Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

La contrebande du sel au XVIIIe siècle

Mis en ligne le 1 mars 2022

 

La Ferme Générale recouvrait à la fois les douanes (intérieures ou extérieures) et les impôts spécifiques tels que la gabelle. L’actuelle Douane est donc en partie son héritière.

 

Avec une équipe d’étudiants de maîtrise, le professeur Durand a étudié la gabelle dans l’Ouest moyen. Le présent article est le résumé d’une étude parue dans « Histoire sociale », revue de l’université d’Ottawa.

 

Les péripéties de la gabelle sont fort heureusement révolues. Le lecteur actuel sera néanmoins frappé par certaines analogies concernant le comportement des contrebandiers et l’organisation de la surveillance.

 

Au XVI ils siècle, les ouvrages polémiques rédigés contre l’institution des gabelles et ses conséquences sur les plans fiscal, économique, démographique, sont très nombreux.

 

Necker ne signale-t-il pas que pendant la seule année 1783, la contrebande du sel avait amené près de 4 000 saisies domiciliaires, l’arrestation de 2 500 hommes, de 2 000 femmes, de 6 600 enfants, la confiscation de près de 1 200 chevaux ? Les condamnations aux galères par les chambres de Valence, Reims, Saumur et Caen dépassaient 200 personnes. Enfin, sur les 6 000 forçats des différents bagnes du royaume, un tiers se composait de contrebandiers. Les Fermes entretenaient 27 000 hommes pour la recette des droits et 23 000 pour réprimer la contrebande.

 

Les documents utilisés pour l’enquête concernent le grenier à sel de Laval. Les greniers à sel constituaient les premières instances à connaître des contraventions de faux-saunage. Leur personnel se composait d’un président, un grenetier, un contrôleur, un procureur du Roi et un greffier. Ils n’étaient pas tenus d’être gradués en droit. Ils connaissaient en dernier ressort des délits n’entraînant pas une amende de plus de dix livres et d’un faux-saunage n’excédant pas un quart de minot de sel. Le grenetier inspectait les sels, jugeait de la quantité nécessaire à chaque paroisse, en faisait la distribution. Il participait en outre au jugement des affaires de contrebande. On pouvait en appeler à la cour des aides.

 

L’ordonnance de mai 1680, complétée par la déclaration du 5 juillet 1704, avait fixé les sanctions du faux-saunage. Les contrebandiers sans armes, à la première tentative, étaient punis de 200 livres d’amende qui, si elles n’étaient pas versées dans le mois, étaient converties en peine du fouet et de la marque «G» au fer rouge; en cas de récidive, c’étaient les galères pour six ans et 300 lires d’amende. Les femmes, à la première tentative, étaient passibles de 100 livres d’amende et, en cas de récidive, du fouet et une amende triple.

 

Le faux-saunage sans armes, mais à l’aide de chevaux, charrettes ou bateaux, était, pour la première fois, puni d’une amende de 300 livres et, en cas de récidive, des galères pour neuf ans, avec 400 livres d’amende. Enfin, s’il s’agissait de contrebandiers en armes au nombre de cinq et plus, la peine était la mort. La déclaration du 12 juin 1722 fixait à 14 ans accomplis l’âge à partir duquel ces sanctions devaient être appliquées. Les employés de la Ferme complices ou coupables risquaient également la peine capitale.

 

Les contrebandiers

 

Le fermier général Sénac établit dans un rapport que la contrebande du sel était massive entre la Bretagne et le Bas-Maine. La raison était fort simple. Elle tenait à la différence des prix du sel entre une province franche comme la première et un pays de grande gabelle comme le Bas-Maine : en 1784, le minot de sel se vendait 2 à 3 livres dans l’une et 58 livres dans l’autre.

 

Au XVIIIe siècle, la contrebande du sel est une véritable industrie sur la frontière bretonne, souvent organisée par les propriétaires nobles eux-mêmes. Il existe alors de véritables troupes de contrebandiers groupant jusqu’à deux cents individus armés. Les profits sont tels que l’intendant d’Auvergne Le Blanc écrit que les paysans abandonnent la culture des terres pour ce nouveau métier, certes dangereux, mais plus rémunérateur. Les villageois, un peu partout, quand ils ne sont pas ouvertement et volontairement complices, ne peuvent qu’obéir aux faux-sauniers. Les contrebandiers vont chercher le sel dans les Pays-Bas espagnols pour le revendre jusqu’aux confins de l’Ile-de-France, de la Champagne et de la Bourgogne.

