Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

François-Louis-Auguste Ferrier 1777-1861 (1ère partie)

Mis en ligne le 1 janvier 2021

C’est François Ferrier que Napoléon choisit pour être le deuxième directeur de l’histoire de la douane française. Plus loin, nous verrons que c’est lui qui remplacera Collin de Sussy, nommé ministre du commerce.

 

Né à Paris, le 13 avril 1777, François-Louis-Auguste Ferrier a perdu ses parents dans son tout jeune âge et a été élevé dans la capitale par son oncle le docteur Jacques- Agathange Leroi, médecin du comte de Provence, frère du Roi et futur Louis XVIII.

 

La Révolution amène le docteur et son neveu à quitter Paris pour Lille puis Dunkerque. Il y retrouvent un ami du docteur, haut fonctionnaire à la Régie des douanes,Valois. Celui-ci ayant apprécié les goûts studieux et la valeur du jeune Ferrier, le place, le 20 janvier 1797, en qualité de premier commis de direction dans ses bureaux. Il est certain que celui-ci eut d’abord à faire un temps de surnumérariat avant d’arriver à cet emploi d’une certaine importance hiérarchique. Duverger précise : « Doué d’une puissante intelligence, d’un esprit vif et surtout logique, il avait eu le bonheur d’être distingué par M. Valois qui l’aida à franchir promptement les premiers grades « . 1

 

Le docteur Leroy étant rentré à Paris après le 18 brumaire, Ferrier, resté à Dunkerque, décide de compléter son instruction : « Âpre à la besogne, laborieux par instinct autant que par besoin, il ne tarda pas à acquérir une telle somme de connaissances que peu d’administrateurs contemporains en possédaient d’aussi complètes, d’aussi solides surtout. (…) Une, lecture assidue de nos principaux auteurs devaient développer encore son esprit « . 2

 

Ferrier a participé à la fondation du « Salon littéraire » qui réunit la plupart des hommes intelligents et instruits de Dunkerque, une ville qu’il aime mais qu’il est amené à quitter. En effet, il monte à Paris, pour y être nommé sous-chef de bureau à la direction générale avec un traitement de 2.800 francs. Il quitte Paris, le 23 septembre 1802, pour le poste de sous-inspecteur à Bayonne.

 

Le livre de Ferrier, publié, à l’âge de vingt sept ans lorsqu’il est à Bayonne, sous le titre « Du gouvernement dans ses rapports avec le commerce, ou de l’Administration commerciale opposée à l’économie politique », fait quelque bruit dans les milieux économiques 11 y réfute les théories d’Adam Smith, l’ économiste anglais particulièrement prisé par les idéologues français qui viennent de se séparer de Bonaparte.

 

Le 20 janvier 1805 il est promu inspecteur à Worms dans la direction de Mayence (Palatinat), puis est muté en 1808 à Cortono en Toscane.

 

Il est nommé d’emblée directeur de première classe à Rome, le 15 mars 1810, où il est chargé d’implanter le service des douanes. C’est en effet le premier directeur à Rome, l’une des vingt deux directions situées en territoire étranger. Il n’a eu, à ce poste, qu’un seul successeur : Duboullaye.

 

C’est de Rome que, deux ans plus tard, il part chercher, à l’étonnement général, le poste de directeur général où il succède à Collin de Sussy, devenu, dans le même temps, ministre du Commerce ». Il a alors moins de trente cinq ans.

 

Jean Clinquart constate que, comme le montrent une note autographe de Collin et un rapport adressé à l’Empereur par le ministre des finances, c’est Collin lui même qui a proposé les noms de trois directeurs des douanes de province( et non ceux des administrateurs) : Ferrier, Faurie et Brack en poste à Rome, Besançon et Gènes. Le ministre précise que « Ferrier est celui que (Collin) préférerait sous tous les rapports (…) 11 ne place les autres qu’à quelque distance du sieur Ferrier ». Collin et le ministre mentionnent, l’un et l’autre, que leur « poulain » est l’auteur d’un ouvrage très estimé sur le commerce et les douanes. Il est vrai que la carrière de Ferrier a été heureusement influencée par la publication de son livre « Du Gouvernement. » Il faut noter aussi que Fiévée a contribué à son élévation sociale en l’aidant à améliorer et à publier son ouvrage.

