1789 devait bouleverser, et simplifier, ce système de taxes intérieures et extérieures. Malheureusement, aucun plomb douanier de la Régie des douanes de 1791 ne semble connu à ce jour. Cela peut s’expliquer : d’une part, la France, en guerre depuis 1792, est grande consommatrice des produits stratégiques de l’époque, le bronze des cloches et des statues pour les canons (et la monnaie), le salpêtre des caves pour la poudre, et le plomb pour les balles, d’autre part, le ralentissement du commerce international diminue les entrées de marchandises. Pour ces deux raisons, les plombs devaient être récupérés avec encore plus de soin que sous la Ferme, et la quantité utilisée devait être assez minime en regard de ce qu’elle était sous l’Ancien Régime. Leur existence est avérée par une loi de 1795 (fig. 22), fixant le tarif des “gros plombs” et qui nous laisse supposer que le module des plombs de la Ferme a été conservé ; il reste à les retrouver !

 

 

 

Le XIXe siècle.

 

 

Si de nombreux plombs voient leur usage disparaître avec la Révolution, en particulier tous ceux relatifs aux textiles, ceux de la douane subsistent jusqu’à nos jours ; il est donc nécessaire de déborder ici du cadre du XVIII e siècle pour un bref aperçu de ce qui se fit après la Révolution.

 

Au XVIII e siècle, l’administration des douanes en tant que telle n’existait pas. La Ferme s’occupait de presque tout, dès lors qu’il y avait une taxe à lever. Il faut attendre le printemps 1791 pour que soit créée la Régie des douanes nationales qui reprend l’activité de la Ferme pour l’entrée et la sortie des marchandises (15) . La loi d’août 1791 “pour l’exécution du nouveau tarif des droits d’entrée” fait état, dans les huit articles de son titre IV, des lieux désignés pour l’entrée et la sortie des différentes marchandises, et l’on peut constater que les toiles peintes qui disposaient de vingt-huit lieux d’entrée en 1759 n’en ont plus que huit en 1791. Cette importante loi ne donne malheureusement aucune autre précision sur les plombs, autre que la mention de “…ballots cordés et plombés”.

 

Sous le Consulat, un arrêté de l’automne 1801 crée la Direction Générale des Douanes qui a subsisté aux différents régimes qui se sont succédé jusqu’à nos jours. Mais comme pour la période révolutionnaire, je n’ai pas rencontré de plombs douaniers du Consulat ou de l’Empire.

 

À partir de la Restauration, seules apparaîtront désormais sur les plombs quelques informations générales (lieu, timbre administratif, nom de l’administration) comme on peut l’observer sur les plombs des douanes de Marseille (fig. 23).

 

 

Le plombage des marchandises était légalement tarifé et le bénéfice réparti selon certaines règles entre le personnel des bureaux. Pour augmenter ce bénéfice, certains employés des douanes n’hésitaient pas à surfacturer la pose des plombs ou à en poser là où ce n’était pas nécessaire. L’ordonnance royale du 8 janvier 1817 vint y mettre bon ordre avec, en particulier, les prescriptions suivantes :

 

Art. 1er – Il ne sera fait usage, pour plomber (…) que d’instruments pouvant à la fois empreindre les deux faces et la tranche de chaque plomb.
Art. 2 – L’administration fera fabriquer, sur un seul modèle, des flaons (sic) d’une forme et d’une dimension telles, qu’on ne puisse fermer l’instrument sans une pression qui produise des empreintes distinctes, et ne permette plus de dégager la ligature, qui sera nouée dans le plomb même.
Art. 4 – Défenses sont faites aux agents des douanes d’exiger ou de recevoir d’autres ni plus fortes rétributions (…) le tout à peine de destitution, et autre peines plus graves si le cas y échéait.

 

À la fin de la monarchie (1848), le plomb au type de la figure 23 s’est maintenu en partie ; le coin faisant référence à l’ordonnance toujours en vigueur est conservé, mais l’autre, porteur des armes royales, est modifié avec la nouvelle inscription DOUANE, et la localisation sans motif central. Les nouvelles pinces à plomber ne furent probablement pas distribuées dans des délais suffisants, d’où ce type sans l’écu mais ayant conservé sur la tranche la mention DOUANES ROYALES (fig. 24).

