Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Les douaniers sauveteurs de Boulogne-sur-Mer à la fin du XIXe siècle

Mis en ligne le 1 septembre 2024

 

Les archives de la direction de Boulogne-sur-Mer sont riches d’actes de dévouement et de sauvetage, qu’il s’agisse d’une part de chutes dans le port ou d’échouements de navires, en particulier à proximité du cap Gris-Nez. Ils témoignent aussi des méthodes de sauvetage employées alors par les douaniers des côtes, d’une part en tentant de lancer à bord des navires des lignes de vie (grâce aux «lances-amarres»), dont la généralisation et l’internationalisation était semble-t-il balbutiante, puis d’autre part, selon les circonstances, à se mettre à l’eau et se porter à la rencontre des navires échoués près des côtes.

 

 

Le naufrage de l’Amphitrite en 1833 et le rôle controversé des douaniers

 

 

Il est important d’indiquer que c’est d’ailleurs à Boulogne-sur-Mer, en 1825, qu’émerge la première «Société Humaine de Boulogne», créée sur le modèle de la société anglaise de la «Royal Human Society» de Londres. Cette société a pour mission de recruter des surveillants de baignade et former aux nouvelles techniques de réanimation. Dès 1833, c’est encore à Boulogne-sur-Mer qu’a lieu l’un des premiers grands drames maritimes de l’ère moderne: le naufrage de l’Amphitrite.

 

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La nuit du 31 août 1833, le trois-mâts affrété par le gouvernement britannique doit acheminer vers l’Australie 118 femmes et 23 enfants. Il s’agit de prisonnières, condamnées à l’exil. Selon certaines sources, malgré les efforts désespérés des Boulonnais, freinés par l’interdiction des douaniers de mettre en œuvre un sauvetage forcé contre l’avis de l’équipage anglais, le pire finit par se produire.

 

Selon le site internet de la SNSM: « On ne plaisante pas avec la douane, dont l’attitude aberrante a empêché aux autorités d’organiser le secours à terre. C’est par la force des baïonnettes que les douaniers ont interdit l’accès au rivage aux Boulonnais, manquant de provoquer une émeute, tandis que quatre corps sont déjà recrachés par la Manche sur le rivage…»1
Selon d’autres sources, c’est tout le contraire qui se produit: «Dans cet horrible moment, les marins de la douane et ceux de la Société humaine font preuve d’une activité qu’il est impossible de dépeindre. A mesure que les corps sont apportés, les chirurgiens s’en emparent; on les roule dans des couvertures, on les saigne. Une femme fait un léger mouvement, un sang noir s’échappe de son bras, elle soulève ses paupières, on espère: elle meurt ! […]2

 

C’est suite à ce naufrage qu’est décidée la construction des premiers véritables canots de sauvetage.

 

Un podcast proposé par la SNSM rappelle les conditions de cet échouage catastrophique puisque seuls cinq survivants pourront être dénombrés:

 

 

 

Les douaniers boulonnais, des héros du quotidien pour sauver des vies en mer

 

 

L’énonciation dans l’ouvrage de 1887 consacré aux directions douanières de ces faits est précédé par un rappel sur la dangerosité de la navigation dans ce secteur maritime:

 

«Les côtes sur lesquelles la direction de Boulogne étend son action, sont réputées à juste titre comme dangereuses pour la navigation, qui est fort active dans cette partie de la Manche. Les sinistres y sont très fréquents, aussi n’est-il pas étonnant que les annales de la direction soient riches en actes de dévouement, qui ont souvent valu à leurs auteurs, des récompenses honorifiques de la part du gouvernement français ou de celles des gouvernements étrangers et des Sociétés humanitaires. Bien que nous ne puissions donner qu’une analyse assez brève des faits dont s’enorgueillit à juste titre le service, il suffira à prouver que là, comme partout ailleurs, les agents de la douane ont toujours su mettre leur courage, leur sang-froid, leur dévouement à la hauteur de leurs devoirs et qu’un sacrifice spontané à toujours su répondre à l’imminence du danger».

