Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

1719 – 2019: 300 ans de missions douanières garde-côtes

Mis en ligne le 1 février 2019

En 1719, Louis XV dirige du haut de ses 9 ans le Royaume de France, sous la Régence de Philippe d’Orléans. A cette période, le financier John Law prend progressivement le contrôle des compagnies françaises de commerce extérieur et colonial ainsi que des fermes générales. Il y a 300 ans, le champ de compétences de ces services de défense économique se précise dans son volet maritime. En effet, pour être efficace, la police des côtes suppose une double surveillance du service des douanes : à terre, mais aussi en mer.

 

L’arrêt du Conseil du Roi du 19 mars 1719 est l’ancêtre direct du « rayon maritime des douanes » et de l’actuel article 44 du code des douanes. Son lien de filiation est reconstitué dans l’article : « Évolution historique du droit de visite des navires : d’une extension de son champ d’application à son encadrement procédural » publié dans les Cahiers d’histoire de l’AHAD1.

 

Au-delà du symbole de cette origine juridique et de la commémoration, cet arrêt témoigne du souci constant de maintenir une protection des côtes et des ports, à vocation économique, à côté de la Marine royale puis nationale.

 

Comme le rappelle Clinquart dans La douane et les douaniers2 : « la Ferme générale n’avait pas négligé la surveillance des côtes. Elle y entretenait un cordon de brigades chargées de prévenir et de réprimer les débarquements et embarquements de marchandises hors de l’enceinte des ports où se trouvaient établis des bureaux de perception. On ne peut néanmoins, à partir de la terre, que surveiller partiellement les mouvements des navires, aussi la Ferme générale avait-elle demandé et obtenu, en 1719, par arrêt du Conseil du Roi, la faculté d’armer des bâtiments. Comme en témoignent les inventaires de ses biens meubles et immeubles qui furent dressés lors de la dissolution de la Compagnie, celle-ci avait tiré parti de cet arrêt et son patrimoine comprenait une flottille de navires et embarcations de types variés. »

 

 

 

Cette évocation nous offre une excellente opportunité de reproduire ci-après l’article rédigé par le Commandant Rivière, chef de l’ancien « bureau aéronaval » de Méditerranée. Cet article a été publié dans une page historique de la Vie de la douane sous le titre : « 1791 : déjà des Felouques et des Pataches3 ».

 

 

 

Une représentation du Paris de Turgot (en 1730) montre la présence de pataches d’octroi sur la Seine, aux deux points d’entrée et de sortie de Paris. Ici, la patache située non loin de l’hôtel de Lassay (proche de l’actuel pont de la Concorde)

 

La défense de l’espace maritime et du littoral contre d’éventuelles « agressions » économiques est une préoccupation très ancienne de l’État et remonte aux origines de la douane elle-même. Déjà, sous l’Ancien Régime, les Fermiers Généraux armaient en Méditerranée des felouques et demi-chebecs, trois mâts qui, pour l’époque, étaient des navires d’un tonnage assez important.

 

Ils rétribuaient également des « guetteurs » pour arpenter ce qui devait devenir le « sentier des douaniers ».

 

Les services maritimes de la Ferme surveillaient une zone de deux lieues de mer dans laquelle les employés des pataches pouvaient (en vertu de l’arrêt du Conseil du Roi du 19 mars 1719) arrêter les petits bâtiments d’une contenance au-dessous de 50 tonneaux. Cette zone deviendra le rayon maritime des douanes.

 

 

 

 

Mais c’est la Révolution qui devait donner à la douane maritime les responsabilités et les structures qu’elle a conservées jusqu’à ce jour.

 

 

Le 22 août 1791, peu après l’abolition des privilèges, la Constituante, partageant les dépouilles des Amirautés Défuntes et supprimant les charges des intendants de la Royale, confie à la marine devenue « Nationale » la défense militaire des côtes et la protection des navires marchands et de pêche, et à la douane la défense économique maritime en lui enjoignant, par l’article 6 du titre XIII du premier code des douanes, de « tenir en mer des vaisseaux, pataches et chaloupes armées ». Deux mois plus tard, devant l’imminence des menaces extérieures et en vue de renforcer l’efficacité de la douane en mer, l’assemblée législative publie la « loi relative aux moyens de protéger les douanes » et ordonne d’armer « quatre corvettes ou avisos et des chaloupes ou autres petits bâtiments pour écarter les fraudes des côtes du Royaume ».

C’est l’acte de naissance officiel de la garde-côtes qui, à travers des vicissitudes diverses, a survécu jusqu’à nos jours.

Ce rappel historique est d’autant plus opportun que, trop souvent, pour éviter la confusion avec la « coast guard » américaine, on hésite en France à utiliser l’appellation « garde-côtes », officialisée pourtant par l’article 4 du décret du 30 septembre 1791.

Il faut noter, que ces « bâtiments destinés à la garde des côtes » sont, au début, armés conjointement par la douane et la marine et que le « ministre de la marine concerte tous les ans avec le ministre des contributions les instructions à donner aux commandants ».

Dans le même temps, l’Assemblée confie à la douane la protection et la surveillance « des marchandises sauvées des naufrages » (titre VII du code de 1791).