 

Amé pour sa part, le présente effectivement comme adversaire des thèses d’Adam Smith, Rossi et Michel Chevalier opposés aux restrictions douanières et le désigne comme un des tout premiers champions du système économique connu sous le nom de Balance du Commerce : » M.Ferrier, écrit-il, homme d’esprit et de verve, a su présenter habilement des idées qu’il ne défendrait plus s’il écrivait aujourd’hui. Encore fort jeune au moment où il publia son ouvrage, il ne s’était pas bien rendu compte de phénomènes qu’on a mieux étudiés depuis. Dans sa pensée, le commerce extérieur devait avoir pour but principal d’attirer l’argent du dehors, et devenait ruineux pour un pays quand il faisait sortir plus de numéraire qu’il n’en faisait entrer.

 

 » II voulait donc que les gouvernements s’attachassent à en surveiller les tendances afin de le détourner des voies où pouvaient s’engloutir les métaux précieux. Quelle différence y a-t-il pour la France, disait-il à ce sujet, entre 12 millions jetés au fond de la mer, et 12 millions employés à acheter du thé ? Que reste-t-il de ce thé, dans le pays, au bout d’un an ?

 

 » L’échange de marchandises contre de l’argent était le seul genre de négoce qui lui parût toujours avantageux, et comme l’Angleterre était en mesure de nous livrer beaucoup plus de produits fabriqués que de l’or ou de l’argent, M. Ferrier engageait le Pouvoir à se défendre soigneusement de tout rapprochement commercial avec le cabinet de Saint- James ». 3

 

Cette position fut celle de beaucoup d’économistes pendant près d’un demi siècle. Cependant, en 1859, parlant de la question des denrées coloniales, Amé constate : « L’Administration, les libre-échangistes et les protectionnistes, renversant d’un commun accord la proposition formulée par M.Ferrier, admettent tous, depuis longtemps, que l’impôt sur les denrées coloniales, exclusivement fiscal, doit être abaissé jusqu’à la limite extrême où le Trésor cesserait d’être dédommagé, par l’accroissement des quantités imposables, de la diminution du droit. »

 

Il est vrai que le jeune âge du nouveau directeur général peut sembler pour le moins inhabituel, mais il faut se rappeler que Napoléon Bonaparte a été coutumier de ces carrières rapides. Ferrier, lui même, doit être surpris de sa fulgurante ascension, il est contraint de composer avec les Chaslon, Saint-Cricq et autres vieux briscards des bureaux parisiens. Il est et il fait ce que Collin a voulu qu’il soit et qu’il fasse.

 

Si Ferrier est nommé à un moment important pour l’application du blocus continental, c’est Collin de Sussy qui, dans l’opinion de l’Empereur, doit en être l’organisateur. Rappelons que, ministre des Manufactures, il aura, notamment, dans son département, les douanes et le conseil des prises.

 

Le nouveau ministre prend un arrêté modifiant celui du 10 septembre 1801 fixant les attributions du directeur général des douanes. Désormais, le conseil d’administration doit être consulté sur les présentations au ministre des suggestions de nomination dans le cadre des agents du cadre supérieur et même sur les nominations rentrant dans les attributions propres du directeur général. Sur les quatre administrateurs, deux au moins sont des fidèles de Collin de Sussy :son fils Louis et Saint-Cricq, son ancien secrétaire général à la préfecture de Seine et Marne qu’il a fait nommer administrateur, le 9 septembre 1911. La marge de manœuvre du nouveau directeur général risque d’être très étroite. Il ne peut faire cesser la répartition territoriale entre les divisions, confirmée par cet arrêté.

