Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Si la douane m’était contée, la carte postale illustrée

Mis en ligne le 1 mars 2020

D’humble extraction et de naissance obscure, la carte postale illustrée eut une jeunesse difficile, mais, par la suite, elle connut une gloire sans pareille. Toutes les folies, toutes les puérilités que peut inspirer un objet à la mode lui furent consacrées. Elle eut de nombreux fervents éclairés et d’innombrables snobs s’en déclarèrent passionnés. Son nom fut prononcé dans toutes les langues, son culte célébré sous toutes les latitudes, on lui prêta toutes les formes, tous les visages, toutes les vertus. Puis, sans qu’elle perdît rien de son intérêt, bien au contraire, elle cessa à peu près complètement d’inspirer de grandes passions pour ne plus devenir que ce qu’elle est aujourd’hui : un serviteur si fidèle et si discret qu’on en vient à considérer sa presence comme une chose toute naturelle.

 

La carte postale illustrée n’est pas parfaite, il faut en convenir. Elle a ses défauts, et ses faiblesses. Exploitée depuis plus d’un demi siècle, elle n’est pas encore parvenue à se débarasser complètement de techniques archarques, de sujets d’inspiration d’une indigence désolante. Mais beaucoup de ces déficiences sont précieuses et il convient de les relever soigneusement, car ce n’est point le fait du hasard si les cartes postales de telle époque présentent tel les caractéristiques, même s’il en est encore trop de laides ou de mièvres, mais bien parce que faites avant tout pour être répandues dans le grand public, elles s’efforcent de lui plaire en flattant ses goûts et ses conceptions présentes de l’esthétique, de l’humour, de la vaillance ou de la poésie.

 

Sans vouloir lui faire jouer un rôle auquel elle ne peut prétendre, ni lui rendre une vogue un peu puérile, il nous a semblé opportun de situer dans notre époque cette estampe du pauvre et surtout de souligner son intérêt documentaire dans les domaines les plus variés.

 

Un peu d’histoire.

 

 

L’usage de transmettre ses voeux et compliments sur des cartolines décorées nous vient d’Extrême-Orient, patrie de l’exquise urbanité, où il était observé dès le Xe siècle. En France, ces mêmes cartes s’introduisent sous le règne de Louis XIII par le truchement du « billet de visite », écrit la plupart du temps sur des cartes à jouer, ce qui lui donne bien têt le nom de « carte de visite’. Plus tard, ces cartes se couvrent d’attributs, de décors souvent fort jolis exécutés par des procédés variés, elles changent alors de destination et deviennent des cartes de nouvel an. Dans les premières années du XVIIIe siècle, l’industrie et l’emploi des cartes illustrées prennent une extension considérable. Certaines productions sont d’une haute tenue artistique ; les collectionneurs se les arrachent, les réunissent en panneaux décoratifs : les QUOLIBETS, ou les façonnent en abat jour, paravent, etc…, comme feront plus tard les collectionneurs de cartes postales illustrées. « L’Almanach de la Petite Poste de Paris », de 1777, parle de ces cartes en des termes qui s’appliqueraient fort bien à ces dernières : « On s’envoie par la poste, en matière de compliments ou de félicitations, – écrit-il – sur les sujets les plus différents, des cartes gravées et souvent annotées, qui se transportent ouvertes aux yeux d’un chacun. On a beaucoup discuté de cette invention, qui est du graveur  Desmaisons. Certains trouvent que c’est encourager la malignité des serviteurs qui, par ainsi, peuvent entrer dans vos secrets! »

 

Il y a quelques années s’est révélé un inventeur de la carte postale illustrée dont aucun chroniqueur n’avait jamais fait mention : M. Dominique Piazza. Au cours d’une interview qu’il aurait accordée à Jean Azema en août 1941 (Le Cri du peuple, 13/09/1941) M. Piazza lui assura avoir mis en vente la première carte postale illustrée du monde en septembre 1891. Et l’ingénieur marseillais de conter, à l’appui de ses
dires, la pittoresque histoire d’un ami exilé en Argentine auquel il envoyait, pour lui rappeler le cher et lointain Marseille, des réductions de vues de la ville, qu’il entourait « de guirlandes de  tomates, piments, de concombres et de colliers d’olives dessinés à la main ». Un premier tirage de ces petits chefs d’oeuvre enlevé en quelques jours, incita M. Piazza a consacrer toutes ses économies à l’exploitation de son invention. Malheureusement, il ne put « résister aux trusts, aux firmes, à l’argent, aux puissances, aux rois et aux présidents des Républiques de ce monde »; la carte postale devint leur proie, et le malheureux inventeur ne fut récompensé que par une médaille de bronze de la Société Statistique qui lui fut offerte en 1892

