Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Symbolique douanière: corne d’abondance et caducée

Mis en ligne le 1 mars 2020

 

Shako d’officier des Douanes Royales. Époque Restauration (1814 – 1830). Modèle 1816-1821 (col. C.P.).

 

A l’époque révolutionnaire, les douaniers arboraient, comme signe distinctif, l’œil sur soleil rayonnant et, sous l’Empire, des aigles décoraient les pans retroussés des habits, les boutons des célèbres uniformes verts et les plaques des shakos.

 

Épée d’un haut fonctionnaire des Douanes Impériales (Premier Empire 1802 – 1814). Mercure, un bateau de marchandises sont représentés sur le clavier

 

Dès la Restauration, ces attributs sont supprimés. Les plaques des shakos sont alors ornées d’un caducée, entouré de deux cornes d’abondance et surmonté des armes de France que complète l’inscription « Douanes Royales ».

 

A la fin du règne de Louis XVIII, les fleurs de lys occupent toute la partie centrale de la plaque.

 

Louis-Philippe les remplace par un coq fier et altier. Une couronne de feuilles de chêne embellit l’inscription « Douanes Françaises », alors que sur les côtés de la plaque réapparaît le caducée surmonté du chapeau ailé d’Hermès.

 

Les insignes modernes de la Douane seront adoptés en 1875: la grenade à sept flammes inscrite dans un cor de chasse, en souvenir des troupes d’élite que grenadiers et voltigeurs avaient constituées dans les Douanes du Premier Empire.

 

Les récits qui suivent constituent un rappel de la signification depuis l’Antiquité des symboles du Caducée et des cornes d’abondance.

 

Culs-de-lampe : Décadrachme phénicien en or, frappé à Alexandrie. 250 avant J.C. Corne d’abondance ceinte du bandeau royal

 

Sesterce en bronze aurichalque, frappé à Rome, 22 après J.C. Dans les cornes d’abondance, les deux fils de Drusus

 

Ancienne représentation du caducée

Vignette de contrôle spécifique à la Douane (sorte de timbre fiscal) émise en 1897. Mercure, caducée et corne d’abondance

Pièce des Chambres de Commerce de France « Bon pour 1 franc »

 

Empreinte d’un cachet de l’époque révolutionnaire

 

 

 

 

Le bâton d’esculape

 

 

La légende rapporte que le dieu de la médecine, Esculape, fils d’Apollon, était né près d’Epidaure, dans le Péloponêse, sous la forme d’un serpent. Maître dans l’art de guérir les maladies et les blessures, il avait ressuscité Hippolyte, sans l’assentiment des dieux et en usurpant leurs pouvoirs. Zeus l’en avait aussitôt puni en le foudroyant.

 

 

Fronton de l’Hôtel des Douanes de Rouen, exécuté par Nicolas Coustou (1658-1733). Cet hôtel a été détruit lors des bombardements de la seconde guerre mondiale

Pour venger la mort de son fils, Apollon avait percé de ses flèches les Cyclopes, monstrueux forgerons de Vulcain. C’est alors que, chassé de l’Olympe, il avait été condamné à vivre sur la terre, en Thessalie, où il gardait les troupeaux de roi Admète…

 

A la fin de l’époque révolutionnaire, le corps de santé militaire a choisi comme marque distinctive le bâton d’Esculape, confondu à tort avec le caducée. Il s’agit en effet d’un faisceau de trois baguettes (correspondant aux trois arts : la médecine, la chirurgie, la pharmacie), enlacé par un serpent, le serpent d’Epidaure, et surmonté par un coq à ailes déployées, symbole de la Vigilance. Le coq a été remplacé, en 1803, par un miroir, le miroir de la Prudence.

 

 

« Mercure commerçant avec la Ville de Bordeaux ». Fronton de l’Hôtel des Douanes de Bordeaux. Cet ancien hôtel des Fermes a été édifié en 1731 par Jacques Gabriel. La décoration des façades a été réalisée par Michel van der !Voua et Jacques Verbeckt

Symbole de paix, de concorde et de prospérité, le caducée, on l’a vu, est une baguette ailée autour de laquelle deux serpents s’entrelacent.
Or, le terme « caducée » n’a été utilisé, dans une instruction ministérielle relative à l’École d’Application de Médecine et de Pharmacie Militaire, qu’en 1879, sans doute à la suite d’une erreur commise par un rédacteur.