 

Il s’emploie à renverser la situation à son profit en matière de gestion du personnel et à renforcer son ascendant sur ses collaborateurs à la Centrale et en province. Il a constaté, lors des séances du conseil d’administration consacrées aux nominations, promotions ou mutations, la propension des administrateurs à « pousser » et dans certains cas à desservir des fonctionnaires de leur zone de compétence parce qu’ils les connaissaient mieux que ceux d’autres secteurs. Le secrétariat général, censé gérer le personnel, avait trop souvent des dossiers incomplets et donc insuffisants, pour une bonne appréciation des mérites de chacun. Rappelons nous qu’il y avait alors quarante directions et que l’effectif des brigades dépassait 35 000 hommes. C’était le règne du népotisme et du favoritisme contre lequel la Centrale se trouvait désarmée.

 

Ferrier s’applique à avoir une connaissance personnelle des qualités et des défauts de tous les agents du cadre supérieur et des personnels de la Centrale en astreignant les chefs de service à lui fournir une feuille de signalement moral pour chacun de leurs subordonnés. Les directeurs régionaux devront faire de même pour tous leurs subordonnés.

 

Chaque employé aura dorénavant un dossier individuel présentant sur une simple feuille les notes successives de ses divers chefs (à partir du grade de sous-inspecteur ou de capitaine). Y figureront également les circonstances importantes de sa carrière administrative. C’est le 21 avril 1812 que cette importante novation est signifiée au service.

 

Elle a des répercussions considérables sur le moral des agents des douanes qui ont subi jusque-là le pouvoir omnipotent des directeurs. Ferrier précise dans ses instructions : « Le signalement proprement dit portera sur le zèle, l’activité, l’aptitude au travail, la subordination, le degré d’instruction et la conduite de chaque employé. Quand il s’agira d’un chef ou d’un employé destiné à le devenir, il faudra indiquer, en outre, s’il a reçu une éducation soignée, s’il a de la fermeté, de la mesure, s’il jouit de l’estime des autorités locales, s’il honore l’Administration par sa vie privée, s’il se fait aimer et respecter de ses subordonnés, enfin, s’il a pour ses chefs les égards qu’il leur doit.

 

Ces feuilles doivent lui être adressées directement par chacun des chefs placés aux divers échelons hiérarchiques : inspecteur, sous-inspecteur, receveur, contrôleur et capitaine. Il poursuit : « J’ai lieu d’attendre de vous, dans le travail délicat et important que je vous demande, l’impartialité la plus rigoureuse. Vous ne pourriez vous en écarter sans m’exposer à commettre des injustices dont le responsabilité pèserait ensuite sur vous. Les signalements que vous m’adresserez sont au reste, pour moi seul. Ainsi vous n’auriez aucune raison, même apparente, d’y déguiser votre opinion. (….) Ces signalements me fixeront souvent, autant sur les chefs qui les rédigent que sur les employés qui en sont l’objet, et l’importance que j’y attache doit être pour ceux-ci, une raison de n’en mériter que de favorables, et, pour ceux-là, de n’en fournir que d’impartiaux « . Plus tard, il aura cette réflexion : « Tout chef d’administration qui en signalant ses subordonnés, n’est pas saisi d’une crainte religieuse, n’a pas le sentiment du devoir qu’il remplit. L’impression de jugements hasardés peut poursuivre un employé pendant tout le cours de sa carrière, malheur déplorable, puisque celui qui l’a causé n’a que bien rarement la volonté de le réparer, et que, quand il en a la volonté, il n’en a pas toujours le pouvoir :c’est une suite de ce que l’effet de l’accusation peut survivre, même à son désaveu. ».

