Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
Le chien, adversaire et auxiliaire du douanier
En 1929, les Annales des douanes évoquent les transformations de la fraude douanière au moyen des meutes animales. Il s’agit pour autant de s’adapter et d’adapter la riposte, le chien étant le meilleur moyen de lutter contre lui-même.
La chronique, publiée en deux parties le 26 septembre 1929 puis le 10 octobre 1929, précise quelles races sont les plus adaptées pour la lutte contre la fraude. Elle livre des détails sur la manière la plus profitable de dresser et entretenir le chien du douanier.
Le présent article reprend quelques éléments de vision du chien « auxiliaire » du douanier. Le propos est souvent étonnant de fraîcheur : parfois poétique, parfois tendre et parfois rude, il offre une vision pittoresque à replacer dans le contexte de l’entre deux Guerres.
L’Ecole nationale vétérinaire d’Alfort a récemment organisé une exposition rétrospective sous le titre suivant : « Le chien et le chat, commensaux et serviteurs de l’homme. » Une place y était réservée au chien de douanier et à son adversaire, le chien fraudeur. N’est-ce pas l’occasion de parler de l’un et de l’autre avant que le développement des moyens modernes de fraude ne les ait peut-être fait disparaître de la scène de la contrebande ?
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On peut croire, en effet, que les fraudeurs renoncent de plus en plus à ce genre de fraude, tout au moins d’une manière suivie.
Les meutes ont disparu. On ne voit pas, comme autrefois, des groupes de 30 ou 40 chiens, chargés de tabac, lancés à travers la frontière. Aujourd’hui, ces animaux sont employés isolément et, le plus souvent, ils n’ont d’autre rôle que d’aider leur maître dans sa course en le tirant par une corde à laquelle il s’est attaché. Parfois, cependant, outre son chien « de corde », le fraudeur est accompagné de chiens chargés – la charge varie de 4 à 7 kilos suivant la force de l’animal – mais les « porteurs » marchant seuls, dont devenus assez rares.
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Contre les chiens des fraudeurs, on dresse les chiens des douaniers. A vrai dire, la guerre a porté un coup fatal aux animaux employés par le service parce que presque tous ont été dispersés ou détruits.
Or, le dressage en est long et difficile et, en général, les nouveaux agents manquent encore trop d’expérience pour conduire à bien cette oeuvre de patience.
Nous avons eu, à ce sujet, communication d’une instruction fort intéressante qu’il y a une vingtaine d’années, un inspecteur des douanes de la région du Nord adressait aux capitaines sous ses ordres pour en faire un thème de conférences. Elle constitue un véritable manuel pour le douanier dresseur de chian et mérite d’être tirée de l’oubli.
« Il importe, explique ce document, de définir ce qu’il faut entendre par bon chien douanier et les qualités qu’il doit posséder pour être admis. Toutefois, le concours de ces auxiliaires n’ayant jamais fait l’objet d’une réglementation générale, il existe actuellement dans les postes de la division, des chiens de toutes les races, de toutes les tailles et de facultés bien différentes.
Race qui présente le plus d’aptitude au dressage
En excluant les dogues, ce sont les familles des mâtins et des épagneuls qui, avec leurs croisements, fournissent le plus grand nombre de sujets. Les principales variétés sont :
1° le mâtin ordinaire ou chien de boucher – il est grand, vigoureux, a la queue relevée, les oreilles à demi pendantes (quand elles ne sont pas coupées en dogues). Son pelage est d’un fauve jaunâtre ou blanc ou noir. Ce chien, sans être très caressant, est très dévoué à son maître. Il est de bonne garde et peut chasser le sanglier.
2° Les danois et les lévriers. Ces chiens de luxe sont exclus de notre recrutement, car ils sont peu intelligents, inoffensifs, très paresseux et peu fidèles, et en ce qui concerne plus particulièrement les lévriers, ils manquent de flair.
