Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Vocabulaire douanier: « Mystérieuse penthière »

Mis en ligne le 1 septembre 2019

Le patrimoine douanier est bien entendu loin de se résumer au patrimoine matériel. Il est aussi des mots, des phrases et des expressions propres au métier de la douane que les plus anciens s’appliquent à transmettre aux plus jeunes. La liste est étonnamment riche… Le terme « penthière » en fait partie

 

La penthière peut se définir comme une  zone de compétence d’une brigade des douanes. Le mot existe depuis l’ancien régime et a été utilisé jusque dans les années 1970. Chaque brigade devait établir la carte de sa penthière. Réalisées à la plume ou à main-levée, quelquefois colorées, certaines représentaient également les animaux ou personnages fréquentant la penthière. Elles étaient généralement divisées en plusieurs parties qui portaient un nom ou numéro de code de façon à dissimuler les lieux d’action du service.

 

La plus connue est celle de Maureillas dédicacée par Salvatore Dali lors de l’un de ses passages (Ce document est évoqué dans l’article « Interview de Salvatore Dali » dans notre rubrique « Echos d’histoire »).

 

© Musée national des douanes, France Photographe : Alban Gilbert

 

S’agissant de l’origine du mot « penthière »,  nous reproduisons ci-dessous un article  publié  dans le numéro spécial des  » Cahiers d’histoire des douanes françaises » (n° 6 – Septembre 1988) dédié à Jacques Boucher de Perthes.

 

 

L’équipe de rédaction

 

 

Mystérieuse penthière (1)

 

Boucher de Perthes utilise souvent le terme de PENTHIERE, qu’il orthographie aussi PANTHIERE. Il en donne une plaisante définition dans le « Petit Glossaire« .

 

PANTHIERE. En langue de douane, c’est l’espace qu’une brigade est chargée de garder. La panthière est terminée, à droite et à gauche, par ce qu’on nomme la jonction. C’est le point où l’escouade échange le mot d’ordre et la boîte de correspondance.

 

Un bon préposé non seulement connaît sa panthière toise par toise, pouce par pouce, mais encore il en sait l’histoire depuis l’origine des douanes; il n’est pas si petit événement dont il ne puisse rendre compte à la première sommation ; il réserve ensuite les grands pour les beaux jours. Les vieux souvenirs de la guerre continentale, les attaques de croiseurs anglais, les débarque- ments, les naufrages, surtout les tentatives des fraudeurs et les saisies qui en ont été la suite, sont les hauts faits dont il ne se lasse pas de faire le récit. Quant aux malices qui ont réussi aux contrebandiers dont il a été dupe, aux ballots qu’on a passés, il n’en parle jamais ; il est même très disposé à soutenir que c’est mensonge et calomnie, et inventions des envieux de l’honneur de sa panthière ».

 

L’usage de ce terme était déjà an cien au temps de l’auteur de Sous Dix Rois, le fait n’est pas douteux : Th. Duverger, dont le témoignage ne peut être suspecté, indique dans son ouvrage La Douane française que les commis de la Ferme générale utilisaient ce terme avant ceux de la Régie.

 

Mais au début du XIXe siècle on s’interrogeait déjà sur l’origine du mot, et on se trouvait réduit à avancer des hypothèses. Duverger suggère pour sa part qu’on se trouverait en présence d’une corruption de bandiére, front des anciens camps en face de l’ennemi venant peut-être de la ligne des bannières qui y étaient plantées.

 

L’italien bandiera, et ses rejetons français bandière et bannière, sont des dérivés du germanique banda signe, étendard servant à distinguer un corps de troupe, dérivés dont il existe bien d’autres spécimens venus en France par l’intermédiaire du provencal, de l’italien ou de l’espagnol, par exemple bande (originellement corps de troupe reconnaissable à sa bannière, banderolle et aussi… contrebande !

 

Peut-on admettre que le terme militaire de bandière ait été employé à une époque antérieure à la seconde moitié du XVIII’ siè cle en matière de surveillance des frontières (extérieures ou intérieures) ? Des termes synonymes, en particulier celui de ligne (au singulier et au pluriel), appartiennent dès cette époque et ont continué jusqu’à nos jours à appartenir au jargon administratif le plus usuel, Dans l’Ordre de travail pour les gardes et employés dans les brigades de la Ferme générale (5 novembre 1758), on relève l’emploi répétitif d’expressions telles que: d’un bout de la ligne à l’autre, chacune des extrémités de la ligne, au centre de la ligne, le travail des brigades placées en ligne, ligne d’un front de XXX lieues, le front de ligne, etc…

 

On peut y lire aussi que la ligne est jalonnée par les postes des diverses brigades qui, pour la marche des rebats, forment autant de points de ralliement à la manière des oriflammes, gonfanons et bannières de la bandière. Ceci est bel et bon, mais ne justifie pas le passage éventuel de bandière à panthière.

 

Duverger parle d’une corruption du premier des deux termes, mais sans dénoncer le ou les mots corrupteurs. Au point où nous en sommes, on peut se risquer à avancer une hypothèse. On se trouverait en présence non d’une corruption, mais d’une confusion entre deux mots de consonnance voisine. Au terme de bandière, étranger à leur bagage culturel, les gardes de la Ferme générale auraient spontanément substitué un autre terme, dont non seulement ils connaissaient le sens, mais qui, de surcroît leur aurait paru approprié. Ce mot est panthière, qui désignait un filet tendu verticalement pour capturer les oiseaux. Cet engin est en core utilisé de nos jours (illégalement toutefois) dans le sud-ouest pour la tenderie et il y est connu sous le nom de pante. Or le mot pante (que du Bellay emploie dans l’expression pante de rets, suspension de filets) est connu sous diverses orthographes : pante, pan cte, mais aussi pente et penthe (Dictionnaire de l’ancienne langue française, de Frédéric Godefroy, Paris 1881-1902).

 

Ainsi, à la ligne ou bandière des postes, le menu peuple des brigades aurait substitué la penthière ou piège que constitue pour les contrebandiers le dispositif de surveillance. Dans la terminologie douanière moderne, la ligne se confond avec le territoire proche de la frontière, où la douane exerce son action. Que le sens du mot penthière ait connu la même évolution n’a dès lors, rien d’invraisemblable.

 

 

(1) Cahiers d’histoire des douanes françaises
N° 6 – Septembre 1988 (Numéro spécial)
Bicentenaire de la naissance de Jacques Boucher de Perthes
« père de la préhistoire » et fonctionnaire des douanes 1788-1988)

 

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