 

Il poursuit  » je n’avais pas, jusqu’ici, transmis d’instructions sur les règles morales que les chefs doivent se prescrire pour le signalement de leurs subordonnés. La première est de ne se permettre aucune imputation, aucun reproche, de ne provoquer aucune punition contre un employé, avant de l’avoir averti, et plusieurs fois, soit pour qu’il détruise les préventions dont il est l’objet si elles ne sont pas fondées, soit pour qu’il réforme sa conduite si véritablement elle est répréhensible.Tout autre procédé serait faiblesse, injustice ou perfidie. Par la même raison, je réprouve les lettres confidentielles qu’on écrit quelquefois, soit aux administrateurs, soit à moi, sur le personnel des employés, lettres presque toujours nées du besoin de desservir en secret, joint à la crainte ou à l’impossibilité d’accuser en face « .

 

Ferrier se montre dans ses actes de gestion aussi bon administrateur que gardien vigilant des intérêts du personnel. C’est à lui que doit être attribuée la décision de former un dossier par affaire (auparavant la correspondance reçue ou expédiée était classée par ordre chronologique ).

 

Il flétrit, en outre, la honteuse dilapidation dont la gestion locale des masses d’habillement a été la source et il formule un règlement détaillé et précis sur la Masse qui est resté en vigueur pendant plus de cent ans.’

 

Depuis longtemps, le règlement de la masse d’habillement obligeait les agents à s’équiper eux mêmes, en uniforme et en équipement, notamment en armes. Le paiement des sommes dues aux fournisseurs était effectué sur une caisse commune alimentée par des prélèvements sur le traitement des intéressés et échelonnés dans le temps. Cette gestion se faisait sur le plan local et avait engendré de nombreux abus.

 

Pour être équipés, les préposés s’adressaient à leurs chefs, en sorte que les inspecteurs et les capitaines étaient devenus les intermédiaires rétribués des fournisseurs. Il arrivait même que certains se chargeassent même de ces fournitures, dont ils se remboursaient au moyen de retenues plus ou moins arbitraires, sur les traitements et parts de saisie de leurs subordonnés. Les directeurs n’exerçaient aucun contrôle sur cette gestion et ne pouvaient remédier aux abus qui devenaient de plus en plus criants.

 

Le règlement, instauré par Ferrier, place la gestion de la masse sous le contrôle des directeurs, désormais chargés de passer les marchés et de régler seuls l’emploi des fonds. Ils sont assistés d’un conseil d’administration pour l’examen des comptes.

 

Autre avantage : l’uniformité de l’équipement et de l’armement va pouvoir être réalisée dans toutes les circonscriptions. Par ailleurs, des dispositions sont prises en vue de faciliter les premiers versements et de porter plus rapidement au maximum l’actif individuel. Cette procédure a pour effet, secondaire mais non négligeable, de retenir les agents au sein de l’administration par la crainte d’abandonner à la masse une somme devenant de plus en plus importante.

 

Toujours en 1812, l’attention de Ferrier se porte sur l’état préoccupant de la caisse spéciale de retraite, créée par la loi du 2 floréal an V. Le fonds de retraite n’étant pas un fonds d’Etat, en cas de déficit il n’y avait pas possibilité de dégager des ressources budgétaires pour le combler. Ferrier propose donc des mesures d’assainissement, il recommande notamment de porter à 3 % le taux des prélèvements sur les traitements et à 20% la retenue opérée sur le produit des amendes et confiscations. La situation se modifiera promptement et le service des pensions se trouvera assuré pour une longue période.

 

Entreprise plus délicate : Ferrier doit lutter contre les empiétements des parquets des Cours prévôtales et des Tribunaux spéciaux des douanes instaurés par Napoléon en 1810. « Mais il finit par réussir, grâce à l’énergie de son attitude et aux sages considérations invoquées dans ses rapports, à obtenir des départements du Commerce et de la Justice, le concours qu’il sollicite en vue de maintenir l’autorité des décisions administratives et d’éviter une regrettable confusion des Pouvoirs. Les instructions adressées aux Directeurs ne (sont) pas moins remarquables par leur netteté et leur fermeté « . 5

 

Il attire l’attention des directeurs provinciaux sur les affaires au cours desquelles les procureurs se sont montrés  » disposés à donner à leur ministère une extension qui pourrait avoir des conséquences fâcheuses « . Il récuse cette prétention qui risque d’amener la confusion entre le pouvoir administratif et le pouvoir judiciaire. Il informe le service que le ministre de la justice  » a fait sentir aux tribunaux des douanes que les magistrats doivent se renfermer dans les bornes de leurs attributions, et qu’ils n’ont point à s’immiscer dans l’exécution que je juge à propos de prescrire à mes subordonnés « .

