Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Les plombs pour sceller au XVIIIe siècle – 2 – Les plombs de tabacs

Mis en ligne le 1 septembre 2019

 

Si les plombs de textiles présentent une multitude de formes selon le fabricant, le produit, la manipulation ou les différents contrôles (1) , ceux du tabac n’offrent pas la même variété du fait de l’organisation de son commerce qui est aux mains de la ferme du tabac (voir page 43).

 

En effet, si chaque fabricant d’étoffes était libre du choix de son sceau, les fermes générales, ou leur adjudicataire, imposaient un type quasi uniforme pour l’ensemble du royaume. Les plombs de tabac offrent donc moins de variété que ceux du textile, ce qui ne les rend pas pour autant faciles à classer. Ils sont de petite taille, environ 10 à 20 mm de diamètre ou de côté, et,destinés à saisir un lien, sont des plombs à tunnel à une exception près.

 

2. Le tabac

 

C’est au XVI e siècle que le tabac, originaire d’Amérique, est introduit en France par Jean Nicot. D’abord nommé “pétun” ou “tabacco”, il est désigné par son nom actuel à partir du tout début du XVII e siècle.

Le succès est rapide ; vendu par les apothicaires, le tabac se fume, se prise, se mâche ou se pose en cataplasme. La culture se pratique en France dès le XVI e siècle, mais elle demeure très réglementée, même parfois interdite. Ce sont les importations qui fournissent l’essentiel du tabac consommé dans le royaume. Le tabac arrive au port sous forme de bouquets de feuilles qui sont destinés aux fabricants.

Ces feuilles sont dirigées vers les différentes manufactures où elles sont transformées en “rôle” à râper, en “corde”, pour chiquer, en lamelles pour le tabac à pipe (scaferlati) ou en poudre après fermentation pour le tabac à priser.

Après transformation, le tabac est vendu aux détaillants. La consommation actuelle presque exclusive de cigares (début XIX e) et cigarettes (milieu XIX e) est assez récente ; on trouvait encore du tabac à priser dans certains bureaux de tabac jusqu’à la fin des années 40, et du tabac à chiquer jusqu’au début des années 60 (2) .

Avec la fin de ces pratiques, la tabatière est devenue objet de collection, et le couteau à chique a disparu du comptoir des bureaux de tabac.

 

Le commerce du tabac

 

L’Etat décèle très vite dans ce produit nouveau une source de revenus et crée en 1629 une taxe sur les importations, sans toutefois en réglementer le commerce, et en exemptant de droits d’entrée le tabac en provenance des colonies de la couronne.

Colbert, en 1664, astreint le tabac colonial à une taxe d’entrée et en monopolise le commerce et la fabrication ; il considérait “que ce n’est point une denrée nécessaire pour la santé, ni pour l’entretien de la vie” et que la taxe avait par conséquent valeur morale (3) .

La taxation ainsi justifiée, Colbert en organise la vente : “A ces causes, nous disons, déclarons et ordonnons, voulons et nous plaît, que tout le tabac du cru de notre royaume, îles françaises de l’Amérique, tabac mâtiné de Brésil, et autre venant des pays étrangers, en feuille, rouleau, corde, en poudre, parfumé et non parfumé, ou autrement, de quelque sorte en manière que ce soit, sera à l’avenir vendu et débité, tant en gros qu’en détail, par ceux qui seront par nous préposés au prix que nous avons fixé”.

 

Comprenons que ceux qui le vendent sont désignés par l’Etat ; le débit de tabac est ainsi crée (4) !

A la fin du XVIII e siècle, on dénombre 40000 débitants dans le royaume, distribuant chacun une moyenne de 175 kg de tabac par an. Après avoir fait du commerce et de la transformation du tabac un monopole d’Etat, en 1674 les revenus en sont affermés (voir page 43 à propos de la ferme).

 

Le coût du bail de la ferme pour le premier adjudicataire, un certain Jean Breton, fut de cinq cents mille livres (5) pour la première année et de six cents mille à partir de la troisième ; La “ferme du tabac” ne sera supprimée qu’à la Révolution ; elle rapportait alors une trentaine de millions de livres pour quelques sept mille tonnes importées des colonies..

Le monopole, qui s’étend à la fabrication et à la vente, implique que la circulation de ces produits est étroitement surveillée et que, par conséquent, une marque témoigne lors des transports de la légalité du tabac et de l’acquittement de la taxe.