 

Deux ans plus tard, le 27 Vendémiaire an 2, la Convention attribue à la douane, par l’acte de navigation et ses décrets d’application, la responsabilité de la jauge et de la francisation des navires, lui laissant le soin, au nom du peuple français, d’accorder aux navires le droit d’arborer le pavillon national leur assurant ainsi la protection de l’État en mer et à l’étranger : il s’agit là d’un acte de souveraineté qui dépasse largement l’aspect commercial et fiscal qu’il revêt par ailleurs. […]

 

Par ailleurs pendant une période assez longue, comme le rappelle une lettre conjointe de la marine et des finances du 17 Germinal an 5, puis une lettre des régisseurs du 27 pluviôse an 7, les rapports de mer des capitaines des navires marchands, prévus par l’article 4 du titre X, livre Ier de la Grande Ordonnance Royale de 1681, étaient déposés au bureau des douanes.

 

 

Dès la Révolution, la collaboration est permanente entre les services maritimes douaniers et la marine nationale.

Outre la concertation annuelle mise en place au niveau central par la « loi relative aux moyens de protéger les douanes », de nombreux textes témoignent de ce fait, en particulier une lettre du directeur général en date du 24 Vendémiaire an 10, demandant au service de « concourir avec ces Magistrats (les préfets maritimes) aux moyens de répressions qu’ils emploient ». Depuis, quelque soit le régime et en dépit d’incidents très localisés, cette collaboration n’a jamais été remise en cause, bien au contraire.

 

 

A partir de la période révolutionnaire, la douane a toujours été présente en mer dans un rayon de « quatre lieues de mer », distance bien supérieure à la « portée d’un boulet de canon » et correspondant à la largeur des eaux territoriales.

 

La littérature du XIXe siècle nous a laissé plusieurs témoignages de cette action de la douane en mer.

En 1851, dans une de ses nouvelles, Barbey d’Aurevilly évoque « l’embuscade nocturne d’une patache des douanes au large des côtes ». Ce terme de patache qui, à l’heure actuelle n’est plus utilisé que pour les embarcations portuaires, désignait au XVIème siècle les « navires armés en guerre » et au XVIIIème siècle visait l’ensemble des navires douaniers quel qu’en soit le type.

La Sémillante, frégate impériale qui a fait naufrage le 15 avril 1855 au large des bouches de Bonifacio, sur un ilôt des Lavezzi

En 1863, Alphonse Daudet passe un mois à bord d’une felouque des douanes et partage la vie d’une brigade garde-côtes, dans les bouches de Bonifacio, sur les lieux du naufrage de la « Sémillante ». Ce séjour enrichira notre patrimoine littéraire de deux nouvelles « Les douaniers » et « le Naufrage de la Sémillante ». La description faite par Daudet de l’embarcation utilisée semble correspondre à l’étude de Marines conservées par la bibliothèque nationale et reprise dans l’ouvrage intitulé L’administration des douanes en France sous la révolution (Clinquart), page 141, publié par l’association pour l’histoire de l’administration des douanes.

 

 

Après la seconde guerre mondiale la douane, qui sortait de cette sombre période démunie de moyens, entreprend de reconstituer son parc naval afin de continuer à assurer en mer ses missions de défense économique.

Parallèlement à la réalisation d’un programme d’équipement qui a débuté pour l’essentiel en 1959 après la parution de l’Ordonnance sur la Défense confirmant les responsabilités particulières du Ministère des Finances en matière de défense économique, l’administration des douanes a procédé à la formation de marins et d’aviateurs hautement qualifiés, à la mise en place progressive d’un réseau radio spécifique et structuré, allant de pair avec la création des commandements opérationnels chargés d’élaborer une stratégie contre les entreprises de fraude et une doctrine d’emploi de moyens techniques évolués.

Cette renaissance, rapide et spectaculaire de la garde-côtes des douanes, a fait croire à certains (y compris en douane) que notre administration découvrait tardivement la mer. C’était ignorer totalement l’Histoire : elle ne faisait que faire face à des responsabilités qu’elle assume depuis toujours aux côtés de la marine nationale.


1Article rédigé par Arnaud PICARD, Cahiers d’histoire de l’AHAD n°58 – 1er semestre 2016

2Ouvrage paru aux éditions Tallandier (1990)

3Patache… patachon : Pour comprendre l’expression, il nous faut revenir au XVIIIe siècle, à l’époque des pataches et des diligences. Sous l’Ancien Régime, la patache était un bateau fluvial destiné à partir collecter la gabelle, l’impôt sur le sel. Son équipage était composé de gabelous, chargés de surveiller les bateaux pour lutter contre la contrebande. À la fin du XIXe siècle, le mot patache s’étendit à tout mauvais moyen de transport, de type hippomobile lourde, sans ressorts, comme l’étaient les vieilles diligences. La patache était alors le « transport des pauvres ». Par extension, le patachon a désigné celui qui parcourait les routes en conduisant sa patache. Il était réputé pour être toujours par monts et par vaux, menant une vie dissolue et s’arrêtant dans toutes les tavernes pour s’enivrer. Au-delà de l’expression, le mot « patachon » est aussi resté dans certains langages. Pour les cheminots, par exemple, un patachon est un train de marchandise non prioritaire. Un terme qui conserve donc une dimension dépréciative.

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