 

Certaines expéditions sont encore plus spectaculaires et, à en lire les comptes rendus, on croirait assister à une scène de l’ouest américain au siècle dernier, plus qu’à un fait survenu à la fin d u règne de Louis XIV, C’est ainsi que pendant l’été 1706, on arrête en Berry, près du Blanc, une bande de dix-huit faux-sauniers, qui étaient d’abord descendus de Lorraine jusqu’en Poitou, trafiquant des marchandises de contrebande; puis, parvenus à Niort, ils chargèrent 110 boisseaux de faux-set sur six charrettes, menant 35 chevaux et un mulet. Les gardes les attaquèrent au retour.

 

Pour se protéger, les faux-sauniers mirent autour d’eux les charrettes en cercle. Ainsi retranchés, ils réussirent à tenir tête pendant quatre heures aux forces des gabelous. L’Auvergne, pays franc de gabelle, entouré de provinces sujettes à l’impôt, avec ses montagnes et ses forêts, était un repaire idéal pour les faux-sauniers.

 

Quand ils étaient arrêtés, ils allaient jusqu’à poser leurs conditions à l’intendant. En avril 1705, ils exigent l’amnistie, citant à l’appui l’exemple des révoltés cévenols graciés et soutenant qu’ils sont beaucoup moins coupables que ceux qui viennent de bénéficier de la clémence royale !

 

Bien plus, les soldats sont très souvent complices de la contrebande, quand ils ne la pratiquent pas eux-mêmes.

 

Près d’Amiens, en 1709, il y a des bandes de 80 à 200 fraudeurs, composées de soldats et de paysans. Les employés des Fermes, terrorisés, ne peuvent qu’essayer d’identifier les compagnies et les régiments qui se livrent à ce métier d’appoint. Quand on poste des soldats pour arrêter les fraudeurs, ils préfèrent tirer en l’air ‘ou bien même chargent les armes de poudre en oubliant d’y ajouter les balles.

 

Même chose en Poitou en 1711, où l’on passe au véritable brigandage, les soldats détroussant les marchands de sel sur les grands chemins, volant chevaux et charrettes aux paysans, pour aller revendre te set dans d’autres paroisses.

 

A Montel-de-Gelat, en Auvergne, en 1705, c’est un juge, ancien subdélégué de l’intendant, qui afferme ses prés aux faux-sauniers pour qu’ils y laissent pâturer et reposer leurs chevaux. II leur fournit même des vivres. Un juge voisin refuse d’aider les employés des gabelles et l’intendant en tournée. Partout, les brigades de gabelous sont aux abois. Les hommes craignent pour leur vie et les directeurs des fermes l’incendie de leurs maisons et de leurs métairies.

 

Le faux-saunage n’exclut pas les sentiments religieux. Des bandes de contrebandiers se cotisent pour faire dire des messes avant de partir en expédition.

 

Le commerce du faux-sel dans le Bas-Maine à la fin de l’Ancien Régime n’est donc pas quelque chose de nouveau. Il est caractéristique des zones frontières entre des pays de régimes fiscaux différents, où les écarts considérables de prix du sel offrent des tentations permanentes.

 

Cela ne veut pas dire, cependant, que le phénomène fut identique tout au long du siècle. If n’est pour preuve que la participation de la noblesse. Importante au XVIIe et au début du XVIII° siècle encore, elle disparaît par la suite, alors qu’il se trouvera de nombreux soldats pour pratiquer – jusqu’à la veille de la Révolution – une active contrebande du sel et des denrées prohibées.

 

La contrebande est surtout forte en janvier et décembre, mois d’hiver où les jours sont courts, où le froid et la pluie expliquent sans doute le manque de zèle des gabelous, où les journaliers ne sont pas occupés par les travaux agricoles. Septembre est également un mois d’activité pour les fraudeurs, après les récoltes.

 

Une femme transportait en moyenne une vingtaine de livres de sel qu’elle achetait donc 10 sous et qu’elle pouvait revendre sitôt rentrée en Bas-Maine pour 40 sous.

 

Bénéfice : 30 sous. Cela devenait très tentant pour une fileuse, qui d’ordinaire ne gagnait que 8 à9 sous par jour. Le trajet du fraudeur se trouvait généralement compris entre 10 et 25 kilomètres.

 

4 088 contrebandiers de la région de Laval ont fait connaître leur profession. On constate fa prépondérance des métiers du textile (1 686 cas, soit 40,8%). Il s’agit moins de tisserands que de métiers relatifs à la préparation des fils de lin. Ce sont essentiellement des filassiers, poupeliers; fileurs et fileuses. Les professions agricoles correspondent à 1 298 actes d’inculpation (31,7%). Enfin, un dernier groupe important correspond à 26,8% (1 091) des faux-sauniers.

