Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Epilogue : La révolution de 1993 d’un ministre à l’autre…

Mis en ligne le 1 novembre 2023

Etalé dans la durée, ce que l’on a appelé « le grand virage de 1993 » n’a pas été qu’un long fleuve tranquille. « L’échéance » se profile déjà à l’horizon dès 1986 avec la signature de l’Acte Unique et s’imprègne dans les esprits des autorités de tutelle, des personnels des douanes et du monde des transitaires.

 

Le choc de l’annonce de la suppression des frontières sera suivi d’une longue phase de préparation, émaillée de mouvements sociaux (notamment en 1989) et ponctuée par la mise en œuvre progressive des mesures de démantèlement et de fermetures de sites.

 

Au lendemain de la date fatidique, à l’heure d’un premier bilan, l’institution douanière a su relever le défi : la gestion de la réorganisation de son dispositif semble avoir convaincu et les résultats sont là.

 

Trente ans après, il nous a paru intéressant de mettre en perspective, sous le titre  » La révolution de 1993 d’un ministre à l’autre… »,  les discours des ministres concernés « avant l’échéance » et « après le grand jour ».

 


 

Avant 1993

Douanes Informations – Décembre 1988
N° 61
Extraits de l’intervention de Michel Charasse, Ministre délégué
(Ecole Nationale des Douanes – Neuilly : 27 septembre 1988) 

 

Michel Charasse  à la sortie de la réunion des directeurs – à ses côtés Jean Weber, directeur général.

 

« Je suis venu vous dire : Non, la Douane n’est pas morte, parce qu’il est dans la nature des choses qu’elle ne meure pas…

 

La contrainte majeure, c’est l’Europe, ou plus exactement la conséquence de l’Europe qui est la suppression des frontières intérieures dans le cadre de la Communauté. C’est une volonté qui a été affirmée à maintes reprises par le Président de la République et le Gouvernement, quel que soit d’ailleurs le Gouvernement…

 

Tous les services de l’Etat doivent se mobiliser pour réussir l’Acte unique et l’échéance de 1993. La Douane est particulièrement impliquée dans cette affaire, parce que la suppression des frontières, c’est-à-dire la libre circulation des hommes, des capitaux et des biens, la concerne au premier chef..

 

D’abord, il y a et il y aura toujours du trafic commercial à traiter, ne serait-ce que celui qui va et qui vient des pays tiers extérieurs à la Communauté Européenne. La France souhaite une politique commerciale active vis-à-vis des pays tiers, les Etats-Unis et le Japon. La Douane doit mettre en œuvre en France, comme ailleurs dans la Communauté, le tarif extérieur commun, les contingents, les règles d’origine et les dispositions anti-dumping. Certains contrôles vont avoir une importance nouvelle, en particulier pour l’application de dispositions communautaires : je pense à la lutte contre les contrefaçons, qui provoqueraient, dit-on, déjà plus de cinq milliards de perte chaque année pour l’économie nationale, et les textes nombreux et qui le seront plus encore dans le cadre communautaire, concernant la protection du consommateur.

 

Je crois que pour bien préparer l’avenir, il faut y penser dès maintenant… Je ne vois pas comment nous pourrons nous passer demain, nous Français, mais il en est de même pour nos partenaires, des statistiques du commerce extérieur. Même si nous appartenons tous à la Communauté, chaque pays devra quand même conduire de façon autonome sa politique économique…

 

La surveillance générale de nos frontières restera de même nécessaire pour celles des tâches d’ordre public qui nous incombent : il y a d’abord la lutte contre la drogue puisque plus de la moitié des quantités saisies le sont sur des frontières intra-communautaires ; je voudrais, à ce sujet, saluer tout particulièrement à travers vous les efforts et les réussites de nos agents, puisqu’il ne se passe pas de jour sans que votre Directeur Général ne me donne des nouvelles de nouveaux succès : les quantités saisies sont de plus en plus importantes, les saisies se font souvent dans des conditions de plus en plus difficiles, voire dangereuses ; et je n’imagine pas qu’un jour la Nation puisse se priver de l’apport que constitue le service des Douanes à la protection très particulière dans ce domaine de la santé publique en général et de la jeunesse en particulier. On peut en dire tout autant du trafic des armes, même si ses effets sont différents. Il en est de même du contrôle de l’immigration tant que nous aurons des textes, et je n’imagine pas qu’ils puissent être tous supprimés…

