Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

La littérature orale bretonne et la douane

Mis en ligne le 1 mai 2022

 

En hommage aux douaniers basques, bretons, catalans, corses … dont la langue maternelle n’était pas le français et qui néanmoins firent carrière (A. Laot).

 


 

La culture bretonne, et singulièrement celle reposant sur l’usage de la langue bretonne, a longtemps été perçue comme objet de dérision dans une France jacobine où aucune place ne pouvait être accordée aux langues régionales.

 

L’école de Jules Ferry, dont nul, par ailleurs, ne peut nier les mérites, animée par ses « hussards noirs de la République » les instituteurs, avait déclaré la guerre à l’usage du breton s’appuyant sur le raisonnement stupide qu’être bilingue ne pouvait conduire qu’à l’absence de maîtrise des deux langues concernées et que l’émigration inéluctable, même pour être servante ou manœuvre à Paris nécessitait une connaissance parfaite du français.

 

 

 

Mais au XIX° siècle, avant même cette offensive généralisée quelques voix s’étaient élevées pour apprécier à travers la littérature populaire, au cours de certaines recherches que l’on pourrait qualifier aujourd’hui d’ethnographiques, cette culture originale que George Sand, quelques temps après la parution, en 1841, du Barzaz Breiz (1) de Hersart de la Villemarqué saluait, en 1856 par des propos sans doute hyperboliques, mais comme dans la calomnie, pourquoi n’en resterait-il pas quelque chose ?

 

« Une seule province de France est à la hauteur, dans sa poésie, de ce que le génie des plus grands poètes et celui des nations les plus poétiques ont jamais produit : nous oserons dire qu’elle le surpasse. Nous voulons parler de la Bretagne. Mais la Bretagne il n’y a pas longtemps que c’est la France. Quiconque a lu les Barzaz Breiz, recueillis et traduits par M. de la Villemarqué, doit être persuadé avec moi, c’est à dire intimement pénétré de ce que j’avance.

 

Le tribut de Nominoë est un poème de cent quarante vers, plus grand que l’Illiade, plus beau, plus parfait qu’aucun chef-d’œuvre sorti de l’esprit humain. La peste d’Elliant, Les Breiz et vingt autres diamants de ce recueil breton attestent la richesse la plus complète à laquelle puisse prétendre une littérature lyrique.

 

Il est même fort étrange que cette littérature révélée à la nôtre par une publication qui est dans toutes les mains depuis plusieurs années, n’y ait pas fait une révolution. Macpherson a rempli l’Europe du nom d’Ossian ; avant Walter Scott, il avait mis l’Ecosse à la mode.Vraiment nous n’avons pas assez fêté notre Bretagne et il y a encore des lettrés qui n’ont pas lu les chants sublimes devant lesquels, convenons en nous sommes comme des nains devant des géants. Singulières vicissitudes que subissent le beau et le vrai dans l’histoire de l’art ! en vérité, aucun de ceux qui tiennent une plume ne devrait rencontrer un breton sans lui ôter son chapeau. »

 

Certes cette opinion ne rencontra pas l’unanimité des cercles romantiques et les tenants du dénigrement systématique s’empressèrent de nier l’authenticité des textes publiés et de railler cette collecte de chants et de récits transmis de génération en génération, socle d’une culture orale que faute d’écrits en langue bretonne, autre argument niant la culture populaire, les mouvements littéraires parisiens intéressés qualifièrent de littérature orale, termes antinomiques, que l’usage conserva néanmoins.

 

Ce mouvement de valorisation de récits et chants populaires connu un succès européen incontestable, à travers les publications de Macpherson et Walter Scott, déjà cités, mais aussi en Allemagne avec les frères Grimm qui saluèrent les travaux de La Villemarqué et dont les contes enchantèrent tous les enfants d’Europe ou encore en Finlande avec la publication du Kalevala d’Elias Lönrot qui sortit de l’oubli une culture finnoise étouffée par la Suède dont la Finlande n’était qu’une province.

 

En France, de nombreux chercheurs officiels membres de l’Institut ou de l’Académie française, mais aussi un certain nombre d’amateurs se consacrèrent, tout au long du 19° siècle, à des recherches dans ce domaine qui rencontrait un succès incontestable. Parmi ceux-ci deux fonctionnaires des douanes en poste en Bretagne, durant cette période :

 

-Jacques Boucher de Perthes, génial touche à tout, dont la notoriété s’étend bien au-delà de son intérêt pour la culture bretonne.

