Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

1871-1911 : 40 années d’attente pour obtenir une médaille…

Mis en ligne le 1 juillet 2021

Nous avons le plaisir d’accueillir une nouvelle fois dans nos colonnes Henri Veyradier (*) qui nous propose une évocation des conditions de délivrance de la médaille commémorative de la guerre de 1870 aux anciens combattants de ce conflit dont, bien entendu les agents des douanes.

L’équipe de rédaction

 


 

1870-1871 : à peine un an de guerre…

 

1871-1911 : 40 années d’attente pour obtenir une médaille : mais pas de retard pour commémorer les 150 ans du conflit (1870-1920)

 

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Si par leurs origines (Ferme Générale de l’Ancien Régime), les agents de la douane française sont des  fonctionnaires civils, ils vont être peu à peu, à partir de la Révolution et de l’Empire, assimilés à des corps paramilitaires (uniformes, drapeau, vocabulaire, théâtres d’opérations…). En juillet et août 1870, plusieurs décrets mobilisent le « corps militaire des douanes » pour le mettre à la disposition du ministre de la Guerre .

 

Ainsi, les douaniers seront-ils les premiers uniformes français exposés lors de la déclaration de guerre de la France à la Prusse (19 juillet 1870) ; c’est ainsi que la première victime française sera un douanier Pierre Mouty, tué le soir du 23 juillet 1870, à Schreckling en Moselle ; alors que la première victime militaire sera mortellement touchée 5 jours plus tard.

 

Tout au long des opérations militaires du conflit franco-prussien, devenu franco-allemand, les douaniers combattront dans les rangs de l’armée française. Au retour de la paix, ils constitueront donc à ce titre un contingent non négligeable d’anciens combattants. Mais dans une belle unité, ils revendiqueront une reconnaissance officielle qu’ils attendront durant 40 ans. Les différentes forces politiques qui se succèdent à la tête du pays refuseront à ces valeureux « vétérans », l’hommage qu’ils sont en droit d’attendre des représentants de la nation. On a vu dans ce refus la volonté de ne pas célébrer une défaite ; on peut y voir aussi l’occultation d’un conflit mal préparé et mal conduit…

 

Face à cette indifférence, les anciens de cette guerre décident de s’organiser eux-mêmes pour que le conflit et surtout la défaite ne tombent pas dans l’oubli. De nombreuses associations locales ou régimentaires fleurissent un peu partout avec drapeau et insignes arborés dans les cérémonies officieuses ; l’une des associations «Les Vétérans des armées de terre et de mer » va peu à peu les rassembler au sein d’une fédération qui s’étend sur tout le territoire : on ne comptera pas moins de 2189 sections locales constituées entre 1893 et 1913 (2219 jusqu’en 1936).

Illustration n° 1

 

 

Elles sont présentes dans le moindre village, accompagnant les anciens au cimetière (drap mortuaire spécifique par exemple) ; mais ce sont surtout les livrets individuels de cotisations (illustration n°1) et les insignes (illustrations n°2 et 3) qui sont restés dans les souvenirs familiaux.

 

 

 

 

 

Illustration n° 2

 

 

 

Illustration n° 3

 

 

L’insigne (illustrations n° 4 et 5) a peu évolué en 40 ans : casque et cuirasse (importance encore de la cavalerie dans ce conflit : voir l’abondante iconographie), sur trophée d’armes ; banderole dans le bas « oublier…jamais » (tout un programme) ; modèles argenté, doré ou émaillé ; rosettes et barrettes diverses sur le ruban pour préciser ancienneté ou fonction dans la section et même une nouvelle mobilisation en 1914 ! Ruban tricolore, comme il se doit, liseré de noir (deuil des camarades et des territoires perdus) et de vert (espérance de la revanche victorieuse), l’espérance encadrant le deuil. Les spécialistes vous feront remarquer qu’avec un changement de fabricant, le casque a changé de sens ce qui permet de dater l’insigne ; dans les deux cas, le revers est lisse.

 

 

Illustration n° 4

 

 

 

Illustration n° 5

 

 

Bien que non officiel, l’insigne n’a jamais été interdit de port sur l’uniforme, donc celui des douaniers.  A cet égard, il serait utile de tirer profit de l’appel à contribution lancé récemment par l’AHAD sur son site Internet pour recueillir photographies, illustrations ou documents révèlant la présence de tels insignes sur la vareuse de douaniers lors de cérémonie par exemple. Tout comme la médaille de Verdun qui aura le même statut officieux. Elle était pourtant la seule médaille que portait, le 11 novembre, le Président Coty qui l’avait réellement gagnée au cours de la bataille.

