Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Le développement de la statistique commerciale et le début de sa mécanisation (1914-1940)

Mis en ligne le 1 juillet 2023

Directement rattaché à la direction générale, mais installé dans une annexe, rue de Reuilly, le service de la statistique (bureau des « dépouillements statistiques » créé en 1930 par dédoublement de l’ancien bureau de la statistique commerciale, désormais chargé des « publications statistiques ») où ont été progressivement transférées des opérations naguère exécutées par les bureaux de dédouanement, a donné à l’administration centrale des Douanes, à partir des années vingt, l’apparence d’une forte féminisation.

 

Pourtant, s’il est vrai que, dans les années d’après-guerre, plus de la moitié du personnel de ce service était composée de femmes, celles-ci servaient au sein d’unités de travail fortement spécialisées où elles effectuaient des tâches d’exécution et dont elles avaient fort peu de chances de s’échapper.

 

En fait, le service de la statistique constituait plutôt un organisme rattaché à l’administration centrale qu’une partie intégrante de celle-ci. On en ferait d’ailleurs par la suite (après la seconde guerre mondiale) une « direction nationale » appartenant aux services extérieurs.

 

Quoi qu’il en soit, le développement de cette activité au cours de la troisième décennie du siècle constitue un fait que nous nous garderons de minimiser. Il traduit, en effet, l’importance que prit alors l’établissement de statistiques à la fois plus élaborées et plus fiables des échanges internationaux, ainsi que la mise au point de méthodes propres à atteindre ces objectifs : le recours à des personnels spécialisés, puis à la « mécanographie », étape vers une « informatisation » dont on ne soupçonnait pas encore les performances futures.

 

La recherche de l’exactitude a conduit à prendre comme base de l’évaluation de la valeur des marchandises les prix facturés, ajustés selon des normes destinées à éliminer les disparités liées aux données divergentes des contrats commerciaux. Une telle réforme conduisit à substituer des valeurs déclarées à des valeurs arbitrées. Un arrêté ministériel du 13 décembre 1848 avait créé une Commission permanente des valeurs en douane dont l’une des missions consistait à évaluer, chaque année, les prix moyens des marchandises importées et exportées pendant l’année précédente.

 

C’est sur la base de ces prix arbitrés qu’étaient dressée non seulement les statistiques annuelles définitives des années écoulées, mais aussi les statistiques mensuelles provisoires de l’année en cours. Or, les fluctuations des cours enregistrées pendant et surtout après la guerre rendaient cette méthode de « valorisation » inappropriée. Aussi, la direction générale décida-t-elle, en 1922, de prendre pour base des statistiques mensuelles les valeurs déclarées (1) .

 

La perception, à l’importation, de la taxe représentative de l’impôt sur le chiffre d’affaires contraignait la Douane à vérifier l’exactitude de cet élément et il était donc permis d’escompter dans l’avenir une plus grande fiabilité des statistiques. Le passage de l’une à l’autre des méthodes d’évaluation se fit toutefois progressivement. Les valeurs déclarées, initialement utilisées pour l’élaboration des seules statistiques mensuelles d’importation, le furent, en 1929, pour les statistiques annuelles (2). A la sortie, on continua plusieurs années encore à utiliser les valeurs arbitrées par la commission permanente, mais révisées mensuellement par celle-ci. Ce n’est qu’en septembre 1926 que les valeurs déclarées à la sortie furent prises pour base de l’élaboration de la statistique d’exportation.

 

Ce même souci d’exactitude avait conduit à centraliser le dépouillement des éléments statistiques. Cette opération, qui avait débuté dans le commencement des années vingt, s’était accélérée en 1928. La direction générale avait conçu un programme d’équipement en « machines perforatrices » et « poinçonneuses », instruments de base du système de tri et de classement mécaniques des informations qui, sous l’appellation de mécanographie, connaissait déjà aux États-Unis et allait connaître en Europe un développement considérable.

 

Les crédits nécessaires à la réalisation de ce projet que l’on présentait comme générateur d’économies de personnel (hypothèse dont l’expérience ne confirma pas le bien-fondé parce qu’on s’engagea dans la voie du perfectionnisme) furent obtenus en deux temps.

 

En 1927-1928, l’Administration fut autorisée à louer des trieuses, des tabulatrices et des perforatrices à la société Hollerith dans le but « de faire un essai concluant des machines à grand rendement »(3). Le contrat comportait la formation, la direction et la rétribution d’un personnel que l’on choisit parmi des « postulantes employées aux travaux de statistique commerciale effectués à la direction générale des Douanes ».

 

Quand — cette expérimentation ayant été jugée satisfaisante — l’Administration eut obtenu, au titre du budget de 1930, les crédits nécessaires à l’acquisition du matériel, un cadre spécialisé fut créé. Les dames machinistes « ordinaires » devraient désormais être sélectionnées par concours ouverts aux candidates ayant 15 ans au moins et 20 ans au plus. Astreintes à un stage probatoire de six mois, les intéressées allaient être traitées sur le plan des rémunérations, des congés et de la discipline comme le personnel auxiliaire. Au nombre de 50, ces employées seraient encadrées par trois « monitrices » désignées au choix parmi les dames machinistes « ordinaires »(5).