3° Le chien de berger. Il a les oreilles courtes et droites, la queue horizontale ou pendante (souvent coupée), le pelage long, hérissé et noirâtre. C’est un chien fort intelligent, bon veilleur, très obéissant, mais excessivement agité et qui manque d’initiative. Il a besoin d’être toujours surveillé et il ne réussit bien que dans notre service spécial lorsqu’il est mâtiné.
4° Dans la catégorie des épagneuls, le meilleur spécimen à notre usage est le chien-loup. Il a le museau allongé, les oreilles droites, la queue enroulée en dessus, le pelage court sur la tête, long et soyeux sur le corps. Il est intelligent, obéissant et très fidèle gardien.
5° L’épagneul français a les jambes un peu courtes, c’est un chien très fidèle, mais qui aime trop la chasse et qui se dérange pour le moindre gibier qui passe.
6° Le terrier, bien que musculeux et intelligent, est trop petit pour l’emploi et manque de force pour enlever son maître dans l’attaque. Le meilleur spécimen de cette catégorie est le chien barbet ou caniche. Il atteint parfois la taille d’un mâtin, mais son corps est trop trapu, ses jambes sont plus courtes et plus fortes. Son pelage est long, frisé et noir, son museau est épais et court. C’est, de tous les chiens, le plus intelligent et d’une fidélité proverbiale. Il a, en outre, le double avantage d’être très résistant au froid et d’aller à l’eau.
Le griffon, au contraire, dont le poil est rude, hérissé, peu fourni, d’un fauve roux ou noirâtre, de la taille d’un barbet mais de formes plus légères, n’a que peu d’attachement pour son maître et se dresse difficilement. Quant au barbet-griffon qui est trop petit, il est colère, criard et peu intelligent.
Je n’ai jamais pu rencontrer de terre-neuve de race pure dans les brigades: j’ai vu, dans l’Est, des croisés qui offraient l’avantage d’être très résistants au froid en raison de leur épaisse fourrure. C’étaient des chiens intelligents et fort attachés à leur maître.
Pour conclure, en éliminant les danois, les lévriers, les dogues qui sont sournois et méchants, le doquin triste et brutal, les bouledogues, trop petits, dangereux et féroces, les barbets et les roquets querelleurs, et toutes les variétés des chiens de chasse qui ont un excellent flair mais qui s’emballent sur le gibier, il ne reste en présence, pour l’utilité de notre recrutement, que le mâtin ordinaire, chien de boucher ou chien de ferme, le chien de berger, le chien-loup et le caniche.
C’est dans le croisement de ces différents sujets déjà dressés, en vue de notre service spécial, que l’on trouve le type le plus parfait du chien douanier.
C’est également dans ces diverses races et principalement dans les mâtins et les chiens de berger que se recrutent les élèves de l’École de dressage de Bruxelles, en vue de leur affectation aux opérations de police.
Dressage du chien
C’est une œuvre de longue haleine et de patience. […] L’opération de dressage se divise en deux parties : formation de chiens d’attaque, apprentissage des chiens de piste. Dès la mise à l’étude, le chien, enlevé à sa mère à la fin du 2e mois, doit être isolé et ne plus avoir de contact qu’avec son maître qui se charge de son entretien et de sa nourriture.
Ce dernier point est essentiel : le chien, bien que carnivore, doit être, dès le principe, être habitué à la soupe, au pain spécial, composé de farine de seigle, de blé et de son. On a dû renoncer au pain de suif fait de déchets de boucherie et de farines avariées, qui échauffe l’animal, le rend galeux et souvent le fait crever. Quant à la viande et aux débris d’abattoir, ils produisent les mêmes effet, et ont, en outre, l’inconvénient grave de faire perdre au chien son odorat.
Il importe d’empêcher les chiens de divaguer, non seulement pour les bien conserver en sa main, mais encore pour éviter qu’ils n’aillent déterrer des détritus ou ramasser des débris de toutes sortes sur les fumiers, et souvent la boulette décisive que le contrebandier a pris soin de placer en évidence pour se débarrasser des auxiliaires de la douane, trop bien dressés.
