Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Les dames-visiteuses… visites à corps et mesure de soutien social

Mis en ligne le 1 mars 2021

L’état d’esprit entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle demeure très réticent à une ouverture trop large des emplois aux femmes. Même après la Grande guerre, qui a vu l’engagement des femmes pour soutenir l’agriculture, l’industrie et les familles à l’ « arrière », les emplois de dactylographes sont acceptés seulement dans les bureaux des directeurs de l’adminstration centrale.

 

Jean Clinquart indique à ce propos : « L’arrivée des femmes dans les services extérieurs de la direction générale des Douanes a constitué, en 1916, une mesure de circonstance, de portée limitée : il n’était pas question qu’elle pût concerner les brigades (partie numériquement la plus importante de ces services), ni des postes autres que subalternes. Bien des années s’écouleraient avant qu’il en aille autrement. La méfiance suscitée par ce que les Annales des douanes appellent « le développement du féminisme » apparaît dans cette revue qui, en septembre 1918, écrivait : « Sans doute pourra-t-on féminiser quelques services. Mais il convient, croyons-nous, de se tenir à cet égard dans une juste mesure. On perd trop aisément de vue que les affaires de l’État intéressant la collectivité, la désertion par les hommes des fonctions publiques pourrait avoir une répercussion désastreuse sur les intérêts généraux du pays » » (L’administration des douanes en France de 1914 à 1940.)

 

 

Visites à corps : pas de douanier dans les bras d’une personne du sexe opposé !

 

Lors des contrôles douaniers, les douaniers ont toujours porté une attention aux moyens cachés. Tel est aussi le cas des personnes, les fraudeurs trouvant toutes sortes de stratagèmes pour passer des marchandises sans éveiller le soupçon lors du contrôle.

 

Dans le même temps, les modalités de contrôle devaient faire l’objet de précautions pour garantir à la fois l’efficacité de la visite, la sécurité des agents et la décence de l’opération… Les instructions de visite des voyageurs entouraient ainsi les méthodes de travail de nombreux égards.

 

L’instruction générale n°2002 du 27 avril 1937 relative à la visite des voyageurs et de leurs bagages en atteste : « A diverses reprises, le service a été invité à procéder avec tout le soin et en même temps, avec toute la courtoisie et le tact désirables, à la visite des voyageurs, de leurs bagages et des véhicules qu’ils utilisent. Ces prescriptions conservent un caractère permanent d’actualité.

A l’heure, cependant, où les Pouvoirs publics s’attachent à animer notre industrie touristique en attirant vers nos sites ou nos stations balnéaires le plus grand nombre possible d’étrangers, il serait fâcheux que le premier contact, avec la Douane française, des voyageurs arrivant de l’étranger laissât à ces derniers une opinion défavorable ».

 

Bien sûr, les dispositions prévoient que les visites corporelles demeurent l’exception. Elle ne doivent être effectuées que sur ordre du chef de visite, lorsque des indices sérieux permettent de conclure à la dissimulation de marchandises de fraude. Saint-Jours indique en 1938 : « Il n’est pas besoin au reste, d’insister sur le tact et la réserve dont doivent témoigner les agents chargés de ces actes de contrôle ».

 

Très tôt, des dispositions furent organisées s’agissant de la visite de personnes du sexe féminin. Cette précaution spéciale découle de la décision ministérielle du 3 frimaire an X (25 novembre 1801). Le capitaine Saint-Jours en rappelait la teneur dans son Manuel des brigades des douanes, (édition 1938) au sujet du rôle des préposés : « en aucun cas les préposés ne sont autorisés à visiter les femmes, lesquelles ne peuvent l’être que par des personnes de leur sexe ».

 

 

La solution : les « dames-visiteuses »

 

 

La loi de Finances accordait ainsi chaque année à l’Administration des Douanes les crédits nécessaires à la rémunération des dames-visiteuses chargées de la visite des personnes de leur sexe. (cf. Annales des douanes 1935 – p.364).

 

Il s’agissait généralement de veuves de douaniers ou de filles d’un défunt douanier. Cette introduction d’un emploi « réservé » aux veuves et orphelins de douaniers était issu des mesures sociales prises en 1916, pendant la Première guerre mondiale.

 

Dans le cadre de ses récits autobiographiques, Michel Sarraute livre son souvenir de ces dames-visiteuses, qui accompagnaient les escouades lors des contrôles embarqués à bord des trains (récit en 1957, propos de l’auteur qui témoigne de l’état d’esprit de l’époque) :

Source : photo Francis Roche (coll. Aimé Pommier)

 

« […] Les dames-visiteuses, auxquelles en principe on ne faisait appel que pour les visites à corps des femmes, mais qui en fait secondaient le préposé en visitant les bagages des voyageuses, étaient des veuves de douaniers morts avant l’âge de la retraite. Le maigre salaire que leur versait l’Administration leur permettait d’améliorer leurs conditions de vie et d’élever les enfants.

 

Ces braves femmes n’étaient, en général, ni très jeunes ni très élégantes. Elles n’avaient pas d’uniforme; on leur avait simplement attribué une blouse portant une inscription brodée indiquant qu’elles faisaient partie de la Douane. […] Si les douaniers sanglés dans leurs uniformes et toujours impeccablement rasés en imposaient, ces braves dames-visiteuses déambulant sans grâce dans les couloirs des trains ne rehaussaient pas le prestige de notre Administration. […] »

Le bureau d’Halluin en 1930. La dame-visiteuse apparaît sur la droite. Elle se nomme Maria Carré (rien à voir avec la chanteuse !) Source : Association à la Recherche du Passé d’Halluin

Ces observations d’un douanier rejoignent aussi celles du grand public. Le 29 mars 1947, le journal Le Monde publie un reportage sur les visites douanières :  » Douane! Passeports, s’il vous plait. » Un léger frisson parcourt l’échiné des voyageurs de l’Étoile du Nord. Que l’on soit en règle ou non, ce mot  » douane « , d’origine persane, frappe désagréablement les oreilles. Mais il s’agit bien ici d’étymologie. En l’an de grâce 1947 des préoccupations plus matérielles tracassent les passagers du rapide Paris-Bruxelles… L’œil inquisiteur, nous nous joignons à l’équipe de contrôle, composée d’un commissaire de police, d’un vérificateur et de son adjoint, de deux douaniers en uniforme et d’une dame visiteuse (ô dame visiteuse, au nom affable et charitable, évocateur de bonnes œuvres, à quelles besognes rudes et indiscrètes ne vous livrez-vous pas ?). »

 

 

Arnaud Picard

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