 

-Léopold,François Sauvé,auteur plus modeste mais dont les travaux méritent d’être sortis de l’oubli,ne serait ce que pour souligner que l’on peut mener de pair une carrière administrative honorable et des occupations intellectuelles reconnues.

 

 

Boucher de Perthes et la culture bretonne

 

Cet article ne suffirait pas pour retracer la biographie de Jacques Boucher de Perthes dont tous les douaniers savent, du moins ceux originaires d’Abbeville, qu’à sa qualité de « père de l’archéologie » née de son intuition extraordinaire sur l’origine du peuplement humain développée dans son ouvrage retentissant : « Antiquités celtiques et antédiluviennes » (2) il ajoutait une carrière douanière mouvementée qui le conduisit aux fonctions de Directeur Régional à Abbeville, ville de son enfance, où il succédait à son père.

 

Son ouvrage « Chants armoricains ou souvenirs de Basse-Bretagne » publié en 1832 (3) est moins célèbre. On doit à la vérité de dire que l’oubli dans lequel est tombée cette petite partie de ses écrits, constitue une saine appréciation de ce que doit être la postérité. Par contre il n’est pas indifférent de rechercher dans quel état d’esprit Boucher de Perthes s’intéressa à la culture et aux mœurs de la région où il fut affecté, de juillet 1816 à août 1824, en qualité d’Inspecteur en résidence à Morlaix, dépendant de la direction régionale de Brest et responsable de ce fait du service des douanes en poste sur une partie du littoral nord de la Basse Bretagne ( de Lesneven à Tréguier) où la langue bretonne l’emportait de très loin sur l’usage du français.

 

Doué d’une plume alerte et singulièrement prolifique, il nous a laissé ses mémoires, écrites au jour le jour sous forme de lettres adressées à ses parents et à ses relations nombreuses. Elles furent publiées en huit tomes de 1862 à 1867 avec pour titre « Sous dix rois » illustrant l’instabilité des différents régimes que connut l’époque de sa vie. (4)

 

Il suffit d’y puiser pour retracer sa démarche.

 

Ainsi des conditions dans lesquels, il entreprit ce travail : « …Pendant mon long séjour dans cette vieille Armorique, j’avais relevé ces documents pour mon ami de Marchangy, ( avocat général à la Cour de Cassation) qui en a utilisé une partie dans son Tristan le voyageur . La mort l’a surpris avant qu’il eût pu employer le reste ; alors, l’idée m’est venue de réunir ces bribes en ce petit volume. »

 

En octobre 1816, peu après son arrivée, il précise en effet à son ami : « Aidé d’un domestique interprète dont j’ai fait l’acquisition en arrivant ici, je vais, ainsi que vous me le demander, essayer de vous déterrer des contes et légendes pour la suite de votre Gaule poétique ou de l’autre ouvrage dont vous m’avez parlé. …Les notes sont partout conformes aux traditions locales…J’ai cru qu’il y avait un but d’utilité dans la conservation de ces souvenirs nationaux qui s’éteignent de jour en jour et qui bientôt, auront entièrement disparus….»

 

Malgré l’intérêt qu’il porte à ses recherches, il n’envisage pas d’apprendre le breton, langue des domestiques, son serviteur se chargeant de combler ce handicap : « Votre dernière lettre me demandait si j’apprenais le breton. Je l’ai voulu, car c’est une langue respectable, à ce que disent ceux qui la savent, et j’étais tout zèle pour l’étudier, mais accoutumé à parler avec la langue et les lèvres, j’ai été obligé de renoncer à un gazouillement où le gosier fait tout, et où il faut être aux trois quarts ventriloque. J’en suis désolé : j’espérais découvrir quelque nouvel Ossian, et ressaisir les sons errants de sa harpe oubliée….