 

Le dépouillement centralisé des déclarations transmises par les bureaux de dédouanement avait initialement concerné l’exportation. On redoutait en effet, non sans raison, que le contrôle de l’exactitude des éléments statistiques mentionnés sur des déclarations n’entraînant pas, en général, perception de droits et taxes ne fût effectué dans les bureaux que de manière trop superficielle pour garantir la fiabilité de la statistique commerciale. Le programme de développement de ces travaux concerna d’abord une quarantaine de bureaux, puis environ 70, désignés en raison de l’importance de leur trafic. Les autres bureaux durent établir au jour le jour des bordereaux de dépouillement sous une forme normalisée et les transmettre chaque mois soit directement au bureau parisien des dépouillements, soit à la recette principale de leur circonscription chargée d’en faire une récapitulation avant transmission rue de Reuilly.

 

En ce qui concernait l’importation, environ 20 bureaux transmirent, dans un premier temps, leurs déclarations à Paris, mais il apparut bientôt contre-indiqué de déplacer les déclarations durant la période qui suivait immédiatement la prise en recette des droits. La direction générale opta donc pour un système bâtard : les bureaux de dédouanement – dans quelques cas des recettes principales chargées de collecter les déclarations déposées dans les bureaux de leur ressort – durent adresser au bureau de la statistique des bordereaux de dépouillement. Quelques mois plus tard seulement, les déclarations elles-mêmes devaient être communiquées à ce bureau pour lui permettre de vérifier à la fois l’exactitude des liquidations de droits et taxes et celle du dépouillement statistique (6).

 

À la fin de 1931, la direction générale procéda à une enquête portant sur la centralisation des relevés mensuels des exportations. Cette opération aboutit à une réduction sensible du nombre des bureaux concernés par la centralisation intermédiaire au niveau des recettes principales. Désormais tous les bureaux des directions de Dunkerque, Lille et Metz, et plus de 130 autres correspondirent directement avec le bureau des dépouillements de la direction générale (7).

 

En 1923, celle-ci avait procédé à une codification des règles applicables en matière de dépouillements statistiques, mais l’évolution de la collecte justifia d’autres codifications en 1931, 1933 et enfin 1935 (8).

 

Depuis longtemps, la question des statistiques du commerce avait été évoquée dans des réunions internationales. L’intérêt, aussi bien pour les gouvernements que pour les entreprises, de décrire les échanges commerciaux entre nations dans un langage commun avait été évoqué dès le milieu du XIXème siècle, mais c’est en 1913 seulement qu’une convention internationale signée à Bruxelles avait établi une liste d’environ 200 rubriques que les pays signataires s’engageaient à utiliser pour une publication statistique annuelle (9). Après la guerre, la Société des Nations se préoccupa d’assurer à la « classification unique des produits » un développement accru. La convention internationale concernant les statistiques économiques qui fut signée à Genève le 14 décembre 1928 poursuivit des objectifs plus larges que celle de 1913 puisqu’elle entendait s’appliquer à l’ensemble des statistiques économiques et pas seulement aux statistiques douanières. Cette fois encore, cependant, on avait limité les ambitions à l’élaboration d’une « liste minimum » de produits. L’heure de la nomenclature universelle, suffisamment détaillée pour servir de base aux tarifs douaniers, n’avait pas encore sonné (10).

 

Jean Clinquart

 


 

Notes:

 

1. Décision administrative du 17 janvier 1922.
2. Décision administrative du 26 décembre 1928 qui faisait suite à la signature par la France (dont les conceptions avaient largement inspiré les négociateurs) de la convention de Genève du 14 décembre 1928 préparée par la conférence internationale de statistique économique.
3. Décision administrative du 19 août 1926.
4. AEF, 1348381, direction du Personnel, Douanes. 11 janvier 1929, approbation de l’avenant du 23 octobre 1928 au marché de gré à gré passé le 10 décembre 1927 nues la Société internationale des machines commerciales (Société Hollerith).
5. Les dames-contrôleuses (recrutées principalement parmi les dactylographes) constituaient un cadre créé par décret du 30 octobre 1918 (circulaire des douanes 28 G du 11 novembre 1918). Les postulantes devaient satisfaire aux épreuves d’un examen qui comportait, notamment, des questions de géographie (arrêté du directeur général du 11 novembre 1918). Quant aux dames-auxiliaires, leur création résulte de la loi de finances de 1919. Le cadre de dames machinistes fut créé par décret du 30 mai 1930 modifié par celui du 8 mai 1938.
6. An. Do. 1930, page 573 et 1931, page 1, chronique.
7. Décision publiée (sans date) en février 1932 dans An. Do. 1932, page 99.
8. Circulaire n° 282 de 1923 et lettres communes n° 1414, 1455 et hors-série des 27 novembre 1931 (instruction générale pour l’établissement des statistiques du commerce extérieur), 14 septembre 1933 (statistique da transports établie à partir d’états de dépouillement manuels fournis à la direction générale soit directement par les bureaux, soit par les recettes principales centralisatrices et portant sur les transbordements pour la réexportation. le transit direct, le cabotage national. la navigation internationale et les mouvements des ports français) et 26 décembre 1935 (refonte générale).
9. L’initiative avait été prise lors du congrès de Prague de l’Institut international de statistique, en 1908. 10. Convention ratifiée en France par la loi du 25 soit 1932.

 


 

Photographie :

 

Hotel de Rohan (détail)

A. Pommier (1969)

 


 

L’administration des douanes en France de 1914 à 1940

 

Ed. CHEFF

 

 

 


 

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