 

Il veut être informé de toute espèce d’empiétement de la part des autorités judiciaires, il rappelle qu’il ne faut donner aucune extension à l’autorité administrative et recommande de veiller à ce que les attributions données par la loi aux tribunaux ne soient pas méconnues.

 

Si Ferrier s’est d’emblée intéressé à améliorer la vie des douaniers et de leur carrière, s’il a facilité l’avancement des agents méritants et essayé de limiter les abus de pouvoir en matière de gestion des personnels, s’il a eu à cœur de maintenir les prérogatives de son administration, les difficultés engendrées par la situation générale ont fortement pesé sur lui dès son entrée en fonction.

 

Il lui faut mettre en œuvre le blocus continental dans toute sa rigueur mais aussi dans toutes ses contradictions. Cette guerre a pris un caractère tellement aigu que l’Empereur s’est vu obligé d’en atténuer les effets par de détestables expédients comme le smoglage et les licences. Ces dernières, théoriquement, devaient être signées de la main de l’Empereur niais, très souvent, trop souvent, ont fait l’objet de trafics éhontés, auxquels se sont livrés les autorités civiles et militaires implantées sur les marches de l’Empire. On comprend bien que Napoléon n’aurait pas voulu d’un libre échangiste pour appliquer le blocus et qu’il lui fallait un homme énergique et de haute valeur pour surmonter les obstacles que la douane allait rencontrer pour continuer à appliquer un tel système. Ferrier à d’ailleurs recommandé, d’entrée de jeu, aux directeurs de correspondre directement avec lui pour les affaires qui « concernent le blocus, les licences, les prises, les produits extraordinaires, les grains et en général le système actuel ».

 

La gestion de Ferrier est ainsi jugée par Duverger : « En un mot, M.Ferrier se montra toujours administrateur, et s’il ne fit rien pour corriger les vices de la comptabilité, on voit qu’ils ne lui échappaient pas, non plus que les simplifications à introduire dans les écritures des bureaux de douanes. Il avait déjà commencé ces simplifications au bureau central, où sa courte gestion laissa des traces, encore visibles d’ordre et de lumière. C’est à lui, entre autres bonnes mesures, qu’on doit celle de former un dossier par affaire. Auparavant, la correspondance reçue ou expédiée était classée par ordre de date « .7

 

L’Empereur avait depuis longtemps la pensée de donner une organisation militaire aux brigades des douanes. Rappelons qu’il voulait doter d’un uniforme l’ensemble de l’Administration.

 

Jean Tulard écrit :  » Le port d’un uniforme est source de prestige. Il est également contraignant et, comme son nom l’indique, uniformisé. Comme l’Armée, l’Administration est au service de l’Empereur « .8

 

Depuis 1811, l’uniforme est imposé à tous les agents des douanes, service des bureaux et employés supérieurs inclus.

 

Vint le moment de l’expédition contre la Russie, Napoléon distribua les forces qui allaient assurer ses arrières. Les 35 500 baïonnettes des douaniers devaient être, à ses yeux, forcément utilisées. Les discussions qui s’étaient peu à peu espacées, recommencèrent dès l’entrée en fonction de Ferrier. Ce dernier eut comme interlocuteur le Général de division, comte Mathieu Dumas, conseiller d’Etat. Dans cette discussion, relatée a posteriori dans une lettre écrite le 31 mars 1839 à l’administration, il parait avoir fait preuve d’une louable indépendance de caractère et avoir repoussé péremptoirement l’organisation militaire de la douane, au lieu de présenter les moyens de la concilier avec les nécessités administratives.8

 

Le projet, prévoyait une légion dans chaque direction, le directeur en étant le colonel et, en tant que tel, placé sous les ordres du général dans la division du quel se trouvaient les brigades douanières de la direction. Ferrier raconte qu’il a fait ressortir l’incompatibilité des divisions territoriales de l’armée et la répartition des brigades des douanes et de leurs chefs.