 

… Je vous donne tout ceci dans sa simplicité native. C’est mon domestique, un grand breton de cinq pieds huit pouces, ce qui ne veut pas dire qu’il soit un grand savant, qui me traduit ces choses. J’écris sous sa dictée, corrigeant les mots, mais laissant subsister ses phrases, parce qu’elles offrent le sens littéral. »

 

Avec un ton légèrement persifleur qu’il affectionne en tout, il fait part à son ami de l’avancement de ses travaux : « Quant aux anciennes poésies bretonnes, il n’est pas fort facile de les distinguer des nouvelles, car vous savez qu’il s’en fabrique ici tous les jours, et beaucoup. Vous ne croyez pas que nos bretons armoricains aient eu leurs bardes. Il faudra bien y croire, si je vous dis que j’ai vu vingt fois leurs analogues vivants, et qu’aujourd’hui encore on les nomme BARZ….enfin si la quantité pouvait remplacer la qualité, la Basse-Bretagne serait le pays le plus poétique du monde….. de tous ces vers ceux qui m’inspirent le plus de confiance sous le rapport de l’ancienneté, sont ceux des mendiants. Dans le nombre de complaintes qu’ils débitent pour exciter la commisération ou la rémunérer, il en est certainement de fort vieilles…. »

 

En fait Boucher de Perthes n’a pas seulement fait parler son domestique, ni effectuer une collecte de terrain. Il fréquentait la meilleure société de Morlaix. Aussi, dans les salons de la ville ou lors des réceptions dans les manoirs des environs, il rencontrait un certain nombre de fins lettrés que ce retour aux sources populaires intéressait.

 

Bien qu’il ne l’évoque pas dans ses mémoires, il est très vraisemblable qu’il connaissait Madame de Saint-Prix qui habitait Morlaix et qui s’intéressa dés 1815 aux chants bretons qu’elle collecta en grand nombre, complétant certains travaux de La Villemarqué avec qui elle était en contact, au moins en 1836. (5)

 

Par contre il fait référence à Aymar de Blois, Officier de marine à la retraite, membre de l’Académie royale de la marine, l’un des premiers à se consacrer à l’étude de la langue et des antiquités de la Bretagne ce qui lui valu l’appellation de « patriarche des études archéologiques en Bretagne » de la part de ses pairs membres des sociétés savantes.

 

Aymar de Blois habitait à l’époque en son manoir de Ploujean, proche de Morlaix, et avait regroupé en 1823 en un cahier manuscrit, les chansons bretonnes authentiques et traditionnelles que ses recherches patientes lui avait permis, en précurseur, de retrouver auprès des populations des environs.

 

Boucher de Perthes le fréquentant, il paraît évident qu’ils échangèrent quelques idées sur le sujet. Il évoque leurs rencontres, dés 1813, au sujet de la musique des chants qu’il a appréciée :

 

« M. de Blois, vieux capitaine de vaisseau, qui a bien étudié le pays, prétend que cet air est quelqu’ancien chant sacré des druides, un hymne à Teutatés. C’est plus facile à dire qu’à prouver ; mais, sans remonter si haut, la chose peut bien passer encore pour ancienne. »

 

Ou encore en novembre 1817 : « J’ai assisté un jour à une de ces demandes en mariage chez M. de Blois, ancien capitaine de vaisseau, .Mme de Blois mariait l’une de ses femmes de chambre… » Ainsi Boucher de Perthes, malgré l’activité inlassable que lui procuraient ses fonctions : tournées fréquentes d’animation et de contrôle de sa division, participation aux actions du service, notamment en mer, réception du Ministre, du Directeur général, long intérim du Directeur régional à Brest, toutes manifestations précisément décrites dans ses mémoires, animé d’une curiosité toujours en éveil, développait néanmoins des activités de l’esprit, les plus variées, qui le conduisirent notamment à s’intéresser de très prés à la culture particulière du pays qui l’abrita durant huit ans.

 

Si la série de longs poèmes que constitue son ouvrage « Chants armoricains » est loin de constituer son œuvre la plus élaborée, ni même la plus digne de son talent, l’intérêt qu’il sut manifester pour une culture dont il avait tout à découvrir, ne peut être que la manifestation d’un esprit ouvert, à l’écoute du monde, attitude qu’il s’employa à développer dans les domaines les plus divers. (6)

 

 

Léopold – François Sauvé Folkloriste

 

Les travaux de Léopold-François Sauvé ne connurent, ni la variété, ni la célébrité de ceux de son illustre prédécesseur. Néanmoins, il par- ticipa à la fin du XIX° siècle à la collecte des proverbes, dictons, devinettes, chansonnettes populaires qui s’ils ne constituent pas forcément la sagesse des nations, n’en figure pas moins dans la mémoire collective, reflets d’une culture populaire qui avait toute chance de disparaître sans le travail opiniâtre et sérieux de ceux que l’on appela, d’un terme qui fut ensuite galvaudé : les folkloristes.