 

Enfin, l’inscription de la tranche des plombs est remplacée par DOUANES FRANÇAISES lors du renouvellement des stocks (fig. 25). On a l’impression qu’un coin a été gravé à la hâte pour faire disparaître le symbole royal, mais la référence à l’ordonnance de 1817 restant d’actualité, le coin la mentionnant pouvait être réutilisé (16) .

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nous avons vu qu’au XVIII e les informations portées par le plomb étaient assez précises : toujours le lieu, parfois l’année et même le type de produit pour les étoffes. Sous l’Empire, seul demeure le nom de l’administration. Sous la Restauration et la Monarchie de juillet, le lieu d’émission est encore précisé. La suite reste à étudier ; aucun plomb parmi ceux que j’ai observé n’est attribuable avec certitude au second Empire. Ceux qui, a priori, sont postérieurs à 1870 devraient pouvoir être classés chronologiquement avec l’aide des services de la douane.

 

 

L’octroi :

On ne peut traiter des douanes sans dire un mot de l’octroi qui, s’il ne nous laisse pas de plombs, prit dans les villes la place des douanes intérieures de l’Ancien Régime.
A Paris, pour éviter l’entrée frauduleuse des marchandises, la construction d’un mur dit “des fermiers généraux” fut commencée en 1782 sous la direction de Claude-Nicolas Ledoux (qui fut également l’architecte des salines d’Arc-et-Senans). Les Parisiens apprécièrent peu cette frontière matérialisée (17) qui fut leur premier objectif, sept ans plus tard, en brûlant les barrières deux jours avant la prise de la Bastille. Cependant l’Assemblée Nationale décida de maintenir les taxes d’entrée ce qui occasionna de graves émeutes qui aboutirent à la suppression de ces droits le 19 février 1791 à la grande satisfaction des Parisiens (18) . Il fallut vite déchanter ; les prix continuèrent d’augmenter, la ville privée de cette ressource ne payait plus ses employé (balayeurs, paveurs…) et, faute de s’approvisionner en huile, coupait la moitié de l’éclairage public. En 1798 les services de la voirie ne fonctionnent plus et la ville est en cessation de paiement. Face à cette situation catastrophique, le Conseil des Cinq Cents rétablit “la taxe d’octroi municipal et de bienfaisance” le 27 vendémiaire an VII (22 octobre 1798). Cette taxe, dont les registres des recettes ont été conservés, ne rapportait qu’environ 10 000 F en 1801, mais dépassait les 100 000 F après la guerre de 1870. Pour donner un exemple, la construction dans Paris d’un immeuble de cinq étages pour une valeur de 100 000 F, rapportait à l’octroi pour l’entrée des matériaux et de la nourriture des ouvriers (500 g de viande et 1 litre de vin par jour) une somme de 5000 F.

 

Bien que les barrières aient été détruites en 1789, la muraille s’avéra utile six ans plus tard, lorsque le contrôle des déplacements fut établi et, qu’à son passage, la présentation d’un passeport devint obligatoire (fig. 27).

 

 

Si Paris retrouva la santé, la fraude se multiplia (19) sous toutes ses formes, obligeant l’administration à multiplier la surveillance, donc le personnel, au point que les recettes étaient absorbées par les salaires. Pratiquement disparus à la veille de la deuxième guerre mondiale, bien que rétablis en partie par les occupants allemands, les droits d’octroi furent légalement supprimés à partir du 1er janvier 1949.

 

Aujourd’hui, la muraille des fermiers généraux et les quarante-cinq barrières d’octroi ont disparu ; seules subsistent quatre constructions de Ledoux : les pavillons d’Enfer (Denfer-Rochereau), ceux de Vincennes (Nation), les rotondes de la Villette (Bassin de la Villette) et de Chartres (Parc Monceau, fig. 28).

 

 

M. Jezequel

 