 

Plus récemment, en 1985, une instruction relative au patrimoine de tradition des unités de l’armée de terre a rappelé : « une confusion entre le bâton d’Esculape et le caducée de Mercure a induit a donner le nom de caducée à l’attribut du service de santé ; cette erreur est à éviter, le caducée étant l’attribut des hérauts ».

 

 

Les puristes ne pourront que se féliciter de cette correction à laquelle l’autorité militaire a procédé. Mais, sans nul doute, la médecine civile conservera longtemps encore son emblème, en continuant de le dénommer « caducée »…

 

 

Le caducée d’Hermès

 

 

Hermès était le fils de Zeus, l’espace céleste, et de Maïa, l’aînée des sept Pléiades transformées plus tard en étoiles parce que leur père, Atlas, avait voulu découvrir les secrets des Dieux.

 

Il était né dans une caverne du Mont Cyllène, en Arcadie. Le jour de sa naissance, enveloppé de bandelettes comme l’étaient alors les nouveaux-nés, il réussit à se délier et, faisant preuve d’une extraordinaire précocité, il se précipite à travers les montagnes pour rejoindre la Thessalie où son frère Apollon, en exil sur la terre, garde les troupeaux du roi Admète.

 

Alors que le soleil plonge dans l’Océan, Hermès arrive aux montagnes de Piérie où se trouvent les bœufs immortels. Homère rapporte qu’il en sépara cinquante du troupeau et qu’à la faveur de la nuit il traversa monts, vallées et bois, pour atteindre les bords de l’Alphée où il enferma les bêtes dans une grotte profonde.

 

A son retour, Hermès trouve une tortue, s’en empare, évide le corps de l’animal, tend sur la carapace une peau de boeuf, y adapte sept cordes faites de boyaux et fabrique ainsi la première lyre.

 

Sabre d’officier supérieur
des Douanes. Modèle An IX. (cavalerie légère)

A l’aurore, Apollon découvre le larcin et, guidé par son art divinatoire, se dirige vers le Mont Cyllène où il trouve l’enfant endormi près de sa mère et serré dans ses langes. Les accusations et les menaces du glorieux fils de Latone n’intimident pas Hermès qui nie impudemment. Furieux, Apollon emporte le jeune enfant dans l’Olympe, devant Zeus qui, un moment amusé par tant de malignité, ordonne au fils de Maïa de restituer les boeufs dérobés.

 

Les deux frères rejoignent le gué de l’Alphée ; Hermès fait sortir le troupeau de la haute étable et le rend à Apollon dont la colère pourtant ne faiblit point. Pour l’apaiser, Hermès saisit sa lyre, en fait voluptueusement retentir les cordes et l’offre, en gage de réconciliation, à Apollon, dieu du chant, de la musique et de la poésie, tandis que celui-ci lui fait présent d’une baguette d’or. Dès ce jour Apollon devient le dieu de la lyre apaisante, rayonnante et harmonieuse, et Hermès, après avoir été « le chef des larrons », le maître-voleur (n’a-t-il pas dérobé également à Neptune son trident, à Apollon ses flèches, à Mars son épée et à Vénus sa ceinture où étaient enfermées toutes les grâces !), devient le dieu protecteur des troupeaux. Cette conception du dieu-berger passera d’ailleurs dans la symbolique chrétienne sous la forme du Bon Pasteur.

 

Dieu du vent, Hermès offre aux hommes la pluie et la sécheresse ; il fertilise les champs de blé, accroît les moissons, enrichit les prairies nourricières des troupeaux.

Les ciselures sur la calotte, le long de la poignée, représentent le caducée d’époque Restauration.

Dieu qui enrichit, Hermès est donc le symbole ele l’abondance et de la fortune. Après la période pastorale, lorsque l’or devient le signe de la richesse, Hermès change en or tout ce qu’il touche de sa baguette magique.

Identifié au crépuscule équivoque et douteux, qui tantôt annonce l’aurore, tantôt précède la nuit, courant de l’Orient à l’Occident, Hermès est aussi le voyageur de la nuit ténébreuse. Dieu des voyages et dieu des chemins, il est représenté et vénéré aux carrefours des routes et à l’entrée des villes. Les marchands qui voyagent l’invoquent sur les routes du commerce grec; sur les bords de la Méditerranée, Hermès est le dieu du négoce, des échanges, du trafic et des marchés.

 

En Italie, il se confondra facilement avec Mercure, le dieu qui préside à l’échange et à la vente des marchandises (merces).