Cette marque existait encore il y a peu, sous la forme d’un timbre de la SEITA que l’on trouvait sur les paquets de tabac ou de cigarettes, et à partir de 1935, sur les briquets (cf. DP n° 57 p. 26 DI n° 5713-2) et les allumettes (6) .

 

Aux XVIIe et XVIIIe , la marque est en papier, en cire ou en plomb selon le produit ; c’est cette dernière qui nous intéresse ici. Le tabac en feuilles arrive surtout par voie maritime dans les ports autorisés de Bordeaux, Dieppe, le Havre, Morlaix, Rouen, Sète, et par Valenciennes pour les transports terrestres (7).

D’après les archives de la ferme du tabac (8) , dès 1721, date à partir de laquelle le commerce du tabac est entre les mains de la ferme du port au consommateur, le trajet serait le suivant :

 

• Transport du port d’arrivée à la manufacture des- servie par ce port, où le tabac est transformé en un produit consommable.

• Livraison des produits fabriqués par la manufacture aux bureaux généraux de la ferme du tabac dans les principales villes du royaume.

• Distribution par ces bureaux aux entrepôts établis dans les villes importantes.

• Vente par les entrepôts aux débitants.

• Vente par les débitants aux particuliers.

 

Pour chacune de ces opérations, des pages de registres sont remplies par les employés de la ferme qui notent toutes les précisions utiles de date, poids, qualité, montant, provenance..

Au port sont notées les arrivées, classées par qualités de tabac, ainsi que la quantité délivrée aux manufactures et à chaque bureau qui doit rendre compte de l’approvisionnement des entrepôts. Au bout de la chaîne, à côté des quantités reçues par les débitants, les employés des bureaux expriment un avis sur le vendeur et sur le lieu de vente.

 

Les plombs

 

Les plombs qui nous sont parvenus se partagent en deux groupes : ceux auxquels il est encore difficile d’attribuer une date et une fonction précise, et ceux de la ferme générale au nom de l’adjudicataire, à partir de 1715 (10) jusqu’à la disparition de la ferme.

Les hypothèses de datation des premiers ne pourront être confirmées que par des textes officiels qui en donnent la description. Connaissant les différentes étapes du tabac depuis son arrivée au port jusqu’au débitant, et sachant que tout est entre les mains de la ferme du tabac, on comprend qu’aucun transport ne se fait sans qu’un plomb garantisse la légalité de la marchandise.

 

En effet, les “faux-tabattiers” sont nombreux, et il importe, pour les brigades de contrôleurs aux ordres de la ferme, de bien différencier les transports légaux de ceux de la contrebande. L’établissement d’un itinéraire précis dans un horaire strict simplifie le travail de ces brigades : tout transport de tabac sur une route et à un horaire imprévus est forcément illégal.

 

Le premier plomb scelle les ballots de feuilles qui quittent le port à destination de la manufacture. N’ayant pas retrouvé les textes donnant description de ces plombs, je suppose que les indications écrites se limitaient au mot TABAC.

Les deux plombs de la figure 1 pourraient correspondre à ces trajets. Le premier, de forme triangulaire peut être rapproché des formes de la première moitié du XVIIIe siècle, le second est plus difficile à classer mais semble plus tardif.

Ces plombs peu bavards pourraient être ceux qui étaient posés sur le tabac non manufacturé à partir de son arrivée au port (11) .

 

 

Localisés, mais difficiles à replacer dans la chronologie, sont les deux plombs qui suivent. Ce sont probablement des sceaux de manufactures, donc employé sur le trajet entre celle-ci et le détaillant. Le premier est décrit par A. Sabatier pour Lyon et Paris. C’est un petit plomb carré émis par l’autorité royale qui, d’après son style devrait appartenir à la seconde moitié du XVIIIe siècle.

 

 

Le second est un plomb circulaire de Paris (diamètre de 15 mm). Il m’a été signalé un plomb similaire de Dieppe.

Comme pour les plombs suivants, le même type pour des lieux différents implique une instruction ou un règlement. Le montant de la taxe à l’occasion de la pose étant exprimé en sous, ce type est antérieur à 1796. Il pourrait être, mais sans aucune certitude, le plomb qui remplaça celui qui était frappé au nom du fermier lors de l’abolition des fermes.

