Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Les femmes dans la surveillance douanière… (réflexions en 1984 – 2)

Mis en ligne le 1 mars 2021

Nous reproduisons ici un second extrait d’un mémoire de stage rédigé par trois inspectrices des douanes stagiaires, en 1984, alors que la féminisation des effectifs amorce son véritable développement.

L’équipe de rédaction

 


 

La présence des femmes en surveillance est-elle incompatible avec les missions du service ?

 

La féminisation de la surveillance est donc encore, à ce jour, très timide (7 % des effectifs).

Peut-on espérer la voir un jour s’affirmer ou existerait-il des raisons provoquant une incompatibilité entre l’élément féminin et les missions de la surveillance ? Dernièrement une enquête effectuée auprès des services extérieurs sur l’emploi d’agents féminins en surveillance a été discutée dans le cadre du Comité Technique Paritaire Central du 29 septembre 1984. La discussion tentait d’apporter des éléments de réponse à la question.

 

Il est certes difficile d’observer la pratique pour apprécier l’intégration des femmes en surveillance vu le faible taux de féminisation actuel et la moyenne d’âge peu élevée des agents féminins dans cette branche.

 

En raison de ce manque de bases concrètes, beaucoup d’arguments sont aujourd’hui avancés pour souligner les risques d’une féminisation plus poussée de la surveillance. Si quelques uns sont très pertinents, beaucoup ne résistent pas à un examen plus poussé de leur objectivité.

 

Une fois ces faux problèmes éliminés (A), il semble possible de sérier les difficultés en deux parties : d’une part, de véritables obstacles techniques auxquels il faut apporter des solutions (B), et d’autre part, des barrages psychologiques bien difficiles à faire s’effondrer (C).

 

A – De faux problèmes à éliminer d’emblée

Ce que nous nous permettons d’appeler de « faux problèmes » regroupe un certain nombre de réflexions couramment entendues, et qui expliqueraient la faible proportion de femmes en surveillance..

 

Ces arguments, lorsqu’on s’y attardes quelque peu, semblent en effet très légers : une femme est-elle inapte à la surveillance car elle n’a pas fait son service militaire? Beaucoup d’hommes, à l’heure actuelle, en sont exempts, et une année dans certains cas ne semble pas suffisante pour inculquer le respect de la discipline et de la hiérarchie. De même, pourquoi une femme porterait-elle mal l’uniforme ? Il ne nous semble pas que revêtir la tenue propre à la surveillance requiert des compétences, une constitution ou une science spéciale ! l’enquête de 1983 souligne d’ailleurs que les femmes présentent généralement une tenue plus soignée que leurs homologues masculins.

 

Ne nous attardons pas sur ce genre d’arguments.

 

Plus sérieux semblent être néanmoins les suivants : une femme, faute d’avoir accompli des obligations militaires, serait vouée à un mauvais maniement de l’arme. Elle peut, certes, avoir dans un premier temps, un retard sur son collègue masculin, mais là encore, on ne peut parler de handicap. Une bonne instruction ferait l’affaire, comme d’ailleurs en ce qui concerne l’entretien des véhicules. Les rudiments nécessaires à leur fonctionnement quotidien ne sont pas inassimilables par le cerveau féminin, et les travaux techniquement difficiles sont effectués par les garages administratifs.

 

Ne parlons pas de l’adaptation à la pénibilité du travail qui est identique chez l’homme ou la femme. Le travail de nuit ou des jours fériés n’a jamais été agréable ni à l’un, ni à l’autre.. Pourquoi le décalage horaire serait-il mieux supporté par l’homme ? Quant au déracinement, il n’est pas un mal spécifiquement féminin.

 

Reste un problème que nous incluons volontairement dans cette partie : l’enquête de 1983 parle de « risques de relations affectives au sein du service ». Certes, les escouades mixtes peuvent être propices à ce genre de relations : la mobilité, le travail de nuit, l’éloignement des chefs hiérarchiques sur le terrain procurent des facilités d’isolement qui augmentent ces risques. Ici, le chef de poste ou de subdivision peut jouer un rôle en évitant les « couples permanents ».. Dès lors, et en comptant avec une banalisation de l’entrée des femmes en surveillance, cette réalité spécifique à la mixité sera-t-elle réellement différente des opérations commerciales ?

 

Plus importants que ces arguments alibis, il existe de véritables obstacles techniques qu’il serait absurde de nier. Au contraire, tentons de les analyser correctement afin de trouver quelques propositions de solutions.

 

Quelques difficultés techniques et des propositions de solutions

 

Le principal obstacle matériel semble être celui de la disponibilité

Par une constitution physique moins forte que l’homme, ainsi que par la tradition, la femme semble vouée aux chargés familiales. Ainsi, il est courant de voir une femme se mettre en disponibilité demander un travail à temps partiel, ou s’absenter pour des raisons familiales tels les congés maternité ou les maladies des enfants. L’élévation de l’âge moyen des femmes en surveillance ne pourra qu’accentuer cet absentéisme.