 

Né le 4 décembre 1837 à Saint Georges de Reintembault, petite commune d’Ille et Vilaine, située dans le canton de Fougères, limitrophe de la Normandie, dans ce pays gallo ou Haute Bretagne, bien à l’est de la ligne séparant les régions de diffusion de la langue bretonne,il tint à apprendre le breton dont l’usage lui devint familier, ce qui lui permit de mener à bien directement ses recherches.

 

Cette démarche était peut être inspirée par celle de son compatriote, le jésuite Julien Maunoir, né dans la même commune, canonisé pour son rôle de missionnaire en Basse-Bretagne au cours du XVII° siècle. La langue bretonne était indispensable à son apostolat, et la légende immortalisée par un vitrail de la cathédrale de Quimper, nous apprend que grâce à l’intervention divine, il aurait reçu en une nuit le don de son usage courant.

 

L.F.Sauvé, lui, choisit la carrière douanière qu’il entama, comme tous ses collègues de l’époque, en qualité de surnuméraire, à Paris, à compter du 1° février 1858 : il avait donc 21 ans et avait satisfait à ses obligations militaires.

 

Il connut cette situation inconfortable durant deux ans, période durant laquelle l’administration faisait travailler ses nouvelles recrues sous ce statut provisoire, sans les rémunérer.

 

En avril 1860, il était titularisé au traitement de 1200 francs par an et affecté en qualité de commis, dans la direction de Besançon, à la résidence de Le Villers, puis à Morteau, comme visiteur et à Indevillers, où il est nommé Receveur.

Sur sa demande, il obtient un poste en Bretagne, il est commis à Quimper, où il reste quatre ans de 1864 à 1868 : son salaire est alors de 1500 francs.

 

Il va rester 20 ans dans la direction de Brest, occupant différents postes : Receveur à l’Aber- Wrac’h, en 1868, à Audierne en 1877, Véricateur de 1° classe à Brest, 2° puis 1° commis et enfin Contrôleur-Chef à la direction, ses émoluments grimpant jusqu’à 3 500 francs.

 

C’est évidemment au cours de cette longue période passée dans le Finistère qu’il entrepris ses recherches sur le terrain et qu’il collecta auprès des populations rurales les éléments de cette culture orale qu’il réunit dans un certain nombre de revues auxquelles il collaborait, notamment : la revue celtique, Mélusine et la revue des traditions populaires.

 

Correspondant de la Société des traditions populaires, ses travaux furent reconnus par les grands noms de la recherche folklorique et notamment Luzel dont le travail de recueil, en Bretagne, de contes anciens est aujourd’hui considéré comme le plus méthodique et le plus complet pour la préservation de cette mémoire populaire, qui faute de traduction écrite serait actuellement perdue à jamais, devant l’évolution des loisirs et le règne de l’image qui ont détrôné la tradition détenue par les conteurs, eux aussi disparus. (7)

 

La liste de ses contributions évoque l’éventail de ses travaux :

 

  • – Tome I-II-III : Proverbes et dictons de la Basse-Bretagne, parus pour l’essentiel, en 1878, sous le titre « Lavarou koz a Vreiz-Izel » qui reprend bien le thème évoqué. Chaque proverbe ou dicton y est présenté en breton, avec traduction et commentaires en français. (8)

 

  • – Tome III  : Tableaux exposés dans les églises bretonnes

 

  • – Tome IV : Devinettes bretonnes

 

  • – Tome V : Formulettes et traditions diverses de la Basse-Bretagne

 

  • – Tome VI : Charmes, oraisons et conjurations magiques de la Basse-Bretagne. Traditions populaires de la Basse-Bretagne : intersignes et présages de la mort.