 

Il est composé de 336 veufs ou veuves (les veuves sont l’écrasante majorité), 317 orphelins, 326 personnes «sans vacation», 101 mendiants, 11 enfants en pension. Il n’y a rien de surprenant que ce groupe, particulièrement démuni et très vulnérable aux crises économiques qui pouvaient affecter textile ou la production des céréales, soit l’un des mieux représenté.

 

Le « métier » de faux-saunier était donc profondément enraciné dans certaines paroisses et dans certaines professions. Il correspondait également à des traditions familiales.

 

A Saint-Ouen-des-Toits résidèrent les plus illustres contrebandiers, la famille Cottereau, dont les hommes portèrent le surnom de «Chouan». Le père, bûcheron-sabotier de Saint-Berthevin, alla s’installer vers 1770 à Saint-Ouen-des-Toits. Il avait alors quatre fils, Pierre, Jean, François et René. Deux filles naquirent par la suite. Pierre, sabotier comme son père, est condamné en mai 1774 pour faux-saunage. Il a dix-huit ans et porte le surnom de «Jean Chouan». Il s’agit vraisemblablement d’une erreur des gardes, car son frère – le plus célèbre de la famille – n’est jamais cité dans les procès-verbaux.

 

Pierre est arrêté à nouveau en 1787, sans qu’il soit fait mention de récidive. En 1777, René, le plus jeune des fils, est pris, âgé seulement de 13 ans. En 1785, Perrine fait l’objet d’un procès-verbal des gabelous, alors qu’elle transporte douze livres de faux-sel. Le compagnon habituel des expéditions de Jean Chouan était Jean Croissant, originaire lui aussi de Saint-Ouen-des-Toits. Il fut arrêté trois fois entre 1760 et 1788.

 

Ses frères furent également signalés dans le procès comme récidivistes.

 

Il faut remarquer que les contrebandiers capturés par les gardes ne signent jamais leurs déclarations. Le procès-verbal porte toujours la formule : «a déclaré ne savoir signer». Très exceptionnellement, un marchand, un soldat, un conducteur de voiture publique, lorsqu’ils sont inculpés pour faux-saunage, peuvent apposer leur signature.

 

Mais pour l’énorme majorité, on peut penser que les raisons de l’absence de signature sont la faible alphabétisation des milieux ruraux et, pour le petit nombre de ceux qui auraient pu signer, le refus de le taire par prudence, pour se réserver la possibilité de contester ultérieurement le procès-verbal d’arrestation. D’ailleurs, à Saint-Ouen- des-Toits, entre 1771 et 1790, seulement 8,9% des épouses et 21,3% des époux étaient capables de signer leur acte de mariage.

 

Peu de contrebandiers étalent armés, à l’inverse certainement du siècle précédent. Cela s’explique sans doute par la gravité des peines portées contre le faux-saunage en armes et en groupes.

 

Quelles sont les excuses alléguées par les faux-sauniers lors des interrogatoires ? Beaucoup invoquent la misère. C’est ainsi qu’une femme prétend être allée chercher du sel en Bretagne pour «tâcher d’assister un frère et une sœur retenus au lit». Beaucoup protestent de leur innocence, prétendent avoir ignoré ce qu’ils transportaient.

 

«L’inconnue qui lui avait donné à porter le sac, lui avait dit que c’était du sable»; Ou bien encore, on affirme que le sel était destiné à la conservation du beurre ou des morues faisant l’objet du commerce, mais qu’on ignorait qu’il se trouvait en trop forte quantité.

 

La variété des excuses est infinie et l’on est aussi gêné que les officiers du grenier à sel pour démêler le vrai du faux. Par exemple, lorsqu’un accusé rapporte que «plusieurs particuliers l’avaient emmené au cabaret et l’avaient ensuite obligé à conduire trois chevaux chargés de sel, moyennant six livres de récompense».

 

La lutte contre la contrebande

 

Les brigades étaient pour la plupart composées de quatre hommes. Des capitaines dirigeaient les «gabelous». Ils devaient organiser des embuscades et régler les patrouilles.

 

L’organisation des postes et des brigades fut sans cesse modifiée pour mieux lutter contre le faux-saunage. En 1728, il existe une première ligne de huit brigades sur la frontière de la direction de Laval, puis en arrière une seconde également de huit brigades, une troisième ligne enfin sur fa Mayenne, de douze brigades.

