Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

La grande douane impériale

Mis en ligne le 1 mai 2021

Grâce à l’aimable autorisation de l’auteur, Raphaël Schneider, nous reproduisons ci-dessous un extrait du chapitre de son ouvrage  » La douane française au combat  » (2020) consacré à la douane du temps de L’Empire sous le titre « La grande douane impériale ».

L’équipe de rédaction

 


La période du Premier Empire est en effet une sorte d’apogée pour la douane française , tant dans ses effectifs, l’immensité de son terrain d’action, l’étendue de ses pouvoirs que pour l’action primordiale qu’elle tient dans la politique de l’Empereur. De 12 500 hommes en 1801, les effectifs atteindront 35 500 douaniers en 1812! Ce sont principalement d’anciens soldats et des éléments recrutés sur place, pas toujours recommandables mais terriblement efficaces dans la sourde guerre contre la contrebande.

 

Au début de cette époque, à l’instar de toute l’administration française, la Régie est réorganisée et tout est remis en ordre. Un arrêté du 14 février 1800 fixe enfin la tenue d’uniforme du service de la surveillance, avec le fameux habit vert qui accompagnera pendant quelques décennies les préposés, et qui contribue encore à conférer aux gabelous un statut paramilitaire. Fait primordial, Bonaparte décide de concentrer l’autorité entre les mains d’un seul directeur général, assisté d’un conseil d’administration. Le Premier Empire en comprendra deux, le comte Jean-Baptiste Collin de Sussy et François Ferrier.

 

L’accroissement exponentiel de l’Empire français avec ses 130 départements, la mise en place de royaumes vassaux et la politique de rigueur issue du Blocus continental demandent à la douane un important effort d’adaptation, de recrutement et de translation des lignes, avec pour corollaire une lutte accrue contre une contrebande qui atteindra de proportions inimaginables , mettant en jeu des sommes immenses, faisant vivre des dizaines de milliers de personnes à travers toute l’Europe et emportant Napoléon dans une politique annexionniste qui emmènera la chute finale.


Après les implantations dans des régions de plus en plus lointaines, de Dantzig à Rome, de Barcelone à l’Illyrie, les préposés doivent faire face à partir de 1813 à la menace des armées coalisées et se transforment de plus en pus souvent en soldats. Reculant en combattant, les agents de la douane se retrouvent dans les rangs de l’armée régulière, participant aussi bien à des batailles en rase campagne qu’aux nombreux sièges émaillant la fin de l’aventure du « Petit Caporal ». De Hambourg à Belfort, en passant par Thionville, Huningue ou encore Briançon, ils font preuve de courage et de professionnalisme, recevant félicitations et remerciements de la part de leurs généraux. Des bords de l’Elbe aux rives du Tibre, les douaniers servent aux côtés des corps de troupe, forgeant durant ces combats leurs premières traditions d’honneur.

 

Bien qu’ils relèvent de l’autorité du ministre du Commerce et qu’il soit interdit aux chefs militaires de les réquisitionner, les douaniers ne pouvaient en effet échapper à leur devoir et contribuèrent dignement à la défense de l’Empire, principalement de 1813 à 1815. Servant généralement d’infanterie légère, ils assumaient principalement le rôle essentiel de reconnaissance que leur conférai leur parfaite connaissance d’un terrain qu’ils avaient tellement parcouru à la recherche de contrebandiers.

 

 

Napoléon soulignera la valeur de ses douaniers-soldats en les surnommant ses « chasseurs verts ». La reconnaissance suprême interviendra en mars 1814 en pleine campagne de France, lorsque Napoléon 1er demandera au directeur général de lui envoyer deux ou trois bataillons de douaniers pour servir de réserve à l’élite de la Grande Armée, la Vieille garde!

 

Une administration civile ou militaire?

 

Etant une des plus importantes institutions du régime napoléonien , la douane est l’objet de soins réguliers et d’attentions nombreuses de la part du Premier Consul puis du monarque, ainsi que le souligne Boucher de Perthes: « Quand il s’agit de la douane, l’Empereur veut tout savoir et s’adresse aux petits comme aux grands ». D’ailleurs, celui-ci apporte un soutien puissant et constant à l’oeuvre colossale de cette administration. Par exemple, le 20 septembre 1810, il écrit à Lebrun, envoyé en mission en Hollande après l’abdication du roi Louis Bonaparte: « Je suis loin d’approuver votre conduite. Avez vous bien fait de faire arrêter un douanier qui a été blessé en faisant son devoir? Il faut partir de ce principe que les douaniers doivent être soutenus. Il serait affreux pour ces hommes et déshonorant pour l’administration qu’elle les abandonnât » (*) Annales des douanes, 1921, page 109

 

Nul ne doit pouvoir échapper aux lois fiscales et certains l’apprennent à leurs dépens. Ainsi le général Soulès fait halte à Dantzig avec sa division après la rude campagne de 1809. C’est alors qu’il reçoit la visite du directeur des douanes qui lui demande à quelle heure il souhaite que les gabelous inspectent ses caissons, comme cela est la loi. La réponse du bouillant guerrier ne se fait pas attendre: « Si un de vos subordonnés ose y porter la main, lui et ses hommes seront jetés dans la Vistule! ». 

 

Bien entendu, le haut-fonctionnaire des douanes n’envoie pas ses agents faire leur travail, mais un rapport circonstancié arrive entre es mains de Napoléon. Celui-ci, pour une fois, n’ose pas châtié ce héros du conflit qui vient de se terminer, mais le fait appeler et lui dit:« Tu sais, en récompense de ta belle conduite à la guerre, je te nomme sénateur; mais j’ai aussi appris ton histoire avec la douane. Je te pardonne pour cette fois . Si tu t’avises de recommencer, je te ferai fusiller. »

 

On ne badine pas avec les règlements douaniers!