 

Dans la note au lecteur qui préface son ouvrage, L.F. Sauvé, nous précise sa méthode :

 

« Les documents que renferme le présent volume sont le résultat de douze années de recherches à travers les campagnes armoricaines, et principalement celles du Léon et de la Cornouaille…..C’est au foyer de la ferme, dans les entretiens du dimanche ou les causeries du soir, pendant les longues veillées d’hiver qu’ils ont été recueillis, pour le plus grand nombre. Les autres ont été glanés un peu partout, à l’aventure dans la lande, sous bois, sur le chemin des pardons et jusque dans la barque des pêcheurs. Pâtres, laboureurs, marins, tisserands, meuniers, tailleurs, bûcherons, mendiants de tout âge et de toute misère ont, à mon appel, réveillé leurs souvenirs et si je suis loin d’avoir épuisé les trésors de sapience du pays, je n’ai du moins négligé aucun soin pour en reconstituer, feuille à feuille, un exemplaire aussi complet que possible…..

 

Dans la traduction, je me suis fait également une loi d’être scrupuleusement fidèle…..

 

D’un autre côté, je me plais à croire que, comme vestiges de mœurs, de coutumes, de croyances imparfaitement connues, et surtout comme formes d’esprit et de langage qui s’effacent de jour en jour, les témoignages de la sagesse bretonne s’imposent d’eux-mêmes à l’attention de l’archéographe, du philologue et du grammairien. »

 

Mais ce travail méthodique et prenant, n’empêche pas L.F.Sauvé de mener à bien son activité professionnelle dans la mesure où elle est jalonnée de promotions, reflets probables de ses qualités de fonctionnaire. Promu au grade de sous-inspecteur, il lui faut quitter la Bretagne et rejoindre Remiremont, dans la direction d’Epinal. Il y reste trois ans, temps nécessaire pour y poursuivre ses recherches ethnographiques et les consigner dans un ouvrage qui paraît en 1889, salué comme le meilleur recueil de traditions de cette partie de la France : « Folklore des Hautes-Vosges » Après un retour vers l’Ouest et un séjour à Valognes d’à peine une année, il bénéficie à nouveau d’une promotion au grade d’Inspecteur qui lui vaut d’être affecté à Boulogne le 1° août 1888 avec un traitement annuel de 5 000 francs.

 

Mais ses nouvelles responsabilités lui pèsent. Il s’en ouvre à un ami, le 23 mars 1889 :

 

« Voilà des semaines et des semaines que je cherche vainement un moment pour vous écrire. Je suis débordé. Vingt tournées au minimum par mois, une correspondance qui suffirait à le remplir tout entier, l’étude d’innombrables instructions contradictoires qui tombent sur nous comme un vrai déluge, en voilà plus qu’il n’en faudrait pour m’occuper, si les jours avaient 48 heures…..Ah ! si j’avais pu attendre, je n’aurais certes point accepté l’inspection de Boulogne, mais la limite d’âge allait m’atteindre…. Adieu l’étude, adieu la lecture, adieu le folklore ! » (9)

 

De fait sa fatigue devait être grande car il mourut prématurément peu après,le 7 janvier 1892, victime de l’influenza.

 

Son bref séjour de trois ans et demi à Boulogne, fut néanmoins suffisant pour le faire apprécier de ses différentes relations.

 

Le secrétaire de la société académique de l’arrondissement de Boulogne, retraçant sa carrière et la qualité de ses écrits, souligne aussi les aspects de sa personnalité :

 

« …M.Sauvé, inspecteur divisionnaire des douanes, Chef du 31° bataillon des douaniers, terrassé dans la force de l’âge à 54 ans…. fit preuve d’un grand dévouement dans l’exercice de son emploi, alors surtout que les exigences de sa situation l’obligeaient à de longues et pénibles visites ou démarches personnelles le long de nos côtes…un homme de grande valeur, un écrivain, un érudit en un mot, un savant…

 

…La disparition soudaine de ce vaillant pionnier est une perte à jamais regrettable pour la science qu’il aimait et qu’il adorait. J’ai pensé que nous devions conserver dans nos mémoires, une trace de son passage à Boulogne et des travaux dus à son talent éprouvé, à sa plume élégante et concise, à son énergique persévérance à travers les mille difficultés semées sur sa route et les luttes qu’il a courageusement soutenues parfois contre la routine et l’ignorance… » (10)

 

Incontestablement à travers les propos convenus, on sent bien que cet homme avait impressionné ceux qui l’avaient rencontré et gagné l’estime générale qu’évoque le journal local, L’express du Nord et du Pas de Calais, en faisant part de son décès. Le service funèbre fut célébré à Boulogne et Léopold-François Sauvé inhumé à Brest.