 

Héraut qui précède les dieux, en annonçant la lumière, Hermès est aussi le messager de Zeus. Il ale don de l’éloquence et de la persuasion ; il est le dieu de la médiation, de la conciliation et des ambassades ; il assure les relations pacifiques entre les hommes et garantit les bons rapports sociaux.

 

Courrier infatigable, porté par le souffle des vents, Hermès est parfois représenté avec des ailes. L’iconographie judéo-chrétienne conservera d’ailleurs cette figure pour représenter les séraphins. Les Grecs, préférant éviter toute difformité dans la beauté du corps, ont attaché les ailerons à des accessoires du costume d’Hermès : les sandales ou les talonnières, la coiffure qu’on appelle pétase, la baguette ou caducée.

 

Sans ornement à l’origine, la baguette d’Hermès est devenue caducée après qu’il eût séparé deux serpents qui se battaient et qui, apaisés, se sont enroulés autour d’elle.

 

Cette notion du serpent uni à l’arbre est ancienne ; elle est indissolublement liée au Paradis perdu et à la chute d’Adam et Eve. Par la suite, en Egypte, Moïse avait transformé son bâton en serpent devant les sages du Pharaon. Avec Hermès apparaît le signe de la domination de l’homme sur les puissances souterraines et infernales.

 

 

Héraclès et la corne d’Achéloos

 

Une autre légende peut également être rapportée.

 

En Grèce, les fleuves étaient honorés comme les rois des contrées qu’ils traversaient et fertilisaient. Ayant un pouvoir de purification, ils étaient tenus pour des être divins. On leur élevait des temples, on leur sacrifiait des victimes, leurs sources étaient sacrées.

 

« Ne traversez jamais les eaux des fleuves au cours éternel avant d’avoir prononcé une prière », conseille Hésiode, qui prévient encore »: « Celui qui franchit un fleuve sans purifier ses mains du mal dont elles sont souillées attire sur lui la colère des dieux ».

 

Le plus grand et le plus majestueux des fleuves de Grèce, l’Achéloos, était l’objet d’une vénération spéciale. Sorti de la chaîne du Pinde, il coulait entre l’Acarnanie et Etolie, et se jetait en mer Ionienne, dans le golfe de Patras.

 

On le disait fils d’Océan et de Téthys, déesse de l’eau, l’un des plus anciens couples divins, ou encore, fils du Soleil et de la Terre, Gaïa.

 

Célèbre par ses amours, Achéloos aurait eu avec Calliope, la muse de la poésie héroïque, – pour certains ce serait avec la belle Terpsichore, muse de la danse, et pour d’autres avec Melpomène, muse de la tragédie – des filles : les Sirènes, mi-femmes, mi-oiseaux qui attiraient par leur musique et leurs chants, pour les dévorer, les marins qui passaient près de leurs rochers entre l’île de Caprée et la côte d’Italie. On se souvient des récits d’Homère : en chantant mieux que les Sirènes, Orphée avait empêché les Argonautes de les rejoindre ; plus tard, Ulysse, en se faisant attacher au mât de son bateau et en ordonnant de boucher les oreilles des marins avec de la cire, leur avait résisté.

 

Éléments de la plaque de shako des Douanes Royales. Dessin de l’époque Restauration

 

Achéloos voulait épouser Déjanire, la fille d’I:Enée, roi de Calydon, qu’il menaçait en se présentant à lui sous des formes terrifiantes, tel un dragon, un serpent ou un taureau. Or, à cette époque, Héraclès – célébré dans tous les pays de l’Antiquité, en Egypte, en Crète, en Phénicie, aux Indes, à Rome (sous le nom d’Hercule) et même en Gaule -, ce héros que Zeus avait engendré avec Alcmène en trompant Amphitrion, venait ‘en Etolie demander la main de Déjanire, ainsi qu’il en avait été convenu avec son frère Méléagre, lorsqu’ils étaient descendus aux Enfers délivrer Thésée.

Plaque de shako des Douanes Royales. Epoque Restauration (1814-1830). Modèle 1816-1821, dit « au heaume

Mais pour gagner la jeune princesse qu’il convoite, Héraclès doit auparavant vaincre le dieu-fleuve. Un terrible combat s’engage entre eux, au cours duquel Héraclès l’emporte sur Achéloos. Celui-ci prend alors la forme d’un énorme serpent. Il est de nouveau vaincu. Puis il se transforme en un taureau mugissant. Héraclès parvient à le terrasser et à lui arracher une corne qui, au fond du fleuve où Achéloos se réfugie, est ramassée par les Naïades, filles de Zeus, mortelles gardiennes des eaux saintes et merveilleuses guérisseuses, mais également capables de rendre folles les victimes de leur vengeance.