L’exposition de 1889 va enfin nous livrer une véritable carte postale illustrée, c’est-à-dire un bristol destiné à la correspondance à découvert et illustré avec une certaine recherche artistique: nous parlons de la carte postale éditée par LE FIGARO et représentant la Tour Eiffel. Elle était imprimée au pied de ce « fâcheux monument » sous les yeux de ses visiteurs, et expédiée par un bureau de poste spécial placé à proximité. La carte postale du FIGARO, plus modeste que celle de M. Piazza, ne prétendait pas être la première au monde. L’Allemagne, de toute évidence, nous avait précédé et elle n’imposa pas tout de suite le procédé en France.

 

 

Emile Strauss, sans doute père de la carte postale française, prêcha d’exemple en achetant un millier de cartes postales illustrées de différents pays, qu’il diffusa dans toutes les directions, afin de développer chez nous le goût de la collection. Sous son impulsion, une société d’échangistes fut fondée, qui mena campagne pour obtenir des industriels français une production plus artistique et plus abondante.

 

 

Economiquement, l’affaire n’était pas négligeable et, en moins de dix ans, des milliers de personnes tirèrent leurs revenus de la carte postale illustrée, alors que, sans l’intervention de Strauss, l’étranger eût définitivement envahi notre marché. Un an après son lancement en France, la carte postale illustrée s’était imposée. Mais notre position dans ce domaine restait de beaucoup inférieure à celle de l’étranger, comme l’atteste cet extrait de statistiques des productions internationales pour 1899 :

Allemagne … 50 millions d’habitants, 88 millions de cartes postales illustrées
Angleterre … 38,5 millions d’habitants, 14 millions de cartes postales illustrées
Belgique    … 6,2 millions d’habitants, 12 millions de cartes postales illustrées

France       … 38 millions d’habitants, 8 millions de cartes postales illustrées.

 

La littérature, les chansonniers s’emparent de la carte postale. Le 1er septembre1903, Louis Boulard fait représenter au théâtre du gymnase une comédie en un acte intitulée »Cartes Postales », dont l’intrigue est construite sur un sujet d’actualité. En 1906, Dranem joue à l’Eldorado dans une comédie-bouffe, de Mortreuil et Postal, intitulée « Carte Postale ». Toutes ces oeuvrettes sont assez niaises et n’ont d’autre intérêt que de montrer à quel point la carte postale illustrée est ancrée dans les moeurs. La même année Paul et Victor Margueritte, qui publient un recueil de nouvelles, n’oublient pas d’en consacrer une à la carte postale.

 

En histoire locale, la carte postale est souvent seule, pour le début de ce siècle, à avoir conservé l’image de villes et villages à cette époque particulièrement intéressante, puisqu’elle précède l’avènement de l’urbanisme, des lotissements et des destructions des deux guerres. Pour quelques vues d’une réalité quotidienne : la gare, le café de la paix, le bureau des douanes que d’images précieuses se sont succédées depuis 50 ans sur les tourniquets des librairies locales. Que de vieilles maisons, de châteaux, d’églises, de rues tortueuses anéanties sous les bombes ou remplacées par des édifices sans âme, ne survivent que dans les cartes postales illustrées.

« Les Gabelous » tiennent une place importante dans la carte postale illustrée, et les thèmes d’inspiration sont  caractéristiques de l’art populaire traditionnel. L’embuscade, la capture ou la visite à la frontière sont autant de documents reflétant, à travers l’image, la vie quotidienne d’une époque. Le douanier demeure attaché à la tradition populaire. Pour tous, il constitue l’un des éléments essentiels de la ville frontalière ou du centre de payement des droits sur le sel et mérite ainsi de figurer en bonne place dans la carte postale illustrée.

 

Très souvent même, les douaniers ne posent pas seuls devant le photographe la population ou tout simplement leurs épouses et leurs enfants, figurent à leurs côtés.

Ces cartes postales présentent souvent un intérêt documentaire certain.Outre le détail des uniformes et la description des bâtiments dons lesquels sont installés les bureaux des douunes,certaines scènes témoignent d’actions caractéristiques. (Utilisation du canon lance-amarre ou une capture aux échelles de la mort).

 

La carte postale illustrée a deux rôles distincts à jouer dans le folklore : un rôle d’élément organique quand elle peut être considérée comme l’une des dernières et des plus authentiques représentantes de l’imagerie populaire, et un rôle documentaire quand elle représente un fait ou un objet appartenant aux arts ou aux traditions populaires.

