Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
Chansons de contrebandiers
Dans un ouvrage qui parut en 1870 et dont nos lecteurs trouveront un extrait dans la rubrique « Pêle-Mêle », J. Tissot, doyen de la Faculté des Lettres de Dijon, évoque l’intense contrebande du début du XIXème siècle, au temps « du blocus continental et du régime prohibitif sous toutes ses formes ».
« C’est à cette époque, ajoute-t- il, que l’esprit de contrebande, exalté par l’appât des avantages matériels, par la résolution de braver les dangers de ce qu’on appelait le métier, donna naissance à quelques chansons d’une inspiration médiocrement morale et d’un goût poétique facile à concevoir. Nous donnerons une de ces productions comme échantillon du genre : c’est un chef de bande qui s’adresse à ses hommes, leur rappelle leurs anciens exploits, et les engage à la révolte en cas de rencontre.
Cette chanson est un fonds commun à toutes nos lignes de douanes dans le canton de Pontarlier ; chaque localité se l’est appropriée par quelques additions ou quelque autre changement.
Un de nos amis a rimé, en l’altérant le moins possible, le fonds de celle qui se chantait aux Fourgs, sans trop de scrupule dans l’observation des règles de l’art, afin de laisser à ce fragment une physionomie d’autant plus locale. »
Nous reproduisons ici la chanson des contrebandiers des Fourgs, et, pour faire bonne mesure, on y a ajouté, avec une très belle illustration extraite d’une édition ancienne, une autre chanson, non moins « médiocrement morale », pour reprendre l’expression de J. Tissot, et due à la plume de Béranger.
En présentant le chant de guerre des fraudeurs franc-comtois, J. Tissot a cru devoir souligner qu’il lui paraissait « à peine nécessaire de faire remarquer ce qu’il y a d’antisocial et de condamnable dans cet esprit de rébellion contre la force publique ».
Faut-il préciser que la rédaction des Cahiers ne peut que s’associer rétrospectivement à cette pertinente observation ?
NDLR Cahiers (1989)
LA CHANSON DES CONTREBANDIERS DES FOURGS
Salut vaillants contrebandiers !
A cheval ! et narguons les douaniers !
La fortune est propice aux braves.
Soyons hardis ! et plus d’entraves !
Souvenez-vous de vos exploits.
Dans votre force sont vos droits.
Qu’une trop longue tyrannie
Du milieu de nous soit bannie.
Rappelez-vous ce beau matin
Où, chargés de notre butin,
Un brigadier avec sa bande
Nous crie : « A bas la contrebande ! »
« Amis, qu’on s’arrête un instant !
« Personne encor ne nous attend.
« Venus seuls a votre rencontre,
« Nous voulons que tout on nous montre. »
A quoi nous disons sans détours :
« Tissus anglais, très beaux velours.
« Vous n’en aurez pas davantage.
« Nous poursuivons notre voyage. »
« Gare, repond-il, la prison !
« Obéir, voila la raison.
« A « bas les ballots ; qu’on les ouvre ;
« Surtout qu’on ne passe pas outre. »
Aussitôt, montrant son bâton,
B….. reprend d’un autre ton :
« A la menace de nous prendre,
« Nous avons de quoi nous défendre. »
A l’instant ballots sont jetés
Et tous les bâtons agités.
Sabres et triques se répondent ;
Dru comme grêle les coups tombent.
Les nôtres, enfin les plus forts,
Laissent quelques douaniers pour morts,
Font aux autres prendre la fuite.
Eux-mêmes s’échappent bien vite.
Ceux qui sont blessés ou meurtris,
Tout contents de n’être pas pris,
Dans quelque coin traînent leur charge,
Et reprennent tout doux leur marche.
La victoire ainsi fut a nous.
Elle serait encor pour vous
Si les gros bonnets de la douane
Nous envoyaient une brigade.
LES CONTREBANDIERS
Gravure accompagnant la chanson « Les contrebandiers » de Bérenger
(Air: cette chaumière là vaut un palais)
Malheur ! malheur aux commis!
A nous bonheur et richesse!
Le peuple à nous s’intéresse:
Il est de nos amis.
Oui, le peuple est partout de nos amis;
Oui, le peuple est partout, partout de nos amis.