 

Albert Laot

 


Notes et références :

 

1- Edition de 1867, rééditée en 1963 par le librairie académique Perrin, comprenant environ 80 chants et une introduction de 82 pages sorte de manifeste constituant une défense et illustration des bardes bretons, de la poésie et de la chanson populaire
2- 3 volumes- 118 planches Paris Treuttel et Wurtz 1847-1864
3- Paris Treuttel et Wurtz 1831
4- Sous dix rois- Souvenirs de 1791 à 1867- Paris Jung et Treuttel – 8 volumes 1862-1868 – Les différentes lettres d’où sont extraites les citations utilisées comportent le nom du destinataire, le lieu où elles ont été écrites- en général Morlaix- et la date. Elles figurent dans les tomes 3 et 4 de l’ouvrage.
5- Donatien Laurent : La Villemarqué et le Barzaz-Breiz –Naissance de la littérature orale Revue Ar Men N°18
6- Dans les commentaires qui accompagnent le texte, ( objectivité évoquant le sort des nombreux hobereaux de la région qui vivaient aussi chichement que leurs fermiers ou talent pour décorer la réalité ?) il évoque aussi les douaniers dont il était le Chef,ainsi page 121 de l’édition originale : « Les brigades des douanes des îles et du rivage comptent un grand nombre de rameaux de ces vieilles souches ; ils sont en général ignares, mais braves et fidèles. Après avoir servi quelques années comme marins ou comme soldats, ils reviennent au village demander la place qu’occupait leur père : comme lui,ils vivent pauvres et honnêtes et toute leur ambition est d’obtenir le même emploi pour leur fils. Considérés des habitants,les plus riches propriétaires ne dédaignent pas de les admettre à leur table, et, dans ces circonstances leur tenue grave et décente prouve qu’ils n’ont pas oublié leur origine.Le dialogue suivant, dont l’auteur fut témoin, fera mieux connaître l’esprit de ces débris de la race celtique. Les deux frères K… faisaient partie d’une brigade des environs de Morlaix,l’aîné était sous-lieutenant et le cadet préposé.Un jour ce dernier n’étant pas venu à l’ordre, le sous-lieutenant fut le trouver et lui dit : -je suis étonné, Chevalier, que vous ne vous soyez pas rendu à votre devoir -Monsieur mon frère répond le Chevalier, je sais ce que je vous dois comme sous-lieutenant et le Chef de notre maison,mais je ne puis me rendre à l’ordre,car je ne fais plus partie de votre brigade. -Qu’est-il donc arrivé, Chevalier ? -Monsieur mon frère, j’ai remis ma commission. -Auriez vous fait une faute, Chevalier, et manqué à votre service ? -Monsieur mon frère vous savez que ce n’est pas l’usage de notre maison, mais je veux vivre de mon bien. Or ce bien était une ferme de 250 francs de rente, l’héritage de ses pères. »
7- Fanch Postic : La naissance de la littérature orale. Revue Ar Men N° 65
8- L’ouvrage fera l’objet d’une réédition en 1980 avec une préface de Jean Le Dû. (éditions Slatkin reprints- Genève- Collection Bretagne et monde cel- tique Les autres tomes III- IV-V et VI seront publiés dans la revue celtique. Une partie du tome II sous le titre « coutumes,croyances et superstition de Noël » dans la revue des traditions populaires.
9- Citée par la revue Mélusine, annonçant son décès.
10- Bulletin de la société académique de Boulogne- BSAB tome V 1891-1899 Remerciements à Bernard Hendricx et Didier Toulotte de la direction de Dunkerque, qui m’ont apporté de précieuses précisions sur le séjour de L.F. Sauvé à Boulogne.

 


 

 

Cahiers d’histoire des douanes

 

N° 27

 

1er semestre 2003

 


 

 

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