 

Enfin il dit avoir rajouté que, puisque l’on faisait les directeurs colonels, lui devait être fait au moins général de division. Bien que présenté en riant cet argument mettait en lumière le côté du projet déplaisant pour l’armée : celui d’un état major n’ayant pas gagné ses éperons. Ferrier termine sa lettre en affirmant qu’il ne fut plus question alors de l’organisation militaire des douaniers.

 

La réalité semble quelque peu différente : Jean Clinquart à fait l’analyse de toutes les tentatives de création d’un corps militaire des douanes.’ Il rappelle qu’en 1810, Napoléon Premier a demandé à Davout « un projet d’organisation mettant sous ses ordres les brigades de douanes ».

 

Ainsi que le montre Félix Gabini dans son article sur Les tentatives de militarisation de la Douane : au cours des négociations et après avoir tergiversé toute une année, Collin de Sussy, a présenté un texte consistant à donner un statut militaire aux agents des brigades sans toucher à l’organisation administrative et les plaçant sous l’autorité d’un état major général, composé du directeur général des douanes, des inspecteurs généraux et des directeurs.

 

Collin de Sussy a proposé une assimilation avec la gendarmerie. Ce projet suscita des réticences parmi les représentants de l’armée. Deux projets furent repoussés, un troisième, présenté par les deux sections du Conseil d’Etat concernées,Armée et Finances, reprenait « non la seule organisation militaire des douanes, mais l’ensemble des douanes impériales ». Le comte Dumas, rapporteur, confirmait que « les compagnies des gardes interviendraient seulement en cas d’attaque ou d’invasion du territoire ». Ce projet ne fut jamais signé par l’Empereur.

 

Jean Clinquart rappelle qu’il date du 3 janvier 1812, au moment où Collin de Sussy était titulaire du ministère du Commerce nouvellement créé. Comme les douanes ne dépendaient plus des Finances mais du nouveau ministre, le texte devait être modifié. C’est vraisemblablement à ce moment qu’est intervenue la discussion entre Ferrier et Dumas, ci-dessus rapportée.

 

L’opération comportant un remaniement de presque tous les « contrôles’ et portant sur le statut des personnes et sur leurs traitements, ne pouvait être menée à bien dans la période troublée qui venait de s’ouvrir. Jean Clinquart, citant Boucher de Perthes, indique : « Au mois de juin 1812, Ferrier faisait connaître aux directeurs que l’organisation militaire des brigades était remise à une époque très éloignée « .

 

Cependant Ferrier est amené à prendre l’initiative en matière de concours apporté à l’Armée en temps de guerre. En effet, un an à peine après sa prise de fonctions, les événements militaires prennent un tour alarmant. Les armées françaises battent en retraite et les frontières sont menacées.

 

Ferrier, préoccupé du maintien de l’imperméabilité des lignes de douanes, rappelle que le premier devoir du douanier est de sauvegarder les intérêts du Trésor et qu’il ne doit prêter main forte à l’armée qu’en cas d’invasion. Il précise qu’il convient, même en ce cas, de veiller au rétablissement des lignes.

 

Mais voici l’ennemi sur la frontière, dès que les lignes se trouvent débordées, les légions de douaniers, surnommés les « chasseurs verts » se rallient aux commandements militaires locaux et se distinguent notamment par la défense héroïque de plusieurs places fortes et savent mériter les éloges des chefs militaires.

 

A Dubois-Aymé, directeur en Italie, Ferrier écrit le 30 septembre 1813 :  » Les préposés ne sont appelés à servir militairement que quand le pays, dont-ils défendent la frontière, est momentanément exposé à quelque invasion « . 10

 

Quand les alliés franchissent le Rhin, Ferrier dépêche à Anvers l’inspecteur général Dumas Saint Marcel, lui-même ancien général, avec pour mission d’assurer un repli en bon ordre des divers services douaniers.