 

 

Lorsque le tabac est manufacturé, il est expédié aux bureaux généraux de la ferme du tabac. Aux ports déjà signalés correspondent les manufactures de Dieppe, le Havre, Marseille (fermée en 1779) Paris, Sète, Tonneins, Toulouse et Valenciennes, auxquelles il faut ajouter Nancy pour les tabacs de Lorraine.

Selon le produit fabriqué, les ballots étaient plombés (tabac en corde) ou cachetés à la cire (tabac en poudre) jusqu’en 1719, puis tous plombés à partir de cette date.

Les grandes manufactures royales sont construites à partir de 1721, mais bien avant cette date, de petites manu- factures ou ateliers privés se chargeaient de la transformation. Les produits qui en étaient issus devaient comporter le plomb de la ferme du tabac.

 

Le type des plombs que l’on peut attribuer aux produits manufacturés contrôlés par la ferme du tabac est tout à fait particulier : ils ne sont ni à plateaux, ni à tunnel, et sont conçus pour saisir un lien assez fin dans les trois petites boucles qui se forment lors de la pose. Le diamètre, une fois le plomb posé, est d’environ 20 mm.

Le croquis de la fig. 4 montre cette technique inhabituelle.

 

 

Ces plombs offrent trois variétés :

 

• La première présente la légende TABAC DE autour d’un soleil rayonnant couronné, suivie sur l’autre face de trois fleurs de lis entourées du nom de la ville, Dieppe, Lyon ou Paris pour les trois seuls plombs que je connaisse.

 

• La seconde variété est régionale, connue seulement pour la Lorraine, porte sur une face les armes de la province et de l’autre, sur cinq lignes, 1720 TABACS DE LORRAINE. Au XVIII e siècle, la Lorraine appartient à ce que l’on appelle alors une “province à l’instar de l’étranger effectif “, c’est-à-dire qu’elle commerce librement avec ’étranger mais que ses produits sont frappés de taxes à l’entrée dans les provinces des “cinq grosses fermes”. Son statut particulier justifie probablement, sur un support de même type, les différences du sceau qui porte les armes de Lorraine à la bande de trois alérions au lieu de celles du roi de France.

 

En haut, plomb du tabac de Lorraine (Sergio). Ci-dessous, dessin d’après un autre plomb, complété par celui-ci : les armes de Lorraines sont accostées à droite de celles de Bar, il faudra attendre une autre trouvaille bien lisible pour déterminer ce qui figure à droite.

 

 

• Enfin la troisième variété, également régionale, sur le même type de support présente un sceau carré pour le tabac en corde du Lyonnais, région qui a aussi une réglementation particulière.

 

 

La forme carrée pour Lyon n’est pas une nouveauté, et l’on verra, avec les plombs de douane, que la ville utilise ce type d’entourage depuis la seconde moitié du XVIIe siècle, ce qui irait dans le sens de la datation provisoirement retenue précédemment pour ces plombs.

Une autre remarque doit être faite à propos de ce plomb : la taille du support interdit une frappe complète du sceau qui est plus grand ; c’est une curiosité que je n’explique pas, aucun des nombreux sceaux carrés de Lyon ne tient dans la surface du plomb. Une chose est certaine, des plombs identiques pour des localités différentes impliquent une réglementation uniforme pour l’ensemble du royaume.

Il existe donc un texte royal ou de la ferme du tabac qui décrit ces sceaux et en précise l’usage. Ne l’ayant pas (encore) retrouvé, on ne peut émettre que des suppositions.

 

Pour les quatre villes ou régions pour lesquelles ce type de plomb est connu, trois (Dieppe, Paris et Nancy pour la Lorraine) ont une manufacture dès 1721, mais la troisième (Lyon) n’est construite qu’en 1811, on peut donc supposer que ce type de plomb n’est pas lié à une manufacture particulière mais plutôt à l’ensemble de la production d’une ville ou d’une région, et que la ferme du tabac en assure la pose dès qu’il y a transport.

 

La date de 1720 qui figure sur le plomb lorrain, ainsi que le soleil rayonnant très “louisquatorzien” de ceux de Dieppe et Paris, permettent de supposer une utilisation qui pourrait se situer entre la fin du XVIIe (une ordonnance en 1681 sur les plombs de tabac) et le premier quart du XVIIIe , donc avant les grandes manufactures construites en 1721.