1 – On trouve, par exemple à Sfax (Tunisie), une porte de la médina, Bab-diwan, qui était la porte d’octroi de la ville.
2 – Les navires remontant la Gironde jusqu’à Bordeaux étaient souvent attaqués. Afin d’éviter ces vols, ils furent accompagnés d’une escorte armée obligatoire et payante. Par la suite, l’escorte disparut, mais il fallut néanmoins continuer à payer le “convoi et comptablie de Bordeaux”.
3 – Je n’ai pas trouvé l’origine de cette appellation.
4 – D’autres noms imagés : “le trépas de Loire”, “la patente du Languedoc”, “le liard du baron”, “la branche de cyprès de Blaye”, “la coutume de Bayonne”, “la foraine et bouille du Roussillon“…
5 – L’adjudicataire (cf. DP 58 sur le tabac) n’était que le prête-nom des soixante fermiers généraux anonymes, avec une rétribution annuelle de 4000 £, alors que le seul pot-de-vin du ministre des finances s’élevait à 150 000 £ et que le montant du coût du bail variait entre 160 et 200 millions.
6 – les épiciers et les apothicaires vendaient des épices, mais ces derniers en faisaient des parfums et des remèdes. La distinction entre les deux professions date du XV e siècle, mais elles seront néanmoins réunies en une seule corporation à partir de 1514. Brièvement séparés à la fin du XVII e , ce n’est qu’à partir de 1777 que la distinction sera définitive entre pharmacies (médicaments, sucre) et les épiceries (produits alimentaires). Ceci explique l’appellation de “drogueries-épiceries” qui concernait un même groupe de produits pour des usages différents.
7 – Imaginons aujourd’hui l’automobiliste amoureux des nationales à qui l’on ferait régler le péage de l’autoroute qu’il aurait pu prendre pour ce même trajet.
8 – Les légendes des plombs de la Ferme sont variables. On retrouve ces mêmes variations sur les sceaux cachetant les lettres : sur les comptes que les bureaux normands de la direction de Caen envoient à Paris en 1785, et qui ont conservé leur cachet de cire rouge ou noire, on peut relever trois types différents (fermes du roy, fermes générales et sans légende). AN G/1/80-23.
9 – Il s’agit certainement de la ville de Bourgfelden, aujourd’hui annexée à la commune de Saint-Louis à la frontière franco-suisse.
10 – Le monopole de la fabrication de ces plombs était confié au sieur Taisseville.
11 – Signalons, à propos du plomb, l’installation à Rouen en 1766 de la plus grande fonderie de plomb en Europe, principalement destinée à la fabrication de récipients pour l’acide chlorhydrique.
12 – Rapporté par Alfred Rambaud, Histoire de la civilisation française, Paris 1887.
13 – En 1714 et 1715, des arrêts obligeaient les possesseurs de telles toiles (rideaux, fauteuils…) à en faire la déclaration sous peine de 1000 £ d’amende.
14 – Il ne semble pas que des coins de plombs aient été conservés à la Monnaie de Paris.
15 – Les qualités administratives de la Ferme étaient reconnues par l’Assemblée Nationale, et on retrouve aux commandes de la nouvelle régie des douanes des fermiers de l’Ancien Régime qui avaient échappé à la guillotine.
16 – Cela préfigure les monnaies républicaines de 1870, au type de Cérès, frappées avec le coin de revers des monnaies de Louis-Philippe sans légende.
17 – L’expression de l’époque en rend compte : “le mur murant Paris rend Paris murmurant”.
18 – Pour montrer l’importance du geste qui était fait, la Municipalité fit afficher le tarif des taxes qu’elle venait de supprimer. La lecture montre que rien n’était oublié, et la liste des gibiers et volailles mériterait d’être citée in extenso, pour rêver, mais elle est malheureusement trop longue. Citons quand même : alouette, bartavelle, bécasse, caille, coq de bruyère, gélinote, grive, marcassin, ortolan, paon, pluvier…
19 – De nombreux tunnels furent creusés sous le mur, en particulier pour le passage des alcools dont les taxes élevaient considérablement le prix : un hectolitre d’absinthe acheté en province coûtait 105 F, les taxes étaient de 328,55 F. En octobre 1864, on découvrit que trois tuyaux de caoutchouc partaient d’une maison pour aboutir à l’entrepôt des vins (à l’emplacement actuel de l’Institut du Monde Arabe) l’un pour l’alcool, le second pour le vin, le troisième pour les communications acoustiques ; il suffisait de pomper…

 

 

SOURCES :

 

Maxime Du Camp, Paris, ses organes, ses fonctions, sa vie dans la seconde moitié du XIX e siècle, Tome 6, Paris 1879.
Antoine Sabatier, Sigillographie historique des administrations fiscales, communautés ouvrières et institutions diverses ayant employé des sceaux de plomb (XIV e -XVIII e ) – Plombs historiés de la Saône et de la Seine, Paris 1912.
Archives Nationales. Série G1 pour les traites, A et F pour les textes légaux.
Photographies et dessins de l’auteur, sauf indication contraire.

Cahiers d’histoire des douanes françaises
N° 39 – 1er semestre 2009

 

 

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