Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

La douane en cartes postales

Mis en ligne le 1 mars 2020

 

L’Hôtel de Rohan a accueilli du 14 mai au 14 juin dernier la première exposition de cartes postales douanières anciennes organisée par l’Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes avec le concours de quelques collectionneurs douaniers. Cette manifestation a connu un vif succès. Plus d’un visiteur s’est étonné de découvrir de manière si explicite et souvent amusante une administration, ses hommes et ses méthodes de travail. Plus d’un douanier s’est étonné de découvrir que les activités, les gestes quotidiens et les fatigues de ses prédécesseurs aient pu susciter au début de ce siècle, un tel attrait.

1

La douane est en effet un des thèmes qui, dans les années 1900-1925, l’âge d’or de la carte postale-,passionna photographes et collectionneurs.

Les origines de la carte postale

 

 

 

On situe la naissance de la carte postale à Vienne (Autriche) en 1869, grâce aux initiatives conjuguées d’Emmanuel Hermann professeur d’économie politique à l’Académie militaire de Vienne et du Directeur des postes autrichiennes. En un mois, 1 400 000 cartes postales étaient vendues, et près de dix millions au bout d’un an. A la veille de la guerre avec la France, le ler juillet 1870, Bismarck signait le décret qui en autorisait la vente dans l’Empire. Le premier jour, rien qu’a Berlin, on en débita 45 000 exemplaires.

 

2

 

Pendant la guerre, des cartes postales furent vendues ou distribuées par la Croix-Rouge dans Strasbourg assiégée. A Nancy occupée par les Prussiens une carte de correspondance fut également mise en circulation. Pendant le siège de Paris, un décret autorisa l’utilisation de cartes postales affranchies à 10 centimes et expédiées par ballon. Il ne s’agissait cependant que d’expédients destinés à remplacer momentanément la lettre et qui permettaient de transmettre aux familles des messages sommaires.

 

En 1873 la poste mit en vente deux types de cartes non illustrées dont elle conserva le monopole de diffusion jusqu’en 1875. Un décret paru au Journal Officiel du 26 octobre 1875 codifia alors l’utilisation de la carte postale et en autorisa l’usage commercial.

La carte postale revêtue d’une véritable illustration ne vit toutefois le jour qu’à l’occasion de l’Exposition Universelle; c’est la célèbre Libonis du nom de l’artiste qui la créa en y dessinant la Tour Eiffel, la pointe crevant les nuages.

 

 

 

Le premier atelier de phototypie fut ouvert à Nancy en 1898 par Bergeret qui dès 1901 produisait quelque 30 millions de cartes dans l’année. La fusion de Bergeret avec plusieurs autres éditeurs sous la raison sociale «Les imprimeries réunies » porte rapidement la production à 100 millions de cartes par an. La France entière fut alors mise en cartes postales par des équipes de  photographes souvent exceptionnels.

 

 

Et la carte postale douanière ?

3

Dans cette chasse permanente aux images, la Douane et les douaniers ne pouvaient échapper à l’oeil des photographes. En effet ceux-ci essayaient souvent d’enrichir les paysages de scènes vivantes et pittoresques ou de saisir l’événement au moment où il se produisait : ce sont les petits métiers de Paris, la place du village un jour de marché, l’expulsion d’une troupe de gitans apatrides, etc…

 

Où et quand naquit la première carte postale douanière ?

 

 

 

La question reste posée. Il paraît vraisemblable cependant que ce fut à Nancy. On a vu qu’il existait dans cette ville dès le début du siècle une intense activité dans la fabrication de la carte postale; la frontière n’était pas loin; on s’y rendait en pélèrinage, l’oeil fixé non pas toujours sur la fameuse ligne bleue, mais également sur les berges d’une petite rivière lorraine, la Seille, qui séparait les deux pays.

 

 

4

Il est possible aussi qu’elle naquit à Metz, à Strasbourg ou à Schirmeck alors dans l’Empire allemand et qui bénéficiaient sans aucun doute de l’avance technique prise par l’Allemagne clans la carte postale. Les clichés allemands, qu’on peut appeler aussi alsaciens ou lorrains, foisonnent dans les collections avec des signatures de photographes renommés : Nels qui mit toute la Lorraine annexée en cartes postales, Jacobi photographe de l’Empereur Guillaume II, G. Schmitt de Schirmeck qui jette toujours un regard malicieux d’Alsacien sur les relations franco-allemandes vues au travers des attitudes des douaniers (carte 1).

 

La datation d’une carte postale n’est pas toujours chose facile et seule l’expérience permet de mener à bien un véritable travail de décryptage; citons simplement quelques points de repère.

Les dimensions peuvent parfois situer une carte. On sait que la première carte autrichienne mesurait 12 x 8,5 cm; la carte du 26 octobre 1875 12 x 8 cm; que l’Union Postale Universelle imposa le format minimum de 12 x 8 et maximum de 14 x 9; qu’en 1888 ce minimum fut ramené à 9 x 6 cm, etc… Mais on sait aussi qu’il y eut des cartes de toutes formes et de toutes dimensions.

La correspondance sur la carte postale illustrée fut interdite jusqu’en 1903 de sorte que les cartes antérieures à cette année ont le verso entièrement réservé à l’adresse et présentent souvent une image réduite de manière à dégager le maximum de blanc et permettre ainsi d’y apposer quelques mots de correspondance sans être en infraction avec le règlement postal.

