Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
L’origine des défenses faites aux juges
Les interdictions imposées aux magistrats du siège, relatives à la modération des droits, amendes,confiscations et à la possibilité d’excuser le contrevenant (A) et à intervenir dans l’exécution des contraintes (B) apparaissaient comme étant les plus significatives car restreignant considérablement leur droit de juger.
A/ L’interdiction de modérer les droits, amendes et confiscations ou d’excuser le contrevenant
S’agissant de la modération des droits, l’article 1er du titre commun de l’ordonnance de juillet 1681 stipule : «les juges ne peuvent modérer les droits. Les droits, en effet, quant à leur quotité, n’ont d’autre titre que la volonté du souverain : il suffit qu’elle soit clairement exprimée ; il n’est point permis d’en rechercher le motif, ou du moins prétendre s’en faire prétexte pour discuter cette quotité».
L’article 31 de cette même ordonnance concerne la modération des amendes et confiscations : «les juges ne peuvent modérer les amendes et confiscations à peine d’en répondre en leur propre et privé nom».
M. Pallain, exposait deux raisons majeures à cette impossibilité :
– Les infractions douanières avaient un caractère contraventionnel et le législateur avait donc logiquement interdit aux juges d’excuser les contrevenants sur l’intention.
– Il fallait également mettre fin à des rivalités qui existaient quelquefois entre les agents des Fermes et les juges des Traites, liées à l’absence de séparation du pouvoir judiciaire et du pouvoir administratif. La codification apparaissait donc comme la seule solution viable.
La jurisprudence viendra également préciser les contours de cette interdiction en précisant que, outre le fait que les juges ne pouvaient excuser le contrevenant sur l’intention, seule l’administration des douanes pouvaient apprécier la bonne foi du prévenu.
La jurisprudence précisait également les contours de cette interdiction en précisant que, outre le fait que les juges ne pouvaient excuser le contrevenant sur l’intention, seule l’administration des douanes pouvaient apprécier la bonne foi du prévenu. (Cass. Civ. 20 juillet 1831, Circulaire des douanes ancienne série n° 1425)
Il faut attendre la loi de finances pour 2014, pour délier le juge de l’application de peines plancher en matière douanière. L’article 40 de la loi n°2013/1279 du 29 décembre 2013 a supprimé les sanctions pécuniaires minimales applicables en matière d’infractions douanières, en abrogeant l’interdiction faite au Juge pénal, lorsqu’il reconnaît les circonstances atténuantes, de descendre au dessous du tiers des sanctions fiscales.
B/ L’exécution des contraintes
La troisième interdiction faite au juge figure dans la loi des 6 et 22 août 1791, titre XIII, article 33 : «l’exécution des contraintes ne pourra être suspendue par aucune opposition ou aucun acte, si ce n’est quant à celles décernées pour défaut de rapports de certificats de décharge des acquits-à-caution, en consignant le simple droit. Il est défendu à tous juges, sous les peines portées en l’article précédent, de donner contre les dites contraintes aucunes défenses ou surséances qui seront nulles et de nul effet, sauf les dommages et intérêts de la partie».
On peut relever que l’article 372 du code des douanes, abrogé par la loi du 29 décembre 1977, est rédigé en termes quasi identiques à ceux de l’article 4 du titre XII de l’ordonnance de février 1687, repris dans la loi des 6 et 22 août 1791, titre XI article 2 : «les juges ne peuvent s’immiscer en l’expédition des acquits, congés ou passavants, réceptions ou décharges de soumission, et de prendre aucuns droits de marchands ou voituriers, sous quelque prétexte que ce soit, à peine de concussion».
Enfin, l’ancien article 32 du titre XII de la loi des 6 et 22 août 1791, repris in extenso dans l’ancien article 348.2 du code des douanes fait aux juges obligation de viser les contraintes douanières : «les juges ne pourront, sous quelque prétexte que ce soit, refuser le visa de toutes contraintes qui leur seront présentées, à peine d’être, en leur propre et privé nom, responsables des objets pour lesquels elles auront été décernées».
Pour PALLAIN, qui fut directeur général des douanes du 22 avril 1885 au 30 janvier 1890, la sanction du refus, qui remonte à l’Ancien Régime, est inspirée par le souvenir de rivalité qui existait entre les agents des fermes générales et les juges des traites (PALLAIN- «les douanes françaises – régime général – organisation fonctionnement» – tome III – n-2634).
C’est probablement cette rivalité qui est à l’origine des autres interdictions dont certaines figuraient déjà dans le règlement général sur les traites du 31 mai 1607 dont l’initiative revient à Sully. «Si quelquefois, les commis et gardes du suppliant (adjudicataire du bail des cinq grosses Fermes) saisissent les marchandises, les juges souverains et inférieurs, sont si indulgents à l’avantage des marchands ou préjudice des droits, que contre les défenses et expresses contenues en icelles, ne se soucient nullement, par leurs arrêts et jugements de les renverser». (préambule du règlement général sur les traites).
Il faut rappeler qu’au XVIème siècle, les maîtres de ports, les généraux des aides, les officiers des élections étaient bien plus des fonctionnaires que des juges. Mais, sous l’influence de la vénalité des offices, leur caractère de juge finit par l’emporter, de sorte que sous l’Ancien Régime la connaissance des litiges relatifs aux impôts fut dévolue aux juges des traites qui prirent les caractères essentiels d’une juridiction de l’ordre judiciaire (PALLAIN- tome III n-2 598 bis).
Les considérations historiques qui précèdent expliquent vraisemblablement la tendance des juges de traites à s’immiscer dans les procédures douanières ; et c’est très probablement pour éviter des confusions de pouvoirs qu’on été édictées les interdictions codifiées dans les ordonnances de juillet 1681 et de février 1687, reprises depuis dans tous les textes concernant le contentieux douanier.
A. Sitbon
La Vie de la douane
N°179
Mars 1979