 

En 40 ans, le contexte politique national et même international a évolué : l’idée d’une revanche n’est plus un tabou pour les partis politiques et les alliances n’isolent plus la France comme en 1870. La nation peut accorder aux survivants du conflit franco-prussien une « vraie » médaille ; sa création fait consensus. Proposée par le Sénat, une circulaire du 18 juin 1911 incite les ayants-droits à se manifester auprès de leur tutelle administrative (ministère des Finances pour les douaniers).

 

Diplôme délivré au Sergent Hapiot, 5è Bataillon de douaniers mobilisés.

 

 La loi est promulguée le 9 novembre 1911 par le Président de la République Armand Fallières, Joseph Caillaux étant Président du Conseil ; près de 250.000 anciens combattants la recevront, accompagnée d’un diplôme officiel modeste (Illustration n° 6) – rappelons qu’il s’agit d’une des pires défaites de la France à cette époque.

Elle est suspendue à un ruban de 9 rayures : 5 vertes et 4 noires (voir plus haut la symbolique des couleurs). Le bijou est circulaire (30 mm de diamètre) en bronze patiné ; il est l’œuvre de l’artiste Georges Lemaire.

L’avers (Illustration n° 7) présente une tête de la République casquée, à gauche (et non à droite, pour ne pas froisser les susceptibilités allemandes ?) ; Mademoiselle Fernande Dubois de l’Opéra-comique avait servi de modèle.

 

Illustration n° 7

 

Le revers (Illustration n° 8) est constitué d’un éventail d’armes, avec ancre en pointe ; le tout surmonté d’un étendard ; un cartouche rectangulaire posé sur l’ensemble mentionne « Aux défenseurs de la Patrie » ; le tout surmonté des dates 1870-1871. Une agrafe « Engagé volontaire » pouvait orner le ruban. S’agissant du corps militaire des douanes, il est peu probable qu’une agrafe spécifique à cette institution  ait été émise (**).

 

Illustration n° 8

 

Enfin, pour l’anecdote et en guise de conclusion, une comparaison avec nos voisins et notamment avec la Belgique dont l’existence encore récente en 1870 prévoyait une stricte neutralité. Aux premiers bruits de bottes (mi-juillet 1870), le jeune royaume a proclamé la mobilisation afin de se prémunir d’une possible agression, soit prussienne, soit française, d’autant que le pays a été l’objet récemment de tractations entre la France et la Prusse quant à la destinée du nouveau royaume. Mobilisation inutile (à la différence de 1914), mais recours à l’armée cependant qui réclamera comme l’armée française, un signe de reconnaissance ; le délai sera du même ordre qu’en France à quelques semaines avant ou après selon la date de création retenue en France : 18 juin ou 9 novembre. En effet, l’Arrêté Royal est daté du 20 septembre 1911. Curieuse coïncidence comme l’on en rencontre quelquefois en histoire. A noter que le revers de la médaille est au chiffre du roi Albert 1er, futur « roi-chevalier » ; roi depuis 2 ans en 1911, il avait 5 ans en 1870 !…

 

Henri Veyradier

 


 

Notes:

 

(*) Historien, Henri Veyradier est l’auteur de l’article « L’enclave des Papes : 700 ans d’existence et toujours bien présente….« . Sa contribution figure dans un dossier spécial consacré à « L’Enclave des papes et la contrebande » publié dans les Cahiers d’histoire des douanes et droits indirects ( N° 63 -2e trimestre 2017).

 

(**) Tout comme pour le diplôme remis aux bénéficiaires de la décoration, l’appel à contribution lancé récemment par l’AHAD sur son site Internet pourra se révéler d’un précieux secours pour recueillir photographies, illustrations ou documents.

 


 

Sources :

 

  • – Chanal Michel  La Guerre de 70 (1972) – 160 pages – Bordas;
  • – Vraine Philippe  La société Nationale des Retraités des Vétérans (2001) – 372 pages autoédition – abondamment illustré;
  • – France-Phaléristique (site internet) : site fiable et complet sur les décorations françaises

 

Remerciements :

 

Patrick Deunet et Xavier Rauch (AHAD)

 

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