Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Les « Patachous » de l’île de Ré

Mis en ligne le 1 janvier 2023

Sonnant comme le titre d’un roman jeunesse, le surnom de « patachous » renvoie en réalité à une autre histoire, plus méconnue, de la fiscalité assise sur la production de cette substance cristallisée employée universellement pour l’assaisonnement, celle des territoires « exotiques », au sens propre, qui, à l’instar de l’île de Ré, furent exemptés de la gabelle.

 

Copyright : « La Patache © Destination Ile de Ré – Marion THIBAUT » (Photographie reproduite avec l’aimable autorisation de l’office de tourisme « Destination Ile de Ré »)

 

Mais dans cette Arcadie archipélagique des salines, les taxes comme la mort étaient pourtant bien présentes, à l’instar du célèbre tableau de Nicolas Poussin. Les « bergers » rétais de « l’or blanc » étaient en effet sommés de s’acquitter en espèces « saunantes » et trébuchantes d’impositions locales, sous la surveillance de gardes, que, faute de pouvoir affubler du surnom lié à la fiscalité continentale de « gabelous », ils associèrent à leur embarcation caractéristique : la patache.

 

KM (Coll. privée)

La Révolution devait gommer ces particularismes locaux et remplacer les «patachous » par des douaniers, mais l’onomastique et la mémoire locales en ont conservé une trace, sous la forme d’un panneau d’information presque dissimulé par la végétation le long du sentier côtier bordant la plage de « la patache », sur lequel on peut déchiffrer l’inscription suivante : « L’origine du mot vient des pataches, ces bateaux de douaniers, dont un était ancré à l’entrée du Fier d’Ars jusqu’au 19e siècle. Ce bâtiment servait à contrôler les entrées et sorties des navires venant charger le sel. »

 

C’est notamment de cette fiscalité et ses gardiens que traite la passionnante étude rédigée par Monsieur Bertrand Dupic, intitulée « L’histoire du sel de Ré » et publiée dans le numéro 92 de décembre 2020 du « Tambour d’Ars », revue de l’Association d’Information Arsaise, dont nous reproduisons ici un extrait, avec le très aimable accord de son président, Monsieur François Barbotin, et de l’auteur.

 

 

Pour lire cette étude dans son intégralité et partir à la chasse au trésor des autres publications du « Tambour d’Ars », vous pouvez cliquer ici.

 

 

Kevin Mills

 

 

 

 


 

 

« L’histoire du sel de Ré » (extrait)

 

 

1. LES IMPÔTS SUR LE SEL

 

Sous l’Ancien Régime, les îles d’Ars et de Loix étaient la propriété de Saint Michel en l’Herm alors que l’île de Ré, correspondant à l’ancien canton sud plus la Couarde, appartenait à différents seigneurs, puis au Roi de France.

 

Cette distinction, qui subsista après le rattachement physique des trois îles au 15ème siècle, eut des conséquences sur les systèmes d’imposition du sel.

 

Le sel produit dans l’île de Ré fut soumis dès 1289 à un impôt proportionnel à la surface saunante : la cens (ou grande cense). Cet impôt forfaitaire équivaudra à partir du 16ème siècle à 10 sous par livre de marais (soit 20 carreaux).

 

L’île d’Ars, comme celle de Loix, était terre d’église, soumise en tant que telle au devoir ecclésiastique qui se confondait avec le devoir féodal. C’est donc un mode d’imposition féodal, le champart, qui s’appliqua dans les deux îles.

 

Cet impôt acquitté en nature ou en espèces était perçu par l’abbaye auprès des propriétaires de marais. Il correspondait au 15ème de la récolte. Le sel attendant souvent sur les tasseliers pour être vendu au cours le plus haut, l’abbaye de Saint Michel en L’Herm, puis le collège Mazarin qui lui succéda en 1661, choisirent bien entendu d’être payés en espèces.

 

L’abbaye aurait pu se dispenser de payer, en tant que propriétaire de nombreux marais, un impôt qui lui était au final destiné. Elle le maintint toutefois car cela lui permettait de prélever un quinzième de la récolte avant de calculer, sur le solde, le tiers de la récolte qui revenait aux sauniers. Ces derniers payaient donc indirectement une partie du champart bien qu’ils ne fussent pas propriétaires des marais !

 

Au champart, vinrent s’ajouter à partir de 1631 des impôts sur les exportations de sel. Bien que les îles d’Ars, de Loix et de Ré aient été exemptés dès le 13ème siècle de toute taxe sur les exportations, les grands seigneurs du 17ème siècle décidèrent de créer des taxes à leur seul bénéfice. Ce fut le cas de Richelieu, de Mazarin, du frère du Roi, le duc d’Orléans ou de Du Dognon gouverneur de Brouage.

 

L’ensemble de ces impôts et taxes greva tellement le prix du sel rétais qu’il fut rudement concurrencé par le sel breton qui n’y était pas assujetti.

 

A la Révolution, le champart fut aboli, mais les bourgeois, devenus propriétaires des biens de l’abbaye, se garderont bien de supprimer le prélèvement du 15ème de la récolte préalable à la répartition 2/3-1/3 avec le saunier !

 

Ces propriétaires devront toutefois payer un nouvel impôt foncier proportionnel à la surface saunante dont la valeur fut estimée à 3 fois celle du terrain agricole.

 

2. LES CONTRÔLES

 

Le recouvrement de ces impôts nécessita la création du Bureau d’Ars. Les impôts royaux y étaient perçus par les fermiers généraux alors que ceux des princes l’étaient par des receveurs particuliers dont aucun n’était originaire de l’île.

 

Ils étaient assistés pour le contrôle du trafic du sel par deux types de gardes :

  • – Les gardes-bossis qui circulaient à cheval sur les bosses.
  • – Les gardes embarqués sur des bateaux appelés pataches pour contrôler le mouvement des navires. Ces pataches furent à l’origine du nom de l’anse de la Patache, où les gardes avaient un poste à terre, toujours visible à droite de la petite jetée. Elles ont également valu aux gardes le surnom que leur donnaient les Casserons : les patachous (et non les gabelous puisque Ars n’était pas en pays de gabelle).

 

Après la Révolution, les impôts sur la vente du sel furent remplacés par des impôts sur la production de celui-ci. La surveillance en fut confiée à un nouveau corps de garde : les douaniers.

 

Les dépôts de sel, et notamment les pilots, furent l’objet de toutes leurs attentions, et malheur à celui ou celle qui était pris en possession de quelques poignées de sel cachées dans un mouchoir ou dans des poches placées sous les robes des femmes qui espéraient ainsi échapper à une fouille inconvenante. Les amendes encourues étaient en effet disproportionnées par rapport au fruit du modeste larcin. C’est dire si les douaniers, souvent natifs de l’île, étaient peu appréciés par la population qui ne se privait pas de le leur faire savoir.

 

Bertrand Dupic

 


 

Extrait reproduit avec l’aimable autorisation de l’Association d’Information Arsaise et de son auteur

 

 

 

 

 


 

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