 

Dès lors, un certain problème de cote de service peut se poser. Ne serait-il pas possible à cette occasion de faire appel à des agents de Paris Spécial ? Cette mesure entraînerait un coût financier supplémentaire, et ne correspond d’ailleurs pas à la vocation première de ce service.

 

Un autre remède est parfois avancé : la gestion prévisionnelle des effectifs. Sous ces termes bien abstraits, il s’agirait de prévoir l’effectif total en fonction du nombre d’agents féminins dans le service. Ainsi, les agents masculins compenseraient sans difficulté les absences féminines. Là aussi, un coût financier supplémentaire pour l’Administration est inévitable !

 

Beaucoup pensent d’ailleurs qu’à très moyen terme, les demandes de changement de branche de la surveillance vers les opérations commerciales devraient se multiplier. Les femmes encore sans charge de famille et entrées en surveillance lors des recrutements récents pourraient désirer leur transfert dans le service opérations commerciales exigeant moins de disponibilité. Cet accroissement des demandes de mutation surv./op.co.sera certainement inévitable il n’est d’ailleurs pas spécifiquement féminin : pour des raisons géographiques, beaucoup d’hommes posent des changements de branche au tableau des mutations.

 

En outre, la crise actuelle de l’emploi a poussé de nombreuses personnes à prendre le premier concours venu, sans présenter des motivations particulières pour la profession à exercer. Peut-être serait-il nécessaire d’accentuer l’information avant le concours : l’agent, et surtout la femme qui accepte un poste en surveillance doit le faire en connaissance de cause. Elle doit savoir que sa vie privée peut s’en trouver bousculée et être prête à accepter toutes les contraintes du service, comme le font ses collègues masculins.

 

Il serait aussi judicieux d’opérer une bonne répartition des femmes dans les différentes brigades de surveillance, ce qui rendrait leur absentéisme beaucoup moins gênant pour établir la cote de service.

 

Le problème de disponibilité est indéniable. Est-il d’un poids suffisant pour limiter aux femmes l’accès de la surveillance ? Il ne nous semble pas, et cela pour deux raisons : d’une part, des solutions existent, comme nous l’avons vu plus haut, et une administration soucieuse de son image de marque doit se donner les moyens de ses ambitions ; d’autre part, l’indisponibilité des agents féminins en surveillance peut être nuancée.

 

Effectivement, avec une démographie décroissante, la période des congés maternité est de plus en plus réduite au cours d’une carrière. En outre, les taux d’absentéisme comparés entre hommes et femmes ne sont pas très différents comme le prouve l’enquête de 1983.

 

Il est d’ailleurs aisé de démontrer que cet absentéisme féminin sur une carrière n’est pas supérieur à la durée du service militaire !

 

Absences pour maladies, indisponibilités, gardes d’enfants malades

 

Autres autorisations facultatives d’absence

 

TOTAL

 

Taux d’absentéisme

(nbre de jours / an)

H

F

H

F

H

F

8,45

12,29

1,32

0,91

9,77

13,20

 

 

 

2°— Un second obstacle technique est souvent avancé, celui de la force physique moindre chez la femme que chez l’homme. On peut craindre en effet que la femme ait une « capacité de dissuasion insuffisante à l’égard des fraudeurs » (enquête de 1983). Il est à noter, d’ailleurs, que le code des Douanes donne le pouvoir aux agents d’utiliser la force pour la capture des délinquants ).

 

Mais en pratique, combien de fois un agent de la surveillance se sert-il de sa force physique pour procéder à une arrestation ? Le port de l’arme n’est-il pas suffisamment dissuasif ? Les femmes en surveillance sont en outre dotées de bombes anti-agression inoffensives neutralisant néanmoins un délinquant trop violent. Il semble donc qu’elles soient tout à fait aptes à assurer leurs missions et à protéger leur propre personne.

 

Par ailleurs, l’aptitude physique moindre des femmes peut-elle justifier le déséquilibre actuel existant à l’intérieur des brigades ?

 

86 % d’entre elles sont affectées en brigades touristiques et brigades touristiques et de surveillance (B.T. et B.T.S.) et seulement 13 % en brigades de surveillance et brigades d’intervention (B.S. et B.I.). Une meilleure répartition entraînerait. deux avantages : en premier lieu, et comme nous l’avons vu plus haut, elle rendrait l’établissement de la cote de service plus aisé ; en second lieu, elle accroîtrait l’efficacité du service en augmentant la possibilité d’effectuer les visites à corps dans certaines brigades.