 

S’il est peut-être regrettable que les éditeurs de cartes postales illustrées ne puissent, pour des raisons trop faciles à comprendre, aller à l’encontre des goûts du public et se laissent au contraire porter par lui, cette déficience même authentifie le caractère populaire de la carte postale. Car on ne saurait trop le répéter, sa composition n’est pas plus le fait d’un hasard que ne l’est la composition d’une Image d’Epinal. L’une comme l’autre s’efforce de plaire à ses acheteurs en s’ingéniant à s’apparenter à eux, à leur ressembler le plus possible. Si l’on prend, par exemple, les cartes vendues dans les départements du nord de la France et que jeunes gens et jeunes filles échangent traditionnellement à la Sainte-Barbe, Sainte-Catherine, Sainte-Cécile, Saint-Eloi et Saint-Nicolas, on s’aperçoit que les sujets qui les décorent sont le fruit de recherches attentives pour flatter habilement les goûts de la province. Les mineurs, qui constituent le principal sujet traité ne sauraient avoir un visage d’éphèbe ; ce sont de rudes personnages, aux traits durs, soulignés par la poussière du charbon, et l’on peut être assure que la carte postale qui les montrerait coiffés d’un chapeau de mauvais aloi ou portant une lanterne factice jaunirait sur les comptoirs sans trouver d’acquéreur…

 

Délaissée par les collectionneurs pour ses charmes personnels la carte postale illustrée n’a cessé d’être recherchée comme moyen documentaire par les curieux, voire même par certains centres de recherches officiels, tel le jeune Musée des Arts et Traditions Populaires, qui en a commencé une collection.

Pour louables et fructueuses qu’elles soient, ces initiatives sont incomplètes ; les collections particulières sont presque toujours dispersées à la mort de leurs possesseurs et un organisme, si officiel soit-il, ne peut prétendre réunir par acquisitions toutes les éditions susceptibles de l’intéresser. Reste donc le Dépôt Légal, qui frappe les cartes postales illustrées comme toutes les publications  imprimées et oblige en principe leurs éditeurs à déposer des exemplaires de chaque série nouvelle à la Bibliothèque Nationale s’ils habitent Paris et sa banlieue, ou aux Archives départementales s’ils demeurent en province.

 

 

 

 


 

A l’époque de la grande vogue des cartes postales illustrées, furent publiés de nombreux périodiques destinés aux collectionneurs et échangistes. Ces petites revues dont l’existence fut souvent fort brève, étaient d’une valeur très inégale, mais il est indispensable de les consulter pour étudier un quelconque aspect de l’histoire de la cartophilie :

 

AMATEUR (L’) DE LA CARTE POSTALE ILLUSTREE.
Mensuel. Le N°, 0,30 F. N° 1, 1er juin 1899.
Edité par la Compagnie française des Cartes postales artistiques, 12, rue Sainte-Anne. La publication parait arrêtée dès le No 4.
B.N., V. 12941.

 

CARTE POSTALE ILLUSTREE (LA).
Bulletin de l’international Poste-Carte-Club.

Premier journal de Cartophilie (sic) française.

Mensuel. N° 1, janvier 1899. Parut jusque vers 1908.
Directeur-Fondateur : Emile Strauss. Editeur-gérant : Emile Pivoteau, 7, rue Pierre-le-Grand.
B.N., 4°, V. 4883.

 

 

CARTE POSTALE ILLUSTREE REVUE.

Paraît deux fois par mois. Le N°, 0,30 F. N° 1, juillet 1903. Per Lamn, éditeur, 7, rue de Lille.
B.N. 4°, V. 6009. change son titre en celui du CARTOPHILE ILLUSTRE REVUE dès son 3e numéro.

 

DIANE (LA).

Revue littéraire illustrée de la carte postale illustrée artistique et du timbre-poste. Mensuelle.
Le N°, 0,15 F. N° 1, 15 septembre 1908. Cesse de paraître en 1912. Directeur : France-Solhahet. Administrateur : D. Bernard, Nanterre.
B.N., 8e, V. 34852.

 

REVUE (LA) FRANCAISE DE LA CARTE POSTALE ARTISTIQUE.
Mensuelle. Le N », 0,30 F. N° 1, 1901. Cesse de paraître en 1904. Marcel Bernheim, rédacteur, 19, rue de Paradis. Se dit continuatrice de la REVUE CARTOPHILE INTERNATIONALE.
B.N., 4e V. 5954.

 

 

 

La vie de la douane
 n°156 – 1975

 

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