 

Les plombs des adjudicataires de la ferme

 

Viennent ensuite les plombs qui sont posés par les employés de la ferme pour les transports du bureau général à l’entrepôt, puis de l’entrepôt au débitant (12) .

L’article IX du bail de receveur du bureau le précise : il ne permet à celui-ci que la vente à l’entrepôt, il lui est interdit de traiter avec les débitants ou les particuliers. Ces plombs n’offrent pas de difficultés de classement, ils présentent l’avantage de comporter le nom du fermier adjudicataire du bail de six ans, ainsi que le nom du bureau émetteur, ce qui permet une datation (à six ans près) et une localisation exacte.

 

A. Sabatier en décrit cinq dans son ouvrage, d’autres sont apparus depuis, mais ils ne représentent encore qu’une infime partie de ce qui a existé. Grâce à ces noms, et connaissant la période couverte par le bail de chaque adjudicataire, on peut établir une chronologie des types : en gros, les plombs triangulaires à bords droits pour la première moitié du XVIII e siècle (cf. fig. 10), ceux à bords constitués d’ornementations diverses pour la seconde moitié (cf. fig. 16).

Ces plombs datés, ou nommés, et situés permettent d’établir la séquence suivante : le premier plomb de tabac daté (1714) est lyonnais ; c’est certainement un plomb de fabrique dont le type est très semblable à celui utilisé par la douane de Lyon, qui est d’ailleurs probablement l’administration chargée de la pose à cette date.

 

 

Vient ensuite la série triangulaire au nom des adjudicataires de la ferme (voir page 43) :

 

• Guillaume Fils fut adjudicataire du bail de la ferme du tabac de 1715 à 1718. Un plomb de Rennes a été publié par A. Sabatier ; il doit en exister d’identiques pour toutes les villes disposant d’un bureau de la ferme du tabac, mais je n’en ai pas rencontré.

 

 

• Suivent deux types anonymes mais situés, que je place entre 1718 et 1732, sans avoir toutefois la confirmation d’un texte : Le premier, bien que non daté, est d’un style qui le situe immédiatement après ce plomb de Guillaume Fils. Sa légende est la suivante : PRIVIL. DU TABAC / BUR. DE PARIS / L XV.

Son aspect et sa technique de pose sont très proches des plombs qui suivent et il ne peut appartenir qu’à la période du règne de Louis XV qui suit le bail de Guillaume Fils et précède celui de Carlier et Desboves, c’est-à-dire entre fin 1718 et 1732. Cela correspond assez précisément à une période durant laquelle la Compagnie des Indes est adjudicataire du bail (13) .

Il s’agit là d’une période assez confuse au cours de laquelle la Compagnie des Indes détient le bail du tabac sous diverses formes : englobé dans celui des Fermes-Générales d’octobre 1719 à janvier 1721, seul de cette date au mois de septembre de la même année, et après une interruption jusqu’en mars1723 durant laquelle la ferme du tabac lui est retirée, elle en redevient adjudicataire jusqu’en 1747.

 

 

Le second type est connu pour Amiens et Nantes sur lequel on lit : FERME / G.DU / TABAC autour des armes, et BUREAU / DE / (ville) autour de trois fleurs de lis, dans un grènetis double. Sur le plomb de Nantes (fig. 12 a) apparaît une moucheture d’hermine, il y en a probablement trois, comme les lis.

 

 

Sur le plomb d’Amiens (fig. 12 b page suivante), ce sont les armes du Ponthieu. Le type s’inscrit dans le style des plombs de la première moitié du siècle et donc, très probablement, comme le précédent, dans la seule lacune qui subsiste : la période 1718-1732. Ces deux types sont des plombs qui scellaient les colis de tabac entre l’entrepôt du bureau général et le débitant.

 

 

• En 1726, Pierre Carlier devint adjudicataire des Fermes-Générales, puis en 1730 de celle du tabac. Lors- qu’en 1732 (le bail était de six ans), Nicolas Desboves prend le bail des fermes, Carlier est encore détenteur de celui de la ferme du tabac. Un arrangement dut intervenir qui se traduit par les deux noms accolés sur les plombs dont le type est le même que celui de 1715-1718. A. Sabatier a décrit un de ces plombs pour Lyon, quelques trouvailles récentes ont permis d’ajouter Dieppe, Dinan, le Mans, Paris, Rouen et Vannes, et nous sommes encore loin du compte.