 

Il  faut qu’on franchisse désormais les frontières de la Communauté comme on franchit les frontières d’un département… Exception faite, bien entendu, des frontières aériennes et maritimes qu’il n’est pas question de dégarnir, puisqu’on y contrôle des personnes et des marchandises en provenance des pays tiers : il faudra au contraire penser à les renforcer si cela est nécessaire, pour tenir compte de l’ouverture de nouvelles plateformes, comme c’est le cas à Roissy.

 

Je n’aime pas beaucoup annoncer des chiffres à l’avance, car je ne crois pas aux prévisions chiffrées. De plus, nous ne savons pas si, d’ici 1993, la Communauté ne nous imposera pas un certain nombre de tâches auxquelles on ne pense pas à l’heure actuelle ; devant la lenteur avec laquelle nos partenaires envisagent le redéploiement de leurs forces douanières, rien ne nous dit que la Communauté n’en profitera pas pour dire : puisqu’ils sont là, utilisons-les à faire autre chose. Les données chiffrées que je vais citer valent donc sous toutes réserves, mais je pense que l’objectif d’un retrait des frontières intra-communautaires exige ou peut exiger une réduction globale de 1500 emplois d’ici au 31 décembre 1992, par tranches programmées de 300 à 400 par an, c’est-à-dire légères et obtenues par non renouvellement de départs à la retraite équivalents…

 

Mais les tâches dont je vous ai parlé demeurent, ce qui veut dire qu’elles seront toujours effectuées, mais ailleurs qu’aux postes frontières… Se replier d’une façon ordonnée sur des positions préparées à l’avance, c’est la phrase… que j’emploie aujourd’hui lorsque je programme la réorganisation.

 

Il y aura des conséquences pour les personnels, mais vous n’imaginez pas, me connaissant, que je ne les prenne pas en compte suffisamment à l’avance, afin que les hommes et les femmes qui seront concernés par ce retrait en soient prévenus suffisamment tôt. Ces conséquences, il faut les analyser sérieusement et de ce point de vue, Mesdames et Messieurs les Directeurs, ce n’est pas à Paris, mais c’est de chez vous, de vos directions régionales, de vos services locaux, de vos bureaux les plus modestes que doivent partir un certain nombre d’observations sur ce repli ordonné…

 

Cela implique aussi la nécessité de doter vos brigades, qui passeront d’un travail statique à une plus grande mobilité, des moyens nécessaires, notamment en automobiles, en motos modernes… C’est pourquoi nous avons programmé dès cette année un effort important dans le budget 89, en ce qui concerne la rénovation et l’acquisition des matériels.

 

Enfin, les personnels devront être étroitement associés à cette réorganisation. J’ai visité un certain nombre de postes pendant les vacances, même à titre personnel. Il est vrai que beaucoup d’agents s’interrogent, ce qui est normal. Il a circulé tellement de bruits contradictoires qu’il est normal qu’ils se demandent ce qu’ils vont devenir…

 

II faudra donc nous concerter, vous concerter localement, nous concerter nationalement avec les personnels sur les nouvelles implantations, sur les nouveaux effectifs, sur la formation, sur l’équipement des services. La concertation déjà engagée entre la Direction Générale et les organisations syndicales doit reprendre, s’accélérer, s’établir sur de nouvelles bases… Je souhaite que cette première série de réflexions soit achevée au plus tard le 31 mars 1989, de façon à avoir un temps suffisant pour programmer en douceur le passage du régime actuel au régime nouveau et pour donner le temps à tous ceux qui devront l’être, de se former à d’autres tâches, afin que nous soyons opérationnels au 1er janvier 1993, sans problème, sans difficulté, sans renoncement, sans tristesse et sans malheur..

 

Vous l’avez compris, cette transition vers le Grand Marché Intérieur est un petit peu compliquée, mais c’est un grand bouleversement pour tout le monde, pas seulement pour les douaniers. Pour une administration comme la nôtre, il faut revenir sur certaines longues traditions, tout en gardant les traditions profondes de ce corps qui visent avant tout à protéger la vie nationale. Je sais qu’il y aura des conséquences quelque fois profondes pour quelques uns, mais nous serions criminels de ne pas les prendre en compte.