 

Au cours du C.T.P.C. du 29 septembre 1983 il est rappelé que « le nombre de visites pratiquées sur des femmes est cinq fois moindre que celui enregistré sur les hommes.. Il y a là une lacune que ne manquent pas d’exploiter les fraudeurs avertis.. Il convient de souligner que cette situation semble due à l’insuffisance de femmes dans certaines unités. Un lien très net, effectivement, existe entre la présence des femmes et le nombre des visites pratiquées. »

 

Attention toutefois à cet argument consistant à augmenter le nombre des agents féminins en surveillance dans le seul but d’atteindre le taux souhaitable de visites à corps. Là ne doit pas être la seule activité de la femme en surveillance.

 

Il est évident quel d’un côté, elle choisit cette branche en refusant toute position privilégiée (voir les déclarations préalables des syndicats lors du C.T.P.C. du 29 septembre t983). Mais d’un autre côté, la femme doit pouvoir occuper tous les postes, au même titre que ses collègues masculins, et non pas se contenter d’activités de fouille.

 

3° – Nous avons recueilli finalement d’autres suggestions matérielles au cours de nos passages dans les services.

 

Par exemple, il serait souhaitable d’adapter les installations sanitaires et les replis à la mixité, ce qui n’est pas toujours le cas, comme le note l’enquête de 1983.

 

La question de la femme enceinte a été prise en considération par la D.A. du 9 août 1983. Celle-ci dispense momentanément les femmes enceintes du port de l’uniforme au profit d’un brassard réglementaire fourni par l’administration. Celui-ci est-il suffisant pour signaler sa qualité de douanière ?

 

Considérant plus généralement les tenues féminines de surveillance, de nombreux agents se sont plaints du manque de diversité et de la mauvaise adaptation des uniformes à la morphologie féminine. Il serait souhaitable à l’avenir de prendre l’avis des principales intéressées !

 

Ces quelques propositions, peut-être secondaires, augmenteraient cependant les conditions de travail d’agents féminins du service de surveillance.

 

Si nous avons pu éliminer des faux problèmes et tenter de résoudre quelques obstacles techniques, restent toujours des barrages psychologiques s’op­posant à une certaine féminisation de la surveillance.

Des barrages psychologiques

Le poids des mentalités n’est pas seulement une expression toute faite on le ressent dans la vie quotidienne la surprise parfois non. Dissimulée du touriste à la frontière ou la réticence des collègues ou subordonnés n’en sont-ils pas des manifestations ? Sur ces deux plans, la femme en surveillance doit faire face à des barrages psychologiques.

 

I° – Vis-à-vis des usagers

 

La situation peut se résoudre à cette question : la femme en surveillance dispose-t-elle d’assez d’autorité sur les voyageurs ? L’enquête de 1983 démontre bien qu’étant parfois en butte à l’hostilité de certains usagers, elles appliquent des règlements de manière tout aussi stricte que les hommes. Une chef de subdivision signale que l’uniforme confère parfois l’autorité nécessaire vis-à-vis de certains usagers (ex : les routiers).

 

2° – Vis-à-vis des collègues et subordonnés..

 

Encore aujourd’hui il est souvent jugé anormal que des agents masculins soient commandés par une femme. Une réflexion honnête permet de poser l’axiome : à compétence égale, une femme peut avoir autant d’autorité qu’un homme dans son service.

 

Qui affirmerait aujourd’hui qu’une femme, pour on ne sait quelle raison, serait moins compétente qu’un homme ? On entend parfois qu’elles ont du mal à s’imposer comme chef d’escouade, mais n’en est-il pas de même pour certains hommes ?

 

Au contraire, à cause des barrières posées par de nombreuses idées tabous, une femme en surveillance doit s’imposer et faire ses preuves. Marie-Thérèse DENIS et Anny DUFOUR dans leur mémoire « Les femmes dans l’administration des douanes » le disaient déjà : « A. qualification égale on en demande plus à une femme qu’à un homme et la moindre erreur de de sa part est imputée à sa qualité de femme. » L’enquête de 1983 rejoint l’opinion énoncée par nos collègues en 1975. Le rendement et l’efficacité du travail féminin sont souvent comparables à celui des agents masculins.

Le problème ne s’est-il déjà pas posé pour la visite des marchandises ? A l’époque il semblait inconcevable de confier un tel poste à une femme : on objectait « leur faiblesse physique et des difficultés de relation avec le public » (mémoire de Michèle LABAT, 21e session, « la place des femmes dans un aéroport douanier« ); idées totalement désuètes aujourd’hui.

 

Ne subsiste-t-il qu’un obstacle psychologique à l’entrée plus massive des femmes en surveillance ? Que l’on fasse évoluer les mentalités ! Et comme le suggérait un participant au CPPC du 29 septembre 1983 : que l’on oppose « le choc de la volonté au poids des mentalités ! »

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