Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

1360, le traité franco-anglais de Brétigny à l’origine de la gabelle ?

Mis en ligne le 1 janvier 2020

Le sel, une denrée stratégique depuis l’Empire romain

 

L’intérêt fiscal pour le sel est révélé depuis l’Antiquité et l’Empire romain, lorque l’un des consuls de Rome, Marcus Livius, dit « Salinator » décide de crée un impôt sur le sel.

 

Dès cette époque, les vertus du sel pour conserver les aliments et relever le goût des mets est avéré. Son commerce est alors taxé et la route du sel protégée. Une partie de la solde des centurions est même payée en sel, le « salarium », qui a donné le mot salaire. Le sel de la lagune de Venise, monnaie d’échange contre du blé et autres denrées produites dans l’intérieur des terres, a été déterminant dans l’essor du commerce dans la Cité des Doges et assuré une part de sa prospérité (voir Jean-Claude Hocquet, Le sel et la fortune de Venise, Presses universitaires du Septentrion).

 

En France, la gabelle, dont le nom serait dérivé de la « gaballa » ou « kabala » – un impôt déjà en vigueur à Bagdad au VIIIe siècle -, désigne à l’origine un ensemble de taxes appliquées à différents produits (vin, épices, draps… ) avant, au milieu du XIVe siècle, de voir la « gabelle de sel » s’imposer comme seul dépositaire du terme et cible de la vindicte populaire.

 

La Gabelle est-elle un impôt lié à la rançon exigée par les Anglais pour libérer le Roi Jean ?

Aux origines de la Guerre de Cent ans : un conflit charnière de la féodalité et de l’Europe

 

Édouard III

 

Il est bien établi que le conflit anglo-français de la Guerre de Cent ans intervient sur fond de rivalités dynastiques pour l’héritage de la couronne du Royaume de France. Celui-ci, contrairement à l’Angleterre, décide de ne réserver la couronne qu’à la descendance masculine, choix que les prélats et nobles anglo-normands ne suivent pas pour privilégier la proximité généalogique.

 

Ce conflit se décide à un moment charnière pour la royauté française, marquant la fin de la dynastie des Capétiens.

 

En 1328, Philippe de Valois n’est pas le plus proche et c’est Isabelle, reine d’Angleterre, qui devrait hériter du trône. Mais les barons français en décident autrement et donnent leur préférence à la branche des Valois.

 

L’Anglais Edouard III est le petit-fils de Philippe le Bel… et surtout son seul descendant mâle.. Pour la première fois depuis Hugues Capet, la couronne de France se transmet par cousinage, ce qu’il n’accepte pas.

 

Afin d’occuper ses barons qui s’ennuient et éviter les querelles intestines, Edouard décide de porter la guerre sur le continent. Dans un sens, Philippe VI, prince ambitieux, accepte volontiers l’état de guerre. Alors que « la guerre, c’est la pauvreté », l’équation économique d’alors encourage à prendre les armes pour agrandir le domaine royal, accroître ses ressources en particulier assises sur le domaine foncier. Mais l’extension du royaume va de pair avec la hausse de l’administration et de la justice, meilleurs instruments de l’extension des prérogatives royales étendues aussi bien sur les transactions des marchands étrangers en France que sur les accords entre bourgeois pour le partage du gouvernement municipal.

 

Après plusieurs défaites militaires, montrant une supériorité stratégique et tactique anglaise (offensive en Flandres et à Calais, usage des arcs à longue distance lors des combats terrestres et maîtrise maritime, comme lors de la bataille de l’Ecluse en 1340).

 

 

Après les chevauchées du Prince de Galles et de ses barons dans le Royaume de France, amputé de la Guyenne possession anglaise (correspondant à l’actuelle Nouvelle Aquitaine et héritage du duché de Guyenne, héritage des Plantagenet depuis 1188), Royaumes d’Angleterre et de France se font face le 18 septembre 1356 à Nouaillé, près de Poitiers. Le Prince Noir est prêt à parlementer et à accepter un accord diplomatique, car il sait son armée plus fatiguée et moins nombreuse que celle de celui qui se bat sur ses terres. Mais le roi Jean se montre intraitable.

 

Des défections de dernière minute dans le camp du roi de France combinées à une mauvaise préparation de troupes disparates conduit à une débâcle. Le Roi Jean lui-même est fait prisonnier par les barons anglais. Il est amené à Edouard III

 

Charles, son fils aîné, devenait lieutenant du Roi.