 

 

Ces plombs appellent une remarque technique, due aux marques laissées par l’outil de frappe sur les marges vagues du sceau.

Un coin est normalement gravé sur une surface lisse alors qu’ici une dénivellation apparaît. Par ailleurs, ces plombs sont frappés en médailles, c’est à dire que le droit et le revers sont toujours dans le même sens (comme les Euros) et non pas opposés (comme les Francs) ou avec des axes aléatoires (comme pour les monnaies royales).

Pour frapper systématiquement le droit et le revers avec le même axe il faut un outil adapté. Ici, la taille des plombs et les marques des marges font penser qu’ils ont été posés à la pince à plomber (comme les plombs EDF).

Ceci est confirmé par l’article 2 du bail des receveurs du tabac qui dépendaient de la ferme dans les années 1760 : “(le receveur) du bureau général fera … bonne et sûre garde des tenailles et cachets destinés à marquer les tabacs, (qui) seront … tenus enchaînés et renfermés avec les clefs du magasin…” (14) .

 

L’observation de deux plombs de Dinan révèle qu’ils n’ont pas été frappés par le même coin, ce qui implique un outillage multiple, et quand on sait qu’un coin monétaire peut frapper, en gros, trente mille monnaies d’argent ou de billon, on imagine qu’un coin destiné au plomb a une durée de vie bien supérieure.

L’existence de plusieurs “tenailles” (au moins deux) pour un même bureau nous permet d’imaginer le très grand nombre de plombs posés.

 

• En 1738, c’est Jacques Forceville qui devient le nouvel adjudicataire. Un seul plomb décrit, mais non illustré par A. Sabatier, à son nom pour la ville d’Orléans (15) .

 

 

• Thibaut la Rue prend le bail en 1744, je n’en connais qu’un seul plomb, pour Rouen.

 

 

• Aucun plomb n’est pour le moment connu pour les baux de 1750-1756 (16) .

 

• Vient ensuite un plomb décrit et illustré par A. Sabatier pour la période 1756-1761 au nom de Pierre Henriet (ou Henriette selon les textes).

 

 

• Concernant Jean-Jacques Prévost qui est l’adjudicataire en 1762 à 1768, A. Sabatier en a publié un plomb pour Dijon, on peut aujourd’hui y ajouter Brest, Dieppe et Dinan. La bordure ornementée s’inscrit toujours dans un triangle, mais la légende est maintenant circulaire.

 

 

• A ce jour, les plombs des quatre adjudicataires suivants (de 1768 à la Révolution) ne sont pas connus, et il reste à retrouver, pour chacun de ceux signalés plus haut, les exemplaires pour la totalité des bureaux.

Les plombs nommément désignés pour le tabac ne disparaissent pas avec la fin de l’ancien régime (fig. 18), bien qu’un regroupement des administrations (Régie des droits réunis, puis Contributions indirectes) privilégie des plombs uniformes justifiant des droits quel que soit le produit.

 

 

On voit dans ce qui précède que la recherche est loin d’être achevée et comporte de nombreuses lacunes ; seule la série des plombs des adjudicataires de la ferme, encore très incomplète, est bien située.

Pour une vision complète des plombs de tabac de 1629, date de la première taxe, à la Révolution, des textes restent à exhumer ainsi qu’un très grand nombre de plombs pour l’ensemble des bureaux généraux et des manufactures.

Toute nouvelle trouvaille signalée est une pièce ajoutée au puzzle. Antoine Sabatier a décrit douze plombs pour le tabac, on en connaît aujourd’hui près d’une trentaine, dont plus du quart a été signalé par des prospecteurs. DP : Si tous les prospecteurs voulaient bien examiner les plombs pour sceller qu’ils mettent au jour, nul doute que des lacunes seraient comblées. Merci de nous faire parvenir de bons clichés. (Photos et dessins de l’auteur, sauf indications contraires). Les dessins ont été en général réalisés d’après les photos de l’ouvrage d’Antoine Sabatier (un ouvrage quasiment introuvable aujourd’hui).