Il est minuit. Çà, qu’on me suive,
Hommes, pacotille et mulets.
Marchons, attentifs au qui-vive.
Armons fusils et pistolets.
Les douaniers sont en nombre;
Mais le plomb n’est pas cher ;
Et l’on sait que dans l’ombre
Nos balles verront clair.
Malheur! malheur aux commis!
A nous bonheur et richesse !
Le peuple à nous s’intéresse :
Il est de nos amis.
Oui, le peuple est partout de nos amis;
Oui, le peuple est partout, partout de nos amis.
Camarades, la noble vie!
Que de hauts faits à publier !
Combien notre belle est ravie
Quand l’or pleut dans son tablier
Château, maison, cabane,
Nous sont ouverts partout.
Si la loi nous condamne,
Le peuple nous absent.
Malheur ! malheur aux commis ! A nous bonheur et richesse!
Le peuple à nous s’intéresse :
Il est de nos amis.
Oui, le peuple est partout de nos amis;
Oui, le peuple est partout, partout de nos amis,
Bravant neige, froid, pluie, orage,
Au bruit des torrents nous dormons.
Ah! qu’on aspire de courage.
Dans l’air pur du sommet des monts !
Cimes à nous connues,
Cent fois vous nous voyez
La tète dans les nues
Et la mort sous nos pieds.
Malheur ! malheur aux commis!
A nous bonheur et richesse !
Le peuple à nous s’intéresse :
Il est de nos amis.
Oui, le peuple est partout de nos amis;
Oui, le peuple est partout, partout de nos amis.
Aux échanges l’homme s’exerce;
Mais l’impôt barre les chemins.
Passons : c’est nous qui du commerce
Tiendrons la balance en nos mains.
Partout la Providence
Veut, en nous protégeant,
Niveler l’abondance,
Éparpiller l’argent.
Malheur ! malheur aux commis!
A nous bonheur et richesse!
Le peuple à nous s’intéresse
Il est de nos amis.
Oui, le peuple est partout de nos amis;
Oui, le peuple est partout, partout de nos amis.
Nos gouvernants, pris de vertige,
Des biens du ciel triplant le taux,
Font mourir le fruit sur sa tige,
Du travail brisent les marteaux.
Pour qu’au loin il abreuve
Le sol et l’habitant,
Le bon Dieu crée un fleuve…
Il s’en font un étang.
Malheur ! malheur aux commis!
A nous bonheur et richesse.
Le peuple à nous s’intéresse :
Il est de nos amis.
Oui, le peuple est partout de nos amis;
Oui, le peuple est partout, partout de nos amis.
Quoi! l’on veut qu’uni de langage,
Aux mêmes lois longtemps soumis,
Tout peuple qu’un traité partage
Forme deux peuples d’ennemis!
Non! grèse à notre peine.
Ils ne vont pas en vain
Filer la même laine,
Sourire au même vin.
Malheur! malheur aux commis!
A nous bonheur et richesse!.
Le peuple à nous s’intéresse :
Il est de nos amis.
Oui, le peuple est partout de nos amis;
Oui, le peuple est partout, partout de nos amis.
A la frontière où l’oiseau vole,
Rien ne lui dit : Suis d’autres lois.
L’été vient tarir la rigole
Qui sert de limite à deux rois.
Prix du sang qu’ils répandent,
Là, leurs droits sont perçus.
Ces bornes qu’ils défendent,
Nous sautons par-dessus.
Malheur! malheur aux commis !
A nous bonheur et richesse !
Le peuple à nous s’intéresse :
Il est de nos amis.
Oui, le peuple est partout de nos amis;
Oui, le peuple est partout, partout de nos amis.
On nous chante dans nos campagnes,
Nous, dont le fusil redouté,
En frappant l’écho ses montagnes,
Peut réveiller la liberté.
Quand tombe la patrie
Sous des voisins altiers,
Mourante, elle s’écrie :
A moi, contrebandiers !
Malheur! malheur aux commis !
A nous bonheur et richesse !
Le peuple à nous s’intéresse :
Il est de nos amis.
Oui, le peuple est partout de nos amis;
Oui, le peuple est partout, partout de nos amis.
Cahiers d’histoire des douanes et droits indirects
N° 7 – Mars 1989