Il convoque les Etats généraux, car le Trésor est à nouveau vide, du fait de la guerre mais aussi pour payer une rançon afin de faire libérer le Roi. « Le principe n’était discuté par personne : le vassal et ses hommes doivent défendre leur seigneur les armes à la main et, s’il est trop tard, l’aider de leurs deniers à se libérer. Il fallait en revanche le consentement du pays si l’on voulait de l’argent pour faire tourner normalement les rouages de l’administration, remettre sur pied une armée telle qu’on ne fût plus à la merci du vainqueur d’un jour : en bref, pour faire vivre l’Etat. » (Jean Favier, La guerre de Cent ans).

 

Etienne Marcel, Prévôt des marchands de Paris, et affublé d’un « bonnet rouge ».

 

Pour payer la lourde rançon qui libère le roi Jean, il est exigé 4 millions de livres (soit près de 15 tonnes d’or). Dès lors, une hausse du tarif de la gabelle est décidée, malgré les protestations des bourgeois, notamment à Paris, sous la houlette d’Etienne Marcel. Les Etats Généraux de 1357 sont houleux et des jacqueries s’organisent tout au long de 1358.

 

L’ordonnance du Roi Jean du 5 décembre 1360 sur le relèvement de la Gabelle en Languedoil

 

Portrait de Jean II le Bon

 

Édouard III accepte de libérer son prisonnier après un premier versement de 400 000 livres. Mais le roi de France doit s’engager à verser le reste et pour cela n’hésite pas à endetter son pays. C’est ainsi que, sur le chemin du retour, à Compiègne, il prend trois ordonnances. Il crée en premier lieu de nouvelles taxes et généralise l’impôt sur le sel, la gabelle.

L’impôt indirect devient de ce fait incontournable et très impopulaire.

 

Il est souvent admis que la Gabelle prend sa forme moderne et surtout son importance parmi les recettes fiscales sous Jean II le Bon. Celui-ci décide en effet, au travers de son ordonnance du 5 décembre 1360, immédiatement après son retour d’Angleterre, en conséquence de la paix conclue, de relever de façon conséquente les droits assis sur la valeur du sel. Il crée également d’autres impositions.

 

Pour autant, la gabelle n’est pas « créée » à cette période, en réaction à ces événements importants pour expliquer l’histoire des relations de la France avec son voisin Anglais.

 

L’origine de la Gabelle : un droit de douane régulateur et … ponctuel

 

En réaction au Traité de Brétigny, les droits de gabelle sont unifiés au sein du Royaume de France. Pourtant, ils conservent un caractère temporaire, lié à la nécessité d’aide pour le paiement de la rançon du roi Jean et « pour la perfection de la paix ».

L’origine de la Gabelle – en tant qu’impôt indirect de l’histoire de France à l’époque  moderne – serait attribué au roi Philippe de Valois (roi de France de 1328 à 1350).

 

Hommage d’Edouard III à Philippe de Valois

 

Philippe de Valois est le second de la branche cadette qui succède aux Capétiens.

Il exige, pour asseoir son pouvoir, que Edouard III Plantagenet, s’agenouille et reconnaisse dans les formes de la chevalerie et de la noblesse médiévale son pouvoir de monarque.

La gabelle, instituée alors « officiellement », est donc d’abord un droit de douane qui frappe les exportations et dont le taux est indexé sur la valeur du produit.

 

La gabelle des origines : un droit de douane temporaire

 

Comme l’indique le journal Les Echos dans son édition du 01/07/2012, tout va changer avec Philippe VI de Valois, en 1343.

 

Par ordonnance royale, le monopole du commerce du sel échoit à l’État qui un an auparavant a créé les greniers à sel, lesquels servent à la fois de lieu de stockage, de vente, et de tribunal si nécessaire, et sont garants de la qualité du produit. Mais surtout, la gabelle s’applique désormais également au commerce intérieur.

Et change de nature : hier simple taxe ponctuelle, elle s’affirme comme un impôt permanent d’abord indirect, puis quasiment direct avec l’obligation faite à chaque sujet d’acheter une quantité minimale de sel pour sa consommation courante et les petites salaisons domestiques. Le sel « industriel » est lui aussi taxé, mais souvent dans de moindres proportions lorsque l’intérêt économique d’une région est en jeu. Ainsi Dieppe, en 1399, est totalement exempté de gabelle par Charles VI pour le sel de pêche, à condition de s’acquitter d’une certaine quantité de sel domestique.

 

Après des débuts modestes, le montant de l’impôt atteint vite 25% de la valeur du sel et pèse lourd sur les budgets. Certains chercheurs, tel Bruno Gachet dans une thèse de doctorat sur le duché de Savoie, évaluent à 8% des revenus d’une famille le poids de la gabelle au milieu du XVIIIe siècle.

 

 

 
Arnaud Picard

 

 

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