 

L’Europe ne peut pas se traduire par le bonheur pour le plus grand nombre et le malheur de quelques uns, fussent-ils peu nombreux.

 

Alors je vous demande de m’aider à affronter cette période avec courage et détermination, en déployant partout un réel sens du dialogue ».

 

Michel Charasse

 


 

Au lendemain du 1er janvier 1993…

 

1993

Nicolas Sarkozy à son arrivée de la réunion des directeurs à l’END de Neuilly en juin 1993- à ses côtés Jean-Dominique Comolli, directeur général

 

1994

 

« La Douane a des missions de collecte des recettes fiscales, de surveillance des échanges commerciaux, de contrôle et de sécurité des personnes » : c’est en ces termes que le 14 février 1994, Nicolas Sarkozy, ministre du Budget et porte-parole du gouvernement, ouvrait à Bercy avec Jean-Luc Vialla, directeur général des douanes et droits indirects, la conférence de presse sur le premier bilan de l’activité des douanes en 1993, un an après la mise en œuvre du Marché unique.

 

Cette année-là, l’activité douanière avait assuré 18% des recettes fiscales du budget de l’Etat, 80% des saisies de drogue réalisées en France et 50% des contrôles sur les flux migratoires aux frontières.

 

A cette occasion, le ministre du Budget avait  souligné l’excellence de ces résultats : 

 

« J’ai d’autant plus confiance dans les capacités de la Douane, que les résultats de son action sont pour l’année 1993 particulièrement dignes d’éloges. Ils montrent la capacité de cette administration à s’adapter à un nouvel environnement économique ».

 

Nicolas Sarkozy le 21 juin 1994 lors d’une opération de destruction de marchandises de contrefaçons à Orly – à ses côtés, Jean-Luc Vialla, directeur général

 

En 1995, à l’issue de la présentation du bilan annuel de l’activité des douanes, le journal Libération rapporte dans son édition du 11 février : « Nicolas Sarkozy satisfait du bilan 1994 de l’activité douanière » en citant le ministre :

 

« Si, avec l’instauration du Marché unique européen, on a pu se poser des questions sur l’utilité des douaniers, cette étape est aujourd’hui dépassée » .

 

 

 

L’ouverture des frontières consécutive à la mise en place du Grand Marché Unique fut en effet un véritable électrochoc pour la douane. Son activité traditionnelle aux frontières, bien que remaniée depuis les années 1950, devenue caduque aux limites intracommunautaires, a dû être complètement redéployée. 

 

La réorganisation des services et des personnels fut sans aucun doute considérable. 

 

C’est également dans ce contexte que s’est opérée l’intégration des contributions indirectes à la douane. Le transfert de ces missions, assurées jusqu’alors par la direction des impôts, fut l’occasion d’une large rénovation, car beaucoup de procédures dataient de l’époque napoléonienne ! 

 

C’est dans un article des Cahiers de la sécurité intérieure (*) que Jean-Luc Vialla, Directeur général des Douanes et Droits Indirects (1993-1996) pouvait, en 1995  « affirmer, pour conclure, que la Douane administre la preuve, depuis sa création, il y a plus de deux cents ans, d’une constante capacité d’adaptation aux situations nouvelles auxquelles elle s’est trouvée confrontée.

 

Il est sûr, à ce titre, que l’ouverture du Marché unique a constitué, pour cette administration et ses agents, un défi majeur qu’ils ont su relever en raison principalement d’une « culture maison » forte et fédératrice mais aussi d’une anticipation réaliste des implications, en terme de méthodes de travail notamment, de cet évènementL’exercice des nouvelles missions qui lui ont été confiées depuis la réalisation du marché unique, a résolument, et sans doute durablement, marqué son évolution » .

 

Patrick Deunet

Renata Pstrag

 


 

Notes:

 

(*) Article intitulé  » Le métier de douanier et le Marché Unique  » publié dans  Les Cahiers de la sécurité intérieure, n° 19 du 1er trimestre 1995 (IHESI) 

 


 

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