 

En 1728 l’organigramme change. On modifie encore les lignes en 1738, et 1739 et 1742. En 1746, la Ferme abandonne la ligne de la rivière très difficile à surveiller, puisque le cours d’eau était guéable neuf à dix mois de l’année sur les trois quarts de sa longueur.

 

D’autres réformes furent poursuivies jusqu’en 1789, notamment par M. de Chateaubrun, directeur général des Fermes à Laval. Il écrivait à ses supérieurs de Paris : «La plupart de vos employés font leur service sans chemise et sans souliers» il exigea que les commis et les gardes sachent lire et écrire. Mais avec quels résultats ?

 

Il avait constaté une nette augmentation de la contrebande parce que les femmes enceintes n’étaient pas emprisonnée à et que les autres pouvaient filer au rouet dans les prisons de Laval. Cela leur rapportait huit à neuf sous par jour, c’est-à-dire autant que ce qu’elles auraient gagné à domicile.

 

Chateaubrun fit arrêter les contrebandières enceintes et supprimer les rouets dans les prisons. Il obtint de l’intendant la déportation des faux-saunières à vingt ou trente lieues des frontières des gabelles, et fit fustiger les récidivistes en public à Laval.

 

Il essaya même d’employer les curés pour soutenir la cause de la Ferme Générale par des sermons qui devaient montrer aux populations l’horreur de la contrebande.

 

«Quel plus beau triomphe pour un pasteur vertueux que celui de soumettre, par le langage de la persuasion, les cœurs les plus indociles, à l’exercice scrupuleux de tous les devoirs du chrétien, de l’homme et du citoyen : Le législateur divin a lui-même jeté un grand jour sur cette question en faisant une obligation étroite de satisfaire à l’impôt « Rendez à César ce qui est à César » (circulaire aux curés du 28 mars 1783).

 

Par contre, le faux-saunage des militaires prospéra à Laval jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. En juin 1780, l’arrivée de quatre cents hommes du régiment d’Angoumois fournit bien des candidats à la fraude. Chateaubrun organisa avec ses gardes une embuscade à Saint-Berthevin. Il surprit une trentaine de soldats porteurs de faux-sel. Il y eut un mort, un blessé et six soldats arrêtés, mais les Lavallois firent une émeute pour défendre les soldats, tandis que le brigadier des fermes de Montigné était massacré par la troupe.

 

Le commandant du détachement était lui-même menacé de mort et Chateaubrun se voyait assiégé dans sa maison. Les soldats arrêtés furent délivrés à Craon par leurs camarades, et acclamés par la population à leur retour à Laval. L’année suivante, on saisit encore 32 minots de sel sur une troupe de soldats qui s’en revenait de Bretagne vers le Maine. Tout cela entretenait une atmosphère d’insécurité et bien des commis des gabelles vivaient dans la terreur des soldats, n’osant sortir de chez eux.

 

Ils étaient incités au zèle par un système de récompense. Ainsi durant la période 1697-1703, pour chaque faux-saunier à col écroué, les gardes recevaient 6 livres, pour un faux-saunage à cheval 15 livres, avec port d’armes 25 livres, en récidive 36 livres. En outre, si le contrebandier payait l’amende à laquelle il était condamné, les gardes qui l’avaient arrêté percevaient un tiers de l’amende sur lequel était retenue la récompense reçue lors de l’écrou, et les frais de justice.

 

Une fois arrêté, le contrebandier est conduit par les gardes de la Ferme «aux prisons ordinaires» de la ville de Laval et confié au concierge, qui l’écroue. Commence alors la procédure. Nous avons pu établir la durée de l’emprisonnement pour 94% des cas. Dans la proportion des deux tiers, elle est inférieure à 10 jours.

 

Il s’agit ici d’affaires simples, sans récidive. 13% connaissent une incarcération supérieure à 10 jours et inférieure à trois mois. Dans ce dernier cas, la longueur de la détention s’explique par le fait que l’accusé conteste le procès-verbal, ou bien parce que le faux-saunier ne peut payer l’amende dans les délais prescrits. Il y a enfin ceux dont la détention excède trois mois. Ils sont 9%. Ce sont en général des récidivistes pour lesquels la procédure est plus longue.

 

Une arrestation n’est pas obligatoirement suivie d’une condamnation, et il apparaît que le tribunal du grenier à sel est indépendant de la Ferme. Entre 1760 et 1765, la sentence suit la réquisition du procureur du Roi dans 64% des cas, mais la requête du receveur des fermes dans 27% seulement. Il existe des divergences entre les demandes de ces deux personnages dans le quart des procès.

