Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Les gares douanières (fin XIXe -début 20e s.)

Mis en ligne le 1 novembre 2022

Les lignes ci-dessous consacrées à la  douane et à « La révolution ferroviaire  » sont extraites de l’ouvrage de Jean Clinquart  « l’administration des douanes en France de la Révolution de 1848 à la Commune (1848-1971) publié en 1983 par l’AHAD -(pages 199 à 202).

 

L’équipe de rédaction

 


 

La douane et « La révolution ferroviaire »

3 – Les gares douanières

 

Ajoutons à ce bilan le phénomène de concentration de la majeure partie du trafic international en un nombre limité de gare des frontières terrestres. Ce phénomène qui constitue un autre facteur de modification de la carte géographique du dédouanement, revêt d’autant plus d’importance qư’en facilitant les relations terrestres avec les pays d’Europe continentale et leurs ports, le chemin de fer a conféré aux frontières terrestres une importance quelles n’avaient pas auparavant. Ainsi se font un nom, dans l’histoire du dédouanement, des localités frontalières dont certaines doivent leur notoriété au chemin de fer. A la fin de l’Empire, il s’agira de Blanc-Misseron, Tourcoing, Baisieux, Feignies, Jeumont, Vireux, Givet, Longwy, Thionville, Forbach, Wissembourg, Strasbourg, Saint-Louis, Bellegarde, Hendaye, Anor, Pontarlier. (1)

 

Enfin, ces gares frontières elles-mêmes suscitèrent une création juridique originale : les « gares mixtes », ou « gares communes» à la France et à l’étranger. La première situation de l’espèce est issue de la Convention franco-bavaroise du 3 juillet 1857 qui établit à Wissembourg, une « station commune où le Gouvernement de Munich put « constituer, près du bureau de douanes français, un service ayant pour objet d’assurer I’accomplissement de certaines formalités douanières », telles que la prise d’escorte de trains passant de France en Bavière, l’apposition de plombs ou cadenas sur les wagons, la réception et le visa d’expéditions de douane. Dans leur principe, ces dispositions avaient été arrêtées quelques jours avant la chute de la Monarchie de Juillet, par la Convention franco-bavaroise du 4 février 1848, relative au chemin de fer de Strasbourg à Spire. Leur intérêt réside surtout dans les privilèges de souveraineté que l’Etat de séjour s’est trouvé amené à reconnaître aux « agents officiels » de l’Etat partenaire, « sur le vu de leur uniforme ou de la représentation de leur commission ». Il faut noter, au demeurant, qu’en dehors du fonctionnement des « gares communes », des facilités de moindre portée mais néanmoins inhabituelles, telles que dispense de passeports et droit de circuler en armes à l’étranger, furent réciproquement accordées aux fonctionnaires franchissant la frontière en exécution de la convention, « pour le service de l’un ou de l’autre pays ».

 

L’accord franco-bavarois allait inspirer d’autres arrangements similaires conclus avec la Sardaigne, en 1858, pour la gare de Culoz, et avec l’Espagne, en 1864, pour les gares d’Hendaye et d’Irun. (2)

 

Les modalités de fonctionnement des gares douanières – quelles soient frontalières ou intérieures – avaient été empiriquement tracées à l’occasion de la mise en service des lignes du Nord; elles furent complétées par la suite et l’on peut dire que la situation était suffisamment décantée à la fin des années cinquante pour que des règles de portée générale pussent être alors codifiées. Ce fut notamment l’objet du Règlement du 27 juin 1857 auquel les compagnies de chemin de fer durent se conformer. (3)

 

L’un des principes alors définis imposait à ces compagnies de mettre à la disposition du service des Douanes, au minimum «  un bureau, un corps de garde et un magasin où les wagons, recevant des marchandises étrangères (pouvaient) être provisoirement placés sous clef »; ces locaux devaient être agréés par l’administration et, « pour le cas où les besoins du service (..) exigeraient ultérieurement des changements, soit à (leur) étendue, soit à (leur) distribution », les compagnies prenaient l’engagement de « les effectuer dans un délai qui, sans l’assentiment de l’administration, ne (pourrait) excéder trois mois à partir du jour où la demande en (serait) faite ». On disposa par ailleurs que « les gares d’un chemin de fer n’étant pas un domicile privé, les préposés (pourraient) y opérer toute visite et toute saisie, sans le concours d’un officier public ». (4)

 

Outre les locaux, le chemin de fer était tenu de fournir les cadenas pour la clôture des « wagons à coulisses » et les « garcettes… engagées alternativement dans les anneaux de la bâche et dans ceux du wagon » pour la fermeture des « wagons à bâches ».

