Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
Tourcoing, vingt bougies pour l’Ecole Nationale des Douanes
Dans cette édition consacrée à 1993, comment ne pas évoquer un autre anniversaire, celui de la création de l’École Nationale des Douanes de Tourcoing (ENDT) en juillet 2003 ? La pose de la première pierre remonte en effet à 1994, un an après le démantèlement des postes frontières franco-belges, l’année du baptême à Godewaersvelde d’un autre monument du patrimoine nordiste, le géant Henri le douanier.
KM (Coll. privée)
Symbolique, la création de l’ENDT le fut à plus d’un titre, comme en témoignent les vicissitudes du chantier, lancé avant même d’avoir été financé et bénéficiant d’une seconde pose de la première pierre en 1999, l’année de son attribution par concours à l’agence Architecture-Studio (M. Robain, R. Tisnado, JF. Bonne, A. Bretagnolle, RH. Arnaud, LM. Fischer, M. Lehmann, R. Ayache) en association avec Paindavoine-Parmentier. C’est sur ces deux premières pierres, et quelques briques rappelant le contexte architectural local, ainsi que les matériaux choisis par le cabinet d’architectes dunkerquois de l’école de Neuilly-sur-Seine, que la douane allait réinventer sa présence au carrefour de l’Europe du Nord, s’éloignant de la banlieue parisienne pour côtoyer les marges bruxelloises du pouvoir européen et de la coopération internationale, sièges de la Commission européenne et de l’Organisation Mondiale des Douanes.
Source : DGDDI-DNRFP
À l’occasion des noces de porcelaine entre la formation douanière et le Nord, on peut voir dans la publication de ces bans le symbole de l’apprentissage d’une Europe sans frontières sur les bancs de la libre circulation des marchandises, substituant les contrôles dynamiques aux aubettes, les axes à la ligne, les colonnes garance de l’ENDT aux murs rouges de l’END Neuilly. Si, comme l’écrivait Albert Laot, la seconde « est indirectement la fille des accords de Genève et du Gatt », la première s’inscrit indiscutablement dans la lignée des traités de Rome et de Maastricht.
Tourcoing – Hôpital Civil, rue Nationale / La façade de l’hôpital civil, 1891-1895, rue Nationale, Premier quart du XXe siècle.
Photographie reproduite avec l’aimable autorisation du Centre d’Histoire Locale de Tourcoing.
En guise de mythe fondateur, l’ENDT repose sur le terrain de l’ancien hôpital civil détruit en 1988, qui était initialement destiné à la construction d’une maison de retraite, le long de l’ancien cimetière central de Tourcoing transformé en jardin public en 1931 et rebaptisé « parc Clemenceau » en 1965. Curieux auspices pour une douane sans frontière qui refusait qu’on lui fende l’oreille, les douze étoiles du drapeau européen surplombant le portique de l’ENDT aux côtés du tricolore valant bien les douze vautours aperçus par Romulus sur la colline du Palatin. Juste retour des choses après tout, puisque Albert Camus avait transformé une caserne des douanes en infirmerie dans La Peste (1947). Une école qui a vu naître plusieurs promotions de gabelous, et qui honore la mémoire, à l’occasion de ce 20e anniversaire, des douaniers tourquennois morts pour la France, dont le recensement a été réalisé notamment avec le soutien de l’AHAD et de plusieurs associations.
Source : DGDDI-DNRFP KM (Coll. privée)
Le chemin des écoliers débute pour les aspirants gabelous dès l’arrivée à la station de métro Colbert, père de la douane moderne, se poursuit avec la descente de l’avenue Jean Millet, célèbre peintre normand des « falaises de Gréville » et de son mystérieux personnage allongé sur le sentier des douaniers (Cf Millet et le douanier), pour atteindre, face aux portes de l’ENDT, le monument de la bataille de Tourcoing commémorant l’une des plus grandes batailles de l’histoire de France inscrite sur l’Arc de Triomphe. La « rue de la Fin de la Guerre » longeant la résidence des stagiaires n’évoque pourtant ni cette bataille ni aucun conflit particulier, le mot « fin » désignant en réalité la « limite entre deux territoires », mais rappelle la vocation frontalière de la ville de Tourcoing, sinon depuis la nuit des temps, du moins l’aube des aubettes. Sa parallèle, la rue nationale, a vu son nom, comme celui de la douane, évoluer au gré des régimes politiques « rue / douanes impériale(s), rue / douanes royale(s) », symbolisant par son tracé rectiligne, unique à Tourcoing, la continuité de l’État.
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Officiellement inauguré le 31 mai 2006, l’amphithéâtre de l’ENDT porte le nom de Maurice Schumann (1911-1998), député du Nord à neuf reprises, Ministre d’Etat et académicien, dont les murs furent initialement peints en « vert finances » rappelant la teinte du premier uniforme douanier sans dépareiller avec celui des immortels de la Coupole, avant de se fondre dans l’esthétique « garance » du bâtiment durant l’été 2017. Il a souvent été dit de Maurice Schumann qu’il était « le plus européen des gaullistes et le plus gaulliste des Européens », tout comme la douane apparaît désormais comme la plus régalienne des administrations européennes.
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En somme l’histoire d’une réinvention au sein de l’univers en cours de formation représenté par l’œuvre d’Aki Kuroda, beau symbole de l’enseignement douanier dans le hall de l’ENDT.
Kevin Mills