Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Service au moyen des chiens (1938) : à la poursuite des chiens fraudeurs !

Mis en ligne le 1 janvier 2021

En 1938, le Capitaine Saint-Jours délivrait dans son Manuel des brigades des douanes quelques enseignements sur l’intérêt des chiens de service, et la lutte utilisée par ce « moyen » contre leurs ennemis les « chiens fraudeurs ».

 

Il distingue alors « chiens de piste » et « chiens d’attaque », tous deux instruments de lutte contre la fraude frontalière des frontières du Nord et de l’Est de la France, essentiellement un trafic lié aux produis du tabac. Si l’achat du chien et son entretien incombent exclusivement au maître, qui le dresse sur son temps libre, une épreuve est progressivement mise en œuvre à partir de 1938 (année de publication d’une directive officielle sur les chiens douaniers). En contrepartie, une indemnité est alors allouée aux possesseurs de chiens de service.

 

Prise d’un chien fraudeur ! (CPA – Nord)

 

« Sur certaines parties des frontières du Nord et de l’Est, la contrebande se fait à l’aide de chiens spécialement dressés à cet effet. Le service le combat par le même moyen.

« Les chiens de contrebandiers servent, selon leur dressage, soit comme défenseurs de leurs maîtres en cas d’attaque des douaniers, soit comme transporteurs de marchandises. Les entraîneurs sont attachés par une laisse à la ceinture des fraudeurs, qui accroissent la rapidité de leur course.

 

Dans le rôle de transporteurs, les chiens sont généralement employés en meute marchant en liberté; élevés et dressés en France, ils sont conduits à l’étranger où, après les avoir chargés, on les maltraite pour les inciter à revenir vivement à leur lieu de départ. C’est à l’effet d’entraver la première partie de cette manoeuvre que la loi prohibe, d’une manière absolue, l’exportation des chiens dits de forte race.

 

Les chiens de douaniers sont dressés principalement en vue soit de dépister la fraude (chiens de piste), soit d’entrer en lutte avec leurs congénères (chiens d’attaque). Les uns et les autres obtiennent des résultats surprenants.

 

Certains de ces animaux savent, en raison de la subtilité de leur odorat, relever la trace du passage des contrebandiers et arrivent à mener souvent leurs maîtres jusqu’au dépôt des marchandises introduites clandestinement; d’autres, habitués au rôle de sentinelle auxiliaire, avertissent, par des mouvements discrets et sans jamais donner de la voix, les douaniers embusqués de l’approche des fraudeurs.

 

Quant aux chiens d’attaque, il est rare que, dans leurs rencontres avec les chiens de contrebandiers, ils n’aient le dessus et ne mettent à mort l’animal qu’ils ont poursuivi.

 

Une indemnité est allouée aux agents possesseurs de chiens d’attaque ou de chiens releveurs de pistes. [En 1938, les agents des brigades qui utilisent les chiens pour la répression de la contrebande reçoivent une indemnité annuelle de 540 fr. , qu’il s’agisse de chiens de piste ou de chiens d’attaque. L’Administration prend en outre, à sa charge, la taxe municipale relative aux animaux. Elle ne se refuse d’ailleurs pas à dédommager, dans une certaine mesure, l’agent qui a dû remplacer un chien dont il a été privé pour une cause se rattachant à l’exécution du service].

 

Les chiens fraudeurs (source : site institutionnel du Musée National des Douanes – Le Petit journal)

 

Il est recommandé de toujours tenir en laisse les chiens de service et de ne les démuseler que pour les lancer à la poursuite des chiens fraudeurs.

 

Le chien de veille et d’attaque, couché à côté du douanier et tenu en laisse à la ceinture de celui-ci, découvre au loin par son flair l’approche des contrebandiers; il en prévient silencieusement son maître en le grattant de la patte. Au moment propice, le douanier s’élance vers le contrebandier, vivement remorqué par son chien en laisse et muselé qui, dans la lutte au coeur de la nuit noire, aide à entraver le fraudeur et à le maintenir en état d’arrestation.

 

Usage des armes : Lorsque des automobilistes rencontrés par le service n’obtempèrent pas, dans le temps indispensable, à l’arrêt de leur voiture, aux sommations réglementaires, les agents peuvent se servir de leurs armes pour immobiliser la voiture, et cela en dirigeant leur tir sur les oeuvres vives du véhicule (pneus, radiateur). Mais ce tir ne doit être effectué, au plus tôt, que lorsque l’automobile n’ayant pas ralenti, passe à la hauteur des agents, et encore faut-il s’en abstenir absolument si l’on court le risque de blesser quelque personne. […] Sous les mêmes réserves, les préposés peuvent se servir de leurs armes pour la destruction des chiens fraudeurs. […] »

 

***

Pendant près de 200 ans, cette fraude a connu d’intenses développements sur la zone frontalière franco-belge.

 

 

Selon Michel LOOSEN, auteur de l’ouvrage Histoires de fraudeurs (édition Foyer culturel de l’Houtland, Steenvorde, 1987), « si un chien était repéré par les douaniers, il était abattu et on lui coupait une patte, que les gabelous apportaient comme preuve afin de toucher la prime spéciale liée à ce genre d’opération. Dans la région de Roubaix, des dresseurs s’étaient spécialisés pour armer les animaux de « broches de filature » pour se défendre contre les chiens des douaniers.

Un reportage de 1996 évoque cet usage des chiens fraudeurs dans la zone frontalière de Halluin – Reckem (cliquez ici).

 

Couverture de l’ouvrage publié en 1987 par Michel Loosen « Histoires de fraudeurs »

 

Un sac en toile de jute était spécialement confectionné sur mesure pour être adapté autour du corps de l’animal. Les paquets de tabac, compressés au maximum, étaient soigneusement répartis dans la « carnassière » de façon à équilibrer la charge sur les flancs. Il fallait que la bête soit, au maximum, libre de ses mouvements, qu’elle puisse courir sans difficulté, ramper et passer à travers une haie sans entrave majeure. »

 

L’apparition des chiens fraudeurs semble dater du début du XIXe siècle (1817-1818), une prime de trois francs (2 jours de salaire d’un agent) étant attribuée pour chaque animal tué ou capturé.

« En 1840, on estimait leur nombre à 60000 le long de la frontière franco-belge ! Tout chien rencontré à une demi-lieue de la frontière pouvait être abattu sans autre forme de procès. 120 000 F de primes auraient été réglées en six ans pour 40 000 chiens tués ! »

Si un sur dix était abattu et que la charge transportée par le chien était de 5 à 6 Kg, la quantité des marchandises importées ainsi était considérable.

Plus récemment, dans le journal belge francophone LE SOIR d’autres souvenirs (concordants) de la fraude au moyen des chiens sur la zone frontalière ardennaise sont retranscrits :

Article « Le Soir » (7 janvier 2000) : « Souvenirs de contrebande »

 

Arnaud PICARD

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