 

Lors de la formation dans les gares frontalières de convois, expédiés vers l’intérieur sous le régime du transit international, le chemin de fer devait produire une « déclaration-soumission », tenant lieu d’acquit à caution, et portant engagement « de représenter les marchandises et les bagages à la douane de destination ou d’encourir, en cas de contraventions constatées, soit en cours de transport, soit à l’arrivée, les pénalités édictées par les lois ».

 

Ces convois pouvaient être placés « sous I’escorte non interrompue d’employés des Douanes, sans autres frais pour I’administration du chemin de fer que l’obligation de les placer (…) aussi près que possible des wagons de marchandises ». La direction générale des Douanes recommandait de ne prévoir « ni mesure permanente d’escorte, ni absence générale d’escorte » , mais conseillait d’y recourir « d’une manière ni trop fréquente, ni trop rare, à l’improviste et en dehors de toute règle systématique ». Pour être en mesure de contrôler « de temps en temps, de manière secrète » l’action des agents d’escorte, les chefs étaient dotés de « cartes de libre parcours » sur la ou les lignes traversant leur circonscription.

 

La Douane avait fait admettre aux compagnies qư’une limite serait fixée « pour le nombre des convois qui (pourraient) être expédiés journellement » en transit et que son dépassement « dans I’intérêt des chemins de fer » n’interviendrait que si « l’administration des Douanes en (reconnaissait) l’utilité » .

 

 

De même était-il convenu que « l’administration des chemins de fer (devrait) informer, au moins huit jours à l’avance, I’administration des Douanes des changements qu’elle voudrait apporter dans les heures de départ, de passage et d’arrivée des trains, de jour et de nuit ». Ces diverses exigences trouvaient une large compensation, d’une part, dans l’absence de visite en frontière des marchandises destinées à poursuivre leur route en transit, d’autre part, dans l’octroi de cette facilité « tant de nuit que de jour, les dimanches et jours fériés comme tout autre jour ».

 

A leur arrivée dans les gares de destination, les marchandises devaient être déposées dans le magasin agréé par la Douane et y demeurer « sous la surveillance ininterrompue » des fonctionnaires de cette administration. Si elles en étaient enlevées en vue d’une réexpédition en transit international par fer, elles bénéficiaient à nouveau des facilités appliquées à la frontière en matière de visite.

 

Pour l’accomplissement des opérations douanières, « la compagnie (devait) avoir, à la gare, un fondé de pouvoirs qui seul, une fois les marchandises entrées dans cet établissement (pourrait) remplir les formalités et signer les engagements voulus envers le service des Douanes ». « Le quai de la gare (devait) être disposé de manière à ce que les wagons puissent être chargés et déchargés devant le bureau ». Dans le magasin « fermé à deux clefs différentes, dont I’une (restait) entre les mains du fondé de pouvoirs de la compagnie, l’autre dans celle du service des Douanes »,«un emplacement distinct (devait être) affecté aux marchandises destinées à être chargées et un autre aux marchandises déchargées (…) afin d’empêcher que les colis de l’une et de l’autre catégorie puissent, en aucun cas, être confondus ». Enfin « toute entrée dans le magasin de la gare et toute sortie (s’opérait) sous la surveillance des agents du service actif et (était) constatée, par une inscription sommaire des colis, en charge d’une part, en décharge de l’autre, sur un carnet dont la tenue (était) confiée à un sous-officier faisant fonctions de garde-magasin ».

 

Cet ensemble de dispositions allait régir pendant de longues années, sans modification substantielle, le fonctionnement de ces nouveaux bureaux de douane nés avec le chemin de fer et appelés à croître en importance en même temps que celui-ci.

 

 

Jean Clinquart

 


Notes :
(1) Le nombre des gares ouvertes au transit international s’élève à 40 en 1870, en incluant bien entendu les gares des ports maritimes.
(2) Les « gares communes » de Wissembourg, Culoz, Hendaye et Irun ont été respectivement créées :
– par la convention franco-bavaroise du 3 juillet 1857 (décret du 7 septembre 1857 – LRDF) :
– par la convention franco-sarde du 23 novembre 1858 (décret du 8 janvier 1859 – Circulaire no 571 du 1°r janvier 1859 – LRDF) ;
– par la convention franco-espagnole du 8 avril 1864 (décret du 28 juin 1864 – Circulaire no 964 du 27 juillet 1864 – LRDF).
(3) Pour le règlement du 27 juin 1857, cf. Delandre, op. cit., tome I, page 377.
(4) Décret du 24 mars 1856, cité par Delandre, op. cit
 
 

 

 

L’administration des douanes en France de la Révolution de 1848 à la Commune

(1848-1871)

 

1983

 

Ed. AHAD

 


 

 

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