[…]
Il faut, dès l’origine, l’habituer à ne plus se coucher en boule, le nez sous la cuisse ou sous la queue, mais le maintenir, même durant le sommeil, dans la position allongée, la tête reposant sur les pattes de devant et le nez au vent. Pour obtenir ce résultat, il faut que la niche soit plus longue que large et que le chien soit attaché court. Quand l’élève est devenu muet et a pris une bonne attitude, on peut le faire sortir.
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La veille, l’attaque
Dans ses nuits de repos et pendant une ou deux heures seulement, vers 10 ou 11h du soir en été, le préposé prend son campement et va s’installer à proximité des habitations. Il a soin de placer un petit tapis ou un sac à terre pour y installer son auxiliaire qu’il maintient assis. Si le chien a des velléités de s’allonger, il les réprime aussitôt en le piquant avec une épingle attachée au bout d’une baguette. Il prend soin de bien serrer la muselière à chaque démonstration nouvelle pour bien lui faire comprendre que chaque aboiement lui vaudra un surcroît de gêne.
Le chien deviendra ainsi attentif aux derniers bruits lointains qui précèdent le repos du soir dans la campagne, où l’activité du jour va faire place au recueillement de la nuit, et s’habituera à tourner la tête du côté d’où viennent ces bruits. Dans sa solitude et son immobilité, tout l’intéressera; le gibier qui passe, la chute d’une feuille, l’aboi lointain d’un congénère, et ses facultés surexcitées lui feront discerner des frôlements presque imperceptibles.
C’est alors qu’un camarade, prié à cet effet, surgira de l’ombre, marchant à pas feutrés avec les allures hésitantes du contrebandier qui passe. […] Dès que le chien sera suffisamment entraîné et lorsqu’il travaillera à la muette, le douanier pourra alors l’emmener à l’embuscade.
Découverte des pistes
En même temps que l’agent forme son chien pour l’attaque, il peut et doit se consacrer, s’il veut avoir un auxiliaire parfait, à son éducation au point de vue de la recherche et de la découverte du tabac.
Le jeune chien est joueur et le bon douanier doit exploiter cette tendance au profit de ce dressage spécial. Tout petit, il l’habitue à jouer avec un petit sac de tabac belge qu’il lance au loin, cache et se fait rapporter aux encouragements de « Cherche… petit sac … petit pille… arrache… »
Plus tard, il se sert d’une vieille ceinture ou d’un vieux gilet de contrebandier dans lequel il place du tabac et qu’il cache avec soin ou enterre, puis, mettant le chien sous le vent, il l’excite à découvrir le corps du délit. Dans la cachette, il a la précaution de mettre la récompense convoitée et le chien s’intéresse ainsi à un jeu qui lui rapport caresses et profit.
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Conclusions
De cet exposé, il appert que le dressage d’un chien douanier reste subordonné aux qualités du maître et de l’animal. En s’en occupant avec persévérance et douceur, un préposé peut dresser un chien d’attaque en 2 ans, et un chien de piste en 3 années.
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Pour conclure, le chien d’attaque doit être bon veilleur, discret à l’embuscade, et le chien de piste doit, indépendamment des qualités exigées du chien d’attaque, savoir relever et suivre une piste, sentir, poursuivre et découvrir le tabac. En outre, une fois le dépôt découvert, il faut encore que le chien de piste reste en arrêt devant les ballots et sache garder et défendre au besoin se prise jusqu’à l’arrivée de son maître ».
On s’aperçoit, à cette lecture, toutes les qualités de patience, d’observation et d’intelligence que le douanier doit apporter dans le dressage de son auxiliaire. « Le bon douanier fait le bon chien, a pu justement écrire un chef autorisé, ce qui revient à dire que le bon chien dénote le bon douanier ».
Arnaud Picard