 

Au travers de ce bref article, les actes du sous-brigadier Paindavoine, de Boulogne, sont apparus éclairants des faits rapportés par les archives de la direction à la fin du XIXe siècle:

 

«Le 19 juin 1878, le sous-brigadier Paindavoine, de Boulogne, a retiré du port un ouvrier qui venait de s’y jeter volontairement. Le maire de Boulogne a décerné à ce sous-officier, au nom de la ville, de chaleureuses félicitations. Le ministre de la Marine lui a, de son côté, décerné une médaille en argent de 2e classe». […]

 

«Le navire norvégien Spekulation a fait côte à Ambleteuse, pendant la tempête du 14 octobre 1881. La hauteur et la violence des lames rendait très difficile l’emploi du porte-amarres. Dans l’eau jusqu’à la ceinture, les servants étaient obligés, à chaque instant, de soulever le canon à force de bras pour le mettre à l’abri de la mer. Cependant, le capitaine de Wissant, M. Tillier, avait réussi, dès le premier coup, à envoyer une ligne à bord du navire.

 

 

(**)

 

 

Mais l’équipage, soit qu’il ne l’eut pas aperçue, soit qu’il en ignorât l’usage, paraissait ne pas songer à s’en servir. C’est alors, qu’au risque d’être emporté par les lames, le sous-brigadier Paindavoine, dont nous avons déjà parlé plus haut, élevant une torche au-dessus de sa tête, s’avança dans l’eau, s’efforçant en vain de faire comprendre aux naufragés le parti qu’ils pouvaient tirer de la ligne. Toutefois, encouragés sans doute par la vue de cet homme dévoué qui s’avançait vers eux, ils mirent à la mer un youyou, relié au navire par une amarre, et dans lequel s’embarquèrent la femme du capitaine et trois hommes. M. Tillier et les autres agents, entrant résolument à l’eau, se portèrent au-devant de l’embarcation dont ils facilitèrent l’atterrissage.

 

Comme l’un des matelots arrivés à terre se disposait à retourner à son bord, Paindavoine n’hésita pas à l’accompagner. C’était une œuvre éminemment périlleuse, car les débris de la mâture formaient autour du navire une redoutable ceinture d’écueils flottants et, en effet, au moment où le brigadier et le matelot atteignaient le trois-mâts et réussissaient à grand peine à se hisser sur le pont, la légère embarcation engagée dans les agrès se remplissait d’eau et ne pouvait plus être d’aucun secours. Mais, grâce à la ligne, lancée dès le début par le capitaine, le brigadier fit établir le va-et-vient et le reste de l’équipage put être débarqué au moyen de la bouée dans laquelle Paindavoine s’embarqua le dernier.

 

 

(***)

 

 

Le Ministre de la Marine a décerné à cet agent une médaille en argent de 1ʳᵉ classe. De son côté, la Société centrale de sauvetage lui a fait remettre une médaille d’or. Cette société a donné, en outre, une médaille en argent au capitaine Tillier, une médaille de bronze au préposé Hue, et des diplômes d’honneur au lieutenant Fourrier, au brigadier Dion, au sous-brigadier Leclerq et aux préposés Fauchoir, Brochent, Duval, Gervois, Lhuillier, Blondel, Ducrocq et Bodau.»

 

 

Arnaud Picard

 

 


 

 

Notes :

 

(1)  Site institutionnel de la SNSM: https://www.snsm.org/lassociation/les-grandes-dates-du-sauvetage-en-mer

 

(2) Naufrages célèbres, Zurcher et Margollé, collection Bibliothèque des merveilles, Éditions Hachette – 1875

 

Illustrations :

 

(*)  Sauvetage : gravure de 1830, dans le domaine public
(**)  Naufrage de l’Amphitrite en 1833 : source Naufrages célèbres, Zurcher et Margollé, collection Bibliothèque des merveilles, Éditions Hachette – 1875
(***)  Wiliam Turner : Disaster at sea (1835) – Tate Britain

 


 

 

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