Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
1950 – 2010 : du porte-plume au cyberdédouanement
Article publié dans le catalogue de l’exposition du Musée national des douanes : « Images du 20e siècle : Douane et modernité de 1950 à 1993 », présentée du 05 octobre 2010 au 27 mars 2011. Reproduit avec l’aimable autorisation du MND.
En ce temps là, il y avait des frontières, Monsieur. Non, pas celle qu’on franchit maintenant à 110 km/h, en observant d’un œil distrait ce qui peut bien distinguer un pays d’un autre, non une vraie frontière, vous dis-je… Avec deux arrêts obligatoires, un pour sortir, un pour entrer. Avec des barrières, des guérites, des gens en uniforme, des bistrots, de chaque côté.
Pour dédouaner des marchandises, ce n’était pas compliqué : à l’import, la douane taxait tout ce que le pays pouvait produire lui-même, à l’export, elle ne taxait que ce dont le pays risquait de manquer. Et il fallait dédouaner en frontière.
Pendant très longtemps, les documents pour dédouaner ont été différents d’une région à l’autre, voire d’un bureau de douane à l’autre. Après la guerre, la douane a décidé une première fois d’harmoniser les formulaires et a créé une centaine d’imprimés de la série D, comme… Douane. Les plus connus : le D3 pour l’importation, le D6 pour l’exportation. En 2010, il en reste au moins un, le D48 (pour production différée de documents), en version « télématique ».
Nous étions en franco-français : tarif national, procédures nationales, documents nationaux. A partir de 1957, le traité de Rome et les politiques communautaires qui vont en être issues vont peu à peu modifier ce paysage douanier.
Le trafic international, et notamment intra-communautaire, explose. Le dédouanement en frontière génère d’immenses files de camions. En 1965, on expérimente le dédouanement à l’intérieur du pays après transit national, puis transit communautaire après 1968. Le premier Centre Régional de Dédouanement (CRD) est créé à Grenoble ; il sera suivi de beaucoup d’autres.
Bientôt le tarif, les procédures, les régimes douaniers s’harmonisent. Au cours des années 1970, de nouveaux imprimés déclaratifs apparaissent, intégrant des éléments communs à tous les pays de la CEE : ce sont les séries C (pour mise à Consommation), E (pour Exportation), ES, ET… La déclaration est déposée au guichet du bureau, un agent des « sections » en vérifie la recevabilité (bons codes, bonnes mentions, présence des documents). Si elle n’est pas recevable, elle est « mise au clou ». Si elle l’est, elle est enregistrée et passée en comptabilité mécanisée (la fameuse LOGABAX), pour prise en charge des droits et taxes. Elle est ensuite amenée au service de visite, où le chef de visite décide de celles qui vont faire l’objet d’un contrôle physique et de celles qui seront « admises conformes ».
Les agents vérificateurs, les « seigneurs de la visite », examinent les déclarations pour trouver la fraude ou l’erreur ; assistés des « visiteurs », ils peuvent faire décharger un camion et prélever des échantillons pour vérifier l’espèce, l’origine ou les quantités… A l’issue de leur visite, en l’absence d’infraction, ils donnent « mainlevée ». Tous ces derniers points n’ont guère changé depuis.
En 1975, première révolution informatique : les déclarants vont faire leurs déclarations dans un système automatisé : le SOFI-A (Système d’Ordinateurs pour le Fret International – Aérien) est mis en place dans es aéroports. Il sera bientôt suivi par SOFI pour tous les autres bureaux. Les « vérifs » renâclent : c’est la machine qui décide ce qu’il faut contrôler ! La « cellule SOFI » est désormais le cœur du système car c’est elle qui intègre les critères de sélection des déclarations, qui déterminent le circuit qu’elles suivront (1, 1-2, 3-2, ou 3) : contrôle documentaire et/ou physique, mainlevée. Pour autant, le papier ne disparaît pas, toutes les déclarations doivent être déposées. Celles qui n’ont pas été contrôlées lors du dédouanement peuvent l’être en « contrôle différé » et même a posteriori.
Le SOFI est une éclatante réussite de la douane française qui a dix ans d’avance à l’époque. On vient du monde entier pour le voir fonctionner, on l’exporte même à l’étranger dans une version spécifique, le SOFIX.
En 1987, les déclarations deviennent totalement harmonisées grâce à la mise en place du DAU (Document Administratif Unique), traité dans SOFI. Parallèlement, le dédouanement intérieur se développe, les procédures évoluent : on peut dédouaner dans son entreprise, « à domicile », la relation à la douane change peu à peu, cette dernière cherchant à instaurer des relations de confiance, des partenariats et à fluidifier les échanges.
Le 1er janvier 1993, la douane vit son grand traumatisme : du fait de l’ouverture des frontières en Europe, il n’y a plus de déclaration en douane entre les pays de l’Union. De nombreux bureaux, qui ne traitaient que ce type de trafic, disparaissent. A cette époque, SOFI commence à donner des signes de faiblesse : la technologie est dépassée, l’adaptabilité insuffisante et le périmètre incomplet car il ne traite pas les procédures simplifiées…
Après quelques tentatives d’évolution avortées, il est mis à la retraite et bientôt remplacé par DELTA (Dédouanement En Ligne par Traitement Automatisé), en 2008, après quelques années de gestation. Tout est dématérialisé ou presque, même si le fond du métier n’a pas vraiment changé : il s’agit toujours de déceler fraudeurs et tricheurs ! Le trafic est désormais traité en « cyberfrontière »… Adieu barrières, guérites, arrêts obligatoires… Vous êtes entrés dans l’histoire ! Mais la douane est toujours là pour protéger le pays de toutes les fraudes et de toutes les contrebandes, derrière ses ordinateurs et sur le terrain, plus dynamique que jamais.
Marc Fradet