 

Malheureusement, la situation militaire empire. L’immense ligne des douanes s’étendant des bords de la Baltique à ceux de l’Adriatique est culbutée. Les douaniers, pour certains, ont la conduite héroïque que l’on sait. Mais Napoléon doit partir pour l’Ile d’Elbe, après avoir signé l’acte d’abdication, le 11 avril 1814. Les Allemands sont entrés à Paris le 31 mars.

 

A l’instar de Collin de Sussy quittant son éphémère ministère du Commerce, Ferrier, connu lui aussi pour son grand attachement à l’Empereur, doit s’effacer. Dès le 3 avril, sans attendre l’événement final, Ferrier remet le service des douanes au plus jeune des administrateurs, Pierre de Saint-Cricq. Le lendemain les administrateurs font discrètement savoir aux directeurs que « le directeur étant momentanément absent, rien ne serait changé dans (leur) correspondance avec la Centrale ». Saint-Cricq ne sera nommé que directeur au sein d’une direction générale regroupant les deux services des Douanes et des Droits Réunis.

 

Il est vraisemblable que Ferrier aurait aimé accéder à un poste plus honorifique que celui de directeur occupé auparavant, mais il apparaît que les nouvelles autorités ne se sont pas souciées de son destin. Il rejoint, le 15 mai la direction de Dunkerque, l’une des plus grosses de France et aussi des plus recherchées, en raison de « l’importance des émoluments attribués à son chef en sus du traitement normal et qui atteignent prés de 70 000 francs « . » Bonvarlet met plutôt l’accent sur l’aspect culturel de cette préférence : « Selon une tradition de famille, M.Ferrier aurait préféré sa situation de Dunkerque, qui lui permettait de se livrer sans entraves aux études qu’il poursuivit toute sa vie, à d’autres fonctions plus élevées, mais plus soumises aux revirements de la politique. On ajoute et c’est de la bouche d’un ancien fonctionnaire de l’administration que j’ai recueilli cette tradition, qu’après l’admission à la retraite de M. Duverger, père de l’auteur de la Douane Française, M.Ferrier avait pris la précaution de se réserver la direction de Dunkerque « . 11

 

Cette circonscription, au voisinage des côtes Anglaises et de la Belgique, est en butte à une fraude intense; la contrebande à cheval a pris une extension dangereuse. Il y a souvent des blessés parmi les douaniers qui tentent de s’opposer au passage en force de bandes nombreuses.

 

Ferrier, redevenu simple directeur provincial, déploie le même dynamisme qu’à la tête de la douane. Il prescrit, aux agents de sa direction, « de faire feu chaque fois que, malgré leurs sommations réitérées, les cavaliers fonceraient au galop au risque de les fouler aux pieds. Dès sa première application, la mesure eut un tel effet d’intimidation que ce genre de contrebande diminua très sensiblement ». Ferrier amené à se justifier écrit dans son rapport :  » Ce n’est apparemment pas pour faire la haie comme à la procession et voir paisiblement passer les fraudeurs que le Roi paie ses préposés et que la loi les arme « . 13

 

Par deux circulaires, destinées aux agents de sa direction, il redéfinit la police du rayon des douanes et organise la surveillance des frontières. La première interdit d’une manière absolue la circulation de nuit pour toutes les marchandises visées par la police du rayon. La seconde tient compte des contingences locales et autorise la délivrance de passavants permettant la circulation nocturne pour de petites quantités de produits locaux, transportés sur de petites distance, et destinés à être vendus sur les marchés régionaux, les jours où ils se tiennent.