 

La ferme

 

L’administration de l’Etat ne s’est mise en place que progressivement sous l’Ancien régime. L’Etat royal a régulièrement besoin d’argent pour financer des guerres incessantes et les rentes et pensions servies à de nombreux personnages ; l’armée seule engloutit quelques dix sept millions de livres (environ 40 % des recettes du royaume) au début du XVIIIe siècle. En l’absence d’une administration des finances telle que nous la connaissons aujourd’hui, capable d’anticiper les dépenses et les recettes, et de les percevoir, l’Etat choisit le système de l’affermage qui apporte en un versement une somme importante sans avoir les soucis de sa perception.

 

Un individu ou un groupe de financiers achète, pour une durée donnée, le bail d’un revenu (ici les taxes sur le tabac) qu’il percevra ensuite au nom du roi, mais pour son propre compte. Ainsi, les revenus de l’Etat sont assurés en majeure partie par les “fermes”, du tabac, des impôts, de la gabelle, dirigées par des ‘fermiers généraux” qui récupèrent les sommes avancées, augmentées d’un solide bénéfice à leur profit : sur les quelques trente millions de livres que paient les fermiers pour le bail du tabac à la fin du siècle, leur bénéfice est de plus de sept millions !

 

La ferme générale, regroupant l’ensemble des fermes est créée en 1681 avant d’être supprimée puis reconstituée en 1726 avec un seul bail pour l’ensemble du royaume. Dans les faits, plusieurs dizaines de financiers s’associaient et le bail était établi au nom de leur mandataire, l’adjudicataire des fermes, dont on retrouve le nom sur les plombs de tabac.

L’administration des fermes, qui emploie 25000 personnes, est très efficace et donne à l’époque un modèle d’organisation autour d’un concept qui a encore ses adorateurs : la rentabilité quels qu’en soient les moyens. La ferme sera un des éléments majeurs de l’exaspération à la veille de 1789, et sera abolie en 1791.

 

Les adjudicataires de la ferme

 

Un arrêt du Parlement du Dauphiné daté de 1768 (cf. la photo de titre) nous vient en aide en donnant la liste des adjudicataires des fermes-générales depuis Forceville, à l’occasion du bail fait à Julien Alaterre du 1er octobre 1768 au 30 septembre 1774. La liste, qui commence par Force-ville en 1738, donne les noms des quatre autres adjudicataires qui se succèdent avant Alaterre :

• 1er octobre 1738 – 30 septembre 1744 : Jacques Forceville.
• 1er octobre 1744 – 30 septembre 1750 : Thibaut la Rue.
• 1er octobre 1750 – 30 septembre 1756 : Jean-Baptiste Boquillon.
• 1er octobre 1756 – 30 septembre 1762 : Pierre Henriet.
• 1er octobre 1762 – 30 septembre 1768 : Jean-Jacques Prévost.
• 1er octobre 1768 – 30 septembre 1774 : Julien Alaterre.

 

Résumé Chronologique

 

1629 – Première taxe sur les tabacs étrangers.
1635 – La vente du tabac est réservée aux apothicaires.
1664 – La taxe est étendue au tabac colonial.
1670 – Activité manufacturière attestée à Paris.
1674 – Le tabac devient un monopole de l’achat brut à la vente, l’exploitation est confiée à la ferme du tabac.
1676 – Activité manufacturière attestée à Morlaix.
1676 – Publication des ports autorisés à l’importation.
1680 – Activité manufacturière attestée à Dieppe. La ferme du tabac est rattachée aux fermes-générales.
1681 – Ordonnance précisant que le tabac en corde doit être plombé et que seule la ferme est autorisée à faire le commerce du tabac. La culture est autorisée dans certaines régions déterminées.
1703 – Interdiction de débiter du tabac non plombé par la ferme du tabac.
Déc. 1719 – La ferme ne perçoit plus que le droit d’entrée, après quoi la fabrication et la vente sont libres.
1720 – Déclaration qui interdit la culture du tabac sur le territoire du royaume. Les manufactures privées sont autorisée et doivent acheter le tabac en gros dans les magasins de la ferme. Certaines manufactures sont appartiennent à la ferme.
Oct. 1720 à sept 1721 – La Compagnie des Indes devient adjudicataire du bail du tabac.
Août-Sept. 1721 – Le bail de la Compagnie des Indes est résilié. Rétablissement de la ferme du tabac et fermeture des manufactures privées.
1721 – Fondation des manufactures de Dieppe, le Havre,Nancy, Paris, Sète, Toulouse et Valenciennes.
1723 – La Compagnie des Indes reprend le bail du tabac.
1726 – Fondation de la manufacture de Tonneins.
1736 – Fondation de la manufacture de Morlaix.
1791 – Suppression de la ferme.
1804 – Création de la régie des droits réunis qui reprend le monopole du tabac en 1810
1814 – Réunion de la Régie des droits réunis à celle des douanes par Louis XVIII.
1815 – Séparation des deux administrations sous l’empire, les droits réunis deviennent les contributions indirectes.