 

C’est d’ailleurs le non respect des directives concernant le Blocus continental qui entraîne l’abdication de Louis Bonaparte, roi de Hollande, et le rattachement des Pays-Bas à l’Empire, mais aussi la rupture avec Bernadotte, devenu prince héritier de Suède, et surtout la fin des bonnes relations avec la Russie tsariste.

 

Le 29 fructidor an IX (16 septembre 1801), les consuls créent par décret la Direction Générale des douanes. Elle dépend au début du ministère des finances pour la comptabilité et la perception des droits et de celui de l’intérieur pour la réglementation, le personnel, le commerce des grains et le tarif.

 

Le premier directeur général est un fidèle de chez les fidèles, ancien préfet et ex-régisseur: Jean-Baptiste Collin. Il est assisté de quatre administrateurs dont trois anciens régisseurs, Magnien, Charlon et Delapierre, le dernier étant Dubois, ancien directeur à Genève.

 

Cette administration est installée à l’hôtel d’Uzès, rue Montmartre. Ce sont près d’une centaine de personnes qui finissent par y travailler dès 1805. Collin peut compter sur quatre inspecteurs généraux qui sont chargés de contrôler les brigades et bureaux sur le terrain et d’un secrétaire général. Viennent ensuite des chefs de bureau, des chefs de division, des sous-chefs, des rédacteurs, des premiers commis, des commis principaux, des commis d’ordre et commis d’expédition et même des deuxièmes, troisièmes et quatrièmes commis.

Les emplois supérieurs dans les directions comprennent des directeurs, inspecteurs principaux, particuliers ou encore sédentaires et des sous-inspecteurs.

 

Dans les bureaux de perception, on trouve des receveurs principaux, contrôleurs aux visites, premiers commis à la navigation, contrôleurs aux entrepôts, vérificateurs, receveurs aux déclarations, commis aux expéditions, commis à la recette, aides-vérificateurs, poseurs, emballeurs, concierges et portiers. Dans les plus petits bureaux se côtoient receveurs particuliers, visiteurs et commis aux expéditions. 

Les brigades sont sous les ordres des contrôleurs, capitaines, lieutenants principaux et d’ordre, lieutenants, sous-lieutenants et enfin préposés, à pied ou à cheval.

 

L’augmentation exponentielle de la contrebande suite aux lacunes étatiques de la période du Directoire et des aléas de la guerre, amène le nouveau régime à accorder l’aide de l’armée aux préposés. Un arrêté du 16 frimaire an XI permet au préfet de réquisitionner des détachements de cinquante fantassins et vingt à quarante cavaliers pour suppléer au travail des douaniers. Des escouades de quatre hommes et un sous-officier participent à des patrouilles et à des embuscades avec des préposés et un officier en cas de besoin, les militaires recevant eux aussi des parts de saisies. Ce sont près de 1300 soldats et 220 cavaliers qui doivent servir dans les directions d’Anvers, Clèves, Cologne, Mayence, Strasbourg, Besançon et Genève. Ces deux dernières, montagneuses, ne reçoivent pas de cavaliers. Séduisante, l’expérience est finalement un échec, les soldats se faisant fraudeurs! Cet essai sera renouvelé en 1814 avec le même succès…

 

Chaque année amène un accroissement substantiel de l’Empire napoléonien et donc un déplacement des frontières et de ses gardiens. Anvers et la Belgique sont déjà annexées quand c’est le tour de Gènes, Parme et Plaisance en 1806. En 1808 et 1809 viennent le grand-duché de Toscane et le royaume de Hollande. L’année suivante, ce sont les villes hanséatiques et l’installation d’une ligne sur la Baltique de Hambourg à Dantzig. Puis viendront les états pontificaux, l’Illyrie, Trieste, la Catalogne… De plus, certains états alliés voient leur douane confiée aux bons soins de l’administration française ou encore conseillée par des gabelous impériaux. C’est dire l’importance de cette branche administrative de l’Empire. Mieux, un décret signé le 16 mars 1806 confie à la douane la perception de l’impôt sur le sel récemment rétablie. La fameuse gabelle est de retour! Mais cette foi-ci, ce prélèvement abhorré est beaucoup plus égalitaire.

 

De 25 en 1800, le nombre des directions régionales passe à quarante en 1812! A cette époque, la douane est implantée dans de nombreux états qui composent l’Empire. Elle est même obligée de diviser ses directions en quatre divisions.

La première comprend les directions de Toulon, Sète, Perpignan, Saint-Gaudens, Bayonne, Bordeaux, La Rochelle, Nantes et Lorient;

La deuxième dirige Brest, Saint-Malo, Cherbourg, Rouen, Abbeville, Boulogne, Dunkerque et Besançon.

La troisième division engerbe les directions de Marseille, Gènes, Livourne, Florence, Rome, Foligno, Parme, Voghera, Verceil et Genève.

La dernière possède Anvers, Rotterdam, Amsterdam, Groningue, Emden, Hambourg, Lunebourg, Wesel, Cologne, Mayence et Strasbourg,

 

A noter qu’il existera des directions anecdotiques, telles celles de Lisbonne en 1807 qui n’existera sur le papier car jamais les troupes impériales n’entreront dans la capitale portugaise, ou encore celle de Suez créée le 8 floréal an VIII par Kléber et dont le directeur sera Robert Duquesnoy du 28 avril 1800 jusqu’en août 1801.

 

Raphaël Schneider

 


 

Raphaël Schneider 

 

La douane française au combat

– de Mandrin à la Libération

 

Ed. La gare 2020

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