5

Le cachet postal est évidemment un indice important. Mais il n’existe pas toujours et une carte peut être postée longtemps après sa fabrication.

 

La couleur et la qualité du papier constituent également des indices. De nombreux clichés du début du siècle ont fait l’objet de retirages vers 1925 sur des papiers de mauvaise qualité souvent de couleur verte.

 

Les plus anciennes cartes postales douanières que je possède personnellement sont une Bergeret qui pourrait se situer entre 1898 et 1901 et une carte alsacienne datée de 1901.

 

 

Que trouve-t-on dans une collection ?

 

Certains professionnels de la carte postale ont avancé, concernant les cartes à thème douanier, le chiffre de 20 à 50 000 clichés différents qui auraient été tirés entre 1900 et 1925.

 

Pour la carte postale, la Douane c’est d’abord et presque exclusivement le service des brigades, la fouille des voyageurs et des moyens de transport et la lutte contre la contrebande. Les activités du service sédentaire ne sont que très rarement évoquées et encore uniquement lorsqu’elles ont un rapport avec les brigades (conduite d’un contrebandier devant le receveur par exemple).

6

On trouve de très nombreuses photos de bureaux, de corps de garde ou de casernes avec des douaniers exerçant réellement leurs activités ou posant pour le photographe (carte 3). Quelle fut alors l’attitude de la hiérarchie au regard de la participation des agents à ces séances ? Y eut-il accord, tolérance ou méconnaissance totale d’un phénomène dans lequel certains pouvaient trouver quelque rémunération annexe ? Quelle occasion magnifique, pour des fraudeurs organisés, de repérer les agents, d’observer leurs méthodes de travail et d’espionner leurs sorties et leurs embuscades ! L’administration souvent soupçonneuse à l’époque n’a vraisemblablement pas pu esquiver ce problème; toute une recherche reste à faire.

 

On voit apparaître ensuite des scènes retraçant, parfois avec des précisions d’une technicité surprenante, l’organisation et l’exécution du service (carte 5). Quel non-douanier peut comprendre dans cette carte sur laquelle on voit un capitaine debout et deux douaniers sur leurs lits d’embuscade, l’un dormant et l’autre éveillé, qu’il s’agit d’un chef en tournée vérifiant lequel des deux détient le marron d’embuscade ?

 

D’autres tableaux mettent en jeu avec plus ou moins de bonheur, des acteurs mimant embuscades, attaques, poursuites, arrestations.

 

On trouve également en cartes postales les plus beaux bâtiments de l’administration, certains disparus au cours de la dernière guerre : la douane de Bordeaux évidemment, la caserne du Havre (carte 4) avec ses activités internes et sa fanfare, le magnifique hôtel des douanes de Rouen, l’ancienne direction de Boulogne, etc…

7

 

Il y a également les cartes – et ce ne sont pas les moins intéressantes – où ce n’est pas vraiment le douanier qu’on a filmé, mais où sa présence ajoute un charme insolite : la plage de Fort-Mahon, le baptême d’un bateau dans les Côtes du Nord, … (cartes 6 et 8)

 

Et puis voilà toute la cartographie Alsace-Lorraine qui, à elle seule, nécessiterait de longs développements : témoins d’un passé révolu, ce sont les bureaux des anciennes directions de Nancy et d’Epinal. Page d’histoire douloureusement tournée. La frontière prend là-bas, surtout dans les années qui précèdent la guerre, un caractère mystique (carte 7). Telle carte tirée au col de la Schlucht en 1905, montrant douaniers français et allemands réunis autour du poteau-frontière sous la légende . Les bons amis », est rééditée vers 1910 avec pour titre « En chiens de faïence ».

 

 

 

Voilà encore des Alsaciennes et des Lorraines pleurant et soupirant, lançant  par delà le poteau fatidique, bouquets et regards éperdus à des zouaves en grand costume. Au-delà du cliché naïf n’est-ce pas une manière originale d’approcher l’état d’esprit et le climat politique de l’époque et de mieux comprendre certains événements ?

 

8

L’immense majorité des bons clichés sont antérieurs à la guerre de 1914-1918. La période postérieure connut surtout des retirages ou des éditions médiocres.

 

Après 1925, le sujet comme beaucoup d’autres perdit de son attrait. Le public trouvait sans doute dans le cinéma, dans les revues illustrées ou dans ses propres photos ce qu’il cherchait autrefois dans la carte postale.

 

La carte postale douanière est assez recherchée actuellement par les amateurs. La plupart des collectionneurs sont des – régionalistes » qui s’efforcent de rassembler le maximum de cartes sur leur ville ou leur village. Le bureau des douanes ou le poteau-frontière bien localisé est souvent pour eux la pièce de choix. Nombreux également sont ceux qui poursuivent des collections thématiques et recherchent attelages, locomotives, bateaux, chiens, etc… (carte 9)

 

Parfois méprisée par de beaux esprits, celle qu’on a qualifiée de lithographie du pauvre » est en réalité, pour peu qu’on prenne la peine de bien la regarder, un document historique d’une exceptionnelle qualité.

 

Quel dommage que la carte postale n’ait pas existé plus tôt.

9

Roger CORBAUX

 

 

Vie de la Douane
n°198
1984

 

 

Mots clés :
MENU