 

M. Jezequel

 

(1) – Voir dans DP n° 58 l’article précédent, les plombs de textile, p.6.
(2) – Le chewing-gum a aujourd’hui remplacé la chique, mais on le colle sous la table au lieu de le ranger dans le revers intérieur de la casquette au moment du repas, comme on le voyait encore pour la chique dans les années 50.
(3) – Un document manuscrit de la ferme générale daté de 1759 est très clair ; pour justifier les taxes, “le motif, ou plutôt le prétexte allégué (…) est le danger de l’usage trop fréquent du tabac en poudre”. Archives Nationales G1/106.
(4) – A titre d’exemple, la ville de Nantes comptait en 1778, soixante débits de tabac dont vingt-cinq seulement ne vendaient que du tabac ; les trente cinq autres débitants sont merciers, épiciers, voire domestiques… Ils sont soigneusement inventoriés (nom, adresse, protection dont ils bénéficient, personnalité du vendeur, intérêt de leur emplacement pour la vente…). Archives Nationales G1/109.
(5) – Pour donner une idée de ce que représente la livre, un exemple avec la solde des militaires au milieu du XVIII e siècle : un capitaine reçoit 2 £ par jour, un lieutenant 1 £, un caporal 7 sols (il y a 20 s. dans une livre), un soldat 5 s. Une compagnie d’infanterie de45 hommes revenait à 487 £ par mois, primes comprises. Le prix du premier bail de Jean Breton correspond donc à la solde de 85 compagnies pendant une année, soit en (très) gros quelques quatre millions d’euros.
(6) – La marque du paiement de la taxe a donc évolué ; à l’origine scellé d’un plomb jusqu’au débitant, le tabac sous monopole d’état porte une marque jusqu’au consommateur.
(7) – Un registre de 1778 donne la liste des arrivées de tabac par port et par bateau. Le document donne les noms des navires et celui du capitaine. On y constate que l’armateur baptise souvent ses vaisseaux du nom de sa femme ou de son fils : Dame Anne,Dame Sietska, Dame Gertrude, Dame Marthe… ou le jeune Jean, le jeune Akke, le jeune Corneille… Archives Nationales, G/1/115.
(8) – Les archives de la ferme du tabac sont dans la série G des Archives Nationales.
(9) – Comme pour l’article précédent (voir DP n°58), les référence à Antoine Sabatier concernent son ouvrage, Sigillographie historique des administrations fiscales, communautés ouvrières et institutions diverses ayant employé des sceaux de plomb (XIV e -XVIII e ) – Plombs historiés de la Saône et de la Seine, Paris 1912.
(10) – Les noms des adjudicataires précédents sont connus de 1674 à 1714, mais aucun plomb nominatif n’est connu pour cette période.
(11) – Les dessins des plombs sont faits d’après les photographies de l’ouvrage d’ A.Sabatier (op. cit.). Les parties en grisé ne sont pas apparentes sur les modèles. Les références SAB n° x renvoient au numéro de l’illustration reprise dans l’ouvrage de Sabatier.
(12) – Pour ce dernier transport de l’entrepôt au débit, la présence du plomb est confirmée par l’instruction sur l’exercice de débitant dans les villes qui précise que les contrôleurs “rendront compte à la compagnie s’ils trouvent le faux-tabac sans plomb ni marque de la ferme”. AN. G/1/114.
(13) – Un arrêt du Conseil d’Etat du Roi de décembre 1723 évoque “les commis et employés de la Compagnie des Indes pour l’exploitation des privilèges du tabac”.
(14) – Archives Nationales, G1/114.
(15) – A. Sabatier donne la description sans illustration. La figure 13 tente de reproduire graphiquement cette description sans être nécessairement le reflet exact de la réalité.
(16) – Jean Girardin, 1750-1751 (abandonne pour raisons de santé), et Jean-Baptiste Bocquillon (1751-1756).

 

 

 

Cahiers d’histoire des douanes françaises
N° 37 -1er semestre 2008
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