Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
Faut-il ressusciter l’inspection générale des douanes ?
Dans son ouvrage consacré à l’histoire de l’administration des douanes en France de 1914 à 1940, Jean Clinquart, ancien directeur et receveur régional des douanes, évoque les réflexions qui ont conduit les dirigeants politiques à s’interroger, durant l’entre-deux guerres, sur la nécessité de faire réapparaître une « inspection générale » douanière.
Nous livrons ici un extrait de l’ouvrage passionnant, édité par le comité pour l’histoire économique et financière de la France, en partenariat avec notre association (NDLR).
Il n’est pas inintéressant d’évoquer, même s’il s’agit d’une affaire sans lendemain, une proposition de loi que deux députés déposèrent en 1925 et qui visait à réduire les attributions de l’Inspection générale des finances en dotant les régies financières de services spéciaux d’inspection. Renvoyée en commission, cette proposition fut enterrée (note de bas de page : proposition de loi déposée par Barthe et Félix, députés). [….]
La Douane ne se consola jamais totalement de la disparition de son corps spécial d’inspection, encore qu’il soit difficile d’affirmer que ces regrets aient été largement répandus au sein du service.
En tout cas, dans son ouvrage paru en 1858, La Douane française, Théodore Duverger, représentant respecté d’une dynastie d’employés supérieurs des fermes, puis des douanes, consacra un long développement à la question, affirmant que le rétablissement de l’Inspection générale des douanes était indispensable. La même proposition fut faite, en 1875, par Fernand Cleach, auteur d’un opuscule intitulé Le personnel des douanes, qui fut fort apprécié à l’époque.
Dans des mémoires longtemps inédits, mais récemment publiés, Jean Paloc, directeur des douanes entre 1889 et 1904 (Souvenirs d’un directeur des Douanes 1855-1904), exprima un avis identique, et les Annales des douanes évoquèrent le sujet avec sympathie en 1917 et 1918, en se faisant l’écho des suggestions de divers correspondants. Il semble que la Direction générale ait été peu encline, après 1831, à proposer au ministre la reconstitution de l’Inspection générale; sans doute hésitait-elle à présenter un projet dont les chances d’être pris en considération étaient très faibles, sinon nulles.
Les Annales des douanes, au demeurant, ne se firent aucune illusion sur le sort réservé à l’initiative parlementaire de 1925 qui, écrivirent-elles, « ne nous paraît pas avoir de grandes chances d’aboutir ».
Il est curieux de constater que l’argumentation exposée par les auteurs de la proposition de loi se trouvait déjà développée dans le livre de Duverger : « Le contrôle ne peut … être exercé d’une manière absolue et par conséquent efficace » que moyennant « deux conditions : le temps et la connaissance très approfondie (du) service (contrôlé), de ses rouages, de leur influence réciproque »; or, affirmait-on, cette double condition, l’Inspection générale des finances ne pouvait la remplir.
Au cours des années trente, l’attitude de la direction générale des Douanes évolua. C’est à Pierre Chaudun que l’on doit ce changement. En 1933, dans ses propositions budgétaires pour 1934, il fit ressortir la nécessité de renforcer le « contrôle effectif sur le terrain » en créant, à côté d’emplois supplémentaires d’inspecteurs, trois « contrôleurs généraux ».
Cette proposition ne fut pas retenue mais Chaudun la renouvela lors de la préparation des budgets de 1935 et 1936. A la fin de 1935, en exposant au ministre les mesures que lui semblait justifier la récente découverte d’une importante affaire de corruption au Havre, le directeur général rappela ses demandes antérieures de renforcement du corps de contrôle en leur imprimant un caractère nouveau; il préconisa, en effet, la résurrection de l’Inspection générale des douanes : « les directeurs régionaux, écrivit-il, sont pratiquement astreints à venir périodiquement – tous les deux mois environ – à l’administration centrale pour maintenir le contact étroit désirable pour assurer la bonne marche du service.
J’ai observé que les visites du directeur général ou de ses collaborateurs immédiats auprès des services départementaux produisaient un excellent effet moral (…) Mais ces voyages… ne peuvent être aussi fréquents qu’ils seraient désirables, faute de temps et, il faut l’avouer, faute aussi de moyens pécuniaires, étant donné l’insuffisance de l’indemnité de déplacement (70 francs par jour environ) et l’absence de tous frais de représentation. Cependant, l’utilité de ces visites ou inspections est incontestable et produit, tant sur le personnel que sur les usagers de la région, un effet moral certain.
J’estime qu’il serait utile de créer deux postes d’inspecteurs généraux, collaborateurs immédiats du directeur général, hiérarchiquement placés entre le directeur général et les administrateurs, qui auraient pour mission d’inspecter périodiquement toutes les directions, de se rendre sur place lorsqu’un incident s’est produit ou est à craindre, et d’assurer une liaison plus étroite encore avec la direction générale.
Ces créations d’emplois ont été demandées à diverses reprises; elles ont toujours été écartées; elles ne sauraient cependant, à mon avis, faire double emploi avec l’Inspection générale des finances. Deux postes seraient suffisants; la dépense, pour le Trésor, ne serait pas très lourde ».
La demande de Chaudun n’eut pas de suite, mais lors de la préparation du budget de 1937, le directeur général récemment nommé, Louis Hyon proposa la création de deux emplois de « contrôleurs généraux » destinés à être les missi dominici du chef de l’administration, et il réussit à faire inscrire cette innovation dans le projet gouvernemental. En première lecture, les députés n’acceptèrent que la création d’un seul poste de contrôleur général et les sénateurs, plus réservés encore, ne se laissèrent pas convaincre de l’opportunité de la mesure. Le texte finalement voté par le Parlement n’en fit plus mention.
L’année suivante, le directeur général renouvela sa demande qu’appuya la direction du Personnel du ministère dont un rapport interne releva que la proposition « paraissait répondre à un besoin ». Cette fois, le projet gouvernemental ne reprit pas la suggestion de la Douane et il ne fut plus question de contrôleurs généraux, et a fortiori des inspecteurs généraux (Note n°4302 du 3 octobre 1935 (Cabinet) adressée au ministre par le directeur général des Douanes).