Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
1968, « Vérif » : la fin d’une époque ?
Quelques mois après l’abolition des droits de douane dans les échanges intra-communautaires intervenue le 1er juillet 1968, la revue professionnelle La Vie de la Douane dresse un premier bilan qu’elle tient à illustrer de divers reportages dans les circonscriptions douanières.
S’agissant des effets induits sur les méthodes de contrôle des marchandises dans les bureaux de douane, elle organise une table ronde réunissant plusieurs vérificateurs au bureau-frontière du Pont de l’Europe afin de recueillir, sous forme de tribune libre, le ressenti des intéressés.
Grande est l’amertume de ceux que l’on surnommait à l’époque les « seigneurs de la visite ».
Avant de révéler leurs réactions, Il convient de rappeler l’aura dont bénéficiait le corps des vérificateurs à une époque où les droits de douane étaient encore perçus dans les échanges entre les six membres de la C.E.E. Au coeur du dispositif du dédouanement, la visite des marchandises était l’apanage des inspecteurs, généralement placés sous l’autorité d’un inspecteur central de visite et secondés, pour les contrôles physiques des marchandises présentées en douane, par plusieurs agents visiteurs issus de la branche surveillance.
La visite, métier noble par excellence accueillait en son sein des inspecteurs tout spécialement formés pour cette fonction. Dès lors qu’ils avaient pu bénéficier de l’expérience nécéssaire, ils se révélaient de véritables orfèvres du dédouanement, en particulier dans le domaine du classement tarifaire. Le » vérif « emportait – il faut l’avouer – sinon l’admiration du moins le respect des inspecteurs nouvellement affectés dans le service et, bien entendu, la déférence sinon la crainte des déclarants en douane.
En réponse à la question posée : « Le « métier » dans le cadre des échanges intracommunautaires qui est désormais le vôtre, n’a-t-il pas perdu de son intérêt ? », les propos recueillis au cours de cette table ronde ne laissent aucun doute sur leur déception. Nous vous proposons de prendre connaissance de leurs commentaires dans l’article dont le titre est sans ambiguïté : « La mort du vérif ».
Ils leur semblent bien loin les fondamentaux hérités des préceptes exigeants de l’Ecole des vérificateurs (1) et des enseignements, à l’aune du sacro-saint Tarif, qui ont marqué des générations de vérificateurs formés « à l’ancienne ». Selon la formule consacrée, le vérif était « maître de sa visite » dans une sphère de contrôle cantonnée à la frontière.
Dure réalité qui apparaît inéluctable à un moment où, de surcroit, l’explosion des échanges commerciaux et le risques d’engorgement des sites de dédouanement aux frontières conduisent l’institution douanière à promouvoir la douane de l’intérieur (2)…
Au centre du débat, on l’a bien compris, l’enjeu est de taille et bel et bien douanier : l’attachement (viscéral) de l’agent des douanes au contrôle physique de la marchandise est en jeu, il y va de l’avenir de la « maison ».
Philippe de Montrémy, directeur général des douanes à ce moment important de l’histoire de la douane française, l’a bien compris. C’est à lui que revient la tâche de sonner le glas d’une facette du métier qu’il convient de remodeler.
Interrogé sur les conséquences de l’abolition des droits de douane dans les échanges intra-communautaires, le chef de l’administration monte au créneau et fait valoir sans détours :
« Certains agents ne l’ont souvent pas compris ; aussi sont-ils tentés de rester à la frontière avec la complicité de certains intermédiaires et, en général, de tous ceux qui ne veulent pas renoncer à leurs habitudes. (…) Nous avions, notamment, une abstention presque complète dans la région parisienne qui fait le tiers des opérations et des recouvrements mais malheureusement pas encore le tiers des effectifs… Par conséquent la crise dans ce domaine ne peut-être dénouée que si l’on est bien conscient que le problème des effectifs est certes lié à une indéniable insuffisance numérique mais aussi à une mauvaise répartition ».
Saisissant au rebond la question du journaliste qui évoque la nécessaire « évolution des mentalités », son verdict tombe :
« Oui – Il faut tuer définitivement le « vieux vérif ». Aujourd’hui, l’inspecteur ne doit plus vouloir tout faire lui-même. Son rôle consiste à vérifier et non à remplir des bordereaux ou apposer des cachets. Il doit être un chef d’équipe ; de même le service doit être mieux doté de machines électroniques ».
Pour conclure, en réponse à la question : « Le douanier de demain verra-t-il encore la marchandise ou sera-t-il uniquement un vérificateur comptable ou un analyste ? », le directeur général se veut rassurant et conforte, non sans humour, l’attachement de l’institution au contrôle physique des marchandises :
« Le jour où les douaniers ne verront plus la marchandise il n’y aura plus de douane et tout le monde devra accepter le risque de manipuler des chiffres faux. Les comptables sont nécessaires, les analystes indispensables mais la qualité de leur travail repose sur la conscience de l’inspecteur de visite et de son équipe qui peut seule vérifier que les mentions portées sur la déclaration correspondent effectivement à la réalité.
Je l’ai souvent répété : si on veut donner à toute force un patron aux douaniers, il ne faudrait pas choisir Saint Matthieu qui était un percepteur mais bien Saint Thomas, le sceptique, qui ne croyait que ce qu’il touchait » (4).
A bon entendeur …
Dans les faits, la visite a continué à vivre sa vie durant de longues années …
Patrick Deunet
Notes:
(1) En 1920 le directeur général Bolley initia le projet de création d’une école des vérificateurs qui vit le jour en 1922 (cf Bulletin d’Information de l’A.H.D. n°81 – Janvier 2020).
(2) La création à l’intérieur du territoire des premiers CRD et des GIR date du tout début des années soixante.
(3) Philippe de Montrémy fût directeur général des douanes de 1958 à 1971.
(4) L’intégralité de l’article est disponible sur ce site: cliquez ici.
(*) Photos A. Pommier (Collection AHAD.
La vie de la Douane
N° 141
1968