 

Napoléon, de retour de l’Ile d’Elbe, sépare les douanes et les droits indirects et rétablissant le grade de directeur général des douanes, y rappelle Ferrier qui, d’entrée de jeu, entérine toutes les modifications que Saint-Cricq a apporté à la gestion du service. Pendant les Cent-Jours, Ferrier ne peut que se borner à expédier les affaires courantes. Il se refuse à toutes épuration contre ceux qui auraient manifesté leur attachement aux Bourbons.

 

Instruit par l’expérience et après réflexions menées au cours de son séjour à Dunkerque, il décide que les circulaires administratives, jusque là rédigées manuellement et à diffusion restreinte, seront dorénavant imprimées. Destinées à l’ensemble des directions, elles seront diffusées à tous les échelons hiérarchiques.

 

La première circulaire imprimée est datée du 27 mars 1815, deux jours après le rappel de Ferrier à la Direction générale qu’il a quittée juste avant la Première Restauration. Duverger lui rend justice :  » C’est donc à lui que l’Administration est redevable de ces heureuses innovations qui comportent une si importante simplification des écritures. M. Ferrier a également décidé que la distribution des circulaires serait étendue à toutes les Directions et à tous les agents du cadre supérieur.14

 

Davout, ministre de la guerre, et Ferrier concluent un accord, fruit de leurs expériences respectives. Ferrier donne aux directeurs, situés sur l’Océan et la Manche, l’ordre de « laisser à la disposition de l’autorité militaire environ la moitié des préposés ».

 

Il réaffirme la priorité du service douanier et rappelle :  » L’intention, souvent exprimée, du chef du gouvernement a toujours été que les préposés ne fussent, sous aucun prétexte, détournés de leurs fonctions; qu’en temps de guerre, ils conservassent leurs lignes jusqu’au dernier moment et que, dans les circonstances véritablement urgentes, où leur concours pourrait être militairement utile, on ne les employât que par détachements pris sur tous les postes afin de n’en dégarnir complètement aucun. Telle est encore aujourd’hui la volonté du Gouvernement « .

 

Il précise, bien sur, que le principe n’est plus applicable, dès qu’il y a invasion et que « le devoir des préposés serait alors de déférer aux ordres des généraux qui pourraient les réunir, les enrégimenter et les employer militairement, soit en ligne, soit dans les places fortes, cette deuxième destination étant celle qui convenait le mieux « .

 

Jean Clinquart indique : « Partout où il en furent requis, les douaniers garnirent les places fortes et il arriva qu’ils constituent une part importante de leurs garnisons. Ils formèrent aussi des « colonnes mobiles », là où l’insurrection vendéenne rendit nécessaire une intervention militaire « . 15

 

Jean Bordas

 

(A suivre)

 


1 – T. Duverger : .La Douane française. p 458.
2 – A Bonvarlet (Président du Comité Flamand de France) : François-Louis-Auguste Ferrier. Lille 1881. Document obligeamment communiqué par monsieur Roland Hendrick.
3 – Léon Amé : Étude sur les Tarifs de Douanes et les Traités de Commerce. p. 260.
4 – Les Annales des Douanes : du 3 septembre 1927.
5 – Journal de la formation professionnelle (JFP). N° 42 de 1954. p. 14.
6 – Duverger : op. cit. p. 460.
7 – Jean Tulard : article sur l’uniforme dans Dictionnaire Napoléon.
8 – Lettre écrite par Ferrier, redevenu directeur à Dunkerque à l’Administration et retrouvée par Duverger : op. cit. p. 614.
9 – Jean Clinquart : Origine et ambiguïté de fa création du corps militaire des douanes. p. 343.
10 – Correspondance de Dubois- Aymé,citée par Jean Clinquart : op. cit. p. 346. page 33
11 – JFP : Chronique du temps passé. N°42 de 1954.
12 – Bonvarlet : op. cit. p. 14.
13 – J FP op. cit. N° 42. de 1954. p. 15.
14 – Duverger : op. cit. p. 460.
15 – Jean Clinquart : op. cit. p. 351.

 

 

Cahiers d’histoire des douanes et droits indirects

 

N° 29 – 1er semestre 2004

 

 

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