 

Le receveur se contente presque toujours d’exiger l’application des ordonnances, alors que le procureur du Roi demande un supplément d’information dès qu’il risque d’y avoir ambiguïté. Ainsi, le receveur va demander six ans de galères pour un récidiviste, mais le procureur exige un supplément d’information parce qu’on ne parvient pas à lire distinctement la marque sur l’épaule de l’inculpé, qui finalement ne sera condamné que pour simple faux-saunage. Le procureur en 1766-1767 multiplie les demandes d’annulation lorsque les gardes ne savent ni lire ni écrire.

 

Ce que pensaient Bretons et Manceaux, voisins de la frontière, de la gabelle et de son administration, nous pouvons en avoir quelque idée par la lecture des cahiers de, doléances de 1789.

 

En Bretagne, il existe 39 cahiers de paroisses-frontières. 38 plaident pour une meilleure répartition des impôts, mais 11 seulement mentionnent la gabelle. Il faut faire appel à deux sortes d’explications. En premier lieu, il y a l’absence de gabelle en Bretagne. Les Bretons entendent bien conserver ce privilège.

 

Seconde cause, beaucoup de paroisses rurales ont copié un modèle de cahier : Les charges d’un bon citoyen de campagne, surtout dans la région de Vitré. Ce modèle est d’origine urbaine et bourgeoise, et ne fait aucune part à la gabelle.

 

Dans le Maine, sur 42 cahiers correspondant aux paroisses-frontières et à la région du grenier à sel située entre la frontière et la Mayenne, 40 s’élèvent contre la gabelle. En Anjou, sur 14 paroisses-frontières, 23 cahiers sont hostiles à la gabelle. Cet impôt est toujours très mal considéré. Les qualificatifs les plus courants sont : «terrible fléau», «impôt odieux». A La Pèlerine : «cette vermine toujours renaissante qui ronge jusqu’au vif l’artisan, le journalier, le closier, le laboureur…».

 

27 cahiers s’en prennent aux gardes. Ils sont accusés de fouiller tes maisons, de briser les barrières des champs, de saccager les récoltes pour découvrir les contrebandiers.

 

Le personnel des Fermes coûte très cher à l’Etat. Les gardes sont des gens sans aveu, sans morale, sans équité. On les qualifie dé «peste de notre paroisse», «corps abhorré de tout le genre humain», «la plus vile canaille».

 

10 cahiers sur 43 critiquent les faux-sauniers, auxquels on reproche de piller, voler, gâter les récoltes.

 

Ainsi, depuis le début du XVIIIe siècle, les structures de la contrebande se sont transformées. Au départ, tous les groupes sociaux, des nobles aux paysans, organisent le faux-saunage et en profitent, tandis que dans la seconde partie du siècle, la contrebande du sel n’est plus pratiquée que par des journaliers, des closiers, des fileuses, des veuves, des gens sans emploi ou des mendiants, occasionnellement par des soldats. La part des femmes et des filles est importante, près de 60% des accusés.

 

La contrebande est payante, puisqu’un seul voyage de quelques lieues peut rapporter à un homme, s’il est assez heureux pour éviter les gabelous, le dixième ou le quinzième du salaire annuel d’un journalier. D’autre part, si la misère pousse parfois à la contrebande, il faut cependant apporter quelques nuances à l’idée de la pauvreté paysanne en Bas-Maine. La plupart des inculpés sont capables de payer des amendes de 100 à 200 livres.

 

Les gardes coûtaient cher à la Ferme. Sur un petit territoire, plus de 500 employés patrouillaient en permanence. Mais le comportement des juges du grenier à sel de Laval restait somme toute équitable.

 

Il serait faux de soutenir que les magistrats étaient à la dévotion de la Ferme Générale. L’examen des procès et l’attitude du procureur le prouvent aisément. Le séjour des faux-sauniers en prison n’était pas ce qu’on a longtemps prétendu, surtout au XVIIe siècle. Les deux tiers y demeuraient moins de dix jours, et à peine un sur dix plus de trois mois.

 

Quelques années après la suppression de la Ferme Générale, les faux-sauniers allaient grossir les rangs de la Chouannerie et lui fournir ses chefs les plus célèbre.

 

 

Extraits d’un article d’Yves Durand, professeur à l’Université de Nantes

 


 

La Vie de la Douane

 

N° 194

 

Juin 1993

 


 

 

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