 

Les Naïades ont rempli cette corne de fleurs et de fruits, pour en faire la Corne d’Abondance, symbole de fécondité des terre qu’assure la maîtrise des eaux.

 

Ceux dont la curiosité aura été éveillée par ce récit, à défaut de se rendre sur les bords de l’Achéloos, l’actuel fleuve Aspropotamos, ou en son embouchure où il baigne les îles Echinades, pourront admirer à Paris, dans les jardins des Tuileries, la sculpture de Bosio, représentant Hercule, vainqueur du fleuve-serpent.

 

 

Zeus et la corne d’Amalthée.

 

Zeus qui fut pour les Grecs la divinité par excellence, en qui, malgré le polythéisme, se trouvaient réunis tous les attributs de la puissance et de la providence, « père et roi des dieux et des hommes » disent les poètes, a eu des parents, une forme humaine et une enfance, tout comme les simples mortels.

 

Il était le fils de Cronos qui exerçait sa souveraineté sur le monde, en symbolisant le temps, et que les Romains célébreront sous le nom de Saturne. Sa mère, Rhéa, ancienne divinité de Phrygie, puis de Crète, représentait la terre. Elle était la « Bonne Déesse ». Mais son oeuvre de fécondité était sans cesse anéantie par Cronos qui dévorait chacun de ses enfants, illustration du temps qui détruit les existences et les créations terrestres, jusqu’au jour où Zeus, triomphant de son père, établirait sur tout l’univers une nouvelle souveraineté.

 

Insignes des Douanes sous la Restauration.
Dessin du XIX» siècle.

Dès la naissance, Rhéa confie l’illustre enfant à la chèvre Amalthée, en Crète, où elle le cache dans un caveau du Mont Ida, près de Lyctos.

 

On raconte que Cronos n’a pas entendu les cris du nouveau-né, étouffés par les chants et les danses des Curètes, jeunes guerriers qui frappaient de leurs épées des boucliers d’airain, cependant que Rhéa présentait à son terrible époux des langes enveloppant une énorme pierre, aussitôt engloutie par Cronos, trompé par ce stratagème. Il est vrai que, peu auparavant, il avait dévoré Héra, la sœur jumelle de Zeus…

 

Amalthée avait suspendu l’enfant à un arbre, afin que Cronos ne puisse le trouver « ni dans le ciel, ni sur la terre, ni dans la mer ». Elle avait un aspect terrifiant. D’ailleurs les Titans, sur qui régnaient Cronos et Rhéa, en avaient peur au point que l’effrayante chèvre avait dû être reléguée dans un antre inaccessible des montagnes de Crète, au milieu de profondes forêts.

 

 

Sabre « briquet ». Modèle An XI (1802-1803). L’ancien soldat du Premier Empire, devenu douanier sous la Restauration, a gravé sur la lame les symboles des Douanes Royales

Au cours d’un jeu, Zeus casse une corne de la chèvre. Mais en la lui rendant, le jeune dieu lui promet qu’elle sera toujours pleine de toutes les richesses qu’Amalthée pourra désirer. Telle est la corne d’Amalthée, symbole de fertilité et d’abondance.

 

 

 

En détrônant Cronos, Zeus rendra la vie à ses frères et sœurs : Hestia (Vesta dans la mythologie romaine, symbole du foyer), Déméter (Cérès, le blé), Héra (Junon, l’épouse), Poséidon (Neptune, l’eau), qui à l’exception d’Hadès (Pluton, dieu des morts) l’entoureront dans l’Olympe, en compagnie de ses enfants, Apollon (Phébus, l’aurore), Arès (Mars, les orages), Héphaestos (Vulcain, le feu), Dionysos (Bacchus, le vin), Hermès (Mercure, le vent), Artémis (Diane, la lune), Aphrodite (Vénus, la lumière) et Athéna (Minerve, la raison).

 

 

 

 

 

 

Claude Pèlerin

 

 

 

Cahiers d’histoire des douanes et droits indirects

 

N° 13 – Décembre 1992

 

 

 

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